vendredi 28 août 2009

Ha babam de babam rebelote...

La fin de la récréation, disent certains. Le chef d'état-major vient de mettre un terme aux rêveries trop "osées". Il n'a rien dit d'original, en réalité; même antienne. Là est le problème, d'ailleurs : le gouvernement avait décidé de tenter/oser régler le "problème kurde". Et tout le monde avait activé sa bouche : "euh... moi je pense qu'il faut également permettre d'appeler Atatürk, Atakürt, qu'est-ce t'en penses, je réfléchis bien hein ?", "moi je veux que le Premier ministre aille rompre le jeûne chez Öcalan"... Et Mümtaz Soysal, un homme politique-professeur de droit constitutionnel-chroniqueur qui joue les prolongations, avait gentiment proposé d'envoyer les Kurdes en Iraq du Nord et de rapatrier les Turkmènes de là-bas dans le sud-est anatolien... Les idées ne manquaient donc pas. Or, trop réfléchir sur des questions sensibles fait rager l'armée, comme on le devine. Il fallait donc intervenir.


C'est un peu le Khamenei, le Général en chef. La basse-cour se déchire et on attend, les yeux rivés sur la page internet de l'armée, la bénédiction ou la remontrance du Chef. Ca tombe bien, les militaires aiment bien parler, en Turquie. Alors, on les voit dessiner les contours d'une discussion politique en menacant directement d'intervenir : "alors écoutez mes petits, maintenant ça suffit ! C'est terminé ! Bak hala konuşuyor !" Et les démocrates continuent à jouer les don Quichotte : "mais ferme-là nom d'Atatürk ! Occupe-toi de tes bombes !" Des bombes. En effet. L'on a apprit que certains des soldats tombés dernièrement ne l'étaient pas du fait des bombes posées par le cruel PKK (version officielle) mais par les officiers eux-mêmes. Histoire de "former" les nouveaux. Et la formation tourne au vinaigre. "Dommage collatéral" dit-on dans ces cas-là. Et on se tait. La faute au PKK, au moins ça passe toujours...


Dans une démocratie, comme on le sait par coeur, ce sont les élus de la Nation qui se réunissent, papotent, se disputent, s'embrassent et, in fine, votent. L'opposition n'est jamais d'accord selon le rôle qui lui incombe, le gouvernement encense tout ce qui émane de lui. D'accord. Mais en Turquie et dans d'autres pays, auxquels on accole mécaniquement la mention "en développement", les choses ne se passent pas comme cela. Ca serait facile. Ainsi, l'armée garde une tutelle. "Eh ben ?", "franchement, pour un pays qui se dirige à pas fermes vers l'Europe, c'est normal ?", "mais nous, nous sommes menacés par tout le monde, Kurdes, islamistes, libéraux, démocrates, on est forcé, valla !"


Il faut dire que le CHP (parti toujours considéré comme de gauche) et le MHP (parti toujours aussi nationaliste) ont tellement rugi que les militaires ont eu peur d'avoir l'air d'épauler le gouvernement AKP, fasciste-réactionnaire-révolutionnaire-islamiste, comme on le sait. Intenable. Même l'insinuation fait peur. Le Chef s'est donc dépéché de donner son avis; la masse se tut et ouvrit grandes les oreilles : "l'Armée rappelle qu'elle est garante de la structure unitaire de notre Etat et refuse toute concession juridique à des droits culturels collectifs. Stop." Et les "hommes politiques" du CHP et MHP de fulminer en liesse, chipant le youyou des Kurdes à l'occasion, "youppi, on referme cette phase de démocratisation, elhamdulillah...", "ouais, le CHP aussi se réjouit, le elhamdulillah en moins, laïcité oblige"...


Plus étrange est l'attitude de l'AKP. Son porte-parole a déclaré être de concert avec les propos du Général, "mais on a jamais dit le contraire, le Chef pense comme nous, nanik !" Si bien que tout le monde essaie de faire passer l'autre comme le véritable interlocuteur de celui-ci. Une chose est donc claire : les militaires ont encore une fois fixé ces fameuses "lignes rouges". Et le Chef a également décrété que la liberté d'expression ne devait pas être trop élastique; "la liberté d'expression ne saurait aller jusqu'à débattre de l'existence même de l'Etat."


"Une autre connerie" aurait dit un homme mal élevé. C'est que le Général n'a toujours pas saisi pourquoi des types décident un beau jour de "s'exiler" dans le tréfonds montagneux, mitraillette à la main. Réduire au silence; voilà le souhait. Et depuis 30 ans, voilà la politique. L'on connaît le résultat. La liberté d'expression est sacrée. Sauf pour les militaires. On les respecte plus lorsqu'ils se taisent. Et aucun respondable politique n'a, encore une fois, osé le leur rappeler; il faut dire que faire face à un homme armé requiert du courage. Et avoir du courage dans les moments de déchirement politique n'a jamais été un sport favori, en Turquie. Et les Généraux en sont ravis; "bon on a eu 6 morts, c'est rien, ils sont cons, ils ont mal oeuvré et voilà le résultat; c'est rien, notez : 'dommages collatéraux' "... Ecoeurant.

vendredi 21 août 2009

Remue-ménage

Le mois de Ramadan commence. Et le jeûne, avec. Les masses sont donc joyeuses. C'est la coutume, en tout cas. C'est "le sultan des onze mois" disent les Turcs. L'ambiance va s'en trouver changée. Rabougris la journée, pimpants le soir. Les "jeûneurs" vont, littéralement, en baver. Près de 15 heures sans une goutte d'eau; le plus difficile.


Les règles sont précises : pas de nourriture, ni d'eau ni de sexe du "matin" (environ 2h avant le lever du soleil) jusqu'au coucher du soleil; le fameux "iftar". L'instant où une fois éprouvé la souffrance du pauvre, l'on rompt cet état en remerciant Dieu de ses bienfaits. En mangeant. "Doucement, pas comme un bouffon !"...


Bien sûr, tout le monde n'est pas en extase. L'on jeûne par devoir ou par tradition. Certains arrivent à ressentir le souffle divin. Il est difficile de jeûner "pour de bon". Certains y arrivent; jeûner en comprenant son esprit : s'installer sur un nuage, ne serait-ce qu'un bref instant. S'enfermer dans son for intérieur. Se purifier.


Les émissions vont également commencer : "je me suis lavé les mains, suis-je toujours en jeûne ?", "mais oui voyons !", "j'ai bu de l'alcool sans faire exprès, quid ?", "oust !"... Et il faut manger cela, boire ceci, etc. Théologiens et médecins accaparent les écrans pendant un mois. Et l'on prend les imams pour des docteurs, à l'occasion : "j'ai de la tension, vais-je mourir ?"... C'est vrai que les théologiens aiment parfois consulter, aussi : "ne pissez pas debout, vous aurez des problèmes de prostate", "jeûnez et votre santé se porterait mieux", etc. Bon.

Ce sont les questions que les gens vont adresser aux professeurs de droit islamique, que j'attends. Tous les ans, l'on a droit à des perles : du genre "vous pouvez macher du chewing-gum", "attention à ne pas utiliser de dentifrice en vous brossant les dents la journée !", etc. Et certains de demander : "je peux m'installer à côté de mon pote qui fume et profiter de la fumée, hein ?", "on n'arnaque pas Dieu, dégage !". Un branle-bas de combat. Et les femmes posent invariablement la même question : "je peux jeûner quand j'ai mes règles, hocam ?" Il est vrai que les théologiens ne sont pas d'accord entre eux, on ignore donc, pour l'instant, ce que Dieu veut. Il faut une harmonisation des fatwas, à coup sûr.


C'est le côté formel, tout cela. Il faut surtout lire le Coran et les hadiths, nous avertissent certains hommes de religion éclairés. Avec des migraines, en plus. Quand on a faim, on a mal. Même ceux qui aiment lire sont à moitié assommés. Alors, on s'en remet au sommeil. Il fait chaud, on a faim, soif, on est exténué, rachitique. Il avait donc raison Bourguiba; il invitait les Tunisiens à ne pas jeûner afin de ne pas entraver le développement économique du pays... "Bon ça va, t'en a fait un camp !". L'on comprend du coup les indigents. Et l'on plonge notre tête dans nos mains liées. L'on saisit des choses. L'on vient d'atteindre la grâce, sans s'en rendre compte...

dimanche 16 août 2009

Sérénité

Tiens, encore lui; Cemil Ipekçi. Le célèbre styliste turc. Et homosexuel revendiqué. Quoique. Je me demande si les stylistes ou les modélistes ont besoin d'avouer leur homosexualité; l'on croirait qu'il y a une corrélation entre les deux états. Barbaros Şansal, Karl Lagerfeld, Yves Saint Laurent, Jean-Paul Gaultier, etc.; les gens de la couture fournissent, sans conteste, un bon contingent.


Ipekçi est connu en Turquie; un neveu de feu Leyla Gencer. Un conservateur, par-dessus le marché; à sa façon. Il est efféminé, tout le monde comprenait. Ou plutôt tout le monde savait puisqu'il le disait lui-même : "je suis un homosexuel conservateur". Et personne ne le bouda. Il y a quelques jours, il avait annoncé qu'il allait se fiancer; et la mère traditionnelle turque s'en était soulagée : "voilà ! comme ça, mon garçon, reviens au droit chemin et arrête de pervertir nos jeunes !". Résultat : il est en vacances avec... son fiancé.



"Tüh, Allah belanı versin" a dû sortir de la bouche de ceux qui ne s'y attendaient pas. Avec un "Sivaslı", en plus; Sivas : un bon coin phallocrate de l'anatolie. Un mâle. Imaginons qu'il tente une action en justice pour pouvoir se marier avec son jules; il serait capable. Les problèmes commenceront, évidemment. Car le "dégénéré" n'est bien que lorsqu'il fait profil bas dans les sociétés conservatrices. De l'exotique.

Il y a une profonde tolérance chez les Turcs; ceux qui ne ferment pas l'oeil de peur de se réveiller un beau matin dans un Iran bis, doivent se rasséréner, en réalité. La société turque est ainsi faite; pleine d'ambiguïtés : des machos qui baissent la tête à la première remontrance de leurs mères, des conservateurs qui savent fermer l'oeil de temps à autre, des kémalistes qui savent s'adoucir même en écoutant Cübbeli Ahmet Hoca. Le "ressort" de la société turque est fondamentalement bon; la Turquie n'a jamais connu un régime extrémiste dans son histoire et sa bénignité est proberbiale. Au 17è siècle, les prostitués homosexuels formaient un ordre professionnel dans l'empire ottoman et participaient aux manifestations impériales officielles...

L'on bascule, nous apprennent certains. L'on se dirige vers l'obscurantisme. Malgré les explications des sociologues, anthropologues et historiens, certains ne bougent pas d'un iota dans leur délire. Avec un Etat qui n'a jamais connu totalement la charia, une société qui n'a jamais sombré dans un intégrisme d'aucune sorte, il devrait être démodé d'avoir peur. Et les fantasmes des Turcs viennent d'être analysés par les chercheurs : sexe dans l'ascenseur, dans la voiture, dans la piscine, dans l'avion, onanisme, viol, sexe avec un Noir pour les femmes et avec une Slave pour les hommes, etc. Pas très canonique tout cela ! Ce n'est pas avec des dispositions telles que l'on risque de basculer... Ca tombe bien, personne n'a ni le souhait ni l'intention de le faire. Et ceux qui y croient toujours sont appelés à changer d'avis; vivre dans l'affolement nuit à la santé. Et au pays, surtout...

samedi 15 août 2009

Conservatisme, cas pratique

La cellule familiale est, comme on le sait, le noyau le plus cher pour un conservateur. Car elle engendre, éduque et encadre. Le cocon. Et les enfants foudroyés par les déchirures familiales peuvent avoir des orientations hasardeuses et donc néfastes pour la communauté. Société chérie !


Tout naturellement, les divorces posent donc problème. Pour tout le monde : le couple se déchiquette, l'enfant pleure et, évidemment, le conservateur se désole. L'idéal est brisé. Le gouvernement AKP, inconsolable, a décidé d'intervenir. La "direction des études sur la famille et la société", rattachée au Premier ministre, a décidé de s'intéresser de plus près aux divorces. Il n'est point homme plus intelligent que celui qui travaille dans les services d'un ministère, comme on le sait. En France, ils sont très doués; les énarques. Mais il est de coutume de les détester; la jalousie, un fléau.


Bien sûr, le nombre de divorces augmente. La "structure familiale turque" se désagrège; encore elle... Le remède a donc été trouvé : l'éducation des familles. L'on va donc préparer des prospectus sur les relations conjugales, la santé, l'éducation des enfants, la communication intra-familiale, etc. Salutaire. Et surtout, des leçons de consommation. La femme consomme beacoup, comme on le sait. Le mari se foule la rate du matin jusqu'au soir et la femme, dont l'activité journalière s'est résumée à faire une soupe, un peu de dentelle et beaucoup de palabres, dépense. La femme aimerait l'argent. La crise économique ayant frappé fort, elle n'arrive plus à assurer son train de vie. Et le mari qui ne veut surtout pas que sa bien-aimée sépare son lit (le grand fléau), s'échine encore plus; mais la réalité c'est comme un mur, la seule réflexion ne suffit pas à la mater. La femme, alors, quitte; "ma vie se résume à la serpillière et toi, tu ne fais aucun effort, je retourne chez papa !", "mais je t'aime", "on ne vit pas d'amour !"... La jeune épouse de Halis Toprak doit bien se sentir tout chose; son mari vient d'être déclaré officiellement en faillite... Jadis, une discussion avait enflammé la population; pourquoi l'homme est plus enclin à tout quitter pour vivre l'amour avec une femme de ménage alors que personne n'a encore surpris une femme riche s'enfuir avec son jardinier ? Le corps d'un homme riche est toujours succulent, en effet.


D'autres conseils pourraient également être donnés; comment satisfaire sa femme : "mais nan bovin, c'est pas comme ça ! Bon, allez va acheter de la glace, ça sera plus facile !"; comment satisfaire son mari : "je veux", "j'ai mal à la tête !", "je m'en fous l'islam dit que tu dois toujours être disponible même si le plat est au feu", "ah ouais, ose et tu verras !"... Un sujet sensible, évidemment. La relation forcée. Le viol. En Afghanistan, Hamid a trouvé la solution : désormais, il est officiellement interdit à une femme chiite de se refuser à son mari. C'est du juridique; et la peine est tout de même bizarre : privation d'aliments. La communauté internationale avait jadis protesté; puis Karzaï a dû déployer des trésors de séduction : "il y a les élections, je suis obligé de signer la loi", "mais c'est contraire à votre propre Constitution", "hein, qu'est-ce qui dit !"...


Et le ramadan approche; alors les imams, muftis, théologiens recadrent leurs calottes; "vous pouvez faire ça que les nuits bande de pervers !", "et au moment de l'iftar, je peux hocam ?", "mais bien sûr mon taureau !".


La direction concernée n'a pas osé parler du mariage arrangé, évidemment. Puisque les statistiques montrent que les couples ainsi formés connaissent moins de problèmes que ceux qui ont contracté un mariage d'amour. Les mères turques sont de véritables "chasseresses de têtes" : "tiens, celui-là est fonctionnaire, boulot garanti à vie, et t'auras de la considération", "ouais maman, tu dis vrai; il est comment ?", "très respectueux, il ne boit pas, il fait ses cinq prières, il fume c'est tout, qu'est-ce t'en penses, il est beau hein ?"...


Certains rouspètent : "On ne se refait pas, assurément. L'Etat turc ne fatigue jamais dans l'aiguillage. Un Etat qui, du haut de ses bureaux, dit aux gens ce qu'ils doivent faire, penser, dire, porter, etc. Une organisation qui entre désormais dans l'intimité la plus close", "mais c'est juste des idées, voyons, tu veux vraiment une claque !"... L'Etat conservateur est ainsi fait; l'Etat pose un postulat : le divorce est mauvais. Il veut l'ancien temps; celui où l'on était théoriquement heureux jusqu'à la mort. L'on vivait avec lui/elle par la force des choses. En France, le mariage n'est plus une institution, c'est un passe-temps. Le fruit d'un caprice. Et l'on divorce rapidement. Histoire de ne pas bousculer le plaisir des gens; de ne pas encombrer les cerveaux. L'individu est roi. Le XXIè siècle. L'un essaie d'apaiser les divorces, l'autre veut les freiner. L'Etat conservateur ne prend jamais acte; il dispute le terrain. Il devient partie. Et lorsque le conservatisme se combine au républicanisme, alors l'individu est complètement disqualifié; il dit liberté, on lui rétorque valeur, il dit Epicure, on lui renvoie Kant. Conservatisme et républicanisme, même combat en sorte, se rattacher à des hauteurs. Mais les cieux sont différents. Assurément.

samedi 8 août 2009

Commérage

Voilà bien un type bizarre. Non pas qu'il soit unique dans ses principes mais il détonne quelque peu. Le comédien Haluk Piyes.


Celui qui était boxeur dans une série. Mais la ménagère n'avait pas suivi; la boxe, rien de regardable. L'on veut une histoire, de l'amour, de l'eau de rose, des crises passionnelles. Elle a raison, la ménagère. Elle se projette dans ces fictions. Vivre par procuration, disent les spécialistes. "T'as préparé la bouffe ?", "mon Dieu, j'en ai marre !", "hein ?", "ça vient..." Les aventures étant interdits dans un couple normalement constitué; "classiquement" constitué. Alors l'on se passionne pour les comédiens et leur vie factice.


Donc le comédien Piyes, qui porte bien son nom cela dit, a refusé, au nom de ces principes, de bécoter avec la jeune fille qui tourne avec lui dans un film. Un homme de doctrine. D'autres fricassaient sans vergogne, comme on se rappelle. La scène fut osée, d'accord. Celle qui avait amené Kivanç Tatlitug et Beren Saat à feindre la "conjonction". Le CSA turc d'ailleurs, a dû intervenir pour calmer la populace. "C'est dangereux de montrer ça à nos gosses, ils rougissent !", "ouais d'abord, c'est quoi ça !", "ben tu zappes", "ah non alors !"...



Mais comme l'hypocrisie est reine en la matière, tout le monde s'était agglutiné autour des deux acteurs : "allez expliquez comment vous avez fait ?", "euh... bah en fait, c'est que c'est un peu comme chez tout le monde...", "oui d'accord, mais vous qu'est-ce que vous avez ressenti ?","bah les mêmes choses que les autres qui font ça...", "oui d'accord mais... allez avoue mon cochon, elle est belle hein !"... Beren Saat avait alors apporté une "précision" d'importance : et l'on apprit qu'un coussin avait été posé entre les deux; de peur que le gars s'amourache. Enfin, de peur que les réactions chimiques naturelles prennent le dessus.



Et une des plus célèbres actrices de Turquie, Müjde Ar, qui avait tourné dans la même série version 1975, s'en était presque scandalisée : "et si le coussin glisse, coco ! Hein ! Qu'est-ce que vous devenez du coup !". Bien sûr, l'on entend toujours le même argument : "tu sais théoriquement, tu es professionnel, donc tu ne dois rien ressentir, fais comme si c'était un tronc d'arbre". Un tronc d'arbre ! Beren Saat ! Un comédien professionnel qui écrase le naturel n'étant plus, à mon humble avis, un comédien. Mais le "naturel" dans les scènes torrides est gênant, cela dit. La pudeur naturelle.


"Pourquoi les animaux font ça à découvert et pas nous" questionnait je ne sais plus qui. Parce-que nous ne sommes pas des animaux, il aurait fallu lui répondre. L'intimité des gens est tellement passionnante. Pour tout le monde. L'on a été créé pour épier; envier. Tiens, un homme d'affaires, Halis Toprak, septuagénaire, a convolé en justes noces avec une "ado" de 17 ans (âge légal du mariage). Et depuis des semaines, la pression journalistique est à son comble : "pourquoi tu as épousé un vieux ?", "il t'appelle comment ?", "il te satisfait ?", "vous discutez de quoi ?", etc. La pauvre fille qui, à juste raison, a essayé de garantir son existence dans ce monde de beuh, est trop sotte pour trouver des arguments moins "intéressés". "Ouais, je l'aime, il me comble, et lâchez-nous d'abord !". D'accord. Connaître ses premières affres dans les bras d'un vieillard soufflé. Chacun ses extases...


Et c'est difficile de jouer avec quelqu'un, des heures, des jours, des semaines parfois des années durant, sans ressentir un commencement d'intérêt. Tiens, voilà que Bergüzar Korel et Halit Ergenç se sont mariés; ils jouaient ensemble depuis plus de trois ans dans une des séries les plus regardées, Binbir Gece. La série continue, en somme. Et ma mère est ravie, "ils sont tellement bien assortis !".


Et chacun attend la nouvelle saison d'Aşk-ı memnu, adaptation d'un roman qui date de 1900. "L'amour interdit" en français. Et les parents aussi attendent. Pour regarder. Le CSA veille. Pour dégommer. L'on connait déjà ses "considérants" : "considérant que les scènes contreviennent aux valeurs de la structure familiale turque..." Pour un roman qui date de 1900. Les adolescents aussi s'impatientent. "ouais, il est trop beau !", "elle est sublime !". "Sus kız ! Gebermiyesice !" dira sans doute la mère confuse. Et le père complexé appellera le CSA, les yeux fixés sur Beren Saat. L'on rougit, rien à faire. En théorie, du moins. La structure familiale turque.

mercredi 5 août 2009

Crêpage de chignon

C'est tout de même un drôle de pays, la Turquie. Le problème majeur du pays, la "question kurde", est en voie de résolution, nous dit-on. Tant mieux. La solution militaire, comme on le sait, ayant été un fiasco. N'en déplaisent aux militaires qui croient toujours avoir oeuvré pour le bien du pays depuis trente ans.


L'aventure commence. Un beau jour, le Président de la République, Abdullah Gül, a décrété : "un avenir radieux nous attend". Tout le monde attendait avec impatience. "Vas-y balance, M'sieur le Président, on attend". Les jours passent; le silence prend de l'épaisseur. Du coup, le Premier ministre a pris le relais; il a également dit des choses. Et s'est tu. Du coup, il a jeté le bébé au ministre de l'intérieur, le très morne Beşir Atalay, universitaire d'origine. Et celui-ci n'a pas trouvé mieux que de réunir un cénacle de journalistes. Des chroniqueurs pour discuter du problème. Et l'on dit que la liberté de la presse est malmenée...


En France, les journalistes sont souvent raillés par les "sachants". Un de mes professeurs de droit, le très sarcastique Jean-Marie Denquin, s'en prenait joyeusement à leur crasseuse inculture. Un journaliste. C'est vrai que le boulot nécessite de l'hardiesse. Discuter sur tout. Donc savoir tout. En France, les journalistes ont souvent une spécialité : relations internationales, politique, sport, etc. En Turquie, chaque chroniqueur est capable d'analyser les relations entre le Fatah et le Hamas avant de donner son avis sur "l'ouverture" aux Kurdes ou s'en prendre à la politique sociale du gouvernement. Du coq à l'âne.


Bien sûr, le MHP, parti de droite nationaliste, s'en tient au discours officiel, "nous ne voulons pas la paix, nous voulons les buter jusque dans les chiottes !". Devlet Bahçeli, le "gourou", a dit non. Point. L'on attend plus que les bastonnades reprennent dans les rues. Des nationalistes. "Allez s'te plaît, on veut régler le problème avec ton aide, viens, ouvre tes bras !", "jamais, vendus, nous ne voulons pas l'apaisement, nous voulons la guerre, oust !".


Et le Sieur Bahçeli sait crier, aussi. C'est connu, la masse aime ceux qui crient. Il est énervé. En colère. C'est donc que le gouvernement AKP "vend" le pays... Et l'on a peur pour sa santé; les veines jugulaires gonflent tellement que l'on a envie de pleurer. Le CHP, un parti qui, bizarrement, est toujours membre de l'Internationale socialiste, ne sait plus trop ce qu'il pense des Kurdes. Jadis, il ouvrait ses listes aux députés kurdes; aujourd'hui, il affirme ne pas s'en souvenir...


Bien sûr, toutes les options ne sont pas discutables : ni insinuer le fédéralisme ni prendre langue avec le "terroriste en chef" Abdullah Öcalan. Et le chef d'état-major des armées avait, jadis, décidé (tout seul, bien sûr) que l'Armée s'opposerait à la reconnaissance constitutionnelle de quelconques droits culturels. Voilà fixé un cadre. Certains ont même quelques difficultés à parler d'un "problème kurde"; "mais nan, j'vous dis, c'est une question de pognon, on leur file de l'oseille et c'est réglé". Les Kurdes, des gueux comme les autres, en somme. Une simple question socio-économique. Et leur langue, leur culture, leurs morts au nom de la raison d'Etat, par-dessus bord. C'est connu, l'on prend au sérieux que ceux qui sont présentables. Le dédain tombe toujours sur les "simples". Si les Kurdes étaient tous instruits, capables de défendre leur cause, et s'ils étaient plus modernes, blonds aux yeux bleus, on serait ailleurs. "Tu veux dire quoi, qu'ils sont rustres !". L'apparence oriente toujours l'attention, c'est tout. Ecouter Izzettin Doğan défendre avec brio les Alévis n'a pas la même saveur que tendre l'oreille à un "dede" lambda qui bredouille de colère.


Une entrave, à coup sûr. La Turquie est un grand pays. Bien sûr, l'on ne peut éponger les larmes des mères de soldats "şehit", comme il est coutume de dire. Ceux qui ont témoigné de leur foi pour la défense du pays. Un pays laïque. Mais bon. Disons, en plus profane, "morts pour la patrie". Il faut aussi prévenir d'autres détresses. Assurément. Régler ce problème. Un boulet.


Discuter. Ouvrir la bouche, quoi. Mais loin des disputes de harpies de quartier sordide. C'est en criant que l'on croit se faire entendre. Et si c'était faux ? Certains en sont aux baïonnettes, d'autres lancent des fleurs, d'autres encore se fâchent tout rouge. Les militaires n'ont pas encore donné leur "avis" sur ce dernier épisode. Il faut dire qu'ils ont préché sept ans pour un carême. L'on ne s'attarde donc pas trop. La question ne relève plus de la cour des grands.


Evidemment, il y a loin de la coupe aux lèvres. L'on pense, l'on veut, l'on désire passer à une phase supérieure. Celle de la réconciliation. De la reconquête, presque. Vouloir la paix, on a compris; c'est devenu un peu "élémentaire mon cher Watson". L'on sait au moins que l'on ne joue plus du pipeau. L'avenir sera radieux, disait le Président. Espérons. Et après tout, la démocratie n'impose pas de séduire les obstinés. Espérons que les séides seront peu nombreux. "Il ne sert à rien de parler de la vie à un cadavre" (Rûmi). Il n'est point de plaisir sans épines...