samedi 30 août 2008

Du bon usage de Mustafa Kemal

Il est presque naturel pour un policier municipal de frapper un marchand ambulant, ("işportacı", "street seller"). Personne ne s'en offusque en Turquie. L'économie souterraine. Le "molesté" chante toujours le même refrain : "ne me fais pas ça Abi ("frère" en turc), j'ai quatre gosses à nourrir, je t'en supplie". Les représentants de l'ordre restent mécaniques : coups de pied, culbutage, insultes et chambardement de la charrette à fruits et légumes. Les plus "zélés" optent également pour l'écrasement; et rient comme des païens.

Un épicier qui s'entêtait à vendre de l'alcool après 23h a reçu la visite des "mercenaires de la Mairie"; à Keçiören, un "arrondissement" d'Ankara, là où habite précisément le Premier Ministre : quelques baffes, chemise déchirée, vendeur malmené, et silence. Sous les fenêtres du Premier Ministre le "chariatiste". Personne n'en a parlé; Son Excellence des Etats-Unis, Ross Wilson, s'est, bizarrement, enquis de la situation de ce pauvre hère. Les journalistes se sont réveillés.

Un imam nous avait raconté dans son sermon du vendredi que jadis sous le Grand Mustafa Kemal, on frappait les gens pour qu'ils aillent à la mosquée; comme en Iran ou en Arabie Saoudite. Ebaubis que nous fûmes, nous n'avions pas demandé ses sources. Les imams ne prouvent jamais; de l'encombrement inutile. Ca me paraît toujours louche mais il est difficile d'exhumer des choses sur Atatürk. Une légende urbaine ?

Le Gouvernement est conservateur; il n'a pas à s'en excuser, évidemment. Dans cette affaire, il fait le lambin alors que d'autres échafaudent : "allez, on le sait, ce sont les fieffés larbins, je te l'ai dis, on devient l'Iran, bouge ton derche !". Interdire la vente d'alccol après une certaine heure n'est pas une ineptie mais de là, à flageller le vendeur ! c'est un scandale. Une atteinte à son intégrité physique. De l'inacceptable. "Arrête de faire le goy, dis-le, bien fait, ça t'apprendra, hérétique". Une pensée qui traverse la petite cervelle de pas mal de gens; j'en suis convaincu.

D'autres infatués justifient comme ils peuvent : "mais, c'est de la provoc' tout ça, réglé comme du papier à musique, ouvre les quinquets". Le Ramadan commence; il est de coutume de ne pas manger, boire, fumer, s'embrasser en public. Les restaurateurs n'ouvrent que pour le "iftar", le repas du soir, où l'on se goinfre pour bien rappeler que la faim, visiblement, ne peut être que le lot du pauvre. Il est difficile de troubler cette osmose sociétale; une journaliste avait osé, un jour, critiquer l'appel à la prière qui retentit cinq fois par jour dans toutes les mosquées du Pays, parfois en harmonie parfois à la débandade, si bien que la symphonie se transforme en carrousel. "J'en ai marre, avait-elle rouspété, tous les matins, à 5h, on me dérange". Elle s'est vite calmée.

La chanteuse très très célèbre, Sezen Aksu, avait elle aussi critiqué un muezzin, "il détonne", "ah bon ?", "bah oui", "mais on s'en bat, il ne chante pas, il appelle", "oui mais il nous fait peur, enfin, si son boulot, c'est d'appeler, bah, c'est raté". Comme elle est connue, le Diyanet se rafistole un cornet acoustique, elle a de l'oreille, on veut son avis. Le fidèle doit sautiller de nuage en nuage pour venir à la mosquée; pas se réveiller comme le rescapé d'un bombardement.

Revenons aux classiques; en ce moment, une vidéo de Mustafa Kemal a été introduite dans le site de la Présidence de la République, celle où il s'adresse au peuple américain, avec ce joli langage qu'aujourd'hui, personne ne comprend (malheureusement). Il nous dit : "Türk milleti tab'en demokrattır". "Le peuple turc est, par sa nature même, démocrate". Un schème. Et c'est au nom de cela qu'il faut condamner ces agissements. Avec vigueur et franchise. "La civilisation est par nature une oeuvre lente". On a découvert la septième flèche du kémalisme. Libre d'en abuser...

mercredi 27 août 2008

Clopin-clopant

Décidément, c'est un phénomène; même Le Monde en parle. La série turque, Noor et Mohanned dans la version arabe, Gümüş en Turquie.


Une de ces séries que l'on suit fièvreusement. Mon père la détestait; des séries où l'on affichait crânement des "rapprochements" corporels ne pouvaient que le rebuter. La vieille école. Non pas qu'il fût obtus mais la simple pudeur. C'est comme ça. L'influence d'une version bridée de la morale. Ca me semblait bizarre d'ailleurs car en plus d'être musulman, "modéré" dit-on aujourd'hui, il avait tout de même du sang ossète; et les Ossètes n'ont jamais eu la prétention d'être des adeptes de la sacristie; l'absence de la phallocratie les a conduits à la modération tous azimuts. C'est connu, le degré de piété augmente à mesure que gonfle l'animosité envers la féminité et son ressort principal, le risque d'embrasement.

Les Turcs sont plus libres, sur le plan des moeurs, que les Arabes. La série n'est donc pas aussi étrangement accueillie; certes, les scènes de tendresse sont mesurées, un torse nu par-ci, une chemise de nuit par-là, on est loin de la "déraison" des séries latino-américaines. De la tendresse; la scène d'un lit un peu froissé, des têtes échevelées, etc. Le "suggéré". Mais jamais d'ébats. La scène de Ivo di Carlo enlacé à Milagros fait toujours rougir la ménagère. Depuis, on a introduit le système de la signalétique "interdit aux moins de ...".

Les imprécations s'épanchent : alors que les téléspectateurs se reposaient les doigts de pied en éventail après une rude journée (de travail pour les hommes et de palabre pour les femmes), retentit le bruit des muftis : "c'est de la fange, misérables, fermez-moi cette pouffiasserie, contentez-vous de vos partenaires. Parpaillots !". Un ponte religieux d'Arabie Saoudite a même décrété que ce genre de visions ne seyait pas au mode vie imposé par ALLAH et Son Prophète.

Les sociétés musulmanes sont, en général, raides du fait même de la gravité qu'impose la religion (d'où le vagissement des laïcistes en Turquie) et il est difficile de se construire une personnalité; de celle que l'on retrouve ailleurs : épanouie, stable, apaisée. Je connais la rigueur : mon père voulait absolument que l'on observe les règles de conduite qu'impose une bonne éducation ossète : déférence pour les anciens, étiquette en guipure, l'art de prendre la parole et surtout de la rendre, l'art de présenter un verre d'eau, l'art de marcher, etc. Un mode nécessaire, d'accord mais parfois étouffant. Heureusement, ces rituels ont été purgés. Tous les gestes mentionnés perdurent mais on est à la coule. Et mon père n'est plus. Et les Sages deviennent eux-mêmes de plus en plus libéraux, "et puis flûte, on n'a qu'une vie !".

Bref, un moment de plaisir devient un combat de fatwas. Le grand blond fait fantasmer; techniquement, il est difficile de se partager les chefs-d'oeuvre de la nature. Les femmes seraient en transe, à en croire les chroniqueurs judiciaires, les demandes de divorce explosent, la faute à Kivanç Tatlituğ, la faute à Songül Öden... mais les naissances aussi, on se bouscule à l'état civil, "Noor et Mohanned, note, note...". C'est vrai que le fait de divorcer pour une "image", une "icône", un type trop éloigné des canons de l'arabité désole les religieux. Ils savent eux, le désir est le père de tout dérèglement. Et cela n'entre pas dans le contrat de société : Sourate 24, versets 30-31 : "Dis aux croyants de baisser leurs regards et de garder leur chasteté (...) Et dis aux croyantes de baisser leurs regards, de garder leur chasteté (...)".


"Les gueuses, elles s'enflamment si vite... c'est vrai qu'il est pas mal, hein ?" peut-on se bercer, "elles ne font que se rinçer !" peut-on se berner. En tout cas, elles font jaser le monde entier, et ce n'est pas si mal dans un domaine où l'on s'y attend le moins. Les regards se mêlent, torves ou de merlan frit.

"L'oeil n'a qu'une quantité d'éblouissement possible" nous apprend Victor Hugo. La satiété n'existe pas dans ces contrées. Le "soft" déclenche monitions. Mais, c'est comme ça, ce n'est pas sans rime ni raison dans leur weltanschaaung, gardons-nous d'exporter nos indignations. "D'abord, à quoi ça sert les mots quand on est fixé ? A s'engueuler et puis c'est tout" (L-F Céline).

dimanche 24 août 2008

Le robinet d'eau tiède

La Cour de Cassation turque a pondu une décision qui, comme d'habitude, fait jaser les "columnists". L'affaire porte, encore une fois, sur le voile. Mais dans un cadre inhabituel : celui du divorce. On sort du Conseil d'Etat, déjà assez orienté sur cette question, pour saluer la Robe judiciaire.

Une femme, visiblement bonne robe, accourut devant les juges : "Mon mari est un âne bâté, il veut que je m'enturbanne, c'est inouï n'est-ce pas ? Démariez-nous". Le mari venait de trouver le chemin de Damas; le zèle des nouveaux convertis étant proverbial, il se mit à presser sa femme à devenir "plus musulmane". Et comme la "musulmanité" d'une femme se mesure à l'aune de sa tenue vestimentaire, il lui demanda, "à sa manière", de bien vouloir porter un voile. Symbole de piété. Ou peut-on fantasmer : il a sans doute postulé un emploi public et comme tout le monde sait, le gouvernement ne nomme que des "pieux" aux différentes fonctions. Et les enquêtes de piété ne se font pas dans les mosquées ou les institutions caritatives mais simplement au niveau des épouses. Le Président de la République, le Premier ministre, le Président de la Banque centrale, le Directeur de la chaîne publique, etc répondent à cette exigence. Des fiches à la Combes mais dans l'autre sens...

D'aucuns remuent à force de bourrades la société civile : "réveillez-vous, on devient l'Iran ou la Malaisie, j'chai pas moi, un truc de c'genre, regarde ça, ça pullule, on bascule, mon Dieu". Je suis de ceux qui suivent de loin ces vaticinations. Mais sûrement pas des calembredaines. Il faut les rassurer, dit-on au Gouvernement : "bon alors, même la Cour constitutionnelle t'a balancé, on avait déjà peur; allez, prouve-le que tu n'veux pas nous ôter notre mode de vie, dis-le que t'es pas méchant".

Les sociologues avaient dû descendre dans l' arène médiatique pour expliquer au peuple guettant lippe en trompe, qu'il ne fallait pas s'inquiéter : "c'est rien, les conservateurs deviennent riches, c'est tout; du coup, ils sortent, lèchent les vitrines, visitent les zoos, point. Il n'y a pas de multiplication, simple brisure de coque". Les psychiatres aussi avaient des choses à dire mais personne n'osa tendre l'oreille. "Non, ce n'est pas la paranoïa, je vous dis que je connais leur dessein, ils veulent nous envelopper". Même les psy ne se font plus respecter. La science se trompe, bel aveux pour un positiviste...

Cette "martyr" de l'oscurantisme a bien évidemment obtenu le divorce; mais les juges du fond n'étaient pas très alertes, ils avaient renvoyé la demanderesse pleurer ailleurs, tirant prétexte du fait que cette configuration n'était pas un cas de divorce. Les Juges de la Cassation n'y vont pas par quatre chemins : "Mais, c'est un primate, ton mari, petite, le voile est contraire à la vêture qu'impose la civilisation moderne". Le Conseil d'Etat français s'était contenté de faire référence aux "valeurs de la société française" (et en plus, c'était pour un voile intégral).

Le problème saute aux yeux : ce n'est pas le harcèlement du mari stricto sensu qui est condamné, c'est le fait qu'il l'a forcée à porter un voile. Autrement dit, s'il avait poussé sa femme à déchirer son voile, nos juges auraient applaudi avec allégresse et traité l'affaire sous une qualification autre que celle du divorce. Les juges s'abîment encore une fois dans la "religion civile". Les canons de la civilisation se déterminent chez les Sages du Palais : une journaliste demande avec raison : "et si une femme veut divorcer parce-que son mari l'empêche d'ôter son maillot de bain à la plage, comment fait-on ?". Tout devient possible dans un monde où la morale se targue d'avoir déraillé : "je veux divorcer, il refuse les partouzes, quel troglodyte !", "je divorce, il veut m'engrosser, canaille, ça se fait plus ça", "je divorce, parce-que le mariage, c'est con", etc.

"N'importe quoi, tu fais de la démagogie". Les exagérations d'aujourd'hui deviennent les réalités de demain. Ce n'est pas le laïciste qui me contredira. Allez, je ne vais plus m'abreuver à cette source, ça devient affolant. Les rondiers ne lâcheront pas jusqu'à ce que Erdoğan quitte le pouvoir. Il est temps de changer de saison. "Dans beaucoup de vos discours, la pensée est à moitié assassinée". Epoussetez, époussetez, ... On aurait bien secoué la poussière de nos pieds mais ce n'est pas à nous de partir. Soyons bouddhiste un instant : soignez votre "souffrance omniprésente", on vous attend dans le "véhicule", "petit" ou "grand" peu importe...

Maria Callas -- Habanera (1962)

mercredi 20 août 2008

Will you kindly leave ?

Ca y est. Le "Président-putschiste malgré lui" Moucharraf décampe tambour battant. Il a tenu à être envoyé dignement. C'est un Président de la République.


Il était modéré, nous dit-on. Dans la foi, s'entend. Les Pakistanais le sont en général. "Ne vous inquiétez pas, amis Américains, il boit de l'alcool, il ne prie pas, il voue un culte à Atatürk, donc fréquentable; le type idéal pour lutter contre l'extrémisme...", "Ah ouais, mais comment il a fait pour passer à travers les mailles de Zia ul-Haq ?", "En se faisant petit, voyons, il n'a même pas joué l'hypocrite, tu t'imagines, une sincérité et une audace devant l'islamiste Zia !".

Les Américains le soutenaient. "Il se bat bien hein, qu'est-ce t'en penses ?". Les Talibans ont le coeur à la danse : ses efforts n'étaient certes pas suffisants, il s'amollissait dans la lutte contre eux, d'accord mais il les détestait. Ca suffisait. Tiens, on apprend que ces terroristes ont martyrisé 10 soldats français, des éphèbes dont le poil de barbe n'a pas encore correctement poussé... Que Dieu les absolve.

Bien sûr les Américains chérissent souvent, pardonnent toujours les incartades de leurs protégés : il avait décrété l'état d'urgence pour mieux se faire réélire; il avait même remplacé le désormais célèbre Chaudhry. "Tu ne sais même pas lire correctement la Constitution, dégage, bovin". Erdogan a dû être jaloux : "eh les gars, et nous, on a ce droit constituitionnel ? Allez on va débarquer tous ces kémalistes !". Calme, calme. Le juge constitutionnel Paksüt, dont nous avons raconté si souvent les écarts, n'avait même pas daigné baisser le menton pour répondre aux questions des journalistes. "De quoi avez-vous parlé avec le Général, Monsieur le Juge ?", "Allez, allez, ne fantasmez pas".

Certains journalistes l'invitent en Turquie. Même si il a bien négocié son départ, il court toujours un risque. Les hommes sont ingrats, Nawaz Sharif le sait mieux que quiconque. Et puis, il parle le turc couramment, et c'est un kémaliste, il nous faut des renforts, et il soutient l'équipe de Besiktas, et surtout c'est un ancien putschiste. La Turquie en tire une fierté, c'est le seul pays où les généraux turbulents se portent bien. Un de plus... Espérons qu'Omar al-Bachir, qui aime bien fouler le sol turc apparemment, n'en vienne pas à élire exil dans ce pays. "N'en fais pas une jaunisse, on a besoin du soutien de tout le monde pour avoir ce siège au Conseil de sécurité ! C'est important ! En plus, il veut se refaire une virginité, regarde, il entame des pourparlers avec ses opposants politiques dans son pays". "Bon d'accooord". D'ailleurs al-Bachir jette son jus : le crépitement des "flashes" le rend heureux, il sert la main du Président Gül deux fois pour satisfaire tout le monde. Le Turc, raide comme la justice, arbore un rire jaune.

On ne sait pas encore s'il faut faire la noce ou broyer du noir. Le Pakistan détient l'arme atomique et on ne sait jamais. Et il est en froid avec l'Inde à cause du Cachemire. La Chine n'a jamais été non plus désintéressée par la question. Et si l'on prête l'oreille à la légende "tenace", le tombeau de Jésus y serait... Ah Moucharraf, le fossoyeur de la fragile accalmie. Allez va ! on a bien compris que tu n'y es pour rien dans ton départ; les conclaves se font ailleurs...

samedi 16 août 2008

Séidisme

Il a donc réussi à ne pas se "taper" Atatürk. Le Président Gül a été obligé de passer par Istanbul pour le saluer. Ahmadinejad, peigne en bouche, faisait sa traditionnelle levée de main droite, la "sainte". A la Dalaï-Lama. Dans une démocratie normalement constituée, personne n'aurait osé faire des rangées pour saluer cet Homme d'Etat; en Turquie, les foules étaient en liesse. C'est un musulman anti-américain.


Bien sûr, les journalistes n'en croient toujours pas leurs yeux. "Le paltoquet ! T'as vu ! Il nous a nargués ! Patate !". Le temple d'Atatürk, comme nous l'avions déjà dit, est un détour officiel. Les gens de la diplomatie ont toujours du mal à expliquer à leur Excellence l'importance du rite: "C'est quoi, ce truc ?", "Oh, Excellence, le Mausolée du Grand Atatürk", "Mais, je m'en fous, je ne suis pas idolâtre, enlève-moi ça du protocole !" "Mais tant mieux Sire, Ankara vaut bien une patenôtre". On apprenait, au même moment, que les autorités iraniennes avaient libéré trois étudiants accusés d'insulte aux valeurs sacrées et aux dirigeants... De la cohérence.


A une certaine époque, le président Demirel avait accueilli Rafsanjani à Cankaya (l'Elysée turc) avec sa femme voilée de la tête aux pieds et personne n'avait osé hausser le ton. Mustafa Kemal lui-même ne s'en formalisait pas : le jeune Prince saoudien Fayçal avait été reçu, en 1932, au niveau diplomatique le plus élevé; celui-là même qui s'était targué, devant la presse turque avant sa rencontre avec Atatürk, de présenter son Royaume comme un pays où l'on dépouille de leurs biens et expulse ceux qui boivent de l'alcool... Pas très fute-fute.


Quelques semaines auparavant, une jeune fille turque, voilée bien sûr, avait affirmé préférer Khomeiny à Atatürk. Personne n'avait alors déclamé du "respect pour autrui" et les intellectuels s'étaient bousculés sur les plateaux de télévision pour s'interroger sur la psychologie de cette jeune garce. "Tu vois, elle préfère le barbu, celui qui a enfermé les femmes, elle est bête, la gueuse! Oh, Mustafa Kemal, voilà ce qu'en font de ta sagesse, ces vendues !". Il est vrai que dans un Etat qui mène une "croisade" contre le voile au nom, précisément d'Atatürk, il eût été, pour le moins, indécent, que cette jeune fille se fît la personnification même de l'amour pour lui. Ils en ont l'apanage. C'est comme ça.
Pas de panique : les déçus se sont empressés de publier cette photo :




Et ils furent ravis. Il faut dire que le piège était facile; les photos de l'Eternel sont clouées partout. Khomeiny n'est pas en reste; il trône là-bas. Les Iraniens sont iconodoules. Mais pas idolâtres. Les diplomates turcs n'avaient même pas osé préciser cette "spécificité" aux autorités saoudiennes lorsque Abdallah devait séjourner en Turquie. "Hein ? Le Roi, mettre son fessier en l'air pour déposer des fleurs sur quoi ? Je ne saisis pas ! Il ne visite même pas la tombe de son Prophète qui est sous son nez ! Il a déjà du mal à laver la Kaaba, alors, hein, en plus, il est vieux, allez, allez". Et les Turcs l'avaient accueilli sans broncher. Là, ils piquent une colère. Respect pour Sa Majesté ! L'inconscient...

Les "controverses sous-intellectuelles" fleurissent souvent, ça n'échappe à personne. C'est la maladie du scrupule à l'envers. Une occasion de se taire. "Non, je braille, tiens, bien fait et je pleure. Atatürk, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font". Les Persans, nous dit Louis Massignon, voient dans les larmes, le sang de l'âme, sang qu'elle perd quand "elle sent que le divin visiteur l'abandonne". Sans autre commentaire.

Erdogan est un chariatiste, il n'a pas été foutu de jeter le Perse aux pieds de Mustafa Kemal. "Mais, i veut pas, i veut pas ! Lâchez-le et respectez ses convictions". "Cornichon, toi aussi, t'es son lieutenant, dis-le !". Un journaliste de renom avait supplié le Premier Ministre de bien vouloir tenir un verre de champagne à la main pour donner un message à la frange laïque de la population. Merci pour les "laïques" qui sont réduits à des consommateurs d'alccol. "Mais, putain, fais chier, à la fin, j'bois pas d'alcool" . "On s'en fout, tiens juste le verre, ça suffit".

Voilà donc où nous en sommes. Des susceptibilités qui ne font même pas cent balles; il faut dire que Erdogan et comparses "puent tout exprès" pour les laïcistes. Rien à espérer.

mardi 12 août 2008

Saakachvili et son joli coup de pied dans la fourmilière

Je suis de souche ossète. Il était donc normal que je prisse position en défaveur des Géorgiens. Je n'ai rien contre eux; je n'apprécie pas beaucoup leur Président, c'est tout. "Mais t'es fou, il parle foultitude de langues, voyons, il est civilisé ! Tais-toi !".

C'est un benêt. Il ne cesse de réclamer "ses" territoires provisoirement alargués. Il a raison dans sa logique. Bête quand même. "Vous êtes Géorgiens, vous êtes nous, allez, au bercail !". Le problème, c'est que le bercail n'a pas véritablement été le leur. Tout le monde appelle au respect de l'intégrité territoriale de la Géorgie : "mais il fait ce qu'il veut, chez lui, Saakachvili, voyons, c'est quoi ses manières de s'asseoir sur cette vérité !". Drôle d'intégrité, il en vient aux armes pour le prouver. Quand les Russes massacraient les Tchétchènes, tout le monde mettait son grain de sel. Les Russes fronçaient les sourcils : "Quoi ? Qu'est-ce tu regardes ? Allez, excuse-toi".
Il fallait le laisser, Misha : un peu de massacre et ensuite, la communauté internationale, les yeux embués, aurait consenti : "allez, vous êtes une nation indépendante". Les Juifs et les Kosovars ont dû pleurer avant de se dérider "un peu". "Eh eh, vieux, l'indépendance, ça s'acquiert à l'ancienne...".


Il est allé à Gori, avec son gilet bare-balles : à peine déclamé quelque menace, on l'a vu prendre ses jambes à son cou. Et hop un courant d'air. La population n'a pas ce luxe... Il a retrouvé haleine dans la capitale : "mes chers frères, la lutte continue, les ogres veulent nous engloutir, nous résisterons, regardez, les chefs d'Etat accourent à notre chevet... euh, nos côtés". C'est celui-là même qui s'est empressé de signer unilatéralement un cessez-le-feu. Psychologie étrange. Il a même annoncé le retrait de son pays de la CEI. Ciao.

La Russie protège, officiellement, ses citoyens. Pour éviter un massacre. On les croit, bien sûr. Les Ossètes sont bêtes aussi. Restez où vous êtes. Patience et modération. "Non, on veut s'en aller, on veut s'accoler à l'Ossétie du Nord et vivre en paix chez les Russes". Là, je dis non. Je préfère, et de loin, une large autonomie sous la houlette géorgienne qu'une étreinte russe. La rancune ne passe pas...

Ils se réjouissent : "on a tué plusieurs centaines de soldats russes, hahaha", "arrête de balancer, seulement 18 morts, 52 blessés et 14 disparus, nanik". D'autres font ce qu'ils peuvent : les Français évacuent les Européens, les Russes évacuent les Ossètes vers le Nord, les Turcs prient de ne pas causer trop de dégâts aux environs de l'oléoduc, etc.
Un casseur d'assiettes, celui-là. Il doit être content. Bien sûr, on ne démissionne pas en pleine guerre; ça lui fait une belle jambe : attaquer, reculer, pleurer. Kissinger disait jadis qu'une grande puissance ne se retire jamais éternellement et qu'elle ne se suicide pas pour secourir ses alliés. La Russie et les Etats-Unis viennent de lui donner raison. Mais Mikhail ne savait pas... Une leçon. "Allez, frère Caucasien, arrête de faire ton Castro et retire-toi dans un monastère, tu n'as rien compris". Un journaliste turc, Mehmet Altan, le taquine : "jette un coup d'oeil sur l'histoire des compétitions échiquéennes et lis un peu Tolstoï, tu comprendras ta misère". Je suis navré, les fourches caudines russes sont les plus à plaindre, tu croyais vraiment à l'histoire de la cuisse de Jupiter ? Achille, dit lui...

samedi 9 août 2008

Et la trêve cessa...

Alors que la colombe prenait son élan en Chine, c'était le branle-bas de combat au Caucase. La "bûche trop sèche" s'enflamme.


Les Ossètes du Sud savouraient les délices de l'autonomie lorsque la Géorgie, nouvellement indépendante, leur demanda de bien vouloir rejoindre le giron "national". La fierté étant un attribut communément partagé par tous les Caucasiens, ce furent l'impasse, la guerre, les négociations, la détente et derechef les tensions.

Les Russes ont une position ambiguë : ils soutiennent les Ossètes mais ne reconnaissent pas leur indépendance; après celle du Kosovo, tout le monde était content : les Ossètes attendaient goulûment l'onction russe, les Turcs espéraient mêmement pour Chypre du Nord, etc. Bref, les minorités comptaient sur la colère des Russes. Rien ne se passa.

Les Géorgiens sont beaucoup trop audacieux; les Russes n'aiment pas ça. Il faut donc semer un peu la zizanie : "allez, Ossètes, allez Abkhazes, bronchez, on vous soutient". Les Ossètes sont presque tous Russes. C'est ainsi. Medvedev le rappelle : "nous sommes un pays civilisé, donc nous secourons nos compatriotes". Les compatriotes se trouvent dans un autre Etat, ça ne fait rien.
La Géorgie supplia l'OTAN de l' intégrer rapidement. "Oulala, cousin, règle tes problèmes et on avisera". D'un côté, la Géorgie qui veut "s' OTANiser" pour éteindre les flammes, de l'autre, les pays de l'OTAN qui refusent d'accueillir les maisons qui brûlent.

Les Abkhazes et les Ossètes du Nord accourent; "qu'est-ce que la vie quand le devoir parle ?". Les objurgations se bousculent : appel hiératisé au calme, à la discussion, à la négociation, etc. Les Russes sont ailleurs : "criminel de guerre, piteux" lancent-ils en choeur à Saakachvili. Les Chinois, les Américains, les Européens, les Turcs appellent au calme, le pape se dit préoccupé comme à son habitude, l'OTAN se déclare incompétente, le Conseil de sécurité toujours à la recherche des bons mots... Et des morts, et des blessés.

Les Turcs là-dedans : ils sont en bons termes avec les Russes et les Géorgiens; le hic : il y a une très forte population caucasienne (géorgiens, abkhazes, ossètes, etc.) en Turquie et ils forment un puissant lobby. La lutte contre les séparatistes est un autre facteur qui rapproche Ankara et Tbilissi. Ils refusent donc de prendre le collier.
La partisanerie a ses limites : une Ossétie une et indépendante, d'accord; la chienlit, les larmes, le sang, assurément non. Nous avons le luxe de ne pas nous précipiter : les Scythes et les Alains étaient certes "indifférents à la mort" mais les Nartes savaient également patienter : la ruse et l'intelligence (zund) sont justement ce qu'il faut de nos jours. Nous sommes une grande civilisation, pas de panique...

mercredi 6 août 2008

Vérité indivise

Dur dur d'être diplomate ! L'entrée dans le métier, certes. Mais l'exécution de la tâche surtout. Etre polyglotte, bien élevé, abondant en citations, savoir parler, mentir sans rougir, agir avec délicatesse, etc. Toute une architecture. Et bien sûr, celer.
Voilà que les autorités rwandaises publient un rapport qui accable certaines personnalités françaises ; "les gens se vengent des services qu'on leur rend" disent les uns, "un homme, ce n'est rien après tout que de la pourriture en suspens" rétorquent les autres, citant le même auteur. Les Français ne sont pas des saints; notre patrie a seulement l'honneur de se voir qualifier "terre des droits de l'Homme". C'est d'jà ça. Les diplomates sont appelés à la rescousse : "allez, dites-leur de se calmer et Bruguière fera profil bas, la vérité n'a pas besoin d'être honorée dans ces circonstances". Vas-y, vas-y. Les Hollandais nous lancent des bourrades :"t'inquiètes, ça s'oubliera, fais-moi confiance, j'en connais le sentier...". Entre-temps : "et vous, les Turcs, amendez-vous, on n'a pas oublié, coquins, reconnaissez !".
Certains journalistes turcs se désolent : "j'en ai marre, Assad vient en Turquie passer ses vacances avec sa femme ; regarde comme elle est moderne ; la nôtre, voilée, ça me flanque des migraines". "Et voilà Ahmadinejad débarquer sans plier l'échine devant le mausolée d'Atatürk". Aux méninges diplomates ! C'est vrai qu' un homme qui ne partage aucunement les pensées ni le mode de vie de l'Eternel Chef ne pouvait, selon toute logique, se planter là, devant la dépouille, déposer une gerbe, se tenir debout une minute, une bulle au-dessus de la tête réfléchissant aux exploits du Défunt qu'il doit, logiquement, abhorrer. "Ca fait rien, agenouille-toi, misérable !". Les diplomates ont réfléchi bien sûr : il a été décidé de débaptiser le nom officiel de la visite : on passe d'une visite d'Etat à une visite de travail. Donc pas de pompe, pas d'Atatürk. On ne le dévoile que pour les grands moments.
C'était le même souci avec Talabani, l'ancien "coupeur de routes" devenu Président, Son Excellence d'Iraq. Personne ne voulait vraiment lui serrer la main. C'est passé.
Et toujours, Bartholomée avec sa belle barbe étalée : "on te dit que tu n'es que l'archevêque des stambouliotes orthodoxes, point. Ne comprends-tu pas ? Qu'est-ce que tu es allé manigancer en Ukraine ? Allez dis-le !". Alexis II s'empresse d'acquiescer : "ils ont raison, arrête de broncher, arrête de rappeler que t'es le primus, à la fin !". Le terme "oecuménique" fait grincer les dents en Turquie; je n'ai jamais compris : ce devrait être une fierté pour le Pays. On rétablit le Califat et voilà, la Turquie devient une terra sacra : deux Saintetés. Les autorités ne recherchent pas la gloriole : "oulala, non, non, nous, nous sommes un Etat laïc, démocratique, social, etc., on ne peut pas abriter une Sainteté, c'est comme ça". Le pauvre Bartholomée, ereinté, rappelle : "est-ce que je t'en pose des questions sur ta laïcité handicapée, moi ? Laisse-moi, je suis Oecuménique, dégage de mon champ, flûte !". Histoire de ne pas passer pour bête, c'est l'ambassadeur de Turquie en Ukraine qui l'a hébérgé. C'est un Turc, voyons.
Il est légitime, parfois requis, de hausser le ton; mais dans la cohérence. Les causes ne se choisissent pas, elles se défendent toutes. Pas pour la fanfaronnade mais pour la vérité. Les éclipses dans ce domaine sont toujours éclatantes : passer sous silence ses égarements et faire la chantepleure pour ceux des autres, c'est, en somme, distribuer les verges pour se faire fouetter. Et cela, que je sache, n'est pas un mérite. Balayer devant sa porte en est assurément un. A vouloir mettre son pied dans tous les souliers, on plaide comme une savate...

dimanche 3 août 2008

Le stupre et la justice turque

Les Turcs sont très pudiques. Les histoires de sexe se taisent souvent. Ainsi, le père se sent toujours désarmé pour expliquer à son rejeton bouillant les rets de la vie sexuelle. On apprend "sur le tas". Les Européens sont bien plus "effrontés": la mère glisse elle-même les préservatifs dans la sacoche de son fils. C'est toujours elle qui "coache" sa fille. Le Pape s'époumone à rappeler à la palingénésie. En vain.
Les parents turcs ne sont bien évidemment pas complètement "morts" à ces choses-là : la "première nuit" fait toujours tressaillir : "et si ... ?". Une bonne mère doit avoir ce souci... En cas de "problème", elle lance la balle au mieux à un "hoca", sorte de charlatan ès appétit naturel et au pis au conseil de famille. Le monde de l'indicible et de l'horreur.
Officiellement, les homosexuels n'existent pas en Turquie ; Ahmadinejad le disait mieux, lui : "en Iran, nous n'avons aucun problème concernant les homosexuels; il n'y en a pas, elhamdulillah". Oui, oui.
Tout ce préambule pour relater une histoire pour le moins singulière dans ces contrées. La scène sans doute pas, on se débrouille comme on peut, mais les répercussions. L'histoire en est ainsi : un homme de 37 ans se présenta comme convenu chez son urologue, jeune et élancé nous dit-on. Le service de l'urologie n'a déjà pas bonne presse. Une sentine dans l'imaginaire. Et comment ! Le patient en perdait sa virginité anale. Le massage rectal lui parut louche quand les deux mains du toubib s'agrippèrent à ses épaules. Le "toucher" continuait cependant. La suite relève du syllogisme... "Ula ne oluyur ?"
Le tribunal correctionnel a disculpé le médecin. Fait rarissime dans ces contrées, le patient a fait appel en insistant : "pauvre bête, je vous le dis, il m'a sodomisé, c'est un pervers, pendez-le !". D'accord.
Fait encore plus "démontant", la Haute Robe a dû se "pencher" : les juges de Cassation ont annulé l'arrêt et demandé aux juges du fond de bien reconnaître la faute de l'Urologue en ces termes : " bon, alors, il s'avère que ce pauvre malade se plaint d'un truc immonde; oh, il doit avoir raison, personne n'oserait s'afficher victime d'un voyage en terre jaune chez nous, même les victimes sont fautives, c'est connu"... Ce n'est donc pas, à coup sûr, une calomnie. Une argumentation juridique, ça s'appelle.
Heureusement, les juges dissidents ont couché leur position d'une manière plus sensée : "arrête de divaguer, d'accord il était maladroit mais n'en fais pas une histoire; hein, allez, t'as mal compris, ça se fait comme ça ces trucs-là, lourdaud". Le clou : "si t'es pas capable de distinguer doigt et doigt, bah, coco..." (en turc pour les incrédules : "anüsüne erkek cinsel organının sokulması ve üzerine abanılıp ileri geri hareket yapılması durumunda bunun ne anlama geldiğini derhal fark etmesi gerektiği halde fark edemediğine ilişkin anlatımlarının şüphe ile karşılandı ve inandırıcı bulunmadı").
L'audace et l'effroi ont fait pondre une telle décision; la phraséologie sexuelle "extrême" commence à être employée. Lorsque Anwar Ibrahim, accusé par la justice indonésienne de pratiquer la sodomie, avait trouvé refuge dans l'ambassade turque, les médias ne savaient comment présenter les faits : "bah, tu sais toi, c'est quelle figure de style qu'on doit employer pour qualifier cet acte ?" "Euh... harcèlement sexuel, je crois". L'on a donc eu cette version. Seuls les bilingues ont pu suivre correctement l'affaire.
Cahin-caha. A l'heure où l' Eglise anglicane se déchire sur cette question, la société turque ne fait que commencer à se familiariser avec ce nouveau vocabulaire; mais de loin bien sûr. Ca reste toujours messéant. On ne badine pas avec l'honneur et la dignité.