vendredi 28 août 2009

Ha babam de babam rebelote...

La fin de la récréation, disent certains. Le chef d'état-major vient de mettre un terme aux rêveries trop "osées". Il n'a rien dit d'original, en réalité; même antienne. Là est le problème, d'ailleurs : le gouvernement avait décidé de tenter/oser régler le "problème kurde". Et tout le monde avait activé sa bouche : "euh... moi je pense qu'il faut également permettre d'appeler Atatürk, Atakürt, qu'est-ce t'en penses, je réfléchis bien hein ?", "moi je veux que le Premier ministre aille rompre le jeûne chez Öcalan"... Et Mümtaz Soysal, un homme politique-professeur de droit constitutionnel-chroniqueur qui joue les prolongations, avait gentiment proposé d'envoyer les Kurdes en Iraq du Nord et de rapatrier les Turkmènes de là-bas dans le sud-est anatolien... Les idées ne manquaient donc pas. Or, trop réfléchir sur des questions sensibles fait rager l'armée, comme on le devine. Il fallait donc intervenir.


C'est un peu le Khamenei, le Général en chef. La basse-cour se déchire et on attend, les yeux rivés sur la page internet de l'armée, la bénédiction ou la remontrance du Chef. Ca tombe bien, les militaires aiment bien parler, en Turquie. Alors, on les voit dessiner les contours d'une discussion politique en menacant directement d'intervenir : "alors écoutez mes petits, maintenant ça suffit ! C'est terminé ! Bak hala konuşuyor !" Et les démocrates continuent à jouer les don Quichotte : "mais ferme-là nom d'Atatürk ! Occupe-toi de tes bombes !" Des bombes. En effet. L'on a apprit que certains des soldats tombés dernièrement ne l'étaient pas du fait des bombes posées par le cruel PKK (version officielle) mais par les officiers eux-mêmes. Histoire de "former" les nouveaux. Et la formation tourne au vinaigre. "Dommage collatéral" dit-on dans ces cas-là. Et on se tait. La faute au PKK, au moins ça passe toujours...


Dans une démocratie, comme on le sait par coeur, ce sont les élus de la Nation qui se réunissent, papotent, se disputent, s'embrassent et, in fine, votent. L'opposition n'est jamais d'accord selon le rôle qui lui incombe, le gouvernement encense tout ce qui émane de lui. D'accord. Mais en Turquie et dans d'autres pays, auxquels on accole mécaniquement la mention "en développement", les choses ne se passent pas comme cela. Ca serait facile. Ainsi, l'armée garde une tutelle. "Eh ben ?", "franchement, pour un pays qui se dirige à pas fermes vers l'Europe, c'est normal ?", "mais nous, nous sommes menacés par tout le monde, Kurdes, islamistes, libéraux, démocrates, on est forcé, valla !"


Il faut dire que le CHP (parti toujours considéré comme de gauche) et le MHP (parti toujours aussi nationaliste) ont tellement rugi que les militaires ont eu peur d'avoir l'air d'épauler le gouvernement AKP, fasciste-réactionnaire-révolutionnaire-islamiste, comme on le sait. Intenable. Même l'insinuation fait peur. Le Chef s'est donc dépéché de donner son avis; la masse se tut et ouvrit grandes les oreilles : "l'Armée rappelle qu'elle est garante de la structure unitaire de notre Etat et refuse toute concession juridique à des droits culturels collectifs. Stop." Et les "hommes politiques" du CHP et MHP de fulminer en liesse, chipant le youyou des Kurdes à l'occasion, "youppi, on referme cette phase de démocratisation, elhamdulillah...", "ouais, le CHP aussi se réjouit, le elhamdulillah en moins, laïcité oblige"...


Plus étrange est l'attitude de l'AKP. Son porte-parole a déclaré être de concert avec les propos du Général, "mais on a jamais dit le contraire, le Chef pense comme nous, nanik !" Si bien que tout le monde essaie de faire passer l'autre comme le véritable interlocuteur de celui-ci. Une chose est donc claire : les militaires ont encore une fois fixé ces fameuses "lignes rouges". Et le Chef a également décrété que la liberté d'expression ne devait pas être trop élastique; "la liberté d'expression ne saurait aller jusqu'à débattre de l'existence même de l'Etat."


"Une autre connerie" aurait dit un homme mal élevé. C'est que le Général n'a toujours pas saisi pourquoi des types décident un beau jour de "s'exiler" dans le tréfonds montagneux, mitraillette à la main. Réduire au silence; voilà le souhait. Et depuis 30 ans, voilà la politique. L'on connaît le résultat. La liberté d'expression est sacrée. Sauf pour les militaires. On les respecte plus lorsqu'ils se taisent. Et aucun respondable politique n'a, encore une fois, osé le leur rappeler; il faut dire que faire face à un homme armé requiert du courage. Et avoir du courage dans les moments de déchirement politique n'a jamais été un sport favori, en Turquie. Et les Généraux en sont ravis; "bon on a eu 6 morts, c'est rien, ils sont cons, ils ont mal oeuvré et voilà le résultat; c'est rien, notez : 'dommages collatéraux' "... Ecoeurant.