lundi 29 décembre 2008

"Terroristan"

On ne sait vraiment plus comment s'indigner. Ou tout simplement s'indigner. Une séquelle brûlante, tout le monde en convient. A peine avait-on dit "Amen" aux prières du Pape que la poudrière sauta.

Le Hamas a commencé, Israël a riposté, "vous nous obligez". Ehoud Barack, ministre de la Défense, a bien précisé le sens de sa titulature pour faire bonne mine : "je suis ministre de la Défense, pas de la guerre". "Ah oui, a renchéri Livni, trop, c'est trop". Il est toujours bon de devenir "faucon" à l'approche des élections législatives. Les calculs, c'est important en période électotale. Les compteurs aussi. C'est connu, l'homme politique devient homme d'Etat quand il n'a plus de scrutin en perspective.

Les déclarations pleuvent, évidemment : le Conseil de sécurité demande l'arrêt des opérations des deux côtés, Mahmoud Abbas mâche des reproches "de manière indiscriminée", les Etats-Unis, toujours dans la crainte de passer pour vertueux, doigtent les accords, etc. Et Hosni, qui n'a jamais eu l'habitude d'avoir honte dans sa vie, refuse d'ouvrir les frontières. Son ministre des affaires étrangères s'étrangle, cependant, lorsqu'on lui demande d'où proviennent les missiles à longue portée que possède le Hamas, "franchement, mon frère, c'est pas nous mais j'vois pas d'autres fournisseurs en même temps..."

Le Premier ministre turc, qui avait rencontré Ehoud Olmert la semaine dernière à Ankara, délaisse à nouveau le langage diplomatique pour crier franco : "crime contre l'humanité". Mais il adopte, en même temps, une posture bizarre; au lieu de se remuer pour prendre langue, vélocement, avec les Israëliens, il a décidé de les bouder et d'arrêter les contacts. Ca n'apaise pas vraiment. Quand il est en colère, il dérape toujours... Ainsi, a-t-il parlé d'une indignation dans les "pays islamiques"; voilà une belle gerbe pour Samuel Huntington. Mais heureusement, ses amis ministres l'ont convaincu d'aller au moins papoter avec quelques pays "importants" : Syrie, Jordanie, Egypte et Arabie Saoudite. Les oreilles des uns font le bonheur des autres...

Ahmadinejad entonne le même refrain et même le Guide Ali Khamenei s'y est mis : nous, musulmans, aurions le devoir de nuire aux intérêts israéliens, où qu'ils se trouvent. Heureusement que les "fatwas" ne sont devenus que des bouts de papier ayant perdu tout effet ameutant. On se désole, par la force des choses mais le réalisme camisole les ardeurs. C'est comme ça. L'ère de la modernité.

"On a le droit de se défendre nan !", "mais oui, bien sûr, évidemment, sans aucun doute, absolument, mais frappe les terroristes, pas les civils". Bombarder "correctement", voilà le paradigme, en somme. Et il faut surtout punir le Hamas. On croyait les Gazaouis mourants depuis le blocus; "vous êtes toujours vivants, vous !" Eh oui, la volonté de survie est mère des plus flambantes intelligences. C'est même devenu un métier presque officiel, contrebandier. Le Hamas, une organisation élue, pourtant; et par des élections voulues par les Occidentaux. "On t'a dit de faire des élections, pas de proclamer les vrais résultats !"

L'année 1430 commence mal, pas de doute. L'année 2009 aussi. Barack Hussein Obama vient sans doute de s'en rendre compte; la politique américaine du Proche-Orient ne se définit pas dans des programmes généreux mais prend forme en fonction des préoccupations pétaradantes de certains. Etre mis devant le fait accompli, ça s'appelle...

jeudi 25 décembre 2008

Joyeux Noël

Le revoilà sur scène : "Cübbeli Ahmet", littéralement "Ahmet le soutanier". Un imam. Le chef de file d'une confrérie notoire installée dans la mosquée Ismailağa à Fatih, quartier d'Istanbul et "bras droit" du très respecté Mahmut Ustaosmanoğlu dit Mahmut Efendi, un de ceux que la grâce divine aurait touchés. Notre "cübbeli", un imam médiatique et assez doué pour le rester. Mais très conservateur. Un peu à l'image du cheikh Astağfirullah, ennemi mugissant du "cerveau embrumé" et de la "langue indomptée". On l'avait aperçu sur un jet ski à Malte, dans un confort fort peu islamique; il avait réussi à se faire pardonner. Même ma mère, traditionaliste, en était confuse. Rougir, assurément, ça ne s'apprend pas.


"Si l'ange Azraël vous surprend en pleine festivité, l'au-delà, c'est foutu". Voilà la "fatwa". La "festivité" en cause consiste à consommer de l'alcool et à imiter les Chrétiens. Imiter, c'est envier. Un péché. En réalité, il y a une confusion totale en Turquie : les "bourgeois" turcs enguirlandent également des sapins, pastichent le Père Noël, offrent des cadeaux, etc. mais le soir du 31 décembre. Toute la panoplie occidentale "noëlienne" au service du nouvel An. Par conséquent, les théologiens s'échinent à fustiger de tels comportements et à rappeler des recettes plus islamiques : "lisez du Coran ! méditez sur votre passé et votre futur ! amendez-vous, bande de cornichons, le Jour approche !"


Il est donc mal vu de célébrer l'anniversaire du Christ puisqu'il renvoie à des images de beuveries, d'excès et quasiment d'impiété. J'ignore pourquoi mais les "conservateurs" musulmans rechignent à réciter quelques prières à l'occasion de la naissance de Jésus. Or, le Coran est clair : sourate 2, verset 285 : "(...) les croyants ont cru en Allah, en Ses anges, à Ses livres et en Ses messagers; (en disant) : 'Nous ne faisons aucune distinction entre Ses messagers'" ou 4 : 152 : "Et ceux qui croient en Allah et en Ses messagers et qui ne font point de différence entre ces derniers..."


Alors que les musulmans ne sont pas, contrairement à ce que l'on croit, des rabat-joie ou des obscurants; l'austérité n'a jamais été une part essentielle de la théologie, du moins pas au niveau de "la religion toute sèche" de Calvin (Louis Maimbourg). La Naissance du Prophète Mouhammed se dit "Mevlid", qui vient de l'arabe "velâdet". La Nativité, en somme. On connaît.


Certes, la vision du Christ diffère radicalement, certes, la date de naissance est probablement fausse, certes la Bible n'est plus "en vigueur" depuis la Révélation islamique mais "Isa", Jésus, reste un très grand Prophète. Même Tony Blair, qui reconnaît volontiers lire le Coran quotidiennement, a eu la sagacité de constater qu'il faisait de nombreuses références à Jésus et ce, toujours dans un sens positif. Il le dit si bien à die Zeit : "Ich lese täglich den Koran (...) Es gibt im Koran keine Verweise auf Jesus, die nicht zutiefst respektvoll wären". Et Pöttering, président du Parlement européen, en profite pour tenter d'amadouer les Saoudiens : "allez, regardez même votre Livre déclare son amitié pour le Christ, laissez donc les églises libres", "d'accord mais à une condition : que le pape reconnaîsse Mouhammed comme Prophète, haha"...

Benoît XVI, évoquant Bethléem, a appelé les chrétiens à prier pour que la paix s'installe " sur la terre où Jésus a vécu." Nous, musulmans, n'hésiterons jamais : Amen. C'est une expression : tant crie-t-on Noël qu'il vient.


Paix sur qui suit la Vraie Voie. Comme une homélie...

dimanche 21 décembre 2008

www.ozurdiliyorum.com

Le tracassin dure depuis quelques jours; depuis qu'une poignée d'intellectuels (que l'on qualifie, sans prétention aucune, d'"aydın" en Turquie, littéralement "lumière"!) ont demandé pardon aux Arméniens pour les souffrances qu'ils ont endurées depuis l'Evénement jusqu'à nos jours du fait de l'omerta imposée. Il y a notamment le "M. Europe" de la Turquie, Cengiz Aktar; le sociologue qui enseigne à l'Ecole des hautes études en sciences sociales en 2008-2009, Ali Bayramoğlu; l'économiste, enseignant à la Sorbonne Ahmet Insel; Baskın Oran, le politiste dont la fille, Sırma, avait refusé de reconnaître le "génocide arménien" pour pouvoir figurer sur la liste municipale socialiste à Villeurbanne. Et encore, et encore. Environ 15 000 signataires à ce jour.


Le texte, sobre mais net, est le suivant :

"1915'te Osmanlı Ermenileri'nin maruz kaldığı Büyük Felâket'e duyarsız kalınmasını, bunun inkâr edilmesini vicdanım kabul etmiyor. Bu adaletsizliği reddediyor, kendi payıma Ermeni kardeşlerimin duygu ve acılarını paylaşıyor, onlardan özür diliyorum".


"Ma conscience ne peut pas accepter que l'on reste indifférent et que l'on nie la "grande catastrophe" subie par les Arméniens ottomans en 1915. Je rejette cette injustice et, pour ma part, je partage les sentiments et les peines de mes frères et soeurs arméniens. Je leur demande pardon".


"I cannot accept in my conscience the insensitivity toward the Big Disaster that the Ottoman Armenians were subject to in 1915 and the denial of it. I refuse such injustice and I do apologize to my Armenian brothers and sisters, share their pain".


C'est toujours difficile de dépoussiérer le passé. En France aussi, on a connu ces résistances : Mitterrand, dans sa logique, refusait de pleurer pour les fautes commises par un "régime illégal". Et Sarkozy n'est pas un adepte de la repentance tout comme Chirac. "Oui mais ne faites pas ce que l'on fait, faites ce que l'on dit, allez reconnaissez, vous !"


Les références aux "origines" sont courantes dans cette contrée : lui, il a l'air mystérieux, il doit être Sabbatéen, l'autre a l'air de savoir pas mal de choses sur la sécurité de l'Etat, il doit être caucasien, un autre conteste trop, il doit avoir du sang arménien, etc. Les engueulades sont toujours l'occasion de voir fuser des "noms d'oiseau" : "ermeni", "yahudi", "sabateist", "papaz", etc. Les versions turques de "bougnoule", "raton", "feuj"...


A peine le calame posé, un déferlement vindicatif a grondé. Stylos contre stylets. "Qu'est-ce que tu fais ?", "euh... rien, j'écris une lettre...", "citrouille, dégage, c'est quoi un stylo d'abord, les hommes ne pleurent pas chez nous, ressaisis-toi ou j't'éclate". Les militaires, des ambassadeurs en retraite, les nationalistes, le Premier ministre, le Président de l'Assemblée ont critiqué l'initiative. Si bien que l'on a retrouvé dans le même panier, nationalistes, autoritaristes, conservateurs, islamistes. Comme quoi les "grandes" problématiques nationales créent toujours l'union nationale.


Mais, du coup, qui sont ces "revendicateurs malappris" ? Seul le Président de la République a refusé de mettre en garde, "notre pays est un pays démocratique où toutes les pensées, opinions et idées ont droit de cité". Bravo, que dire. Mais la normalité ne pouvait passer comme ça, il fallait des aboiements.


La "chienne de garde" en chef était donc à l'oeuvre; la députée Canan Arıtman, du CHP (un nom qui se rapproche étrangement du verbe "arıtmak" : nettoyer, purifier) : "le Président est un traître, il parle de démocratie, qu'est-ce qu'il veut dire par là ! Faites des recherches du côté de sa mère, vous verrez pourquoi il cautionne l'initiative". Le mot est lâché; la colère est un vrai piège mais bénéfique parfois, on apprend des choses sur l'inconscient. C'est une harengère orde, complètement toquée et indigne. Drôle de conscience; réplique bizarre : vous dites votre sympathie pour les victimes, on vous demande "ah je ne savais pas que t'avais des origines arméniennes". S'il faut épouser toutes les nationalités des victimes dans le monde, il n'y aurait plus eu d'humanité. Trop complexe pour la tête simple. Mais Deniz Baykal, le berger, a essayé de calmer sa députée, elle est encore plus féroce : "je vais lui balancer mes babouches à la première occasion, au Président". Baykal est dans sa période de récolte, on prend tout ce qui bouge, élection oblige. Il n'a pas insisté davantage...


Un des arguments les plus auto-accusatoires est le suivant : "et pour les anatoliens égorgés par les milices arméniennes en 1916-1917, et pour nos diplomates victimes des terroristes de l'ASALA dans les années 1970, qui va demander pardon, hein ?" Une reconnaissance directe de la "faute" en réalité; oui nous avons fauté mais vous aussi, alors si l'on demande pardon, vous aussi, vous devez le faire. L'on sort de la négation pour tomber dans une question de préséance... Il y a eu 1915 avant 1916, à ma connaissance. Et quand on pense que la Turquie est la mère du projet de "la plate-forme pour la stabilité dans le Caucase"...


Le mot "pardon" est sans doute excessif; mais la pensée suffit. Et chacun y va de son air : "regarde, j'écrase une larme, mille pardons", "jamais, t'entends, jamais je m'excuserai, va cracher sur les tombes de ceux qui l'ont fait". Le mot "génocide" n'apparaît pas puisqu'il n'existait pas à l'époque des faits. Mais à bien lire Raphaël Lemkin, on comprend qu'il a été influencé par les crimes commis contre les Arméniens en 1915 (et par l'assassinat de Talat Paşa en 1921 à Berlin).


Que l'on écrase une larme ou que l'on postillonne, le fait est là : l'arc-en-ciel ottoman n'a plus d'éclat. On a le droit de se désoler, c'est tout.

Hrant Dink

"Je me sens comme une colombe. Je regarde à droite, à gauche, devant et derrière moi, avec la timidité d’une colombe. Mais je sais que dans ce pays on ne touche pas aux colombes. Les colombes continuent à vivre au cœur de la cité, même au milieu des foules humaines. Un peu timides certes, mais d’autant plus libres."

dimanche 14 décembre 2008

Aigreur

Voilà donc la mission terminée; notre Président qui, il faut le reconnaître, est constitué "différemment", a pris soin de rappeler à ses successeurs : "continuez comme moi, bougez, courez, poussez, c'est comme ça que ça marche". Les Tchèques, déjà peu attentifs, sont déjà fatigués. "Il court tout le temps, celui-là, on a les mains pleines de dossiers". Ca tombe bien, Sarkozy en redemande : "allez, file-moi la gouvernance économique, je sens que ça va être un peu ronron avec vous". Non, évidemment. Vaclav Klaus n'attend que le flambeau; et s'entête à bouder le traité de Lisbonne. "L'Irlande d'abord", "d'accord, mais vas-y toi aussi, t'as des mains", "alors la Pologne avant", "bouge-toi, vieux !", "je suis malade, après..." La Cour constitutionnelle, saisie, avait pourtant donner son feu vert; le Président tchèque s'était même rendu à l'audience pour écouter la décision et prendre quelques notes. Comme un étudiant. L'architecture institutionnelle européenne n'altère en aucune façon la souveraineté tchèque, voilà le verdict. Klaus n'étant pas simplet, il a appelé à multiplier les contentieux contre le Traité. Une tiédeur manifeste après une ferveur presque débridée contrariera, à n'en pas douter, le commun des europhiles.


C'est une nature, on n'y peut rien. Un bouillonnement physique, même. Au Président polonais qui redemande la parole, Sarkozy n'a-t-il pas lancé : "on est 27, coco; si tout le monde racontait sa vie, hein..." L'autre n'a pas bronché. Depuis, on le voit rôder à Bruxelles, en train de suivre son Premier ministre : "allez, emmène-moi aussi en Europe", "ça va aller, merci". Un drôle de pays; un Président auquel le gouvernement refuse d'affréter un avion...


Chacun peut ainsi reprendre son train-train. Jean-Pierre Jouyet rejoint l'Autorité des marchés financiers; quel rapport ? peut-on se demander mais la politique "énarchienne" coupe court aux interrogations de cet acabit. La corvéabilité des énarques est légendaire. Voilà donc arrivé Bruno Le Maire, un pimpant villepiniste reconverti sans trop tarder dans le sarkozysme de raison. Kouchner est ravi : "ah ba voilà une nouvelle pomme de l'ouverturisme; il parle l'allemand, en plus, écoute", "Ya ya, Ich bin der neue Staatssekretär für Europafragen". Et les ministres qui passaient des oraux interminables à Bruxelles reviennent au pays. La pauvre Michèle Alliot-Marie rate le train, comme un citoyen lambda, l'élégante Christine Lagarde se retrouve perdue dans un champ, "Madame il faut mettre vos bottines, on s'est échoué", "qu'est-ce qu'il dit ?", "euh... l'hélicoptère a malencontreusement dévié de sa direction, on se retrouve en pleine brousse"...


On termine en beauté : le paquet climat est passé à coups de bourrades sarkoziennes; la Hongrie a fait la fine bouche : "on veut plus de pognon" mais le Cousin était encore là pour calmer les ardeurs. Le Polisseur émérite rend le tablier et fait escale en France. On le récupère. Espérons que la lame n'a pas trop usé le fourreau, le menu national est plus garni. Et il n'y a rien qui justifie de boire du petit lait, ces temps-ci...

Dvorak - Songs My Mother Taught Me

Loin des tracasseries, fixez le ciel et rêvez...

Maria Callas, O Mio Babbino Caro

jeudi 11 décembre 2008

"Fleur de civilisation"

Hier, c'était le 10 décembre. L'Anniversaire. Comme il se doit, nous honorons la Déclaration universelle des droits de l'Homme, la DUDH pour les intimes. Mon sujet d'examen, l'an dernier. A vrai dire, un phare bien plus qu'un pilier. Et on rediscute du titre : "j'pense qu'il faut plutôt dire droits humains, c'est plus englobant, qu'est-ce t'en penses ?", la personne la plus autorisée parle, on se tait : "Ce texte est gravé dans le marbre et l'égalité de tous y est proclamée sans aucune ambiguïté !". Stéphane Hessel, le dernier dinosaure.


Le Conseil des droits de l'Homme s'est permis une coquetterie, une nouvelle coupole :


L'artiste Miquel Barcelo explique : "cet espace, c'est un peu de la science-fiction. C'est comme un Conseil intergalactique, avec des gens et des langues tellement différents, avec des opinions si opposées". En effet. Ban Ki-moon, aussi, était là; il a passé son message : "les couleurs apparaissent différemment selon l'endroit où vous êtes assis, de la même manière que les pays et les peuples ont des perspectives différentes sur les défis que nous devons affronter". Multilatéralisme, évidemment.


Bien sûr l'état de la planète n'est pas, pour autant, reluisant; un classique. D'ailleurs, personne n'a jamais rêvé; on se connaît trop bien. Et la France est morne, aussi. Rama Yade, notre "secrétaire d'Etat aux droits de l'Homme" rêve d'autres postes "parisiens", Bernard Kouchner reconnaît qu'une telle fonction ne sert pas à grand chose, "elle a bien fait son boulot, mais... tu sais, en fait, elle ne faisait pas grand chose, hein !" La réponse du diplomate à la diplomate...


"Un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère..." Le chemin parcouru est sans doute glorieux mais le voeu reste d'actualité.


Notre Président va presque rougir en serrant la main du Dalaï-lama; du coup, on ne sait plus qui trompe qui : le ministère des affaires étrangères rappelle qu'ils n'ont jamais rien promis aux Chinois : "ce ne sont pas les Chinois qui tiennent l'agenda de notre Président, pfff", "alors, Nicolas, on te savait plus docile; Bush, Merkel et Brown, ça passe, mais pas toi, carpette !", "arrête de dire la vérité ! en plus, regarde, je vais te revendre des armes, allez, on se réaime ?"...


Robert, celui du Zimbabwe, qui avait soigneusement tendu la sébile à la communauté internationale pour surmonter l'épidémie de choléra, est fou de rage : "alors Robert, si tu veux de l'oseille ou de l'assistance, tu dois partir; ça suffit, on ne veut plus de Toi, allez, penses-y", "bouche calamiteuse, caquet dégoûtant, bouffon, anti-démocrate", "calme Robert calme, tu dois dégager maintenant", "allez, on n'a plus besoin de vous, le Zimbabwe maîtrise officiellement l'épidémie". Et al-Bachir dont on ne sait plus la situation "juridique" ! Notre Président a décidé, seul comme à son habitude, de "négocier" avec lui, le Procureur Moreno-Ocampo s'époumone à réfuter tout arrangement; mais bon la politique a l'honneur de toujours primer.


La terreur est déjà partout; le Congo déploie l'étendard, les Etats-Unis mènent déjà une guerre précisément contre la terreur; effet paradoxal, elle renforce la terreur. "Mais arrête de bombarder les civils afghans, nom de dieu !", "poussez-vous, bande de sauvages, qu'est-ce que vous foutez dans une zone en guerre, hein ? Il faut tout leur dire à ces wisigoths !", "mais les guerriers sont ailleurs !", "allez on s'excuse mais ne recommencez pas, vous aussi..."


La misère : un milliard de sous-alimentés, d'inanitiés, d'affamés, d'assoiffés. L'insécurité : la Corée du Nord fait le malin, Israël n'attend que l'aval américain pour bombarder l'Iran, l'Inde se pose toujours les mêmes questions sur son voisin nucléarisé. Parler de choses et d'autres est toujours aussi difficile, croire est démodé mais on essaie de faire des choses, etc.


Tiens, la Suisse veut une Cour mondiale des droits de l'Homme, encore une avancée. On n'apprend pas à un vieux sage à faire la grimace. Un voeu, bien sûr. L'inhumanité sortant de l'humain, on ne sait plus espérer. Et maintenant, il faut penser à l'environnement, aux êtres vivants non humains, à la paix, au développement et palabrer encore et encore. Mais c'est déjà ça; l'important, comme le disait Robert Badinter en 1998, c'est de ne pas être un "partisan du silence"...

dimanche 7 décembre 2008

Glose itérative

Cette semaine, le voile était encore en vedette. Un puits sans fond; le voile est devenu un profond sujet de discorde dans nombre de pays, une épine dans les relations sociales, un problème de civilisation. On malaxe tout : liberté religieuse, laïcité, égalité des sexes, droits de la femme, ordre public, etc.


Depuis que Deniz Baykal, président du CHP (parti qui, dit-on, est de gauche), a béni ses nouvelles adhérentes en "çarşaf", les discussions sur sa foi et sa sincérité n'en finissent plus; on apprend que lui, le Grand prêtre des laïcistes, s'est reconverti dans la promotion de la diversité dans la vêture : "elles cognaient à la porte du Parti, que devais-je faire ? Les chasser ? Moi, démocrate !". Les joues légèrement empourprées.


La dissidence interne commence à s'organiser autour de Necla Arat, une professeure de philosophie; une épaisse matrone.


C'est la seule à rugir tant; l'entêtement étant, comme on le sait, l'expression d'un "vice caché", les journalistes se sont "jetés" sur son passé. Et voilà déniché un récit picaresque : dans le système universitaire turc, le passage de la maîtrise de conférences (Doçent) au "Professorat" (Profesör) se fait sur présentation d'un doctorat d'Etat (habilitation à diriger des recherches ou agrégation pour les disciplines juridiques, économiques et de sciences politiques en France). Il faut compter, au minimum, cinq années. Or, notre malheureuse a été "élevée" au grade de maître de conférences en 1975 (en Turquie, le statut de maître-assistant existant toujours : yardımcı Doçent) et "créée" professeure en 1988. Soit une période d'attente inhabituelle de 13 ans. Et la raison n'est évidemment pas glorieuse : notre combinarde a pompé à droite à gauche pour son doctorat d'Etat; du plagiat fait rustiquement (200 pages sur 218 !). Et qui présidait la commission disciplinaire ? Un professeur de... théologie. C'est une rescapée d'un théologien. Tout s'explique. Pour la petite histoire, son sujet de "professorat" portait sur la morale...


Un autre foyer de résistance : l'armée. La ferveur des Turcs pour Mustafa Kemal n'est plus à démontrer; ça tombe bien, un temple a été construit en son honneur en plein coeur d'Ankara. Et toute la gueusaille défile périodiquement pour déverser ses doléances, rancoeurs et autres pathologies. Le 3 décembre fut donc un jour comme les autres : la journée des handicapés a drainé au "monothéon" les familles concernées. Rien d'extraordinaire. Mais voilà que des "gens en épaulettes" se sont plantés, tels les molosses de Memnon, devant les mères voilées du groupe. "Enlève et entre", "comment vous dites ?", "Ôte ce voile, j'te dis, libère-toi", "jamais", "circule alors"... La coutume demande à une femme, désirant entrer dans une mosquée, de poser un voile sur la tête; et personne ne bronche. Et bien, le rituel au sanctuaire kémaliste impose de se "défroquer".

Mais les militaires font toujours ça; ils quittent toute cérémonie publique lorsqu'une femme voilée se présente sur scène. Et ils refusent l'accès des casernes aux mères mal voilées : il faut toujours laisser émerger une mèche. C'est le critère. Une tragédie. Une comédie. Une maladie. Délire obsidional.


Heureusement, Ertuğrul Özkök, l'éditorialiste en chef de Hürriyet (équivalent du Monde), est là; ce sieur dont l'avis sur les choses publiques est indexé sur l'humeur de son patron, le célébrissime Aydın Doğan, a "osé" publier une photo de famille qui montre sa grand-mère en "çarşaf" : "regardez, nous ne sommes pas athées, nous autres; nous avons de la branche". La dispute des symboles. "Moi, j'ai trois voilées, une grabataire en plus, c'est émouvant non, qu'est-ce t'en penses ?", "moi j'ai quatre barbus et pas de voilées, elhamdulillah", "chariatiste, arriéré !", "oust ! complexé, vendu !"...


Bien sûr, Ramzan Kadyrov, le satrape de Tchétchénie, ne s'est pas inspiré des débats turcs pour imposer aux étudiantes le port du foulard. C'est un fils de mufti, voyons. Et les Russes l'aiment bien; et les hommes en ont assez d'être séduits. C'est prouvé, la concupiscence (non théologique s'entend) nuit gravement à l'attention; à l'université encore plus, les neurones n'ont pas le droit au répit.


Comme il faut que le hasard fasse bien les choses, la Cour européenne a pondu deux arrêts sur le foulard (Doğru c. France et Kervancı c. France, 4/12/2008). L'histoire de deux collégiennes d'origine turque insistant pour porter leur "accessoire" en sport; la loi de 2004 n'était pas en cause, l'on se plaçait donc sous le régime de 1989. Les juges sont unanimes : "mais tu ne peux pas faire du sport avec un voile, ma fille, allez, enlève ça", "bah si m'sieur, c'est même mieux, ça tient les cheveux", "mais là n'est pas le problème ma fille, t'es constipée ou quoi, la pratique importe peu, la théorie dit que c'est incompatible", "mais...", "oh quelle gueuse celle-là ! on s'en fout de ta vie, tu nargues la laïcité, point. Rejeté". Les arguments de la requérante étaient sensés pourtant : "lors du conseil de discipline, lorsqu’il lui a été demandé en quoi le port du foulard ou d’un bonnet pendant ses cours mettait en danger la sécurité de l’enfant, il [le professeur de sport] a refusé de répondre à la question posée. Le Gouvernement ne donne pas plus d’explication sur ce point." (§ 44). La Cour ne s'attarde pas, évidemment : "la Cour estime que la conclusion des autorités nationales selon laquelle le port d’un voile, tel le foulard islamique, n’est pas compatible avec la pratique du sport pour des raisons de sécurité ou d’hygiène, n’est pas déraisonnable." (§ 73) On comprend l'interdiction du voile ou du turban sikh pour le casque obligatoire ou pour la photo sur les documents officiels mais dire, péremptoirement, qu'il n'y a pas "à justifier, dans chaque cas particulier, l’existence d’un danger pour l’élève ou les autres usagers de l’établissement" (§ 38), c'est tout de même bizarre. "Oh moi tu sais, je ne sais pas si c'est compatible avec la pratique du sport, mais si ton prof le dit, c'est qu'il a ses raisons", "mais non, même lui ne sait pas", "allez, allez, règlez ça entre vous, nous, nous avons peur de traiter de la laïcité"...


Les débats de la semaine ont tourné autour du voile. Mais toujours rien à mettre sous la dent. Que des déceptions. Mais le temps a été créé pour cela, pour apprendre à meubler l'intermédiaire. L'idéologie transpire, on n'arrive toujours pas à avouer; sinon comment expliquer l'affaire du gîte d'Epinal, l'affaire des mères voilées accompagnant les enfants lors des sorties scolaires, l'affaire de la stagiaire voilée auprès de la fédération du Rhônes de la Ligue des droits de l'Homme (!), l'affaire des étudiantes voilées à l'université Montpellier 1 ? La laïcité à toutes les sauces. "On n'aime pas le voile, c'est ça qu'tu veux entendre ?". Voilà ! Je sentais bien que la laïcité n'y était pour rien. Oh be...

jeudi 4 décembre 2008

Sans fard

L'Europe regorge de "têtes couronnées". On l'oublie souvent. D'ailleurs, les souverains, trop polis pour gesticuler, ne se mettent jamais en vedette. Et pour épater la populace, on leur a retiré tout pouvoir réel. On leur demande de vivre correctement et de faire, de temps en temps, la publicité de leur pays. La France est républicaine n'en déplaisent à MM. Henri d'Orléans et Louis de Bourbon. C'est comme ça. On a essayé mais ça ne colle plus. D'ailleurs, le feu comte de Paris ne voulait pas d'un "poste" honorifique; de Gaulle ne s'est donc pas pressé pour le remettre sur le trône. Depuis, on demande aux Orléanistes, aux Bourbons et aux Bonapartistes de ne plus rêver...

Les chroniqueurs mondains n'en croient pas leurs yeux; la Reine Elisabeth a porté, lors d'une cérémonie, un manteau qu'elle avait déjà porté en... 2005. Ca s'appelerait un scandale. La Reine qui change de vêtement à chaque phase de la journée, a osé reprendre ce "truc" vieux de trois ans. Crise oblige, elle n'a plus de sou; elle s'est donc interrogée en public, elle qui fait seulement la lectrice tous les ans devant le Parlement; l'infortune fait gémir, c'est connu : "bande de cons, pourquoi n'avez-vous pas vu venir cette crise ? Je n'ai plus de fric, et l'autre rosse ne m'en donne plus"... Et c'est une boursicoteuse, la crise est passée par là : "appelle le banquier, qu'il m'explique ça en détail". L'histoire nous enseigne que plus la famille royale s'entoure de faste, plus elle est respectée. Jadis, c'était un seigneur comme les autres, des gueux de haut rang et vers la fin des années 1870, on l'a magnifié. Victoria est passée par là. Babeth a sermonné sa marmaille aussi : "arrêtez de sortir tous les soirs, on n'a plus de fric". "Joue du piano Condi, que j'oublie, songs my mother taught me..."

Le Souverain le plus silencieux en ce moment, c'est le Roi du Thaïlande, Rama IX : un branle-bas de combat dans le pays; partis interdits, manifestations à répétitions, occupations des aéroports et des bâtiments publics et lui, rien. "Accourus de tous les coins de Votre royaume, nous sommes là Sire". La tradition veut que l'on s'adresse à la poussière de ses pieds. Et sa femme n'est pas fraîche non plus, Sirikit. Encore plus raide. "Ca rigolle pas chez eux...". Son silence est une orientation, en réalité. Il trône depuis plus de soixante ans, les militaires l'aiment bien aussi, ça aide.

Le plus vaillant, c'est le Grand-duc du Luxembourg; il a refusé de "sanctionner" une loi autorisant l'euthanasie. Sa conscience l'en empêcherait. Le Premier ministre n'est pas content, bien sûr. D'ailleurs, qui a déjà vu Juncker, content ? Toujours une tête de Carême. "Bon, p'tit malin, puisque tu veux jouer au Souverain feignant de diriger son poulailler, tiens, je modifie la Constitution". Résultat : il ne devra plus "sanctionner" mais seulement "promulguer" les lois. La reine d'Espagne aussi avait voulu dire des choses, on l'a remise à sa place, la Grecque: "la vie et la mort ne sont pas entre nos mains", "non au mariage homosexuel, c'est quoi ça d'abord, connais pas"... "Les Souvrains manquent de cervelle mais ça ne leur est pas nécessaire" aurait dit un autre écervelé... Et le prince consort du Danemark, un Français, le claironne partout : "je m'emmerde...".

Celui du Koweït, "se la joue" aussi. Les députés essaient de faire comprendre à l'émir, depuis 2006, qu'ils ne veulent pas de son neveu comme Premier ministre; "allez, allez...". Résultat : le Neveu de l'Oncle est reconduit : "mais fais ça dans l'art, toi aussi, ne fais pas le païen". Mohammed VI essaierait de faire des choses; tiens, il a changé le droit de la famille. Mais les femmes ne trouvent plus de maris, du coup : "Tu dois donner la moitié de tes biens à ta femme en cas de divorce", "ouaich ouaich, Sire, vous rigolez ? Même si le Coran l'impose, jamais...".

Une couronne sur la tête ne fait pas, semble-t-il, le bonheur; mannequins sur une vitrine permettant d'aguicher curieux et "people", ils ont l'air tout chose. On leur interdit d'oraliser leurs réflexions. Pis que les présidents de la République soliveaux. Ils sont à plaindre, pas de liberté d'expression. Il est naturel de préférer la vie de châteaux à une vie ordinaire mais s'auto-censurer pour garder un bon "poste", ça s'appelle, en terme cru, une écorniflerie. De grandes démocraties sont dirigées par des muets; des châtrés. Les derniers forçats de l'Occident. Et on s'indigne quand ils parlent. Une exigence démocratique, paradoxalement...

dimanche 30 novembre 2008

De ira : nil mirum !

Et voilà un nouveau bain de sang au nom de l'islam. Des attaques, des morts, des blessés, des familles foudroyées, des pleurs, du sang, etc... L'indignation est, évidemment, de mise. Alors, on répète inlassablement que ce terrorisme ne peut avoir le qualificatif musulman, que ces gens-là ont sans doute des motivations religieuses légitimes mais que les moyens et la méthode n'ont rien d'islamiques. "Ca tombe bien, on parle d'islamistes de toute façon !".

Les Indiens tournent mécaniquement la tête vers les Pakistanais; "avoue ou j'te bute !", "mais, ce n'est pas nous, ce sont les terroristes", "c'est ce que je dis"... Au moment où l'on apprend que les services secrets pakistanais vont se calmer, ça ressemble à un baroud d'honneur. Toujours cette ronceraie : le Cachemire; un poison britannique. Le successeur du Général "fired", le "Widower" Asif Ali Zardari jure, on veut le croire mais il n'a jamais été enclin à dire la vérité, on doute. Et on se rappelle ses sorties mielleuses depuis son accession, c'est un homme de la conciliation; il a même proposé de fournir de l'aide aux inspecteurs indiens en leur envoyant son chef des services secrets; ce dernier a admirablement toussé, on n'a plus insisté.

Or, tout le monde connaît la source de ces "tragédies" : le sort des musulmans et le conflit israélo-palestinien. Un autre poison britannique. J'ai l'impression que connaître l'histoire de la Grande-Bretagne suffit amplement à comprendre l'histoire de la planète. Un sentiment. Elle est partout : aux Etats-Unis, au Canada, au Moyen-Orient, en Asie, en Afrique. De l'esprit jusqu'au bout des ongles.

Tiens, voilà qu'encore une fois, des fanatiques portent atteinte au droit de propriété des Palestiniens. "On veut restaurer l'antique Israël". Les autorités font semblant de s'intéresser à la détresse des Palestiniens, on nous rappelle que c'est une période électorale, qu'il faut modérer, nuancer les propos, qu'il faut patienter encore un peu. La Cour suprême pond des décisions honorables de sorte que les "résistants juifs" redoublent de hargne. Olmert sur le départ se trouve des c... au c... La raison se sent disqualifiée quand l'interlocuteur oppose un argument historique : la persuasion contre la fixité mentale, l'explication contre le dogmatisme. Les Juifs sont divisés, et comment ! Certains sont pro-nazis (la Patrouille 36), d'autres antisionistes (les Haredim), d'autres encore rêvent d'Eretz Israël, on ne s'en sort plus.

Et les musulmans trinquent encore une fois; ce n'est pas une formule de style, on le sent concrètement : un jour, alors que je marchais tranquillement dans la rue, un exploit, un "type" m'accosta et me demanda si j'avais un lien de parenté avec Ben Laden; "comment ?", "vous ressemblez à Ben Laden avec votre barbe, j'chai pas moi, l'habit ne fait pas le moine"... Ayant compris que lui-même n'avait sans doute pas saisi le sens de l'expression qu'il utilisait, je m'éloignai. Etre pris pour un juif ou un Libanais, je ne m'en offusquais plus, mais la possibilité d'être confronté à une telle bêtise, je l'avoue, je n'y avais jamais pensé. Et la barbe que je porte devient alors, instinctivement, un signe de protestation et de solidarité. Je l'ai mauvaise.

Les poudres ont été disséminés par ceux-là mêmes qui s'indignent les premiers; "c'est du passé, vieux, passe à autre chose". Apportez de l'espérance, vous qui entrez; c'est un cercle vicieux : les musulmans pourchassent les terroristes qui salissent la Religion, les terroristes tuent les Occidentaux qui ont semé toutes les discordes imaginables par l'Homme, les Occidentaux se méfient des musulmans qui réclament dignité et respect. Ils les butent, on les rebute, ils nous imputent; il l'avait si bien dit pourtant le Président Chirac en 2004; à fouetter le sang : "La communauté internationale doit se rassembler pour lutter contre le terrorisme de toutes ses forces et sans relâche. Mais soyons lucides. Nous devons aussi nous rassembler pour mettre un terme aux conflits qui alimentent la colère et la frustration des peuples, pour lutter contre la misère, l’humiliation et l’injustice qui sont des terreaux de la violence. Nous devons choisir l’espoir, la solidarité, le dialogue et notamment le dialogue des cultures contre la prétendue fatalité d’un choc des civilisations." On attend, comme une fleur. Fiat Justitia...

vendredi 21 novembre 2008

Misère que misère !

La perspective des élections révèle toujours des bizarreries; les politiciens accordent alors des exceptions à leurs grands principes, font des déclarations attrappe-tout si bien que le citoyen, déjà empêtré dans les prospectus-fleuves, n'arrive plus à faire un choix. C'est sans doute un des rares moments où les partis politiques défenestrent certains pans de leurs idéologies.


Deniz Baykal, le président du CHP (parti officiellement de gauche), nous a, encore une fois, fait montre d'une élasticité politique digne d'être enseignée dans les Instituts d'études politiques; il a agrafé la rosette du Parti aux nouveaux adhérents; rien d'extraordinaire, même si de nos jours, les gens ne se bousculent pas trop. Il s'agissait, en l'occurence, de femmes voilées et mieux encore (ou pis encore), de femmes portant ce que l'on appelle le "çarşaf" c'est-à-dire le voile intégral avec la seule ouverture au niveau des yeux ! Le CHP, le parti qui s'est démené pour faire annuler l'autorisation du port du foulard dans les universités, le parti qui boycotte les soirées au palais présidentiel parce-que la Première Dame est précisément voilée, ce parti, delta historique des laïcistes, a ouvert ses adhésions aux femmes de cet acabit.


Canan Arıtman, une députée de ce parti, avait même osé : "mes chères soeurs, enlevez vos voiles et libérez-vous !". Une autre, Nur Serter, ancienne vice-présidente de la prestigieuse université d'Istanbul, avait également dit des choses : "le voile marginalise la femme, il la refoule"...


Bien sûr, il faut tempérer l'événement; à un journaliste qui lui demandait s'il allait cesser de s'opposer aux voilées dans les campus, il a rétorqué avec la célérité d'un idéologue pris en défaut : "ah ça, coco, jamais"... Il faut donc se pencher sur les subtilités; selon sa classification, il y aurait donc des femmes en "çarşaf" qui seraient simplement conservatrices mais pas réactionnaires. Parmi celles-ci, il y aurait celles qui veulent porter leurs voiles dans les universités; la réponse est alors claire : NON. Pas de voile dans les "nids du savoir et de la science". "Nous acceptons toutes les pauvres d'esprit; seules elles, peuvent se voiler"... Voilà donc le message en substance. Bienvenue aux "techniciennes de surface", aux "paysannes", aux "ouvrières". Il les appelle "mutaassıp"; bien sûr, Baykal connaît les mots, c'est sans doute l'un des plus doués parmi les hommes politiques. Mais les dictionnaires ne mentent pas quand même : mutaassıp = borné, fanatique, obtus. Chassez le naturel, il revient au galop...


D'ailleurs, les contestations au sein du parti commencent à poindre; "si elles entrent, moi je sors !"; un pas en avant deux pas en arrière. Les chroniqueurs "républicanistes" pleurent : "toi aussi ! Porte une calotte en dentelle et crie "ALLAH est grand" pendant que tu y es !". On n'est pas habitués.


Le mari de la femme voilée a mis les points sur les i : "chers amis, certes ce n'était pas une mise en scène, mais j'dois rappeler que dans ma conception de la vie, la femme ne doit pas trop se mettre en avant, elle doit préparer le futur, quoi de mieux donc que de pondre et d'élever la marmaille". Bon vent !


Mais les félicitations et les auto-satisfactions pleuvent aussi : "T'as vu, comme on est tolérant ! Et toi, misérable AKPiste, est-ce que tu peux ouvrir les portes de ton parti aux gays ?". Voilà donc une bonne interrogation proportionnée. Le MHP (parti de droite nationaliste) a dû faire des concessions aussi : "et nous, nous reconnaissons le fait alévite !". Oui mais encore ? "Ta gueule". "Bon au moins, dans l'apparence, ils délaissent le kémalisme de garde-robe, allez déride un peu !". Les journalistes conservateurs sont déjà ailleurs : "allez, c'est pesé, la prochaine je vote pour toi".


Les simples citoyens savent rougir, eux. Ils savent faire la part des choses aussi. Toutes les analyses politiques le montrent : il n'y a pas électeur plus réfléchi que le citoyen turc. Il braille, proteste, insulte mais retrouve la raison dans l'isoloir. C'est bien de poser les boucliers; allez, encore un peu de sincérité : mouchetez vos lances et on avisera.

mardi 18 novembre 2008

Eléphants, lions, rossards, caméléons...

Comment ne pas soupirer ? Même Edouard Balladur se désole; un parti qui se déchire à nouveau, nous dit-on. Après Rennes en 1990, Reims en 2008. Les noms ont changé, la problématique reste la même : conservatisme contre "aventure". Jadis, Jospin ne voulait pas d'un parti de "supporteurs", chéri par Fabius; aujourd'hui, Aubry veut garder un parti de militants. Pas d'américanisation à outrance.


On n'y comprend pas grand chose; "Ségo" serait honnie de l'appareil, "Martine" pourrait compter sur Delanoë tout en sachant que la moitié de ses soutiens seraient des hollandistes en froid avec les fabusiens qui eux-mêmes sont derrière elle ! Il y a aussi les strauss-kahniens et les hamoniens.


Les gens de la droite s'esclaffent, Bayrou tend la perche, Besancenot ignore le manège alors que les Verts essaient hardiment de s'intéresser à leur propre congrès tout en ayant un oeil chez le voisin. Et en Allemagne, un Allemand d'origine turque prend la co-présidence du parti écologiste. Elle est donc là, la solution : la codirection. Deux secrétaires au Parti socialiste ! Comme une insulte. "Allez viens, on fait une coalition, tu me soutiens, et je te soutiens", "d'accord mais tu ne la soutiens pas, hein !", "d'accord mais elle ne doit pas te soutenir hein !"...


Jack Lang, bien sûr, salue "l'esprit de sacrifice" du Maire de Paris; lui-même était passé par là en 2007. L'intérêt du Parti, voilà un domaine où il n'a pas à rougir. Les "quadras" poussent aussi : Arnaud Montebourg toujours aussi tonitruant, Vincent Peillon toujours correct, Emmanuel Valls qui s'embellit à mesure que son ambition gonfle, rappellent inlassablement l'âge de Barack Obama. Pierre Moscovici qui voulait éviter le choc des écuries se justifie comme il peut, on ne comprend rien.


Il faut rafistoler, c'est sûr; d'ailleurs, ça se sent : les qualificatifs baroques s'empilent : rénovateurs, reconstructeurs (ah que c'est moche !). On connaît les raisons de la cacophonie : la présidentialisation du régime. Il faut avoir un secrétaire présidentiable, un candidat clair, préparé; or, il était de coutume jusqu'alors de faire durer le suspens. "Les militants désigneront notre candidat pour 2012, ne bousculons rien". Entre-temps, réfléchir sur la substance serait un passe-temps; "tu bronches !"...


L'UMP est tenue d'une main de fer; Nicolas Sarkozy s'intéresse à tout, nomme les secrétaires adjoints et guette l'occasion de débarquer Devedjian qui, tout dévoué, attend l'heure où il troquera son tablier actuel contre un ministère. Dati serait partante, Patrick rêve de ce ministère, ça tombe bien. Mais les UMPistes doivent dénoncer la situation qui s'enlise au Parti socialiste, c'est leur rôle aussi et ils s'amusent : "aujourd'hui, le PS est un "quatre quart "qui exclut de se retrouver sur une ligne commune, qui est même en désaccord sur l'essentiel et qui se fait l'idée qu'il va être dirigé par l'une des quatre minorités. Les trois autres s'apprêtant à rentrer dans l'opposition interne et larvée. Monsieur MELENCHON a déjà pris la fuite et d'autres vont suivre". Au MODEM, les choses sont semblables : Bayrou trône, Sarnez tient les quelques membres. Au FN, on s'occupe des purges et des autels, pas le temps de papoter.


Bien sûr les conflits au sein d'un parti politique n'ont rien de surprenant et de scandaleux, c'est la "vivacité interne" en terme poli; et il faut un Chef, pas de doute. C'est un peu comme chez les Chiites, on attend le Chef disparu, celui qui vaincra "Sarko" et annoncera l'avènement d'une société plus juste et plus humaine. Blabla. Si ils veulent trouver un Chef, il faut changer de parti, celui du PS n'a jamais eu l'intention de partir : "Je crois aux forces de l'esprit et je ne vous quitterai pas". "Encore lui !", "bah oui, vieux, il a hanté, il hante, il hantera"... Une question d'étoffe.


Mitterrand, Mitterrand, Mitterrand, Mitterrand, y a-t-il plus bel alexandrin dans la poésie politique française ?

samedi 15 novembre 2008

"Nation ethnographique"

Nous voilà repartis à la quête de la Nation turque; les propos se suivent et se ressemblent. Les indignations et les protestations s'ensuivent et se ressemblent.

Tayyip Erdoğan, Premier ministre turc de plus en plus nationaliste à mesure que les élections municipales approchent, a lancé aux Kurdes qui s'agitent : "un seul drapeau, un seul peuple, un seul Etat; celui qui refuse ce triptyque peut s'en aller". Allez oust ! Promouvant ainsi, sans le vouloir bien sûr, l'idée d'un Kurdistan. Ein Volk, ein Staat, eine Fahne.

Il fut un temps où les laïcistes invitaient Erdoğan et ses affidés passéistes vers la sortie : "si vous n'êtes pas contents, montez vos chameaux et allez où vous voulez". L'ancien Président de la République, Süleyman Demirel, celui-là même qui vient de la mouvance démocrate mais qui glisse à gauche à chaque fois qu'il ouvre la bouche, avait même osé : "les filles voilées qui veulent étudier peuvent toujours partir en Arabie Saoudite"... C'est donc une tradition : quand vous insupportez, on vous montre la porte. Ca s'appelle une Nation.

Le ministre de la défense dont personne n'arrive toujours pas à comprendre comment il meuble son temps, lui aussi, s'est lancé : "regarde, comme on est bien entre nous, heureusement que l'on a fait les transferts de population jadis, les Grecs chez eux, les Arméniens à l'au-delà, on est bien, hein ? Sans les giaours, hein ? Allez, viens que j't'embrasse". On les a spoliés et on a bien fait. L'argument est connu en France : les Juifs ont tout, ils dirigent la finance et l'industrie donc la politique et le monde. Le Ministre Vecdi Gönül a donc déblatéré contre les Levantins : "ils avaient toutes les richesses, on a bien fait; vraiment, je suis fier". Atatürk aussi l'avait avoué, il voulait un Etat national ethniquement et culturellement uni (“ırken ve kültürce türdeş ve birleşik"). Mais il n'a pas à s'en inquiéter. Ca s'oubliera. Et on se souvient alors de Nariaki Nakayama, ministre japonais des transports et du tourisme qui a dû quitter son poste quatre jours après sa nomination pour avoir dit : "nous, mes petits, on n'aime pas les étrangers, donc en tant que ministre du tourisme, je vais tout faire pour réduire le nombre de touristes; on est un pays homogène aussi, on est bien entre nous"...

La faute aux Alliés; ils avaient estimé que l'homogénéité serait mieux pour l'avenir. Le traité de Lausanne : 500 000 Musulmans vivant en Grèce postés en Turquie et 1 500 000 Orthodoxes vivant en Turquie replantés en Grèce. "Vous avez fait la Turquie, maintenant vous devez faire des Turcs" a dû souffler Azeglio...

Les Grecs se réjouissent de cette bourde ministérielle : "il a avoué le salaud, qu'ils ont fait une épuration ethnique !", "mais non, il s'ennuie dans son ministère, le chef d'état-major n'est pas son subordonné hiérarchique, ayez pitié de lui". Ce Vecdi Gönül, ancien préfet, ancien Président de la Cour des comptes était pressenti pour la Présidence de la République à la place d'Abdullah Gül. La raison ? C'est un type effacé et surtout sa femme n'est pas voilée. Et quand je pense que je le soutenais...

Une journaliste enrage : "on s'est tiré une balle dans le pied en les virant, les minorités; ils formaient notre Occidental intérieur"; les minorités étant perçues comme le moteur de l'occidentalisation de l'empire ottoman : industrie, commerce, littérature, habillement, musique, architecture, journalisme, enseignement supérieur et même la première imprimerie à Istanbul en 1490 établie par des Juifs.

Et voilà aussi les Alévis manifester; pour la première fois dans l'histoire relèvent les analystes, ils manifestent pour une cause communautariste. Ils ont raison, ils veulent échapper aux cours de sunnisme dans les écoles (malgré les décisions de la Cour européenne des droits de l'Homme et du Conseil d'Etat turc), ils veulent une reconnaissance de leurs lieux de prières, les "cemevleri", ("maisons de rassemblement") : "mais vous dansez là-dedans !", "mais non c'est notre culture et notre manière d'exprimer notre foi", "tais-toi, hérétique, dans l'islam, on ne danse pas dans les lieux de prière; si vous dansez, ce n'est donc pas un lieu de prière". Syllogisme imparable. Le Directeur des affaires religieuses tousse, comme à son habitude, "on vous aime". Et le gouvernement envisagerait de créer une "direction chargée de la question des Alévis". Enfin.

Les Kurdes sont déjà mécontents; d'ailleurs on leur a rappelé pendant longtemps que la kurdicité n'existait pas : "mais non, vous êtes nos Highlanders !"; depuis, ils veulent l'indépendance ou l'autonomie ou le fédéralisme, on ne sait plus. Le Patriarche Bartholomée a toujours les yeux embués, on ne fait plus attention... Les journalistes se bousculent pour expier la maladresse : "Aramızda zaten seyrek kalmış gayrimüslim unsurlarımız, Bakan'ın sözüne üzülmesinler; azlığın görüşüdür" (A. Turan Alkan). "Ne vous en faites pas chères minorités, les propos du Ministre reflètent la position d'une minorité"... Joli calembour.

C'est un pays comme ça. Un pays où le journal équivalent au Monde, Hürriyet (Liberté) énonce dans sa première page "la Turquie est aux Turcs". Le néo-ottomanisme est en vogue en ce moment dans la politique extérieure turque : on essaie d'intercéder entre la Syrie et Israël, le Premier ministre propose déjà à Obama de l'adouber pour s'entremettre entre les Etats-Unis et l'Iran. Et en plus, nous voilà au Conseil de sécurité. Le néo-ottomanisme, belle approche, mais on devrait aussi l'appliquer en politique intérieure. Vive le communautarisme à la Charles Taylor !

lundi 10 novembre 2008

Atatürk

Encore ? Bah oui. Aujourd'hui, je voulais me rendre au Consulat turc pour régler un problème de service militaire qui s'éternise et qui, en réalité, commence à me gonfler. Mais j'ai changé d'avis; on ne sait jamais, c'est sans douté fermé. Nous commémorons aujourd'hui la 70è année de la mort de Mustafa Kemal. Et demain, c'est le 11 novembre, les fonctionnaires du Consulat doivent faire, à coup sûr, le pont. Ils travaillent déjà beaucoup : tous les jours de 9h à 12h...

Il est une coutume : l'Eternel étant mort à 9h05, les sirènes retentissent, les gens s'arrêtent, où qu'ils soient, quoi qu'ils fassent (heureusement qu'il n'est pas mort la nuit) et enclenchent un embyon de réflexion sur le Sauveur de la Nation.

Ces temps-ci, un film fait jaser; il montrerait les derniers instants de Mustafa Kemal; rien de très grave, mais le hic est qu'il le montre dégradé, affaibli, alcoolique, diminué, comme un vieillard lambda en train de mourir. Les discussions sur sa nature ont donc repris de plus belle : les monophysites, les nestoriens et les ariens se crêpent le chignon. Comme de coutume. Deniz Baykal, le président du CHP (parti fondé par Atatürk) n'était pas content : "comment l'as-tu montré comme ça, misérable, vendu !", "mais c'est la réalité des faits, il est mort ainsi", "on s'en fout de la réalité, enjolive, qu'il meure en odeur de sainteté, réécris le scénario !"... Dans un pays où les syndicats retrouvent haleine devant le mausolée d'Atatürk lorsqu'ils n'arrivent pas à infléchir la politique gouvernementale et où les malheureux prennent en otage ses statues pour obtenir réponse à leurs doléances, on ne s'indigne même plus. C'est vrai que la Nature ne nous aide pas; il est une scène que personne n'arrive à expliquer et qui, je reconnais, m'intrigue fortement. Tous les ans, entre le 15 juin et le 15 juillet, à Ardahan, on voit cette image :




Sa silhouette. Sans raison apparente. Le Ciel s'y met aussi. Comment ne pas l'adorer.
On aime bien discuter sur Atatürk; sans doute, un des hommes les plus complexes : certains s'attellent à analyser sa psychologie, d'autres examinent les annotations qu'il a pu placer sur les livres qu'il a lus pour retracer son parcours intellectuel, d'autres réécrivent des séquences, etc. Ainsi, on apprend qu'il ne serait pas mort d'une cirrhose mais bel et bien d'un cancer. Un héros alcoolique n'est pas joyeux, il faut le reconnaître. D'autres tressent des débilités : "ouais d'accord, il buvait mais tu sais pourquoi ? Hein ? Allez demande que j'te réponde !", "Pourquoi ,", "Parce-qu'il n'arrivait pas à dormir et toc !"...

Il y a aussi les extrémistes anti-kémalistes. Des bêtes. Ils ne savent pas trop ce qu'ils disent d'ailleurs, quand vous tendez l'oreille. Deux mots sur trois sonnent faux. Mais bon, chacun son par-coeur. "C'était un dictateur, dis-le", "un révolutionnaire oui", "dictateur !", "peut-être". Un jour, un enfant, niaisement, lui aurait posé cette question : "M. le Président, on dit de vous que vous êtes un dictateur ?"; "mais si je l'étais, mon petit, tu n'aurais pas pu me poser cette question". D'accord, il voulait à tout prix moderniser la population : chapeau occidental, musique classique imposée aux paysans (ce qui en soi n'est pas incompatible mais bon); contrairement à l'histoire officielle, il n'a jamais poussé les femmes à enlever leurs voiles. Le cerveau importait plus : sapere aude !

En réalité, ce sont les démocrates qui ont déifié Atatürk; le parti démocrate, celui qui était au pouvoir entre 1950 et 1960 contre le CHP. Etrange. D'ailleurs, aujourd'hui, cette dichotomie existe toujours : les familles sont démocrates ou républicaines (CHP= parti républicain du peuple). Un peu comme aux Etats-Unis. Les républicains d'aujourd'hui sont plus la queue de Robespierre que celle d'Atatürk mais bon. Ils ne le savent pas. Ou ils le savent mieux que quiconque.
Les démocrates ont donc été les premiers à "légaliser" le culte de Mustafa Kemal. C'est le zèle des gênés : quand on vous suspecte d'anti-kémalisme, eh bien, ma foi, vous faites des lois pour essayer d'apaiser. Bustes, portraits dans les administrations et loi de juillet 1951 portant sur l'interdiction de porter atteinte à la mémoire d'Atatürk (loi concoctée par le juriste en chef de la République turque, l'Allemand Ernst E. Hirsch). D'ailleurs, le CHP, toujours mécontent, s'était opposé à cette loi; avec un argument toujours "capilotracté" : "nous demandons la démission du gouvernement, si on en est venu à protéger Atatürk par la loi, c'est que sous ce gouvernement, les actions anti-kémalistes se sont multipliées"...

Pas très à l'aise avec les hagiographies, néanmoins gonflé du sentiment de reconnaissance, je livre des photos du Héros national. Dans tous ses états. Comme un être humain.

Certes il était visionnaire :





Il était un grand homme, moderne :







Il avait donc le droit d'être fier de son oeuvre :



Mais il était homme aussi; il dansait :





Il pouvait s'amuser :






Il lui arrivait même de se reposer :






Lui, le "Chef Eternel", mangeait à la bonne franquette aussi :




Comble de sa normalité, il lui arrivait de nager et de jouer au "tavla" (backgammon) :



Il ne dédaignait personne :







Atatürk et ses relations avec son beau-père, avec sa mère, Atatürk malade, Atatürk buveur, Atatürk voluptueux, enfin, un Homme que l'on aime. Certains gémissent ouvertement : "et le nimbe !". On préfère l'homme ordinaire, dont la hauteur de vue s'irradie dans les coeurs et les esprits, sans contrainte, sans obligation. N'a-t-il pas testé : "je ne vous laisse aucun verset, aucun dogme, je vous laisse en héritage la raison et la science". Il est tout de même étonnant que ses suiveurs patentés qui l'ont pétrifié dans son piédestal sont, parfois, au bord du délire dans leur raisonnement; mais bon, je le dis souvent, ils l'ont chipé, ils sont les "interprètes authentiques" et gare à celui qui ose. Interdiction du voile pour cause de kémalisme, interdiction des privatisations pour cause de kémalisme, interdiction de l'expression libre pour cause de kémalisme... "Le kémalisme, cette idéologie absurde d'un militaire immoral, est un cadavre putréfié qui empoisonne nos vies" ? Mais non voyons, trêve de semonces. Dors en paix, Mustafa Kemal; et pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils disent...

samedi 8 novembre 2008

Prosaïsme

Voilà donc que tout le monde se lance à la recherche de son "Obama". "Attends, je l'admire encore un peu", "mais viens, on cherche le nôtre, donne ton avis !", "c'est vrai ?", "bah oui, regarde, les candidats se bousculent, une véritable foire". Eva Morales a ouvert le bal des pâmoisons : "un Morales à la tête des Etats-Unis, youppi". Deux noms que l'histoire reçoit sans broncher : Morales et Obama. Lula da Silva essaie aussi de s'aventurer, "un socialiste, ouais !"... Se dire sorti de la cuisse de Obama, le nouveau brevet. Tiens Medvedev aussi argumente : "mais euh, moi aussi je suis jeune, beau et prof de droit".

En France, on ne sait pas pourquoi mais les yeux se tournent, mécaniquement, vers le Parti socialiste, "allez, Malek, explique-leur notre formidable politique"; l'UMP ne s'en excuse même pas, ils n'ont jamais rien promis : "nous sommes une nation une et indivisible, pas de sections chez nous", "Black-Blanc-Beur, c'était quoi alors ?", "une blague, mon poulain, tu ne l'as pas encore compris depuis"... Et ils ont Rachida; et Rama et même Fadela. Nommées mais bon. Mais ils ont Nicolas Sarkozy. Le "fils d'immigré". Alors, les privautés rejaillissent, "c'est un copain Barack, regarde, on se donne des tapes", Angela Merkel soupire, elle en avait assez de ses petites mains pianotant sans arrêt sur son dos.

Alors, on redéballe tous les débats, dissertations, riottes rouillés; c'est reparti pour les soucis des "afro-français", des jeunes des banlieues, on ressert la diversité, la discrimination positive cependant que les jeunes diplômés des cités jurent de donner du bec et de l'aile pour s'imposer.

En Turquie, pays des rêveries par excellence, on ne se sent pas trop préoccupé. Le Premier ministre Tayyip Erdogan est déjà un Obama; le porte-parole des religieux, des laissés-pour-compte, des demi-sels, des miséreux; de la "vile multitude". Et que dire des Présidents de la République : sur onze, on a eu trois kurdes (Ismet Inönü, Cemal Gürsel, Turgut Özal), un laze (Cevdet Sunay) et deux caucasiens (Fahri Korutürk et Ahmet Necdet Sezer). Un Pays d'Obamas.

On l'aura compris, la problématique n'est pas la même : en France et en Turquie, ce n'est pas l'ethnie qui met mal à l'aise, c'est la religion. Un Musulman en France et un Alévi en Turquie, voilà la révolution... Le problème, en France, c'est que les fils d'immigrés ne se sentent pas culturellement Français; ils ne peuvent donc prétendre politiquement à quoi que ce soit.

On déplore souvent l'inaction des Turcs dans la vie politique française par rapport à la réussite des mêmes en Allemagne : maires, députés, conseillers municipaux à foison. C'est vrai. Et je m'époumonne à rappeler sans cesse que l'Allemagne ce n'est pas la France, que la France a un autre air, que c'est le pays des baronnies, des écuries, du conservatisme, de l'immobilisme. La France est gérée par une clique d'héritiers. Pas de place; plus de place. "Trouve-toi un protecteur", "ah bon, c'est comme ça que ça se passe ?", "bien sûr, mon grand, il faut être introduit"... La politique est un métier, ni une mission ni un sacerdoce. On vient et on reste. Et si le peuple a le malheur de vous débarquer ou que l'on ne vous trouve plus de fauteuil, on vous nomme ambassadeur à la FAO, président de l'Institut du monde arabe, président de la Croix-Rouge. Le système des arrangements. Il faut donc introduire le non-renouvellement des mandats. Unique solution. Tout le monde y passe.

Bref, on a d'abord besoin d'un Martin Luther King avant d'avoir droit à un Obama. Yes we can but over there not here.

mercredi 5 novembre 2008

"Rejoice ! Rejoice ! Obama has come"

Alors que les Français en sont toujours au comptage des "beurettes" du Sénat, les Etats-Uniens ont décidé de tourner radicalement une page de l'Histoire. La démocratie américaine s'est enfin débarrassée de ses haillons. On les aime bien, tout compte fait. Ce sont les sénateurs de la planète. Ils ont bien voté. Ils l'ont élu : Barack (ou Bouraq) Hussein Obama.





C'est comme un réflexe; on est content. Et on ne se sent pas dans l'obligation d'en égrener les raisons. Notre Français est plus que ravi; c'est le premier à lui avoir accordé une juste importance. "C'est moi qui l'ai déniché !". Les Américains se jettent des fleurs, "On est vraiment Grands". Les Kényans aussi exultent, le semeur vient de chez eux. Nous avons tous été, pendant un court moment, les fidèles du Temple américain. Adieu démocratie tavelée...


C'est le changement de philosophie qui nous réjouit; la couleur de sa peau, son formidable tempérament, sa belle rhétorique devraient, par essence, être secondaires. Mais au regard de l'histoire des Etats-Unis, c'est une révolution. Tout le monde est content : les humanistes, les financiers, les peuples, les dirigeants. Et son éloquence ! C'est un poète nous disent les analystes. Contre Bush, McCain et Palin, il n'y a pas photo.


Mais le fond est là pour au moins quatre ans; les idéologues néo-conservateurs seront définitivement débarqués. Voici donc le nouveau paradigme : multilatéralisme. Chacun sa place, chacun digne de donner son avis, chacun une place. Bush s'en va. La Mission est terminée; et comme toute mission qui se prétend inspirée, elle a été un fiasco.

Les Européens qui ont profité de l'inertie américaine, se sont déclarés nouvelle puissance sur la scène internationale. Alors le multilatéralisme tombe bien à propos. Et voilà que l'Union pour la Méditerranée démarre aussi, avec des incidents bien sûr, notamment sur le nombre de pages du rapport, le nombre de secrétaires généraux adjoints, etc. Et les religieux musulmans et catholiques prient ensemble au Vatican. Belle journée.

On attend donc le changement; chacun a son interprétation du "changement" : le Hamas voit dans ce mot un soutien à la cause palestinienne, le Soudan espère perdre le qualificatif de "terroriste", Hugo Chavez rêve d'une nouvelle impulsion dans les "relations bilatérales", l'Iran espère continuer ses sombres activités sans plus de remous, etc. "bah, il l'a dit, hein, changement, moi c'est ce que j'comprends"...


On a sans aucun doute participé au renversement; nos indignations et vexations face aux déviances lèse-démocratie les ont ramenés à de meilleurs sentiments. Ils voulaient redorer leur blason. On a l'air de venir en cure-dents, tout confus, mais on est à notre place; on veut participer à l'étreinte universelle. Allez...

Dvorak - Symphony No. 9 "The New World"

samedi 1 novembre 2008

Présidences

Les Coréens du Nord rouspètent. Ils ne sont pas contents. Ils en veulent notamment au Japon; un pays dont le Premier ministre n'hésite pas à violer le secret médical de leur guide, Kim Jong-il. "Pourquoi tu balances ?", "Je dis la vérité", "connait pas"... Et que dire des frères d'en-bas ? Ils inondent le Nord de tracts démoralisants. "Pfff et vous êtes des frères !"...


Il serait hospitalisé mais jouirait toujours de toutes ses fâcheuses capacités à prendre des décisions. Il est vivant, le "nain immonde". D'ailleurs les spécialistes nous plombent le moral : sa mort ne changera rien. Ce dynaste n'est pas un tendre; sa vie sentimentale est une autre saga.

On ne le voit plus en public depuis quelque temps; dans un pays où il est coutume d'enclencher illico presto des mouvements de bassin en l'honneur de chaque toussotement du "Cher dirigeant", il est insupportable de ne plus avoir de signes de vie. Et comme la sincère attente de ses ouailles chaut peu à la direction, on ne sait plus rien. On attend. Chacun a ses désirs. Espérance de vie, espérance de mort. Il était content pourtant. Les Etats-Unis venaient de l'enlever de cette fameuse liste; celle qui recense les "Etats soutenant le terrorisme"; un marchandage l'en a extrait. L'Union européenne préfère suivre de loin; à part les droits de l'Homme, elle n'a pas véritablement d'intérêt. Et les droits de l'Homme, voilà quoi. On apprend que la France n'a même pas de relations diplomatiques avec ce pays. Alors on s'enferre dans ce qui est le plus sûr : l'expectative.

Un autre despote en herbe, nous disent certains au sujet de Abdelaziz Bouteflika. Il fait les yeux doux aux parlementaires; la Constitution lui interdit un troisième mandat. Qu'à cela ne tienne : les parlementaires ont déjà tout arrangé; ils ont le compas dans l'oeil, c'est le candidat idéal. Alors, Abdelaziz reprend confiance et nous déclame une leçon de démocratie : "le peuple doit avoir le droit de choisir ses gouvernants". Pourquoi rappeler une évidence ? "Arrête de calomnier, c'est un homme intègre", c'est vrai. D'ailleurs, j'ai toujours été opposé à la limitation du mandat présidentiel. Même en France, dorénavant, on ne pourra plus avoir que des "Présidents décennaux", c'est rond, ça sonne bien mais non. Le Peuple doit pouvoir se balader dans le futur et dans l'histoire avec l'Homme qu'il souhaite.

Un autre peuple qui ne sait plus manier la Constitution : les Palestiniens. On ne sait plus la date de l'élection présidentielle. "Comment ça se lit ça ?", "tourne-la j'te dis". Mahmoud Abbas qui est ravi de voir le Président tunisien Ben Ali "accepter" de se représenter en 2009, essaie de grappiller un an de plus. Théoriquement, le suffrage a lieu en janvier 2009. Mais il faut savoir lire une Constitution; ça ne se lit pas "comme ça". Et c'est parti pour les contorsions, "on préfère réunir présidentielle et législatives, c'est mieux techniquement", "ouais, c'est vrai, comment on fait du coup ? on rapproche les législatives ?", "mais non, blaireau, on reporte la présidentielle !". Alors que les Etats-Unis et Israël sont momentanément occupés, Abbas se rend à Damas recevoir l'onction avant que le Hamas élise "son" Président. Deux Présidents dans un Etat qui n'existe pas encore. La fitna.

L'élection qui a, le plus, une part d'universalité, c'est celle des Etats-Unis. Alors tout le monde se bouscule : les Européens préfèrent Obama; l'Iran et la Syrie aussi, "allez délivre une fatwa", "mais elle n'a pas force juridique là-bas", "on s'en fout, balance !". La Turquie préfère McCain; il est plus martial, plus strict, plus informé sur l'importance stratégique de la Turquie et donc moins porté à utiliser l'expression "génocide arménien"... Chacun ses critères. Al-Qaida aussi serait partisan du Vieux; c'est mieux entre virils. Les intellectuels sont ravis : l'élection de Barack Hussein Obama sera un "pas important vers une société où la race n'est plus autant un sujet de division qu'elle l'a été au cours de l'histoire américaine" (Eric Foner).

Des élections, il y en a en 2009 : Iran, Afghanistan, Israël, Allemagne, Parlement européen, etc. Dans certains pays, les élections sont perçues comme un espoir, l'occasion d'un changement de paradigme et dans d'autres, ça ressemble à présenter des noisettes à ceux qui n'ont plus de dents. Christophe Barbier dit de l'UE qu'elle est "habituée à la démocratie au point d'en bâiller". Une Europe rassasiée. Ca tombe bien, le baillement a la particularité d'être contagieux.

dimanche 26 octobre 2008

Juristocratie

Alors que les "barbus" du Koweit essayaient de débarquer les deux ministres femmes non voilées, les "glabres" de la Cour constitutionnelle turque nous donnaient, encore une fois, l'occasion d'être la risée du monde entier.

Ils avaient décidé, voilà quelques mois, que les révisions constitutionnelles visant à autoriser les filles voilées à intégrer les universités étaient contraires à la Constitution. Mais les décisions de la Cour étant en pointillés, c'est maintenant que l'on apprend les motivations du dispositif. Le CHP (parti qui se croit de gauche) avait immédiatement saisi la Cour et broder un argumentaire si romancé que les constitutionnalistes, poutant rompus aux spéculations intellectuelles, avaient hésité à chausser leur binocle de peur de perdre du temps à s'indigner pour rien. Le CHP avait ratissé large : le port du voile dans les universités est contraire à la "paix sociale", à la "concorde nationale", aux "droits de l'Homme" (sic), au "nationalisme d'Atatürk" (encore lui), à l'identité constitutionnelle turque, à la séparation des pouvoirs, à la démocratie, la laïcité, l'Etat de droit et même à l'Etat social.

Les fameux 9 juges (sur 11) ont donc embrassé ce joli travail de réflexion. Le motif de base : le voile peut troubler l'ordre public. Comment ? En faisant trembler celles qui ne le portent pas. Pourquoi ? Elles peuvent être soumises à des pressions. Quand ? Un jour.

D'accord. Il est à noter que le Président de la Cour, dont la femme est voilée, a couché une opinion dissidente pour le moins brutale à l'endroit des juges majoritaires : "Les universités ne sont pas des camps militaires; le souci légitime d'assurer la discipline dans les campus ne doit pas être l'occasion d'imposer à des filles majeures un mode de pensée uniforme". Le deuxième juge minoritaire est encore plus direct : "La décision des majoritaires se fonde sur des possibilités et en tirant prétexte d'un danger qui n'arrive jamais, on viole le droit fondamental à l'éducation" (pour les turcophones, admirez l'écriture et le raisonnement : "Bir türlü gelmeyen, ne zaman geleceği belli de olmayan ama devamlı tekrarlayarak, üsteleyerek, tâze tutularak hemen geleceği vehmedilen (varsayılan), mücerret (soyut) ve mevhum (hayalî, belirsiz) bir tehlike uğruna müşahhas (somut) bir eğitim gasbına göz yumulmaktadır").

Imaginez donc le Président d'une institution tirer à boulets rouges sur ses camarades : "vous avez violé la Constitution". Heureusement, il n'existe aucune incrimination dans le code pénal. C'est étrange, c'est toujours 9 contre 2 dans les décisions de ce genre; et les deux dissidents sont toujours les mêmes. Ils ne sont même pas juristes de formation, par dessus le marché. Mais ils ont toujours le meilleur raisonnement juridique. Bizarre.

"On a raison, j'te dis, et la liberté de conscience des filles non voilées !". Ouais. Et celle des filles voilées ? "Tu m'emmerdes avec tes pinaillages ! On s'en fout de leur liberté, elles sont déjà voilées, quelle liberté ! Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude". En réalité, ces juges n'ont aucune raison d'être incompétents. Ils sont aliénés; idéologiquement. Et leur délire devient droit. C'est une décision de justice. Elle s'impose à tout le monde. Mais tout le monde sait que c'est faux. On fait comme si. On joue à l'Etat de droit.

Il faut savoir s'installer dans l'histoire. Dans Plessy v/ Ferguson (1896), la Cour américaine disait que la loi de séparation Noirs/Blancs ne pouvait être comprise comme postulant l'infériorité des Noirs. Et elle déclarait le plus sérieusement du monde : "If (...) the colored race should become the dominant power in the state legislature, and should enact a law in precisely similar terms, it would thereby relegate the white race to an inferior position. We imagine that the white race, at least, would not acquiesce in this assumption". Des rescapés de la raison. On ne retient plus le nom du juge et si, par chance, on a une bonne mémoire, on le garde pour le clouer au pilori; mais on retient toujours une larme quand on entend les noms Harlan ("Our Constitution is color-blind") et Warren ("We conclude that in the field of public education the doctrine of Separate but Equal has no place. Separate educational facilities are inherently unequal").

Le CHP est content, évidemment. "Nous sommes dans l'extrême joie de constater que nous avons toujours raison politiquement et juridiquement". Un journaliste leur rappelle : "il serait bien aussi de temps en temps d'avoir raison électoralement"...

Autre décision attendue : les motivations de la décision condamnant l'AKP comme foyer d'activités anti-laïques. Les juges, dans leur grande sagesse, estiment que les phrases du type "on peut lire des bandes dessinées quand on est enfant, mais il est interdit de lire le Coran", "il faut laisser les filles voilées aller à l'université", "mes filles ont dû étudier à l'étranger", "seuls les théologiens peuvent se prononcer sur la valeur coranique du voile", "je veux un Président pieux", "dire à une fille d'ôter son voile, c'est dire à une femme qui passe dans la rue, enlève ta culotte", "une femme voilée doit pouvoir devenir maire", etc. doivent être perçues comme une menace grave et imminente au principe de laïcité. Mais ils retiennent des circonstances atténuantes qui ont conduit, comme on le sait, non pas à interdire le parti mais à lui infliger une amende pécuniaire, du type : insistance notable à poursuivre les réformes européennes et entrée de la discrimination positive en faveur des femmes dans la Constitution.

Voilà donc : vous êtes chariatistes mais nous remarquons avec plaisir qu'en fait vous êtes loin de l'être. D'accord. "L'hypocrisie n'a pas la puissance de la conviction" (Lamartine).

samedi 25 octobre 2008

La quille

Voilà bien un geste qui piète les plus conservateurs et excite les plus libertins. Une mère, psychologue, a organisé une fête pour célébrer le premier jour des règles de sa fille. En Turquie. Certains rougissent, d'autres toussent, la plupart se taisent et une minorité est plus que ravie : "elhamdulillah, vive l'émancipation".


A la réflexion, on mesure la discrimination qui frappe les jeunes filles qui, par le sang, changent d'état et apprennent, en passant, l'histoire sulfureuse d'Eve. Les états liés à la plus close intimité gênent toujours; une pudicité naturelle qui n'épargne pas les plus olé olé. Mais voilà : la circoncision des marmots ne génère jamais autant de vapeur. Les familles sont émues de l'événement, le père voit son fils devenir homme, la mère reçoit gentillement les cadeaux et pièce d'or (c'est une tradition), l'enfant est comblé et galvanisé. Il devient homme. Les filles se font infiniment plus discrètes lors de leur "passage"; la tradition voulait (mais paraît-il qu'elle n'existe plus) qu'elle reçût même une petite baffe. En guise de bienvenue au monde des femmes. Drôle d'initiation. "Comment as-tu osé ?", "mais t'es folle ou quoi, maman !", "chut! prends ça, paf"...


Les langues se délient, naturellement; les femmes commencent à témoigner, les moins jeunes racontent leur calvaire, les formules diplomatiques à utiliser dans ces moments-là et les précautions retorses à garder en tête. La formule était universellement connue : "je suis malade" affirmait la Dame; petit, on ne comprenait pas; les arcanes cédant, on sait ne plus insister. Par exemple, quand une femme ne prie pas ou ne jeûne pas, on sait. Alors personne n'ose lui montrer le chemin de la chambre où se trouve le tapis de prière. Elle ne se manifeste pas, elle est donc "malade". Une journaliste reconnue raconte ses anecdotes; le classique : noyer les serviettes hygièniques dans le cadis rempli artificiellement. Un peu comme les hommes et leurs préservatifs, des achats inutiles pour passer plus "dignement".


La Direction des affaires religieuses s'est immédiatement déclarée compétente et a fait preuve, il faut le reconnaître, d'une grande ouverture : les seize docteurs de la Loi qui siègent dans le Haut Conseil des fatwas, c'est-à-dire ceux qui donnent un avis religieux en dernier ressort, vont prendre des cours de gynécologie; "non, pas ça, pas le calice", "arrêtez de broncher, vous allez en apprendre des choses, doucement mais vous allez voir, ce n'est pas inintéressant...". Ils ne sont pas ignares en la matière pourtant, ils sont tous mariés. Mais l'expérience ne suffit pas, il faut de la science. Le proverbe le dit si bien : il n'y a jamais de honte en médecine et en religion.


Les théologiens, qui ont l'habitude de donner leur avis sur tout et de s'invectiver à la moindre occasion, réajustent leurs cravates et se lancent : "tiens, après tant d'années de recherche, j'ai découvert qu'une femme peut prier, jeûner et toucher le Coran lors de ses menstruations", "menteur, rétracte-toi !", "c'est toi l'apostat !", "oust !"... Süleyman Ateş, l'ancien "grand Mufti" de Turquie, un des plus libéraux, en profite pour régler des comptes : "l'islam ne considère jamais la femme en règles ou en couches comme étant intrinsèquement sale; l'interdiction des relations sexuelles dans ces moments ne vise qu'à soustraire la femme à une fatigue supplémentaire. Mais la Torah la considère comme impure, haha". Et tiens les références : Lévitique 12/2-5 et 15/19-32. Sans commentaire.


Les théologiens phosphorent à nouveau, les femmes se libèrent, les hommes se taisent, on commence à recevoir des invitations pour fêter les règles de votre fille, on découvre le proverbe "la prison la plus redoutable est celle que l'on se construit soi-même" et finalement on contribue à la marche de l'humanité. D'ailleurs, c'est la recette : l'audace d'un seul suffit à banaliser un tabou. Et on est content. Une hypocrisie de plus dégommée. Tout le monde se lance des oeillades, "t'as bien fait". Les oreilles de la Nation sont circoncises, voilà bien une porte ouverte; quand un seul pisse contre le vent, c'est la tribu qui en pâtit. Nous vivons dans un monde où tout attentat contre les moeurs est perçu comme une victoire sur on ne sait trop qui. Un monde où les profondeurs sont diligemment comblées. "Allez, allez, on s'occidentalise !". Hadi bakalım...

mardi 21 octobre 2008

Reliquats

Il est des principes qui sont universellement reconnus et qui apparaissent, instinctivement, frappés au coin du bon sens; par exemple celui qui rejette catégoriquement la discussion avec les terroristes. Un terroriste. Le mot est froid, la prononciation même trahit un effroi. Comme celle de Maurras. On sent qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Il faut savoir humer les mots. Sans remplir, on ne déverse pas.


On apprend que Hamid Karzaï, tout penaud, essaie de prendre langue avec les Talibans. "Calme Hamid, calme" lui disent les Etats-Uniens; peu importe, il veut montrer qui est le Chef. Les élections présidentielles sont d'ailleurs prévues dans quelques mois, ça tombe bien. Il est temps d'entrer en campagne. "Dans un pays comme l'Afghanistan ?", "Mais bien sûr, les Occidentaux ont au moins établi la démocratie, il faut séduire les tribus". Les Afghans, qui sont, bien évidemment, des citoyens comme les autres, veulent un changement; alors on voit Karzaï sermonner les Alliés : "doucement, voyons, ne faites ce que faisaient vos prédécesseurs, n'allez pas bombarder les civils non plus; doucement. On ne sait plus qui est qui". Pour la frime. Il s'est vité calmé. "Tu veux qu'on parte ?", "bah quand j'y pense, il faut redoubler d'efforts, hein, qu'est-ce t'en penses ?"...




Une respectable coutume en train de se briser : "comment ose-tu te fricasser le museau avec cette engeance !", "C'est le seul moyen de ramener le calme", "mais qui te parle de calme, on veut restaurer le chaos". Lapsus nous disent les conseillers. Bush n'a jamais maîtrisé l'anglais se désolent les responsables. Bon, bon. Le tri aurait commencé : "alors, ce barbu, il nous fait la guerre pour quoi ? Par idéologie, pour de l'oseille ou pour le marché de la drogue ?". L'on veut débaucher les plus "modérés", ceux qui ne luttent que pour des raisons matérielles. On leur remplit les poches et ils changent de camp. On recrute les caméléons, en somme. Joli départ, belle stratégie... On va aller loin avec ces fourbes. Les Turcs disent : "Emanet eşşeğe binen, çabuk iner", "celui qui monte un âne prêté, descend vite".


Jadis, Arafat était un terroriste; assumé en plus : "la lutte armée est la seule voie". Après, on l'a vu à l'Assemblée générale de l'Onu; et à Oslo, sa main "pleine de sang" dirigée vers celle de Rabin; on connaît la suite : le Nobel de la paix... Kadhafi s'était également "repenti", quand, comment, personne ne le sait mais c'est comme ça. Alors, une des premières accolades était venue de la France...


En Turquie, le Premier ministre refuse de serrer la main aux députés du DTP, vitrine politique du PKK; celui-là même qui avait accueilli sur le sol turc les "terroristes" du Hamas palestinien en 2006. La lassitude du peuple dans la lutte contre le PKK le pousse à discuter avec Barzani, épouvantail jusqu'alors. Une autre épine est ôtée. Et certains affirment clairement qu'il est impossible d'établir la sérénité sans Abdullah Öcalan, le terroriste en chef qui croupit dans une île-prison.


Certes, on voit mal les Américains s'asseoir autour d'une table avec Ben Laden; d'ailleurs, on ignore sur quoi les négociations porteraient. On ne connaît ni les griefs ni les remèdes. Seule la mort de l'une des parties semble l'issue. La revendication doit être "sensée"; rien de cela dans ce cas de figure. En Colombie, Uribe, dont on n'a jamais rien compris à la stratégie, a repris de la vigueur; le combat à outrance. D'ailleurs, les Révolutionnaires ne savent vraiment plus ce qu'ils veulent. Alors, on évoque la tradition. Beaucoup de pays ont leur boulet; et presque tous resserrent les boulons. "Pas de pitié pour les sanguinaires". C'est vrai. La vengeance, c'est le nom que l'on emploie souvent pour effacer les conséquences de notre propre injustice.


La conscience universelle a connu multitude de guerres au cours de l'histoire et dans différents espaces : on se fâchait, on s'insultait, on combattait, on tuait, on s'horrifiait de ce que l'on était capable de faire alors on réfléchissait et on signait; les ennemis côte-à-côte. Et personne ne pondait des inepties du genre : "comment peut-on discuter avec nos ennemis !". Il le fallait bien, c'est la loi du combat, il faut une fin. "N'importe quoi, c'est un peu tiré par les cheveux !".


Il faut savoir lutter efficacement contre ce fléau qui assèche la richesse et l'énergie d'un pays, par tous les moyens. "On fait de bons terroristes avec les fils des suppliciés" (Malraux). Un cliché certes mais la clé aussi : il faut attaquer les causes autant que les symptômes. "Ah, bah, ça, ne m'en parle pas !"...