vendredi 7 février 2014

A quelque chose malheur est bon

Le dépit a de beaux yeux, m'a-t-on dit. La vie contrarie, c'est une bonne chose. Les corps nous entourent, les démons nous conseillent, le désir nous consume. Il n'y a qu'un pas à franchir pour "s'extasier" dans le "bourbier". Mais le surmoi sirène. La tête se courbe, le cœur se couvre. De quoi ? De volupté et de chasteté. L'épreuve. Qui demande endurance. Porter un corps n'est pas une mince affaire. Supporter un sentiment est un enfer. L'humain crie désir, le Ciel résonne : interdit. Pourquoi ? Oukase, me dit-on. C'est comme ça. Le Malin inonde ce qu'il est en droit d'inonder. L'humain oppose ce qu'il est en son devoir d'opposer. Abdiquer, c'est revendiquer. Laisser l'ardeur tourner en rond et se jeter dans l'espérance de l'infini...
L'intimité à deux est beaucoup plus intimidante que la promiscuité à plusieurs. Le regard, cet "instant indétectable pour la foule, éternité pour l'amant" (Amin Maalouf). Les yeux chassent. Les lèvres sèchent. Les joues s'empourprent. Et cette impression d'avoir fauté. C'est bête mais c'est ainsi. Vraiment bête : Mme Walter, la très "cul-serré" tomber amoureuse de Bel-Ami : "Depuis un an, elle luttait ainsi tous les jours, tous les soirs, contre cette obsession grandissante, contre cette image, qui hantait ses rêves, qui hantait sa chair et troublait ses nuits. Elle se sentait prise comme une bête dans un filet, liée, jetée entre les bras de ce mâle qui l'avait vaincue, conquise, rien que par le poil de sa lèvre et par la couleur de ses yeux" (Maupassant).
Rebelote. Sous le soleil, sans soleil. La chair étrangle les mots, enchâsse le soupir dans la blessure. Et quand l'être aimé passe, c'est le dépit. "Je l'ai bien fixé; admiré, regardé, désiré. Une dernière fois. J'ai baisé ses larmes et je l'ai quitté. Je suis son haram. Je suis son harem" susurre une voix. On n'y comprend rien, on saisit tout. Christine de Pisan aussi, avait hurlé : "Je ne sais comment je dure/ Car mon cœur dolent fond d'ire/ Et plaindre n'ose, ni dire/ Ma douloureuse aventure./ Ma dolente vie obscure/ Rien, fors la mort ne désire./ Je ne sais comment je dure./ Et me faut, par couverture,/ Chanter, que mon cœur soupire./ Et faire semblant de rire./ Mais Dieu sait ce que j'endure/ Je ne sais comment je dure".
Le jour où tu seras géniteur, tu seras créateur. Une arrogance t'étreindra. Et elle éteindra le "petit gars" qui est en toi, la posture de l'humble créature. Les pensées se dissiperont. Le temps n'existera plus pour la solitude; celle qui a partie liée avec la métaphysique. Qui vit vite, vit mal. C'est dans le silence qu'il y a effusion. Quand Abbado impose le silence après la prestation, il a tout compris. C'est ce "tout" qui m'intrigue. Le mystère absolu. Chef d'orchestre, un oracle... Cioran a raison quand on a envie qu'il ait tort : "on ne saurait ramener, des déserts et des grottes, un message pour la vie". L'au-delà, c'est une autre question; le dépit a de beaux yeux, m'avait-on dit...

Claudio Abbado, moved after Mozart Requiem in Lucerne - 40 seconds silen...