mardi 27 septembre 2011

Placer le clocher au milieu de la paroisse...

"Remplissez les églises, bande de cornichons ! Les musulmans débordent des mosquées, inondent les rues, envahissent les espaces, machallah !", aurais-je dit, franco, si j'étais Benoit XVI. "Y en a marre à la fin, on vous supplie de jeter ne serait-ce qu'un regard à l'église et on jure qu'on ne va plus vous toucher, allez, bougez-vous !". Je me serais emballé. Des gestes à la Jean-Paul II, une intonation à faire exploser les coeurs, des mots simples et des allitérations qui accrochent l'oreille. Et paf ! Rien ! La classique platitude. Certes dans un Parlement allemand qui est laid au plus haut point, il était bel homme. Mais le fond, toujours pareil. Canonique, poussiéreux, sibyllin. Tu m'étonnes que les gens préfèrent les églises évangéliques où on finit toujours dans une ambiance disco...


Quoi, c'est vrai ! Le "roi du Vatican" veut aguicher mais il n'y arrive pas; il est "trop pape". Les ouailles boudent, ils veulent des rabais; même le président de l'Allemagne aurait voulu batailler pour faire sauter l'interdiction de la communion aux divorcés-remariés (comme lui, évidemment). Le souverain pontife n'a pas cligné des yeux; il a sorti son vieux papier qu'il a écrit il y a un siècle, l'a lu, a parlé de Dieu et de ses immuables commandements. Un peu de concepts par-ci, un peu de théologie spéculative par-là. Et comme tout le monde n'a pas le niveau de Saint Augustin, bah ma foi, personne ne veut insister. Si bien qu'un chrétien "de routine" en arrive à demander à un musulman comme moi, "de routine" également : "en fait, chez nous, le Prophète, il est Dieu en même temps, c'est ça ?", "j'en sais rien écouuute ! Je n'y ai jamais rien compris, va demander à un curé"...

En tout cas, il a raison de gémir, Benoît XVI. Je le comprends. Il a une mission à remplir : garder le troupeau; il doit être alerte. Le Saint-Esprit l'a précisément choisi pour cela (même s'il a pris la méchante habitude de choisir un vieux lorsque son prédécesseur a assuré un long pontificat); et non pour qu'il passe les saisons dans différents palais. "Représentant de Dieu sur terre" certes, mais responsable des ressources humaines, aussi. L'agrandir aurait été tellement mieux d'accord, le troupeau je veux dire; mais on sait depuis longtemps qu'un pape n'est plus dans l'exaltation, il est sur la défensive. Celui-ci, particulièrement. Ça tombe bien, en France, d'autres "soumis" à Dieu (le même, rappelons-le) ne rentrent plus dans les mosquées, pleines à craquer. C'est la poussade. Elhamdulillah, aurait dit un provocateur. C'est que la robustesse de la foi musulmane n'est plus à démontrer, comme on le sait. Face à la tiédeur de la "foi" christiano-sceptico-athéiste. Du coup, on se demande s'il ne faudrait pas désaffecter des églises pour les "rebaptiser". Mais non c'est une blague, hihi ! Ne tremble pas...

C'est qu'ils avaient les rues, les musulmans. Ils les occupaient. Paisiblement. Alors, les journalistes se mettaient à photographier et filmer une horde de costumés-cravatés s'affairant à trouver un bout de tapis pour poser le front. Les vieux, alias "hadj", s'étaient déjà nichés dans un coin douillet, eux. Le jeune se love, par la force des choses, priorité au "sage". Celui qui n'entend plus, souffre d'une hernie discale, et a le luxe de patienter lorsque tout le monde se bouscule à la sortie. Eh bien dorénavant, tout le monde dedans. Non non, ils ne vont pas s'empiler ou se prosterner sur le dos des uns des autres (pratique acceptée quand une mosquée est bondée). C'est que les pouvoirs publics se sont démenés pour créer en moins de deux, des endroits disponibles. Merci Madame Le Pen qui s'était, comme on s'en souvient, attendrie de cette situation. Du coup, Monsieur le ministre de l'Intérieur et des Cultes, soucieux lui aussi qu'il est, du bien-être des musulmans, comme on le sait aussi, avait remué ciel et terre pour ravir salles, casernes et autres espaces vides. Comme quoi quand on veut... Et voilà qu'on apprend que le parlement grec a autorisé la construction d'une mosquée à Athènes ! Mon Dieu ! Qu'est-ce ? Une cascade de bonnes nouvelles ! Attachez les ceintures, la fin des temps approche. Délire aigu...

Les musulmans à qui il arrive de prier dans les mosquées, le savent. C'est un paradis et un enfer. "Enfer et mosquée, euh... !". C'est vrai. Il faut toujours périphraser quand on parle des religions. Mais j'insiste. Un paradis pour celui qui s'y sent bien et l'enfer pour le claustro et le délicat. Un ami uraniste m'avait dit un jour : "le paradis des mignons, c'est la mosquée". "Oh lo lo ! Le mécréant!" m'étais-je volcanisé. "Calme, calme ! T'as remarqué que la mixité des sexes est interdite en islam sauf à La Mecque, là où se trouve l'édifice le plus sacré, la Maison de Dieu ! Tout le monde se frôle, se touche, se bouscule dans la joie et la bonne humeur, non ?". Trop fort, évidemment, comme argument. "Quel intellectuel, tu es ! Mais c'est quoi le rapport avec...", "bah, c'est que Dieu est beaucoup plus flexible qu'on ne le pense, il nous crée des occasions pour se rincer l'oeil, c'est déjà ça !"...

Sans doute. Et tant mieux pour lui. En tout cas, mosquée signifie avant tout sérénité et concentration. Pas de statues, pas d'icônes, pas de talons, pas de chuchotements. On se souvient de cette mosquée dont le "design intérieur" avait été conçu par Zeynep Fadillioglu. Avec un mimber-toboggan et un mihrab-tréfonds, on se perdait en interprétations. Et on ne priait plus. "Alors oui, mon coeur, c'est la représentation d'un livre qui vient tout droit du Ciel (toboggan), profond (gouffre), lumineux (couleurs douces) et captivant (les pages du Coran sur les murs)". Ça s'appelle un commentaire d'image...



Mais avec tout le respect que j'ai pour mes coreligionnaires, je dois bien avouer qu'une mosquée "oecuménique" n'a aucune chance d'aboutir. Les Arabes et les Turcs n'ont pas forcément la même approche de l' "adab" à l'intérieur. Des convenances. Un Turc ne s'allonge jamais, n'y mange jamais, n'y papote jamais, n'y dort ô grand jamais !, ne tient jamais le Coran en-dessous de son nombril. Les Arabes sont plus "peinards". Du coup la "pollution visuelle" (ressentie comme telle, mille pardons) empêche tout rapprochement. C'est bien la raison pour laquelle, beaucoup restent opposés aux projets de construction portés conjointement par des associations arabes, turques, pakistanaises, noires, etc. Ça finit toujours pas capoter.

Bien. Merci donc à tous ceux qui ont réfléchi longuement pour créer des conditions dignes. Les mosquées pullulent, s'érigeront encore et encore et s'inscriront dans le paysage architectural français. Tiens, la mosquée des Ulis. Ou deux nouvelles mosquées au Havre. Ici, là-bas, là-haut. D'ailleurs, c'est un islamophobe qui tient le registre. Ça sert au moins à quelque chose... Il ne nous reste plus que le souci du minaret. Cette tour qui devrait être invisible ou "visible grâce à l'effort"; comme les illusions d'optique. Du genre, on s'installe face à ce "truc", on devine ce que ça peut bien être. Les architectes font des miracles, un minaret qui n'en est absolument pas un quand on regarde de loin et qui en devient un quand on y a pointé son regard de plus près. Mais les musulmans rabaissent souvent le caquet pour ne pas indisposer Monsieur le Député-Maire ou Monsieur le Préfet. Alors que c'est un droit qui découle de la liberté de religion (une des composantes de la laïcité, mille fois expliqué). Et non une provocation qui signifierait "la prochaine étape dans l'islamisation de la France". Dans un État laïque, les adeptes d'une croyance ne devraient pas se justifier, encore moins s'excuser, quand ils veulent construire un édifice conformément aux canons esthétiques de leur religion. Oui oui, je vais ressortir ma citation, la seule qui existe dans ce domaine : "Quand s'érigera, au-dessus des toits de la ville, le minaret que vous allez construire, il ne montera vers le beau ciel de l'Ile-de-France qu'une prière de plus, dont les tours catholiques de Notre-Dame ne seront point jalouses" (Maurice Colrat). Pour l'amour du Ciel, n'est-ce pas beau ?

dimanche 18 septembre 2011

"Rêvons, c'est l'heure" (Verlaine)

On raconte qu'Aziz Nesin, un athée et donc un humaniste en théorie, n'en avait pas moins un péché mignon, pour le coup, irrationnel; une aversion pour les Arabes. En marge d'un colloque organisé au Caire, l'intellectuel turc ambulait dans les ruelles de la capitale pour respirer un peu, et peut-être se désencroûter, qu'il ne s'empêcha d'éructer : "heureusement qu'on a perdu ces terres", "pourquoi donc Maître ?", "t'imagines, ces types seraient aujourd'hui nos concitoyens !"... Effectivement. Une calembredaine que SOS Racisme version turque (si ça existe) n'aurait pas hésité à vulgariser en "connerie". D'autres auraient tenu un discours plus apaisant, du genre, il ne faut pas s'en prendre à Nesin mais raisonner sur la base du "Nesin idéal-typique". Celui qui méprise l'Arabe pour ce qu'il est ou supposé être. Un fataliste, un fanatique, un phallocrate, un indolent, un bâté, un sagouin. Celui qui ne mérite pas la démocratie car trop attaché à sa religion obscurantiste. Celui qui n'a pas eu l'heur de trouver sur son chemin, un Mustafa Kemal prêt à couper les ponts avec la "tradition". Celui qu'il faut conseiller au plus vite de peur qu'il s'enfonce trop dans sa religion, nécessairement lèse-liberté et étouffe-raison.

Même le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, pourtant un islamo-fascisto-terroristo-iranophilo-chariatiste comme on le sait, s'est amusé à singer le kémaliste mandarinal. Au Caire même. C'est qu'il a, tout bonnement, conseillé aux Égyptiens d'adopter la laïcité. "La laïcité, ce n'est pas l'athéisme, c'est l'égalité de traitement de toutes les religions; j'espère que l'Egypte adoptera une Constitution laïque", dixit. Voilà donc un "islamiste repenti" en train de promouvoir la laïcité. Pas n'importe laquelle, la sienne, la turque. Devant un auditoire médusé. Car le mot laïcité, ilmaniya, écorcherait l'oreille arabe. Du coup, la jeunesse égyptienne qui avait joué des coudes pour boire les paroles du musulman mais néanmoins démocrate Erdogan, a eu l'air tout chose. Les Turcs ont une expression pour souligner l'absurdité d'un discours qui n'a aucune chance d'être compris dans une enceinte, car trop allogène : "vendre des escargots dans un quartier musulman" (müslüman mahallesinde salyangoz satmak). Activité inane puisque les musulmans ne mangent pas d'escargot... (Obiter dictum : les Turcs étant musulmans hanafites, dans leur esprit, tous les musulmans sont soumis à cette interdiction alors qu'en réalité les musulmans malikites ne le sont pas).

Et surtout Erdogan donne des verges pour se faire fouetter. Car s'il pouvait appliquer cette définition (incomplète mais exacte) dans son propre pays avant d'en être le VRP en Egypte, en Tunisie et en Libye, ç'aurait été tellement mieux. La laïcité a trois composantes : d'abord, la séparation organique de l'Etat et des autorités spirituelles ce qui induit une égalité de traitement vis-à-vis de toutes les croyances et convictions; ensuite, la séparation matérielle de la législation étatique d'avec un quelconque droit religieux; enfin, la garantie de la liberté de conscience (et pas seulement de la liberté de religion car l'athéisme a également droit de cité). Malheureusement, la Turquie est un "État laïque au rabais". Les deux tiers de la laïcité sont malmenés. Déclinaison : l'Etat contrôle l'islam par le biais du Diyanet et rétribue les seuls imams, il s'immisce dans l'administration des patriarcats orthodoxe et arménien, il interdit aux étudiantes musulmanes de porter un voile à l'université, il défend aux enfants musulmans de moins de 12 ans de s'inscrire dans les écoles coraniques, il prohibe par une disposition constitutionnelle les congrégations religieuses, il se mêle de savoir si le "cemevi" des alévis est un lieu de culte ou non, il promeut le sunnisme hanafite dans les cours de religion, etc. etc. Paradoxe illogique, aucun groupe religieux n'est satisfait de cette laïcité. Les musulmans dévots sont stigmatisés, le patriarche orthodoxe se sent "prisonnier à Constantinople", les Arméniens sont sur le qui-vive et les alévis se font insulter du matin jusqu'au soir. C'est le même Erdogan qui, lors des meetings préélectoraux, faisait huer par la foule, le président du CHP Kemal Kiliçdaroglu dont il jetait en pâture l'appartenance à l'alévisme, comme si c'était une tare. Dernièrement, c'est le vice-président de l'AKP qui lia le silence de Kiliçdaroglu sur ce qui se passe en Syrie à une "connivence religieuse". Kiliçdaroglu l'alévi devait bien soutenir Al-Asad l'alaouite. Drame dans le drame, tragédie dans la tragédie, certains alévis précipiteux voulurent se défendre en anathématisant à leur tour les alaouites (les Nusayrites), des "égarés" puisqu'érigeant Ali en Dieu. Et cette fois-ci, ce furent les Nusayrites de Turquie qui rouspétèrent et appelèrent à plus de respect ! La laïcité turque, garantie de l'esprit de concorde ? M'ouais...

Évidemment, l'opportune "conversion" d'Erdogan a surpris tout le monde. Le président d'un parti qui avait été sanctionné en 2008 par la Cour constitutionnelle pour activités contraires à la laïcité se fait le chantre de celle-ci, il y a de quoi ! Sapristi ! Les laïcistes turcs doutent et extravaguent, eux qui avaient tout misé sur la stratégie d'affolement; les islamistes du pays émettent des réserves ou se lancent dans des interprétations absolvantes, du genre "mais non, il a voulu donner des gages aux Occidentaux en assurant vouloir protéger les minorités religieuses, c'est tout, Erdogan laïque, ça ne colle pas ! Astaghfiroullah...". Et surtout, les Frères musulmans se sont inscrits en faux : "chaque pays a sa propre expérience". La laïcité dans un pays arabe, franchement ! Même un régime laïque comme celui de Saddam Hussein, n'avait pas résisté à la tentation de présenter l'orthodoxe Michel Aflaq comme un musulman. Un nationaliste arabe ne pouvait qu'être musulman, n'est-ce pas ! Il fut enterré selon l'usage islamique au nez et à la barbe de sa famille chrétienne !

Et la laïcité est-elle possible sans un minimum de sécularisation ? Comment expliquer à un vieillard qu'il ne pourra plus répudier sa femme au motif que le nouveau code civil ne le permet plus ? "Pourquoi un nouveau Prophète est arrivé ?", "bah non, vieux, on est laïque dorénavant !", "et la Loi de Dieu ?", "euh..., j't'explique, le monde musulman doit passer à la conception mutazilite, tu sais celle qui dit que le Coran n'est pas incréé", "d'accord mais la Loi de Dieu ?", "bah..., c'est que... elle n'est plus, comment dire...", "vade retro satana !"... Ce fut le défi d'Atatürk, une laïcité autoritaire qui devance la sécularisation; et malheureusement, ça n'a pas marché. Car en anatolie profonde, les mariages et les divorces se font souvent conformément au droit islamique (notamment s'agissant de la dot, de la tutelle, de la restitution de la dot en cas de non consommation du mariage). Et les plus conservateurs demandent conseil aux imams pour régler leurs successions.

Et ce qui devait arriver, arriva. Le CNT libyen a annoncé que la charia serait "la source principale de la législation". Comme en Egypte. Et comme en Tunisie en réalité, car la charia est une source matérielle en droit de la famille. La "colactation" est un empêchement au mariage conformément au fiqh, le délai de viduité après un décès ou un divorce que doit respecter l'épouse est le même que celui fixé par ledit fiqh, la dot est une condition de validité du mariage comme en dispose encore une fois le fiqh, l'époux reste le chef de famille comme nous l'enseigne ce même fiqh, le régime de droit commun en matière matrimoniale reste la séparation des biens (la communauté réduite aux acquêts étant facultative) comme le prévoit encore et toujours le fiqh et ce n'est qu'en 2009 que la Cour de cassation tunisienne a décidé que l'empêchement du mariage entre une Tunisienne musulmane et un non-musulman (même Tunisien) était illégal. Mais il s'avère qu'aucun officier n'accepte de célèbrer une telle union car l'immuable fiqh s'y oppose (c'est notre professeur de droit de la famille, une Tunisienne, qui nous l'avait soufflé) ! En outre, les quote-parts en matière de succession viennent tout droit de cet inépuisable fiqh (s'il y a des enfants, le mari hérite du quart des biens de sa femme alors que celle-ci hérite du huitième des biens de celui-là). Enfin, la filiation naturelle n'est pas clairement reconnue. Conformément à..., c'est bien, tout compris...

Bref, tant que le fiqh sera vu comme un élément de la foi par les musulmans, la laïcité et la démocratie resteront incomprises et inacclimatables. Car elles postulent l'absence de discrimination, que le droit musulman, lui, institue. Ca ne sert à rien qu'un Eveillé, un progressiste, un humaniste, tout ce qu'on veut, se mette à affirmer qu'un droit qui s'inspire du Coran ne devrait plus être une option. Car la pratique sociale saura très bien contourner les canons "importés". Pratique sociale qui est le fruit du patriarcat et de l'illétrisme rémanents. La solution, alors ? Une laïcité à coups de serpe ? Non plus. La laïcité autoritaire ne sert à apaiser que ceux qui ont besoin d'être apaisés, et c'est tout. Car le "peuple profond" reste attaché au droit musulman (cf. Pierre-Jean Luizard, Laïcités autoritaires en terres d'islam).

Les "essentialistes" n'ont pas raison mais ils n'ont pas entièrement tort non plus; changement de paradigme appelle maturation; maturation implique déconstruction théorique (mutazilisme/acharisme; Coran créé/incréé; expérience existentielle du monothéisme/phénoménologie historique). "C'est tout à la fois affaire de temps et de volonté. Le volontarisme excessif n'apporte aucun résultat; le facteur temporel, lui, pose problème" (Hichem Djaït, La crise de la culture islamique, p. 330). Que disait-il déjà le sage qui nous a quittés l'an dernier : "Rien ne se fera sans une subversion des systèmes de pensée religieuse anciens et des idéologies de combat qui les confortent, les réactivent et les relaient. Actuellement, toute intervention subversive est doublement censurée: censure officielle par les Etats et censure des mouvements islamistes". Les candidats à la "subversion" ne se bousculent pas, ne se bousculent plus. Takfîr et imprécations pleuvent... Rêvons quand même.

lundi 12 septembre 2011

Goutte de moralité repêchée de l'océan d'immoralité...

Lu dans Lire, numéro 398, septembre 2011, p. 11 : "José Eduardo Cardozo, ministre de la Justice brésilien, a introduit une législation qui devrait inciter les prisonniers à devenir d'endurants lecteurs. A chaque fois qu'ils passeront douze heures dans la salle de lecture, ils bénéficieront d'une remise de peine d'une journée". Et juste en bas, sans transition : "Sadullah Ergin, ministre de la Justice turc, a assigné l'éditeur Irfan Sanci pour avoir choisi de publier La machine molle de l'écrivain américain William S. Burroughs. Un sort partagé avec le traducteur de l'oeuvre. (...) Selon le code pénal turc, certains passages du roman sont trop osés, voire indécents. Ce n'est pas une première pour Irfan Sanci. Il a connu le même sort l'an dernier quand il a voulu éditer Les exploits d'un jeune don juan de Guillaume Apollinaire".


Bien. Commençons par faire notre Angelo Rinaldi, ça peut porter chance. Celui qui s'amusa à relever les fautes de français du lettré François Mitterrand dans sa Lettre à tous les Français ["faire rentrer dans l'ordre des velléités", les armées française et allemande "s'interpénètrent", la recherche va devenir "l'enfant chéri de la République", etc. (Plumes de l'ombre. Les nègres des hommes politiques, E. Faux, T. Legrand, G. Perez, p. 39)] et qui finit académicien... Mentionnons les erreurs qu'un magazine comme Lire ne devrait pas faire : un ministre n'introduit pas une législation (quelle mocheté !), un ministre n'assigne pas un éditeur (non non je t'assure, même en Turquie) et un code pénal ne trouve pas "osés" certains passages d'un roman. Nous n'en sommes pas encore arrivés là; ores, il ne fait que disposer une règle de droit et c'est le magistrat qui estime souverainement que tel passage est contraire à tel article. Non mais, franchement : "selon le code pénal turc, certains passages du roman sont trop osés". Un patafouillis de français. Dans une revue spécialisée. Et pour défendre la littérature, s'il-vous-plaît...


Passons et félicitons chaleureusement Monsieur Cardozo. Qui rêve de transformer des taulards en rats de bibliothèque. C'est qu'il a tout compris l'honorable ministre; la découverte de l'écrit et de la pensée ne peut qu'atténuer le sentiment de dépouillement. Et avec une dose musclée de douze heures par jour, on peut espérer voir émerger d'ici une décade, des docteurs en philosophie, psychologie, littérature ou, je ne sais pas moi, en droit (ça existe, coco; dois-je tuer quelqu'un pour, enfin, commencer une thèse ?). Une cadence à la Bernard Pivot ne peut faire que des miracles. Je n'ai pu atteindre que 9 heures, pour ma part. "Bouhhh, t'es un nul !". Au-delà, c'est un cerveau et des yeux en compote. Et je n'ai pas une latitude temporelle à volonté non plus, la recherche d'emploi est une activité à plein temps, j't'jure il faut piocher dur et ça encombre pesamment l'esprit. Alors qu'eux. Les embastillés. Ils ont assommé le Temps; vivre au rythme du pendule est une vraie souffrance quand j'y repense. Du moins pour ceux qui ont maille à partir avec cette dévorante obsession, l'écoulement du Temps...


"Embastillés" oui car toute prison est une bastille. Elle détruit à petit feu l'être humain que reste un coupable et l'avilit. Abolition alors ? A discuter. On le sait, le désoeuvrement ne fait qu'amplifier la frustration sexuelle des détenus et éperonner leur propension à la violence. Ah ce n'est pas moi qui le dis, je n'ai aucune expérience carcérale, c'est Jacques Lesage de La Haye, un ancien prisonnier devenu docteur en psychologie, qui l'affirme : "le fait d'être frustré sexuellement pendant des années n'améliore pas l'individu. Cela n'a d'autre résultat que d'aggraver ses faiblesses" (La Guillotine du sexe. La vie affective et sexuelle des prisonniers, p. 219). Le prisonnier lutte comme il peut, contre les cris de son corps. Par la lecture ou le sport. C'est que la geôle reste un lieu où la sexualité est brimée, et on ne peut que citer ce qu'il en résulte, une humiliation orchestrée par l'institution : "l'intimité est partagée de fait avec les codétenus lors des masturbations qui accompagnent le silence religieux de la diffusion du film pornographique" (Arnaud Gaillard, Sexualité et prison. Désert affectif et désirs sous contrainte, p. 96), "parmi les recettes depuis longtemps expérimentées, citons la reconstitution du vagin féminin par l'utilisation d'un gant de toilette rempli de pâtes chaudes, ou bien la pénétration d'un matelas percé d'un orifice savamment étudié" (p. 105), "en prison, l'homosexualité est représentée comme nécessairement douloureuse. La répartition des rôles entre pénétrants et pénétrés se résume à faire mal ou avoir mal" (p. 181), "résister à l'homosexualité est ainsi souvent présenté comme un défi, que seule une force de caractère peut permettre de relever" (p. 202), "les hommes arborent un pantalon de jogging, sans ceinture ni bouton ni fermeture éclair à ouvrir. L'accès aux parties génitales est ainsi facilité, tandis que les manoeuvres de repli pour éviter une sanction sont plus vite réalisées. Les femmes quant à elles, se munissent d'un manteau ample dont la vocation première est de servir de rideau, ou de paravent. Elles portent aussi des jupes amples qui permettent de cacher l'enchevêtrement des corps quand les amants décident une pénétration en position assise" (p. 248). Et quand je pense que j'étais à deux doigts de passer le concours de "directeur des services pénitentiaires" avant de me rappeler que j'étais un abolitionniste...


Merci Monsieur le Ministre. Même si une présence de 12 heures n'équivaut pas forcément à une lecture effective pendant ce laps de temps. Ça ne fait rien. Ils liront, ils rêveront, ils prendront des notes, ils jouteront, ils se dégourdiront les jambes et les idées. C'est déjà ça. Une obligation de moyen et non de résultat. Ça tombe bien, personne n'appuie sur votre tête dans les vraies bibliothèques, non plus. On regarde à droite à gauche, on rêvasse, on admire des choses (hum hum) et on lit de temps en temps. Surtout quand le lieu incarne à lui-même la promiscuité. Je ne voudrais discréditer personne n'est-ce pas, mais franchement, la bibliothèque la plus riche de France en ouvrages juridiques, celle de Cujas, est un étouffoir. On est serrés comme des sardines, on étrangle, on suffoque. Et le jour où on comprend le sens de l'expression "commenter les oeuvres de Cujas", on n'arrive plus à rester sérieux, un Dalloz dans les bras...



Celle de Nanterre reste un paradis. Nostalgie...





Un expédient qu'il faudrait importer en Turquie, voulais-je oser. "Impossible, on censure dans ce pays !", allait-on me répondre. Sans doute. Mais surtout, on ne lit pas dans ce pays. Alors le fait que le ministre de la justice s'acharne sur un éditeur, on s'en fout royalement, pardonnez-moi (d'ailleurs, ce n'est pas le ministre qui est à l'oeuvre dans cette vieille histoire). Pour ma part, je n'ai toujours pas lu le livre incriminé. Et que fait-on quand on meurt d'envie de donner un avis sur une oeuvre qu'on n'a pas lue ? Eh bien, toute honte bue, on se rabat sur les commentaires de ceux qui l'ont feuilletée. En voici un, chopé sur le site Amazon : "Cet ouvrage, extrêmement singulier, n'est pas classable. Très pénible à lire, les phrases n'étant qu'une suite de mot, souvent sans verbe, sans accord, sans sens apparent. Burroughs écrit exactement comme il ordonne sa pensée aux pires moments de sa défonce. On en ressort des impressions, des odeurs rémanentes, une tension malsaine palpable et même une idée de saleté dont on aimerait se débarrasser au fil des pages, mais qui colle au texte, inlassablement. Culte pourquoi? Parce que novateur, dérangeant, impensable ! Est-ce un livre agréable à lire ? Certainement pas. C'est une référence, et il est intéressant à plus d'un titre : c'est notamment la plongée dans le cerveau d'un toxico homosexuel au cours de ses digressions dans un monde où les frontières entre la réalité et l'hallucination ou la paranoïa sont pleines de sang, de sperme et de coups". Ouah ! Du genre à secouer ! Je vais donc le lire...


Elif Şafak, une romancière turque qui vend bien (juste après Orhan Pamuk) et que je n'ai toujours pas lue non plus, avait pris la plume pour critiquer cette censure. Veto qui émane, nous y voilà, du "Comité de protection des mineurs contre les publications obscènes" (Küçükleri Muzır Neşriyattan Koruma Kurulu). Étrange la procédure, tout de même. Un comité de protection des mineurs formule une observation sur un livre destiné aux adultes... Qui plus est un aréopage de non-initiés puisqu'y siègent, un haut fonctionnaire, un procureur, un commissaire, un médecin, un universitaire en sciences sociales, un théologien musulman (tiens tiens), un journaliste et ouf !, deux membres du Conseil national des programmes du ministère de l'Education nationale et un diplômé des beaux-arts. Bref, à tout casser, seulement 3 des 10 membres ont un titre de compétence pour discuter de littérature. C'est bien pourquoi, le Comité a divagué en estimant le plus sérieusement du monde que le livre de Burroughs "n'est pas de la littérature" : il n'y a pas d'unité narrative, c'est trop bordélique, argotique et décousu. Et, évidemment, immoral : "yazar hiçbir değer sistemini dikkate almayan, disiplinsiz anti sosyal bir seks bağımlısı tipi ile şahsiyetleştirdiği "yumuşak makine" isimli kitapta bir konu bütünlüğü olmadığı, gelişigüzel kaleme alınarak anlatım bütünlüğüne de riayet edilmediği, genelde argo ve amiyane tabirlerle kopuk anlatım tarzının benimsendiği, özellikle erkek erkeğe cinsel ilişkilerin zaman ve yer tasvirleriyle ar ve hayâ duygularını rencide edecek ölçüde anlatıldığı, zaman zaman tarihi mitolojik unsurların yaşam tarzlarından örnekler vererek kişisel ve objektif olmayan gerçek dışı yorumlarda bulunduğu anlaşılmaktadır. Mezkûr kitabın bu haliyle edebi eser niteliği taşımadığı, okuyucu haznesine ilave katkısının olmayacağı, kriminolojik açıdan da kitapta, insanın bayağı, adi, zayıf yönlerinin işlenmesinin okuyucu üzerinde suça izin verici tavırları geliştirmektedir". La maison d'édition avait eu scrupule à rappeler aux "sages" que ce qu'ils appelaient de la merde était précisément un courant littéraire et le cachet de Burroughs. Le courant "Beat Generation" et la méthode "cut-up". Eh bien, on l'aura appris. Messieurs les censeurs, merci !


Chaque nation a ses penchants. Certains pays s'enthousiasment pour "la rentrée littéraire", d'autres accueillent avec délectation "la nouvelle saison des séries". Ce n'est pas faire offense au peuple turc (de Turquie, devrait-on dire pour rester politiquement correct) que de décrire le nez au milieu de la figure : la lecture est une détestation nationale (si bien qu'on se gausse en cherchant non pas le nombre de livres qu'un Turc lit dans l'année mais le nombre d'années qu'il met pour lire un bouquin !). Orhan Pamuk, par exemple, l'a tellement bien compris qu'il préfère écrire ses réflexions sur la littérature en anglais; les Turcs peuvent attendre car ils attendront, vraiment. Personne ne se bouscule pour une simple nouvelle, de là à lire des "réflexions" sur la littérature ! Qui, dit en passant, sont souvent vaseuses; quand on compulse une étude sur un livre qu'on vient de fermer, on ne le comprend plus...


La fameuse "moralité turque", encore une fois. Ou la sacro-sainte "structure familiale" qu'il faudrait protéger. Un opuscule de rien du tout la menacerait. Ainsi parle le Comité. La justice n'a pas encore tranché, ça sera le mois prochain. Evidemment, on ne parle même pas de la légitimité qu'a un Etat, même turc, de définir la moralité. Eût-il eu ce droit, de quelle moralité parle-t-on ? Celle qui laisse des millions de gamin(e)s admirer comment Behlül a défouraillé l'épouse de son oncle, Bihter ? Celle qui tient en haleine toute la patrie sur la scène de viol de Beren Saat ? Celle qui impose aux présentatrices d'assurer quasi-nues des émissions de grande écoute ? Celle qui incite à se pâmer devant la scène de lit de Kivanç Tatlitug dans sa nouvelle série ? Celle qui "twitte" sur la torridité du corps sculpté de celui-ci ? Celle qui s'impatiente d'analyser la nouvelle version du viol d' Iffet pour la comparer à celle d'il y a 30 ans ? Celle qui suit avidement les chroniques de Serdar Turgut, un des journalistes impudiques les plus lus du pays ? Celle qui ne perd pas une miette des aventures de la diva transsexuelle, Bülent Ersoy, avec ses minets épousés en moins de deux et "répudiés" au quart de tour ?


Allô ! "Protéger la moralité turque" ? Où ça ? Comment ? Grâce aux gardiens d'une pureté qui n'existe plus sur les écrans que tout le monde regarde et qui devrait exister sur un livre que personne ne va lire ? Nous sommes en Turquie et les remparts sont tombés en ruine depuis belle lurette; adieu les rondes, adieu le knout, adieu les mouches du coche. On coule. Gaiement. Et l'Etat en est toujours à la pêche des âmes. Coups de menton de l'imam du comité ? Non ! La Turquie est un Etat laïque, voyons...

lundi 5 septembre 2011

Et notre première pensée va à...

Une victime collatérale ou une affidée raboteuse ? La question que je me pose. La famille Qadhâfî se démembre, s'éparpille en direct mais c'est cette femme qui m'intrigue le plus. Oui, au fait, c'est une rescapée ou une partisane, cette dame ? Car le tableau est navrant sinon déchirant. Une tragédie. Être l'épouse d'un fou, un vrai. Être la mère de petits monstres, hautains, violents, cruels à qui fera mieux que l'autre. Être une femme qui pleure la mort de ses fils. Être une femme qui célèbre la naissance d'une petite-fille, le premier jour de son exil. Être une folle, sans doute. Après tout, la dinguerie familiale l'a, peut-être, touchée. La matriarche du clan. Issue d'une famille catholique originaire de Mostar, petite-fille d'un inspecteur croate de l'Education nationale austro-hongroise (tout cela, au conditionnel), infirmière de profession, mère de philosophe, d'avocate, d'officiers, de footballeur et de médecins. Femme de dictateur. Voici Madame Safia Kadhafi...




Elle n'a ni l'élégance d'une Cheikha Mozah, ni le charisme d'une Suzanne Moubarak, ni l'arrogance d'une Leïla Ben Ali, ni la modestie d'une Lalla Salma, ni l'assurance d'une Asma el-Asad ou d'une Rania de Jordanie. On ne l'a vue que très peu, on ne l'a jamais entendue, on l'a rarement admirée. Les mauvaises langues disent qu'elle n'en a pas moins amassé une fortune; peut-être. Elle n'en demeure pas moins aujourd'hui, une mère meurtrie. On se rappelle tous Sadjida Talfah, épouse de Saddam, autre mère talée. Deux fils et un petit-fils tués, deux gendres assassinés. Son triste sort aurait poussé Safia Kadhafi à convaincre son mari d'arrêter son programme nucléaire. Aujourd'hui, c'est son tour. Qui convoque-t-on dans ces moments-là ? "Dieu ?". Non, Victor Hugo : "Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,/ Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends./ J'irai par la forêt, j'irai par la montagne./ Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps./ Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,/ Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,/ Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,/ Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit./ Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,/ Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,/ Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe/ Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur." (Les Contemplations).


Une Première Dame donc qui débarque avec ce qu'elle a pu recueillir de sa famille, en Algérie. On la laisse se reposer... Madame Bouteflika en a sans doute été touchée, pouvions-nous penser que nous devons nous raviser. C'est que l'Algérie n'a pas de Première Dame. Ou plus exactement de Première Dame visible. Car le Sieur Bouteflika la cache, comme le faisait en son temps le Roi du Maroc et comme le fait actuellement le Roi d'Arabie Saoudite (et comme ne l'a jamais fait Ahmadinejad, dit en passant). Bouteflika l'aurait épousée, Madame Amal Triki donc, sur le tard, dans les années 90. Quand il était cinquantenaire. Et cela pour pouvoir se présenter à l'élection présidentielle, paraît-il, car la Constitution algérienne exige dans son article 73 que le conjoint du candidat ait la nationalité algérienne, autrement dit que le Président soit marié. On sait au moins qu'en cas de pépin, elle n'aura pas à fuir le pays puisqu'elle ne vivrait pas en Algérie mais à Paris. On la laisse se délasser l'esprit...


Sur les forums algériens, certains de ses compatriotes préfèrent ne pas trop réfléchir sur cette configuration. Une drôle de vie de famille, reconnaissons-le. C'est qu'on a peur de découvrir des choses sur le Président, du genre il était très attaché à sa mère, il n'a jamais eu d'enfant, c'est donc bien qu'il se peut qu'il soit, etc... Un "rebeu" gay, tout ce qui fait fantasmer les Occidentaux. "Qu'on le laisse tranquille ! On n'a pas à connaître la vie privée de nos dirigeants !" disent les plus gênés. Ah ouais ? Pourquoi donc ? N'est-ce pas normal de savoir ce que devient la femme de son Président ? En Turquie, par exemple, la vie privée de Mustafa Kemal est soigneusement tue. Non non, ce ne sont pas les écrits et les témoignages qui manquent, c'est l'autocensure qui prévaut. C'est vrai qu'un de ses plus féroces dissidents avait prétendu qu'il était bisexuel; on sait aujourd'hui qu'il a fiellé par rancune et par jalousie. Ses propos restent très agressifs et ses mémoires qui les contiennent sont toujours interdits de publication en Turquie. En France, non; en voilà donc un extrait qui met si mal à l'aise que je ne le traduis pas, débrouillez-vous : "Müthiş bir ayyaştır. Her gece sabaha kadar içer, körkütük olur. Bütün ömrü öyledir. Gençliği de böyle içki ve fuhuş ile geçmiştir. Recûliyeti yoktur, fakat şehvete pek düşkündür. Fuhşun kadın, erkek, fail, mef'ul her nev'ini yapar. Bu sebepten veya anası fahişe olduğundan olacak ki, bütün milletten namus ve iffeti kaldırmağa çalışır" (Dr. Rıza Nur, Hayat ve Hatıratım, cild 4, s. 1517).


Il reste que les mémoires de sa femme Latife Hanim (nièce de l'écrivain Halid Ziya Uşaklıgil, oui oui celui qui a écrit Aşk-ı Memnu) restent cadenassés dans les coffres de la Société d'histoire turque (Türk Tarih Kurumu). Et aucun historien ne s'aventure à papoter sur les relations d'Atatürk avec Fikriye Hanim dont certains disent qu'elle lui a donné un fils, alors que la vulgate officielle fait de lui, un homme de marbre, sans femme et enfants, dévoué à sa seule passion, sa république; dans ces "certains", il y a tout de même le neveu de Latife Hanim, Mehmet Sadık Öke. Qui prétend, en outre, qu'il avait également eu un fils d'une non-musulmane mais que la famille préférerait ne pas trop s'étendre là-dessus... On les laisse tous reposer en paix.


Parlant de Mustafa Kemal, on ne peut passer sous silence son engagement en Libye, il y a exactement un siècle. C'est qu'il était un officier ottoman qui tentait de faire face aux Italiens pour garder la province. Une implication ottomane si hardie (malgré la défaite) qu'en 1918, c'est le Cheikh Sanussi de Libye qui dirigea la cérémonie impériale du pèlerinage à Eyüp. En effet, dans la tradition ottomane, l'intronisation du nouveau sultan commence par son cülus (la montée sur le trône), se poursuit par le serment d'allégeance (la bey'at) et se termine (en tout cas à partir du XVIIè siècle) à la mosquée d'Eyüp où l'impétrant est ceint du sabre (kılıç kuşanma). Cet épisode du rite est normalement assuré par le Nâkibül'eşraf (le chef de la famille des descendants du Prophète qui est donc un Arabe chaféite) ou le Şeyhül'islam (le plus haut dignitaire religieux de l'empire).


Eh bien, l'histoire retiendra que la dernière "cérémonie du sabre" de l'empire ottoman a été confiée à un Cheikh libyen reconnaissant. Tellement reconnaissant que le neveu de ce dernier, devenu Idriss Ier, émir puis roi de Libye, appela au poste de Premier ministre, un sous-préfet turc, Sadullah Koloğlu (dont le fils est un journaliste célèbre, Orhan Koloğlu). Ah oui alors, les deux nations sont très proches. La preuve récente en est que la fameuse réplique par laquelle Saïf ul islâm a envoyé dinguer le monde entier avec sa Cour pénale internationale ( طز في المحكمة الدولية ) contenait un mot turc; "tuz" (طز) c'est-à-dire "sel". Un mot turc devenu gros mot en arabe vulgaire, une étymologie qui remonte aux taxations du sel égyptien par l'administration ottomane. Répétons donc, quand quelqu'un nous enquiquine, on ne dit plus "va te faire ..." mais "Tuz !". Ca fait distingué...


Il était arrivé balbutiant; déjà fou. Il s'en va barjo fieffé. Le roi Idriss Ier était en Turquie quand il a été déposé par Kadhafi. Celui-ci a été renversé mais sa voix radiophonique se fait entendre de Syrie. Le prince Muhammad As-Sanussi est présent, lui; il a soutenu son peuple (comme l'a fait, hier, le prétendant au trône d'Egypte), est revenu en mars 2011 après tant d'années d'exil et a enfin "avoué" qu'il était prêt à monter sur le trône. Voilà donc où on en est arrivé de fil en aiguille, du coq à l'âne, de-ci, de-là. La Providence, que veux-tu. Je ne voudrais pas "m'ingérer dans les affaires intérieures" de la Libye maiiis... voilà quoi. Notre première pensée va donc à...