dimanche 24 juillet 2011

"Turquie profonde"

Les Turcs sont connus pour leur hospitalité, comme on le sait. C'est bien vrai. Allez au fin fond de l'Anatolie, amusez-vous à vous y perdre et vous verrez qu'une main bienveillante sera toujours là pour vous secourir, vous héberger et vous nourrir. Vous gorger même, car la maisonnée n'hésitera pas un instant à sacrifier une volaille en votre honneur. Et si vos hôtes sont trop pauvres pour vous dérouler un festin, vous aurez droit au plus gros morceau du pain, quitte aux autres à dîner par coeur. "On vient tout juste de manger nous, allez-y vous, je vous en prie. Afiyet olsun". Et cinq minutes plus tard, out le "vousailles". On se tutoiera si possible. Sans vous commander, évidemment; ça vient naturellement. Et la maîtresse de maison, yeux charbonneux, teint exsangue, éreintée par le labour, se démènera pour vous faire sentir comme chez vous. Mais. Ce soin n'est pas, loin de là, une invite au batifolage. Du genre, plaisanteries crues, privautés de langage et de mains.


La société turque est profondément quadrillée par un ensemble de commandements. Ainsi, on ne discutera pas plus avant avec une dame mariée, on ne la touchera évidemment pas, on ne s'assiéra pas à côté d'elle notamment dans un bus (dans le métro, on ne s'y collera pas). Du coup, "la place reste vide et le voyageur debout, plutôt que de s'asseoir à côté d'une femme" (Necla Kelek, Plaidoyer pour la libération de l'homme musulman, p. 19; un livre très contestable sur certains points, cela dit). Enfin, on ne rira pas à gorge déployée en public et on devra effacer, pour les plus enjoués, le sourire automatique qui se déclenche à la place d'un bonjour ou d'un merci. Comme le notait Marie Jégo à propos de la Russie, "sourire, en Russie, est souvent interprété comme un aveu de faiblesse de la part de celui qui l'esquisse, ou, pire encore, comme le signe de quelque requête à venir. Il faut le savoir : la méfiance du Moscovite de base est d'autant plus en éveil que vous vous évertuez à faire apparaître vos dents. (...) Pour un Occidental, sourire ou dire bonjour est une façon de manifester ses bonnes intentions. En Russie, une telle attitude est suspecte. La règle, ici, c'est l'indifférence." (Le Monde, 20 juillet 2011).


C'est pareil, en Turquie. Le principe de Pollyanna, on n'y croit pas. On guette le moindre "dérapage". Le mari croit que tout le monde zieute sa femme, la femme croit que tous les hommes sont des brutes qui rêvent d'elle, la mère croit qu'on va kidnapper son gosse, etc. etc. Une tension qui vient de la frustration sexuelle généralisée, allais-je dire en bon freudien mais j'ai changé d'avis. Oublions ou plutôt lisons Madame Kelek, sociologue allemande d'origine turque, qui croit avoir tout compris et qui s'est naturellement convertie au christianisme, religion de l'Amour, n'est-ce pas : "les garçons musulmans (sic !) grandissent sans amour. Dans leur socialisation, ce qui compte avant tout, c'est d'affronter avec succès l'épreuve de la vie, d'obéir à Dieu et de faire en sorte qu'on leur obéisse à eux" (p. 150)...


Il n'en reste pas moins que le sourire esquissé vous fait passer pour un bouffon et le sourire appuyé pour un pervers (sapık). Et si c'est un homme ignare de tout cela qui s'aventure à faire risette à un autre homme (par exemple, le chauffeur de bus ou le fonctionnaire), le voilà classé dans la catégorie "yumuşak", autrement dit dragueur gay. Donc pervers derechef... Gare aux conséquences... Assez paradoxalement pour une société qui a horreur des insinuations, ce sont les hommes qui s'enlacent, marchent bras dessus bras dessous et qui se font la bise. Il sera donc capital de veiller à s'étreindre avec l'homme et à saluer de loin la femme. De loin oui, sauf si celle-ci tend la main. Car il est rare qu'un homme et une femme, même voisins de palier, même âgés, même laids, même tout ce qu'on veut, s'effleurent. "Oust ! Je ne suis ni maquignonne ni entremetteuse" avait lâché ma mère conservatrice. "Bon ok, calme calme"...


Donc bonté turque, oui, cela existe. Avec les quelques réserves énoncées ci-dessus. Cependant il faut introduire ici, le hic. Celui que toutes les enquêtes d'opinions sur le voisinage s'entêtent à mettre en vedette. Les Turcs sont certes accueillants, mais ils ne sont pas là pour sympathiser ad vitam aeternam. Selon les résultats d'une recherche menée par l'université Bahçeşehir sur les "valeurs en Turquie en 2011", 62 % des interrogés disent ne pas faire confiance aux non-musulmans, 55 % estiment qu'un athée ne doit pas gouverner le pays, 84 % déclarent ne pas vouloir un voisin homosexuel, 74 % un voisin sidatique, 68 % un couple non marié, 64 % un voisin athée, 48 % un voisin chrétien, 39 % un voisin d'une autre religion, 39 % un voisin immigré, 26 % un voisin dont la fille se promène en short (je n'invente rien !) et 20 % un voisin qui ne jeûne pas au mois de Ramadan.


C'est intéressant de constater que les Turcs ne veulent pas, au premier chef, de voisins gays. Bizarre pour une société qui a porté au pinacle, des homosexuels déclarés ou supposés comme Zeki Müren, Bülent Ersoy, Huysuz Virjin, Cemil Ipelçi, Aydin ou Fatih Ürek. Avec en même temps, la ministre de la famille AKP, Selma Aliye Kavaf, blonde et yeux verts de son état, qui déclarait : "l'homosexualité est une maladie ! Il faut la traiter". Venant de la Turque au profil le plus nordique du pays, on s'en étonna...



Une organisation de défense des "persécutés" (Mazlum-der) préféra publier une déclaration de soutien à Madame le Ministre... Et seulement deux ou trois ostrogots avaient protesté, le reste de la population (dont ces fameux 84 %) se scandalisant d'une telle prime à la "perversion": "t'as entendu ce qu'elle a dit cette dame !", "quoi ? Raconte doucement !", "elle a dit que les homo sont des malades mentaux !", "eh ben ?", "bah, c'est ignoble !!!", "non !!! Toi aussi, t'es...". Ah oui, rappelons aussi que l'homosexualité permet d'échapper au service militaire. Il suffit "seulement" d'apporter quelques photographies où votre compagnon vous biiip... Et tant pis pour les gays sans mec(s)... Si bien que l'état-major a la plus grande collection de porno gay en Turquie, disent les mauvaises langues...


La méfiance contre les sidéens, pour ma part, je n'ai pas compris. Soit on a peur de recevoir un postillon et de se retrouver gay, euh pardon, atteint du Sida, soit on a peur de succomber à ce joli garçon et de devenir gay, pour de bon cette fois-ci. Bref, c'est la peur de découvrir sa véritable identité sexuelle qui pousse, sans doute, les Turcs à placer l'homosexualité en tête de leur mésestime...


A vrai dire, la peur de se retrouver à papoter avec un voisin en concubinage est un sentiment incompréhensible, vu de France; vu d'Europe, disons plutôt. Puisque plus de la moitié des bébés sont nés, ici, dans une famille de concubins. Des fornicateurs, pour un bon Turc de base. Bouhhh. Il faut dire que les trois premiers mots que votre copine turque vous sort lorsque vous commencez à lui toucher, on va dire, les cheveux, ce sont : "après le mariage !". Destuuur... C'est un "trip" des méditerranéennes, elles croient encager leur homme par les liens du mariage. Véridique, la passion du mariage. Et Jules dit rapidement oui, la passion de la femme et celle de l'épouse étant confondue chez un homme normalement constitué... Et la matriarche turque ne veut absolument pas passer pour la mère de la "pétasse" du quartier; les "daronnes" méditerranéennes, des imprésarios hors pair...


Pour les voisins athées, chrétiens, juifs, bouddhistes, que sais-je encore, protestants, voire alévis, c'est déjà connu et mille fois analysé. L'histoire turque (du moins jusqu'au siècle des nationalismes) suffit à montrer que l'Autre a toujours eu le droit à la vie. Mais c'est bien tout. On existait chacun dans son coin. Sans mariage, sans fête, sans baptême, sans jeûne communs. Au XXè siècle, on est passés aux persécutions physiques. Malheureusement. Le siècle des "guerres civiles turques". Les Arméniens ont été déportés et aujourd'hui, dire "Arménien" à quelqu'un est devenu une insulte. On s'en souvient : quand Canan Aritman, une député fasciste du CHP, avait "révélé" que le Président Gül avait des origines arméniennes, celui-ci publia une déclaration en catastrophe pour déclarer qu'il allait porter plainte pour... insulte ! Le chef de l'Etat, s'il-vous-plaît...


Istanbul, Izmir et l'Anatolie main dans la main, pour une fois. Dans les grandes villes occidentalisées, on est donc réservés à l'idée d'avoir un voisin ethniquement et confessionnellement différent; en Anatolie, les "ploucs" suivent leurs grands frères kémalistes, (théoriquement chics, modernes et humanistes) en séparant, eux, carrément les villages : un village caucasien ou kurde ne contient pas de Turcs, un village alévi n'abrite aucune famille sunnite (si, celle de l'imam envoyé par l'Etat !) et un quartier orthodoxe ou juif est déjà un monde à part. Les fameux "sabataist" (sabbatéens) font encore et toujours, jaser dru. Et il arrive de temps en temps, de déplorer des assassinats (Hrant Dink), égorgements (les missionnaires à Malatya) et pogroms (les alévis brûlés vifs à Sivas). Mais ça va passer; évidemment. Regarde, le grand mufti de Turquie vient de déclarer que les sunnites pouvaient bien manger les repas préparés par leurs voisins alévis. Ceux-là même qui sont soupçonnés d'organiser des orgies et des partouzes en famille dans le cadre de leur rituel "mum söndü". Du genre, on éteint les bougies et chacun attrape la femelle qu'il peut; qui sa fille, qui sa mère...


Le récurage prendra du temps, certes. Pour ma part, ma prophylaxie est prête : élisons un Président d'origine arménienne, nommons un chef d'état-major grec orthodoxe, qui plus est, gay et des ministres alévis, forçons les responsables politiques turcs à inaugurer des églises et synagogues. Et quand les "sünnetsiz" (les non-circoncis) occuperont également la haute administration, on pourra liquider une fois pour toute ces considérations phallistiques. Pour le short de la gamine du voisin, il suffira sans doute ne pas tourner les yeux. Ou de consulter. Un "essai psychanalytique sur le fétichisme du short". Car même pour cela, Freud a une explication : "le fétichisme sexuel est lié au traumatisme durant l'enfance, symbolisé par l'angoisse de castration". Sic ! Valla...

lundi 18 juillet 2011

Zutisme au feu des enchères

On sent bien que cela ne colle pas. C'est que le Premier ministre est un des rares du gouvernement moderne et ultra-rapide du Président Sarkozy à passer pour un homme réfléchi; de ceux qui tournent la langue sept fois dans la bouche. De ceux qui ne gesticulent pas pour imiter Monsieur le Président. Et de ceux qui ne versent pas dans un langage populacier pour mimer l'illustre Raïs. Tout l'opposé d'un Frédéric Lefebvre, par exemple. Son haussement d'épaules et son dévissage du cou sont un calque du style présidentiel. Ou d'un Laurent Wauquiez, le "bogosse" du gouvernement, que dis-je, de la classe politique (quoique Philippe Dallier n'est pas non plus négligeable avec son air à la Rob Lowe) qui en fait trop dans la simplicité verbale. Toujours avec son "alors, c'est simple, j'vous explique...". Pourtant, major de l'ENA, major de l'agrégation d'histoire, diplômé de l'Ecole normale supérieure et titulaire d'un DEA en droit... On attend un cran au-dessus. Le carriérisme fait des miracles.

Bref, un Premier ministre terne, sans charisme, sans éloquence, sans pompe d'un côté et une sortie polémique d'un autre côté. Ça ne colle pas; sa "colère" ne rime pas avec son tempérament terre-à-terre. Il n'est pas le seul, évidemment. Il y a aussi François Baroin; celui qui parle avec une voix de robot. Et qui parle grammaticalement trop bien pour qu'on comprenne qu'il n'est pas, au fond, sarkozyste. Valérie Pécresse, également. Celle qui a toujours une mine déconfite, éternellement fatiguée, des yeux tombants et qui semble s'évanouir à chaque fois qu'elle tourne la tête...



C'est assez étrange mais les hommes politiques qui ont une femme d'origine étrangère aiment parader comme de véritables franchouillards. Le Pen marié à une Grecque, Sarkozy marié à une Italienne, Fillon marié à une Galloise. Comme quoi, quand il faut faire du populisme, on s'invente une sensibilité qui, au fond, n'existe pas. C'est comme Marine Le Pen à la tête d'un parti d'extrême droite donc conservateur; une présidente qui est divorcée et qui vit dans le "péché" avec un compagnon. Ou encore Jörg Haider qui dirigeait le parti d'extrême droite autrichien en partageant sa couche avec un homme...

"Cette dame n'a pas une culture très ancienne des traditions françaises, des valeurs françaises, de l'histoire française". "Cette dame". Et en plus, elle a un accent, euh ! C'est tellement joli à entendre dans la bouche d'un responsable politique. Qui a une femme galloise. Non vraiment, ça me trotte; ça ne colle pas, nom de Dieu ! Heureusement qu'il est le Premier ministre d'un Président qui prône la modernité et la rupture dans chacun de ses discours et gestes... Et heureusement que son propre ministre de l'éducation s'était targué d'avoir défendu le "français dialectal" du Président de la République ! Que disait-il déjà ? "En ces temps de complexité et de difficulté, le Président de la République parle clair et vrai, refusant un style amphigourique et les circonvolutions syntaxiques qui perdent l'auditeur et le citoyen".

Mince alors ! Substituer un défilé civil à un défilé militaire, une rupture pourtant ! Saperlipopette ! Faut-il avoir un avis sur cette question ? Peut-être mais je n'en ai pas un pour l'instant. La cavalcade militaire serait l'occasion d'exposer urbi et orbi la soumission des troupes au pouvoir politique. Un argument qui peut se prendre dans tous les sens, ironiquement. "Ouais, j'pense qu'il n'faut plus humilier les soldats devant le monde entier ! Les pauvres, ils enragent de devoir abaisser leur drapeau devant Sarkozy !"... Une manifestation à exporter en Turquie, quand j'y pense. La perspective de voir la face du chef d'état-major en train de se "rabaisser" devant le Président islamo-fascisto-terroriste et sa femme voilée suffit à défendre l'idée...

Eva Joly donc, une Française récente. Qui ignore les codes de céans. Qui se fait rappeler à l'ordre par les Français de souche, de l'histoire longue et des sépultures. C'est comme ça. Moi, personnellement, je fais partie d'une famille qui n'a pas de bol. En Ossétie, lorsque mes ancêtres se convertirent à l'islam au début du 19è siècle (on était orthodoxes il y a à peine deux siècles !), ils devinrent des "vendus". En Turquie, ils devinrent une minorité ethnique privilégiée donc nécessairement décriée par la masse (de la "semence russe", nous fûmes). En France, nous sommes une minorité ethnique et religieuse. La Constitution française promet fort heureusement de barrer la route à toute disposition législative qui nous cataloguerait en fonction de notre "origine", "race" ou "religion". Comme la Constitution russe de l'époque. Comme la Constitution turque d'aujourd'hui. Non je ne vais pas pleurer, mais si tout le monde nous renvoyait à notre origine dans ces trois foyers, d'où serions-nous ? "Démerde-toi coco !".

Et on l'est. Accaparé par ces questions d'identité, je veux dire. Fatiguant à force. Et quand on entend nos dirigeants faire des listes de Français, bah ma foi, on attend que ça passe. Car on est habitués. Je ne prends même plus de notes. Il y a encore quelques mois, l'assemblée nationale votait une loi qui "dégradait" (grammaire oblige, l'imparfait du verbe "déchoir" n'existe pas) les meurtriers d'agents dépositaires de l'autorité publique quand ils avaient le malheur d'être des Français tout frais ! Il y a encore quelques jours mon voisin m'interpellait "il doit faire beau ces temps-ci, chez vous ?", "bah non, on habite juste au-dessus de chez vous, ils n'ont pas rallumé le chauffage non plus !", "euh, en Turquie je voulais dire !", "ahhh ! Oui oui. Bien sûr, il fait chaud, oui. Chez moi, oui, c'est bien ça...".

Et ça remonte, cette obsession, dis donc. Potache, je rêvais d'être diplomate. Je m'amusais à envoyer des courriers au ministère dès qu'une question me semblait pertinente, à l'époque internet n'étant pas encore trop actif. La double nationalité est-elle un obstacle pour entrer au ministère des affaires étrangères ? Pour devenir ambassadeur en fin de carrière ? La réponse qui fut rédigée de manière fort diplomatique se résumait in fine à un "non". Mais dans la pratique, il fallait s'attendre à tout, m'avait rapporté un ami diplomate. On ne va tout de même pas me nommer ambassadeur en Turquie, ça serait facile... Quoique Salomé Zourabichvili était ambassadrice de France en Géorgie, la terre de ses ancêtres. Et tu sais quoi ? Quand la Révolution a éclaté, Saakachvili l'a nommée ministre des affaires étrangères de Géorgie. Comme quoi...

Oulala, je me suis égaré. Je ne voudrais pas donner l'air de soutenir Madame Joly. Car je me destine à servir l'Etat français, au final. Et comme le devoir de réserve a tendance à commencer au berceau, il ne faut jamais vendre la mèche. Je dirais simplement "ma chère dame", que votre "zut" n'a pas trouvé écho auprès d'un gouvernement qui est déjà trop zutiste. Zut par-ci, zut par-là. Rupturisme oblige. Mais le vôtre est allé trop loin. Avec une telle origine, en plus... Bref, aucune explication en termes conventionnels n'est possible. Oui je sais, bibi non plus, n'a rien compris mais c'est comme ça. J'ai un concours à passer et une carrière à faire, moi...

dimanche 10 juillet 2011

"Je est un autre"...

"Une dose d'existentialisme, voilà ce qu'il manque à certains !", avait diagnostiqué un ami. Ah oui hein, ils sont bavards les amis, ces temps-ci. Lors d'une parlotte. Une pensée lancée à la cantonade. Officiellement, en tout cas. Mais comme nous étions que deux... "Mon Dieu, pourquoi tout le monde s'affaire à me sermonner !", étais-je en train de mâchonner. Je vais recommencer à fumer, je crois... Les volutes, un refuge, une dispersion, une distraction.

Du surréalisme, ça ne fait de mal à personne. "Non non il a raison, je vais me lancer dans les affaires !" avais-je dit à une cousine. "Toi ?", "bah oui, quoi ! Suis-je débile ?", "nan mais t'as pas trop le tempérament d'un homme d'affaires, t'es un peu crédule, safsın anam saf !", "merci, mais j'ai promis à ma mère de lui acheter un yali à Istanbul, il faut que je commence à m'enrichir !". Ma cousine y tient beaucoup. "Lance-toi en politique, plutôt !", "moi, en politique ? La passion pour la chose publique à cet âge ! Je ne suis pas encore trentenaire certes, mais il fallait s'y prendre plus tôt nan ?".

J'avais un ami, jadis. Un condisciple, plutôt. Du lycée. Un "frère" russe avec lequel on s'était déchiré sur le Caucase. Ah oui alors, mes joutes remontent à loin, quand j'y pense. C'est que la professeure de sciences politiques (une option à l'époque) avait confié un sujet sur la guerre en Tchétchénie à ce camarade. J'avais refusé. Un Russe va nous parler de la Tchétchénie ! Quoi encore ! J'avais proposé un contre-exposé. Accepté. Le problème était que personne n'avait rien compris à la guerre du coup, avec deux versions diamétralement opposées. J'avais fait le politicien, hi hi. Des chiffres tronqués, une chronologie revisitée. On s'en foutait du fond, passez l'expression. Un Russe et un Caucasien jouaient aux politiciens. Aujourd'hui, monsieur fait "carrière" dans un parti politique. Alexis Prokopiev, je l'avoue, j'avais balancé sur le sujet; histoire d'enquiquiner...

La politique, donc. La camisole idéologique. Et comme un parti libéral ne recueillera que 0.25 % des suffrages, le jeu n'en vaut pas la chandelle. Inutile de se fouler la rate; trépigner toute une vie pour aboutir à 1 %. Et en France, pardi ! Pays où le "corps du Président" doit être physiquement et vestimentairement marqué par les traditions les plus inextirpables. J'avais une camarade de l'Inalco, une sexagénaire sympathique qui venait apprendre l'arabe pour le plaisir et qui était donc, théoriquement, ouverte d'esprit. Mais elle n'avait pas trouvé anormal de déclarer un jour en "récré", "je ne voterais jamais pour une candidate voilée; non pas parce-qu'elle porte un voile mais parce-qu'une présidente voilée, ça n'est pas la France". Et vlan ! Joly la protestante, Prokopiev l'orthodoxe par exemple, Strauss-Kahn le juif, ça passe. Mais un musulman, ce n'est pas la France. Bon. "Et une Française d'origine africaine qui porte un joli boubou ?", "non non", "même avec une belle encolure arrondie ?", "hein !"...

Dernièrement, je regardais une émission sur la télé turque. HT Kulüp. "Tu verras, je serais riche comme eux !", avais-je annoncé à mon frère. "Qui ? Toi !". "Ça va à la fin ! J'ai vraiment l'air d'être si benêt !", "non mais c'est pas ton genre...". C'est que, jeune, j'avais fait voeu de pauvreté. Je voulais vivre dans un désert. Comme le Simon de Bunuel. Si si, sans rire. Je cherchai un désert; j'envisageai même de me cloîtrer dans un monastère, histoire de prouver la faisabilité du dialogue des religions. Mais la Providence a sarclé cette vocation de mon coeur. Et y a déposé l'exact opposé. Depuis, je suis au point déclive...

"Je vais m'installer en Turquie. Je vais être exploitant agricole, comme mon grand-père", vais-je annoncer à ma mère. "Toi ?", va-t-elle rétorquer; je sais. "Je veux travailler dans le bâtiment, avais-je supplié à un patron de BTP, j'ai une bonne corpulence, regarde, admire !". "Allez allez, maître (on m'appelle ainsi ici, alors que j'ai beau juré que je ne suis pas juriste de métier), arrête de galéjer !", "galéjer ! T'as appris ce mot, où ? Dans le bâtiment ? C'est intéressant, dis-moi !"...

Tiens, je vais vendre des fringues. Je vais devenir riche comme Abdullah Kiğılı. "Les Turcs s'échinent tous dans la confection à Paris, laisse tomber" a susurré une autre voix. Que des susurreurs. Non non, je ne cherche pas un métier, j'en ai un, heureusement. Professeur de français et d'histoire, s'il-vous-plaît. Vacataire certes, mais c'est déjà ça. Mieux qu'avant. Je cherche une carrière, au juste. "Bah alors, l'ambassadeur bêcheur, quid ?" s'étrangle mon frère. "Plus je réfléchis, plus je piétine. Il faut prendre la vie comme elle vient". Ah bah voilà, j'ai officiellement trouvé mon épigraphe. Neurasthénie, somatisation, out. "Je vais prendre la vie comme elle vient", lui ai-je rapporté, fier de ma découverte. Et j'ai bien insisté, histoire de lui montrer ma détermination; la vie comme elle vient, c'est bien cela. L'air taquin. Le sourire en coin. Ça a fusé de l'autre côté, "toi ?"... Hayda...

lundi 4 juillet 2011

Ambivalence

"Alors qu'est-ce t'en penses de Feriha ?", m'a soudainement glissé une amie. "C'est qui celle-là ?", ai-je benoîtement répondu. "Bah la mytho de la série 'Adını Feriha koydum' !". "Ahhh!". Comme si je suis un psychiatre ès "sériologie", moi. "Allez fais-moi un pitch". Alors, c'est l'histoire d'une fille modeste mais très avenante qui a obtenu une bourse qui lui permet d'étudier dans l'université la plus sélecte d'Istanbul; celle où l'on croise les plus argentés de Turquie. L'intrigue, tout le monde la devine : l'amour impossible entre une pauvre et un riche. Le seul problème, c'est que les étudiants et étudiantes de la fac sont, pour ainsi dire, sortis tout droit de Paris Match, Gala, Voici ou Closer. Et comme tout le monde se sait riche, il ne vient à l'idée de personne de soupçonner que son camarade de banc puisse être pauvre... Du coup, le pauvre applique, tout naturellement, LA tactique : il "s'accorde" et tait son extraction...

Ainsi, mademoiselle, Feriha donc, se fait passer pour une bourgeoise, s'habillant dernier cri grâce à la prodigalité d'une amie authentiquement bourgeoise qui lui refile ses habits, un peu par pitié et beaucoup par suffisance. Mais nullement par infatuation car cette copine aisée, qui s'appelle Cansu, est une adolescente un peu déprimée qui vit avec une belle-mère qu'elle déteste cordialement; elle fourre donc tous ses luxueux cadeaux dans la piètre garde-robe de Feriha. Et celle-ci en profite pour se pavaner avec, dans le campus. Feriha n'est autre que l'ancienne cousine et fiancée de Behlül dans Aşk-i Memnu, la très gnangnan "mais néanmoins" richissime Nihal. Hazal Kaya de son vrai nom. Deux situations totalement opposées d'une série à l'autre... Ah oui, les parents de Feriha sont les concierges de l'immeuble où vit cette copine, à Etiler, le 16è d'Istanbul...

Fille de gardiens donc qui s'entiche du fils d'un entrepreneur, Emir. Elle cède aux avances pressantes du jeune homme, plus exactement. Manège ? non non. Feriha est bel et bien amoureuse d'Emir mais voilà; elle a honte de sa condition et se fait passer pour la fille d'une "bourge" de l'immeuble. Le scénario aggrave encore plus le drame en faisant de la vraie famille de Feriha, une troupe d'obtus; un paterfamilias conservateur et bouché à l'excès, une mère qui craint le mari mais qui s'éreinte à défendre coûte que coûte sa fille et un frère qui se la joue chaperon phallocrate. Interdiction de sortir, de répondre, de se divertir un peu, obligation de se justifier pour chaque joie et chaque peine et pour finir, devoir de se fiancer avec celui que son père a choisi. Du classique populace. Bref, très étouffant; je suffoque d'ailleurs, ay anam...

Mais classique de chez classique. Toujours les mêmes clichés. Le modeste est nécessairement étriqué mais honnête alors que le nanti est ouvert d'esprit donc immoral. Un père arriéré pour l'une, un père permissif pour l'autre. Une mère attentionnée pour l'une, une mère désinvolte pour l'autre. Des filles bon chic bon genre dans l'univers de l'une, des filles olé olé, méphistophéliques dans le monde de l'autre. Et vas-y pour forme un couple...

Qu'est-ce que j'en pense alors ? Euh... C'est que je suis de ceux qui croient à l'équivalence des conditions. Le droit islamique parle de "kafâat", la similitude des conditions aussi bien religieuses que socio-économiques entre les époux. Mais ce n'est pas tant la différence de niveau de vie qui me pose problème. Quoique c'en est un d'importance. Car dans le contexte turc, le mariage est avant tout une affaire de clans, et j'ignore ce que peut bien partager le père d'Emir et celui de Feriha dans les réunions de familles... L'essentiel, pour ma part, c'est un peu plus profond; c'est le savoir-vivre. Le "görgü" comme on dit en turc.

Ceux qui savent se tenir, quand bien même ils n'ont plus un sou sont bien plus respectables que ceux qui pètent dans la soie, dans tous les sens du terme. Exemple : Kivanç Tatlitug. Eh oui mesdemoiselles ! Un nouveau riche, s'il en est. Lors d'un mariage de la jet set turque, monsieur s'est fait taper sur les doigts lorsqu'il a jeté sa cigarette à terre; un réflexe de "pauvre". Et par-dessus le marché, il aurait rougi. Un autre réflexe naturel des parvenus qui piétinent les convenances... La caque sent toujours le hareng, très cher...

Ça saute aux yeux. Vraiment. Je ne suis absolument pas bourgeois, pour ma part. Je suis Ossète. La race de ceux qui se prennent pour des âmes bien nées et qui méprisent les autres. Impériosité de l'étiquette. Certes, pas au niveau de la cour impériale japonaise mais aride quand même. Faire le diplomate quand on me demande pourquoi mon lointain cousin a rompu les fiançailles avec sa bien-aimée; parce-que ceci, parce-que cela, effectivement. J'ai éclaté, un jour : "parce-que la famille de la fille est turque !". Madame ma tante qui a une considération moyenne des Turcs, qui est raciste donc en bon français, était déjà réservée à l'idée d'avoir une belle-fille qui ignore les "codes" et qui est en plus, institutrice. Et quand une petite dispute de rien du tout a pointé son nez, on en a profité pour tout annuler. Officiellement, c'est le fiancé qui a décidé de mettre fin à la relation; surtout pas, papa maman... Autre "scandale" : piétinant l'étiquette, un beau-frère turc s'était roulé par terre avec ses enfants devant nos yeux. Nous, les Ossètes. La famille de sa femme. Nous fûmes bien médusés, le beau-père ne sachant plus comment détourner l'attention.

Non non, ce n'est pas une fierté. C'est seulement un fait. Un fait social, comme dirait l'autre. Je suis sympa, heureusement. Car l'équivalence des moyens financiers n'est pas encore un de mes critères. Allez, pour reprendre les termes d'un vieux conflit, l'aristocratie de l'être prime la bourgeoisie de l'avoir. Peut-être que ça changera un jour. Car après tout, nous sommes tous des Alexandre Rybakoff; on s'épaissit avec le temps et on adopte les réflexes de ceux qu'on critiquait jadis. Nos bouches délivreront un jour ou l'autre, cette sentence d'Alexandre : "j'ai rejoint le camp de l'homme que je désirais abattre"...

Rêvons un peu : je suis ambassadeur et mon fils tombe amoureux d'une fille de portiers. Quel est le réflexe, le tout premier, celui qui éclot à la seconde même de la nouvelle ? Le refus catégorique, évidemment. Est-ce un vice ? Non. Est-ce insurmontable ? Eh bien non plus. Il serait trop facile d'être dans la béatitude et de déclamer du peace and love, ma chère... Ta Feriha donc, aurait été ma belle-fille si j'étais le père d'Emir. Car la mentalité du jeune que je suis, commande une telle approche. Dans 30 ans, ambassadeur, ça serait peut-être niet. Car Troyat derechef, "la jeunesse méprise le juste milieu, l'âge mûr en fait son ordinaire"... J'attends avec impatience la saison 2 ...

Adini Feriha Koydum - Tema 3 Dizi Müzigi

Adini Feriha Koydum - Tema 5 Dizi Müzigi

ADINI FERIHA KOYDUM OYUNCULARI YENI 2011