dimanche 31 octobre 2010

Sexologique

Je me demande parfois ce que doit bien ressentir Sa Sainteté Benoît XVI lorsque Berlusconi lui baise la main. Deux hommes de droite, pourtant. L'un est conservateur, l'autre est "réactionnaire", fonction oblige. Mais c'est que l'un est un "dépravé" notoire, et l'autre, pardon, le Saint-Père, est à la tête d'une Église qui compte pas mal de types qui, comme le dirait Prosper Mérimée, ne hantent "les églises que pour y chercher des occasions de péché". C'est à pouffer. Il doit être immunisé, l'évêque de Rome, cela dit. Mithridatisé. C'est qu'au fil du temps, il a lui-même compris que ceux qui s'empressent d'emboucher sa main souillent plus qu'ils honorent l'anneau papal...


On s'en souvient. Notre Président avait dû se rendre seul au Vatican. Car le Pape ne voulait pas d'une femme qui passe pour dévergondée. C'était une manière, en réalité, de s'aligner sur ce qu'avait écrit le journal iranien Kayhan. Mais là, ça ne choque pas. Personne n'a pensé à hausser le ton, évidemment. Car c'est le Souverain Pontife qui le dit. En son temps, les officiels saoudiens avaient également opposé un veto à son arrivée au royaume. C'est qu'elle n'était alors que la "maîtresse" du Président. Dommage d'ailleurs, on aurait eu l'occasion de voir la First Lady saoudienne, peut-être...


Berlusconi, donc. On sait que la bouche du sexagénaire sécrète un filet de bave lorsqu'il voit une chèvre coiffée. D'ailleurs, il vient de le reconnaître : "j'aime la vie, j'aime les femmes". C'est un homme, nom de Dieu. Il désire. Même à 74 ans. Faire des galipettes à cet âge-là n'est pas aisé, à coup sûr. Lui, il exulte. Et le leader du parti démocrate, un homme de gauche, demande sa démission alors qu'il devrait l'envier. "Pourquoi ?", "Parce-que ça serait indigne ce qu'il fait", "au XXIè siècle ?"... Je ne sais pourquoi mais lorsque les termes gauche et morale ont l'occasion de se frôler, j'ai envie d'éclater de rire. C'est bête; c'est injuste. Mais c'est comme ça.


Berlusconi, un pédophile de plus. Ou éphébophile pour être précis. Sa minette avait 17 ans, cette fois-ci. Évidemment au XXIè siècle, coucher avec un "mineur-majeur sexuel" consentant n'est pas répréhensible, Dieu merci. Car comme on le sait, nos hauts fonctionnaires ont pris soin, un de ces jours, de distinguer majorité civile et majorité sexuelle. Et comme on s'y attendait, c'est la seconde qui s'atteint le plus vite; en France, pour voir la feuille à l'envers, il faut avoir 15 ans et pour voter 18 ans. Pourquoi ? Personne ne le comprend. Dans les religions, c'est simple : le jour où des cartes de géographie ornent les draps, on est majeur dans tous les sens du terme. Car quand on se confronte à un liquide qui vient de soi à l'impromptu, on grandit. La panique, les cachotteries entraînent attention, délicatesse, vigilance et finalement conscience. La fertilité rend mature. C'est "l'irruption de l'esprit", pour reprendre un concept cioranien.


A 15 ans donc, on peut mettre en pratique ce qu'on apprend dans les cours de biologie. Les films pornographiques restent cependant interdits aux moins de 18 ans et les films érotiques aux moins de 16 ans. Incohérent, non ? Le boutonneux de 15 ans peut avoir goûté à toutes les expériences sexuelles qu'impose l'air du temps, il n'aura pas le droit de regarder un "simple" film érotique. Larry Clark, par exemple, expose ses photographies relatives justement aux "dérives de l'adolescence" mais la ville de Paris interdit l'accès aux mineurs. Car le code pénal veille. Le problème n'est pas l'interdiction; c'est ce dont on doit entendre par la minorité.


A une époque où l'âge de "la première fois" baisse, il faut un changement de paradigme, évidemment. Rien de nouveau. Les pétitions des années 70 sont connues. Un mineur est civilement responsable à 13 ans; une mineure peut obtenir la pilule à 13 ans. Où est la logique ? Pourquoi ne peuvent-ils pas s'enlacer et "plus si affinités" ? Ce n'est pas moi qui le dis, non, c'était Aragon, Barthes, Beauvoir, Deleuze, Glucksmann, Kouchner, Lang, Sartre ou Sollers entre autres...


En réalité, le fond du problème est clair : l'Etat fixe une norme de pudeur. Pas de sexe avant 15 ans. Pourquoi ? Parce-que. Voilà où nous en sommes. Ce qui relève de la morale a un appui législatif. C'est cela qui est illégitime. L'argument qui est souvent invoqué est tout sauf pertinent : le mineur de moins de 15 ans ne saurait discerner ce qui est convenable et ce qui est redoutable pour sa vie. Il faut le protéger des prédateurs; au besoin, malgré lui. Or, personne ne peut me convaincre qu'un pubère à qui on apprend des sujets aussi graves dans les programmes scolaires est intellectuellement immature. On comprend donc qu'il s'agit tout bonnement d'une lubie de l'Etat de définir la moralité. Or, les enfants sont sous la verge de leurs parents, pas de l'Etat. La sexualité des citoyens n'est pas une affaire de l'Etat et la Nature humaine n'a sûrement pas à être rajustée par lui...

dimanche 17 octobre 2010

Eristique

Rougir. Cramoisir même. L'on devrait. Etre écoeuré; foudroyé. On tressait des couronnes au CHP parce-qu'il avait adopté une nouvelle rhétorique. Il l'avait juré, il n'allait plus s'en prendre aux voilées. Dans les yeux. La démocratie turque allait enfin se normaliser. On allait enfin mettre fin à la plus vile violation d'un droit humain. Celle qui semblait, pour certains écervelés, légitime, justifiée, existentielle. Le voile allait être respecté car le CHP parlait de liberté religieuse. On allait cesser de les brimer, de les prendre pour des réactionnaires. Les conservateurs en tête du cortège, tout le monde galochait; l'euphorie généralisée noyait les frêles contestations des fascistes. Respect et voile, deux mots auxquels on permettait désormais de s'approcher. "On a l'impression que tu nous contes en direct la libération de Mandela, calme calme, c'est si important ?", "oui, hiç sorma, on allait étreindre la vraie laïcité !"...


Et paff ! On a vite déchanté. Car quand on chasse le naturel, il revient au galop. Déception totale. Encore une fois... "Comment ont-ils renié cette fois-ci ?". C'est que le Président de la République, le mari de la voilée comme on sait, a invité la classe politique à la réception du 29 octobre, date anniversaire de la proclamation de la République en 1923. Le nouveau CHP refuse d'y mettre les pieds. L'ancien CHP, celui de Baykal, protestait aussi car Madame le Président était voilée. Les militaires aussi, boudaient. Du coup, le Président, très conciliant à mon goût, avait organisé deux réceptions : le matin sans les épouses pour les hauts fonctionnaires et le soir avec les épouses pour la société civile. Le Président des Deux Turquie... Ainsi les fonctionnaires du ministère des affaires étrangères venaient le matin mais les diplomates étrangers n'étaient là que le soir... La laïcité tenait ferme...


Eh bien voilà que l'islamiste Gül a décidé, cette année, de faire le service minimum; désormais, un seul banquet. Avec épouses. Et le Président a envoyé des cartes "tronqués". Il aurait omis de qualifier le régime qu'il est censé présider; un signe, évidemment. "Président de la Turquie", il aurait fait sciemment écrire. Et non "Président de la République de Turquie". Car c'est un chariatiste, il déteste la République, surtout la sienne, celle de Mustafa Kemal. Il le prouve tous les jours : sa femme est une voilée rémanente, ses filles et brus également; et il ne boit pas d'alcool dans le palais de Mustafa Kemal (oh la la !). Heureusement que la Présidence a rappelé que les anciens Présidents Demirel et Sezer utilisaient aussi cette même expression...




Qui sait que le Président de la Turquie ne vit pas au Palais présidentiel mais à la résidence du ministère des affaires étrangères ? Qui s'intéresse à cette femme qui se fait en permanence humilier ? Cette femme pue. Elle pue au nom de la République. Les militaires se détournent d'elle, l'opposition la prend pour une sorcière.


Le porte-parole du CHP qui a annoncé ce boycottage au nom, évidemment, des valeurs de la République, demande, en réalité, qu'on en revienne au système de la double réception; il veut une restauration de l'apartheid, en somme. On a honte de ces gens, de leur turcité, de leur humanité. Et il n'en démord pas, le Sieur : "ces temps-ci, nous sommes restés silencieux sur la question du voile; c'était pour voir jusqu'où l'AKP allait s'aventurer, eh bien, on vient de le voir, ils veulent en réalité une liberté pour le voile partout, dans le primaire, le secondaire, l'administration ! On les a eus !".


Dans ma pige, je m'interrogeais, "métamorphose ou tactique ?"; j'ai eu ma réponse, je crois. Il est content d'avoir préparé un guet-apens pour voir à peu près jusqu'où l'AKP voulait promouvoir les droits de l'Homme. C'est un cerveau... Le "leader" du CHP, lui, jure ne pas être au courant de cette décision. "Nous n'avons encore rien décidé, le porte-parole a donc exprimé une opinion personnelle". L'excuse est encore plus misérable; le président ne préside rien. Et comme s'il y avait quelque chose à décider. "Oui nous allons y aller, fort heureusement, nous sommes le parti de Mustafa Kemal, nous avons fondé la République, nous serons honorés de fêter cela". Voilà ce qu'on aurait voulu entendre. Nerdeee...


Soi-disant, ils défendent la laïcité. C'est faux, évidemment. La laïcité n'a rien à voir avec cette pathologie. Ils brandissent la laïcité non pas pour elle-même en réalité, mais en réaction à la religion. Car ceux qui "adorent" la laïcité n'ont jamais ouvert la bouche pour les droits des orthodoxes, par exemple. Au contraire, ils aboient à chaque fois que le gouvernement essaie de leur "restituer" leurs droits. Enrobée dans le nationalisme le plus affreux, la laïcité s'apparente alors à du fascisme. "Il faut les interner, hein, dis-le !". Ils ont hypothéqué l'avenir des gens, leur sourire, leur insouciance, leur normalité. Quoi de plus psychopathologique ?


Les "écrasés" contre les "psychopathes". Voilà, en réalité, la cartographie politique actuelle. Des psychopathes en sont toujours à seigneuriser leurs plastrons. Des souffre-douleur, ce que la République turque a engendré de mieux. Une tragédie. Et nous, nous parlons d'argumentation, de droits. C'est une éristique. Ils discutent pour le plaisir de créer des controverses.


Et quelle serait l'explication rationnelle d'interdire le voile dans l'administration ? Dans un pays où 70 % des femmes portent tant bien que mal un foulard, comment peut-on leur défendre l'accès aux emplois publics ? On se souvient de la professeur d'histoire en France. Celle qui enseignait "trop" la Shoah; "surinvestissement dans l'enseignement de la Shoah"; "approche trop mémorielle". L'enseignante juive n'avait pas besoin de porter une étoile de David pour "influencer" ses élèves; Madame faisait cours, les larmes aux yeux. Non ce n'était pas la conférence d'une rescapée, mais un cours d'histoire. Les juifs ont immédiatement protesté. Même s'ils sont pour la neutralité du service public. Le CRIF était évidemment "en action".


Cela montre bien qu'on n'a pas besoin de porter un signe religieux pour perdre son impartialité. La neutralité du service public concerne la prestation, non l'agent. La magistrate voilée va juger en fonction du droit et non de son codex religieux (la garantie étant la voie de recours), l'enseignant va donner des leçons en fonction d'un programme et non raconter sa mémoire familiale (la garantie étant la suspension), un agent de la CPAM va remplir le dossier de CMU en fonction des critères fixés par décret et non en fonction des orientations sociales de sa religion, idem pour la dame du conseil général qui va étudier le dossier de RSA. Et dans le domaine médical, ce n'est pas d'aujourd'hui que date l'existence des clauses de conscience.


La théorie de l'apparence n'a aucune pertinence puisque comme son nom l'indique, il s'agit d'une simple apparence. Et j'ai la faiblesse de penser que la liberté de religion des uns est beaucoup plus importante que la crainte hypothétique des autres. "C'est trop théorique tout ça ! Il y a des pressions dans la pratique !". Sans doute. Un père qui force sa fille à porter le voile n'est pas un cas singulier, oui. Un fiancé qui presse sa dulcinée à s'enturbanner, non plus. Mais la réponse ne peut être que : la fille doit faire preuve de personnalité. Elle doit porter plainte. "Contre son père ?". Oui. Car l'Etat n'est pas là pour lui tenir la main, ad vitam aeternam.


L'autonomie des personnes dépend d'elles-mêmes, pas de la caution étatique. Une société libérale ne saurait voir le jour sans qu'il y ait des déchirures intra-familiales. Si on s'adosse sur la "garantie préventive" de l'Etat, on n'éradiquerait jamais le paternalisme. Une vie de tension permanente entre les exigences rétrogrades du père et les exigences libératrices de l'Etat. Cette présence étatique ne fait que pousser à la passivité. Or, si les filles se libèrent elles-mêmes de la "contrainte morale" du père ou du frère, là on pourrait espérer un processus irréversible, à cliquet. L'Etat ne sera là que pour sanctionner ceux qui enfreignent la liberté individuelle, pas pour "geler" la tension. S'il doit y avoir émancipation, elle doit résulter d'une dynamique interne. D'une explosion interne. Des larmes et des drames. Les petites pierres qui pavent le chemin de la liberté...

lundi 11 octobre 2010

Mos maïorum

Ca y est; la République a triomphé. Le Conseil constitutionnel a validé la loi; une loi qui dit que « nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage ». Les musulmanes par trop bigotes devront, dorénavant, montrer leur bouille. Babeth voulait le sourire, elle l'a obtenu. "Ah qu'elle doit être contente !". Et les têtues devront casquer 150 euros ou seront envoyées dans un camp pour apprendre la citoyenneté. "Mais moi je suis un homme, je voulais juste narguer la loi !", "ça fait rien, on va t'apprendre comment être une bonne gonzesse française, mon cochon, t'entends ! FRANCAISE !" Pas de panique, évidemment. On libère. La République a écrasé la liberté de religion mais c'est pour le Bien. Désormais, Franciae Franco modo vivitur.


Le Conseil se fonde sur la sauvegarde de l’ordre public en se défaussant sur le législateur : « le législateur a estimé que de telles pratiques peuvent constituer un danger pour la sécurité publique et méconnaissent les exigences minimales de la vie en société ; qu'il a également estimé que les femmes dissimulant leur visage, volontairement ou non, se trouvent placées dans une situation d'exclusion et d'infériorité manifestement incompatible avec les principes constitutionnels de liberté et d'égalité ».

Sécurité publique, ordre public sociétal, liberté et égalité. Les quatre mots-clés que le Conseil d’Etat avait précisément écartés dans son « étude relative aux possibilités juridiques d'interdiction du port du voile intégral » du 25 mars 2010. Admirez l'audace des Sages : le législateur pense que ... donc... "Ah bah si votre boulot, c'est juste de surligner ce que dit le législateur, on ne va pas vous retenir plus longtemps hein!", "dis pas ça, le Conseil est rempli de juristes compétents; Debré, Chirac, Giscard d'Estaing, Steinmetz, Guillenchmidt, et surtout Charasse et Barrot, ils ont passé leur vie dans la magistrature et sont versés dans le droit des droits de l'Homme, pfff !".


Je veux bien mais... Mais voilà quoi : les motifs du Conseil sonnent comme faux. L’ordre public serait ainsi menacé alors qu’aucune atteinte à la sécurité publique n’a été jusqu’ici relevée ; la liberté serait fragilisée alors que la soumission à un impératif ressenti comme religieux, même « radical », est précisément protégée par la liberté de religion ; l’égalité serait ébranlée alors que les autorités ne sauraient porter une appréciation sur la légitimité des croyances religieuses ni leurs modalités d’expression. Le Conseil va beaucoup plus loin en consacrant un véritable « ordre public sociétal » qui a trait à un socle de valeurs minimales que devraient partager les membres du corps social. C’est là que le bât blesse : un ordre public lié aux « exigences minimales de la vie en société » fait dorénavant partie de l’univers juridique.

La liberté de religion est sacrifiée sur l’autel du républicanisme. Assez étrangement, le Conseil cite, dans son dossier documentaire, l’arrêt Ahmet Arslan et autres contre Turquie, rendu par la Cour européenne des droits de l’Homme le 23 février 2010 mais n’en tire aucune conséquence. Dans cette affaire, la Cour de Strasbourg condamne la Turquie pour avoir porté atteinte à la liberté de religion des membres d’une confrérie auxquels il était reproché de s’habiller conformément à leurs conceptions religieuses « dans les lieux publics ouverts à tous comme les voies ou places publiques ». Le Conseil constitutionnel s’est contenté d’une réserve d’interprétation : cette restriction ne saurait s’appliquer dans les lieux de culte ouverts au public.

Le vivre-ensemble devient le nouveau paradigme. La preuve en est qu’un stage de citoyenneté pourrait être imposé par le juge. La sociabilité devient une exigence juridique. Les questions s’accumulent : comment une loi peut interdire l'anthropophobie, la réclusion voulue, le droit à la singularité voire à l’excentricité ? Le mode de vie de la majorité ou la conception de l’esthétique en vigueur dans le pays deviennent-ils les seuls étalons ? La République a-t-elle pour fonction de promouvoir un mode de vie ? "C'est bien ça" vient de répondre, le Sieur Seehofer, de l'outre-Rhin; avec son fameux distinguo des immigrés en fonction du "milieu culturel". "T'as vu, il n'y a pas que la France qui s'en prend aux musulmans !"... Le pauvre Président Wulff avait fait une gaffe en déclarant que "l'islam fait partie de l'Allemagne". Toute l'Europe s'était effondrée; France et Allemagne, mon cher, un couple moteur...

Le brevet de constitutionnalité est acquis, reste à attendre le brevet de conventionnalité. Car à défaut d’un revirement de jurisprudence opportuniste, les formulations de la Cour européenne dans l’affaire précitée restent pertinentes : « la Cour relève d'abord que les requérants sont de simples citoyens : ils ne sont aucunement des représentants de l'Etat dans l'exercice d'une fonction publique ; ils n'ont adhéré à aucun statut qui procurerait à ses titulaires la qualité de détenteur de l'autorité de l'Etat. Ils ne peuvent donc être soumis, en raison d'un statut officiel, à une obligation de discrétion dans l'expression publique de leurs convictions religieuses (…). La Cour relève enfin qu'il ne ressort pas du dossier que la façon dont les requérants ont manifesté leurs croyances par une tenue spécifique constituait ou risquait de constituer une menace pour l'ordre public ou une pression sur autrui » (Ahmet Arslan et autres c. Turquie, 23/02/2010, § 48-50).

Une éventuelle condamnation ne devrait pas, alors, être vue comme « une victoire des extrémistes » mais un rappel aux engagements de la France en matière de droits de l’Homme. Il est marrant de le noter : cette décision du Conseil enfreint le principe de laïcité. "Elle est bonne celle-là !". Si si. Ce principe sacré qui garantit aux minoritaires de vivre leur conception de vie et de ne pas s'aligner sur les "habitudes" des majoritaires. Ca nous fait une belle jambe : la Cour européenne donnera-t-elle une belle leçon de laïcité à son géniteur ? On s'en esclaffera le moment venu; aujourd'hui, la moue est de rigueur.

lundi 4 octobre 2010

A toute bringue !

C'était bête mais c'était comme ça. Jusqu'à maintenant, le CHP, parti de gauche nationaliste, narguait la Présidence de la République. C'est que le maître de céans, un certain Abdullah Gül, avait une femme; "et alors ?", "attends !". Une femme donc. Elle est voilée. Non non, pas comme celle d'Ahmadinejad, un peu plus moderne. On voit son visage. Il est joli, dit en passant. Et elle arbore souvent un de ces sourires qui vous enchantent. Ça tombe bien, le Président Gül est aussi un homme gracieux. Son prédécesseur, Ahmet Necdet Sezer, avait une de ces tronches qu'on qualifierait respectueusement d'inexpressive.



Le CHP donc, protestait. Car une femme voilée avec un Président "islamiste repenti" n'était pas très sortable pour la République turque; laïque, hypermoderne, un parangon de démocratie, un phare dans le monde, comme on le sait. C'est que "Çankaya", l'Elysée turc, avait été la demeure de Mustafa Kemal. Et c'est une horreur, pour un laïciste, d'y voir grimper un couple d'obscurantistes. Car Mustafa Kemal, lui, ne connaissait pas le voile, comme on l'imagine; ni sa femme ni sa mère ni une femme de son entourage, ne portaient ce fichu. Il était moderne, lui. Civilisé, raffiné, cultivé. Un faune, en plus. Une femme enturbannée étant, comme il faut le deviner, soumise, limite inculte, loin du raffinement. Puisqu'il faut montrer un bout de chair pour être une Madame.


Et c'est Atatürk, messires. Une histoire d'image. Tout ce qu'il a frôlé devient relique; son yacht, par exemple, le Savarona, on ne sait plus quoi en faire; l'Etat l'avait loué à un homme d'affaires; on s'est rendu compte qu'il l'a transformé en lupanar. Une "reconversion" indigne, assurément. L'Etat l'a "renationalisé"; le ministre des finances brandissait fièrement sa fermeté. "J'ai immédiatement ordonné de dénoncer le contrat, c'est un scandale !". Mais oui. Parce-que Mustafa Kemal y a posé son illustre fessier quelques semaines. Un monument national, désormais.


CHP re-donc. Son nouveau "leader", Protée Kemal, est plus conciliant, lui. Quand le Président de la République ouvre la session parlementaire en octobre, il est de coutume de l'accueillir en se levant. De coutume; une règle non écrite. Tout est fonction de son propre niveau de civilité. Eh bien, jusqu'alors, le CHP du débauché Baykal, ne se levait pas. Ils protestaient. Car ils abhorraient. Il ne faut jamais se faire détester par un kémaliste, dans la vie; une rancune tenace. Alors on voyait Deniz Baykal, un homme bien élevé, et toute sa vile cohorte, regarder en l'air, à droite, à gauche quand le chef de l'Etat entrait. Et exploit, ils ne rougissaient pas... Kemal Kiliçdaroglu a su se débarrasser de cette absurde démonstration. Il s'est levé ! Et tous les analystes ont applaudi. Un pas de plus vers la "normalisation", la "réconciliation nationale". Nous sommes en 2010... On se vante : l'opposition respecte bien le Président de la République. Quand le nôtre avait "convoqué" le Congrès, les députés de gauche présents s'étaient levés, histoire de "respecter le protocole républicain". La politesse française...


Ça ne rigolle plus, vraiment. Le CHP refusait, il y a encore quelques semaines, de papoter avec l'AKP pour réviser la Constitution; il ne voulait pas se souiller. Et Baykal avait trouvé un rempart : un Parlement en fin de législature ne peut plus changer la Loi fondamentale. Un professeur de sciences politiques, il est. Mais ses collègues n'ont jamais pu comprendre où il avait pu trouver une telle "théorie". Lui non plus, ne le savait pas. Il écrivait "sa" théorie; en direct; sur le tas; en fonction de la pratique. Mais voilà encore, la différence de Kiliçdaroglu : "allez, j'en appelle au premier ministre; qu'on boucle une nouvelle Constitution, la semaine prochaine ! Avant les élections, c'est mieux, allez !", "mollo, très cher, l'autre avait inventé une nouvelle théorie, celui-là crée une nouvelle pratique", "allez, j'ai dégainé mon stylo, regarde, il brille"...


Avoir les yeux embués, ça s'appelle. Et ne vient-il pas d'exprimer son souhait de régler une fois pour toute la question du voile. Youppi ! On tend l'oreille, donc : "regarde, j't'explique : les choses sont claires : dans l'islam, il n'y a pas une seule manière de se voiler; je propose d'harmoniser notre fatwa à la mode iranienne et pakistanaise selon laquelle les filles montrent quelques mèches, hein, qu'est-ce t'en penses ?". Si si. Sa fameuse commission Ayata; il y tient Kiliçdaroglu. Un "foutage de gueule", évidemment.


Non, tout cela est merveilleux. Honni soit qui mal y pense. Un parti d'opposition qui propose, c'est déjà cela. Stratégie, peut-être; peu importe. Le Premier ministre le constate : Kiliçdaroglu, avec sa boulimie de projets, le prive de ses thématiques de campagne électorale. Il ne pourra plus brandir "nouvelle Constitution freinée par les réactionnaires CHPistes !", "liberté pour le voile contrariée par l'establishment CHPiste !", "réconciliation avec les Kurdes menacée par les nationalistes CHPistes !", etc. On comprend alors l'indolence d'Erdogan à réagir aux coups de boutoir du CHP. Il a peur de devoir trouver d'autres propositions; qu'il n'a sans doute pas...


Il est là, l'apport de Kiliçdaroglu : l'argument de la démocratisation ne sera plus l'apanage de l'AKP. L'échiquier politique se refaçonnera alors en une bipolarisation plus classique : gauche contre droite et non plus démocrates contre fascistes. Et ceux qui votent en fonction de l'impératif de démocratisation pourront alors reprendre leur réelle identité idéologique. En clair, l'homme de gauche qui votait l'AKP jusqu'à maintenant au nom de la démocratisation, pourra dorénavant voter pour le CHP au nom des valeurs économiques et sociales qu'il défend. Car ce fut un luxe que d'avoir une opposition droite/gauche dans un pays non démocratique. On va s'éclater. Monsieur Kiliçdaroglu, insistez ! L'Histoire vous a ouvert ses bras...