dimanche 12 avril 2020

(2) Chroniques du règne de Recep Ier. Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens !

Depuis que Sa Majesté l'Empereur Recep Ier avait expédié des masques et des flacons d'eau de Cologne à chacun de Ses sujets, le virus en prit pour son grade sur les terres du Grand Turc. Tout le monde se mit à prier pour l'âme du Sultan; sans aller à la mosquée, naturellement, tous les temples du royaume étant cadenassés. Les mécréants, eux, se débattaient comme ils pouvaient. Dieu leur avait infligé l'une de ces calamités qu'ils connaissaient si bien de leur livre à demi sacré. Pour une fois que l'occasion s'y prêta, on ne bouda pas son plaisir et on railla à satiété les nations européennes, d'ordinaire si policées, qui en étaient à quémander des bouts de tissu, à chiper les pièces d'étoffe du voisin et à fricasser les économies qu'elles n'avaient même pas.


Chaque jour, le ministre de la santé, Koca Fahrettin pacha, égrenait le nombre de morts, de malades et de guéris. Les yeux bouffis et rougis d'extrême fatigue, il restait fidèle au poste. Il commençait même à devenir un véritable phénomène; tel un authentique homme d'État, il parlait chiffres à l'appui. Toute idée de polémique lui était indifférente. Médecin de formation, il exhortait la populace à respecter ces fameux gestes barrières. Le gouvernement de Sa Majesté n'avait certes pas encore imposé un confinement général mais il restreignit la liberté de circulation des enfants et des vieux. Cette stratégie des "deux bouts" visait à tarir la propagation de la bête invisible.


Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'il apprit que le sinistre de l'intérieur, Süleyman pacha dit le Noble, décréta un couvre-feu de deux jours dans la grande majorité du pays à minuit pétant. L'arrêté fut publié à 21h. Paniquées, les masses se ruèrent dans les échoppes. La nation assista, médusée, à des scènes de furie, d'indiscipline et de pugilat. Les efforts de "distanciation sociale" furent ruinés en moins de deux heures. Chose inédite, les populistes de droite se mirent à insulter le peuple avec le même entrain que le firent jadis les populistes de gauche. La patrie rendit un hommage unanime à feu Aziz Nesin, écrivain qui, le premier, avait proclamé que 60% des Turcs étaient stupides. Acculé, le premier flic de l'Empire fit son mea culpa et démissionna dans la foulée. Mais Sa Magnanimité refusa son retrait et le confirma dans ses fonctions.


De leurs côtés, les parlementaires les plus vaillants continuèrent à siéger. Ils n'avaient qu'un seul ordre du jour : vider les geôles du royaume. Car les taulards avaient beau être des scélérats, ils n'en restaient pas moins des êtres humains. Et, comme tout homme, leur dignité appelait un peu de miséricorde face à une épidémie qui fauchait tout sur son passage. Sa Grandeur avait néanmoins fixé des lignes rouges : les délinquants sexuels, les assassins et les terroristes furent écartés de l'amnistie. Dieu merci, on avait opportunément qualifié de terroristes, des dizaines de milliers d'opposants, d'universitaires, de professeurs, de femmes au foyer, de journalistes et de bienfaiteurs. Fort ironiquement, on apprit au même moment qu'un gueux dénommé Emre Günsal fut envoyé en détention pour avoir cru faire de l'humour en dépeignant le Sultan des Sultans Kemal Ier comme un alcoolique.


L'un des plus féroces détracteurs de Son Immensité, le député Gergerlioglu Bey, remua l'assemblée comme il put. À chaque séance, il brandit des photos de détenus à la tribune; il mobilisa l'académie Twitter; il supplia ses collègues mais en vain. Une élue du clan au pouvoir, Zengin Khanum, s'indigna de tant de commisération et ne put retenir sa colère : "Que voulez-vous ? Qu'on libère les putschistes et les terroristes du PKK ?". Elle fut rapidement rencognée dans son extravagance. Une parlementaire de la ligue kurde se demanda si on voulait que le député captif Baluken Bey mourût dans les fers, on entendit des rangs de la majorité, "qu'il meure !". Comme un écho à la réponse du directeur-adjoint chargé des affaires sociales de Constantinople qui avait lancé un "Crève !" effroyable à une gitane qui se plaignait de ne pas pouvoir mendier pour nourrir sa marmaille. Il fut démis. 

Ce fut sans doute là l'extériorisation d'un sentiment de démonisation, cher à cette géographie du monde. Celui d'anéantir physiquement l'opposant. Opposant qui ne fait que geindre alors que la Providence lui a offert le Roi des Rois. Ce genre de dialectique avait, depuis fort longtemps, infesté tout l'Orient au point qu'un adversaire se transformait rapidement en traître, en sous-homme et, finalement, en virus, perdant ainsi toute dignité. On en fut l'amer témoin dans le sandjak de Diyarbekir, lorsqu'une mère reçut les ossements de son fils dans un colis. L'expéditeur en était le gouverneur de Tunceli, où ce coupeur de route, membre du PKK, avait été abattu. Face au tollé, il assura que la réglementation avait été respectée... 

mardi 31 mars 2020

À bâtons rompus...

Ses "califes" omeyyades, abbassides, ottomans montaient des palais et descendaient des hommes à qui mieux mieux. Si, le Jour du jugement, le Prophète ne leur crache pas à la figure, alors je n'ai rien compris à l'islam.
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Soumettre des peuples, conquérir des terres au nom d'Allah, voilà bien des aventures étrangères à son dessein. Les procès d'outre-tombe des sultans ottomans, de leurs cheikh ul-islam et de leurs astrologues seront d'un régal voluptueux pour les figurants de l'Histoire que nous sommes.


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Tous les Turcs dévots tiennent pour acquis le droit qu'a leur leader tant adulé de bâtir un palais et d'ériger une mosquée-cathédrale pour rayonner dans le concert des nations. Entretenir le prestige du pays n'a jamais été un pilier de l'islam, ce me semble. Ou alors Muhammed était bien naïf.
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L'appel à la prière retentit dans une mosquée d'Allemagne, le bigot turc pleure. Un être humain crie à l'injustice dans son propre pays, le bigot turc zappe. La forme l'émeut, le fond l'enrage. La définition même d'une vie gaspillée en marge du Coran.
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A-t-on vraiment besoin de mosquées magnifiquement décorées ? La réponse fut tellement évidente que le prophète de l'islam ne s'était jamais posé la question. Pensez comme lui et vous serez lynché.
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L'islam est une religion, ni une culture ni, encore moins, une civilisation.
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On vit à une époque où l'accès au codex est immédiat et l'accès au Message, médiat. On psalmodie le Coran comme on fredonnerait une chanson chinoise; le son est tout, le sens est rien.
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La religion est une corvée pour beaucoup. Si ce n'était qu'il faut être reçu au paradis, ils s'en débarrasseraient avec une crânerie inouïe.
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La mère turque, à rebours des idéologies en vogue, ne vit que pour deux choses : sa couvée et son foyer. Sa maxime préférée ? "Tu verras quand tu seras parent !". Sa crainte ultime ? "Que vont dire les autres ?". Sa monomanie incurable ? "T'es où ?". Sa sainte parole ? "Yavrum".
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Une mère n'oublie jamais. Un malheur pour elle, un bonheur pour l'enfant.
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Le Temps s'écoule pour ceux qui aiment la vie, il s'écroule pour ceux qui aiment l'au-delà.
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Heureusement que les barbus vénèrent Alija Izetbegovitch sans le lire. S'ils se mettaient à feuilleter ses écrits, ils le répudieraient aussi vite qu'ils l'ont adoré.
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Le mouvement Gülen a été, dans l'histoire, la première tentative des musulmans de monter un lobby islamique à l'échelle planétaire. Comme tout lobby, il a fauté; comme tout musulman, il a péché.
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Les gülenistes et les islamistes sont les deux faces d'une même pièce; ils ont en commun de prendre trop au sérieux la vie d'ici-bas. Leur seule différence réside dans le tempérament : les premiers sont des sectateurs à l'âme caudataire, les seconds sont des fonceurs à l'esprit sommaire.
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Le Turc a cela de particulier qu'il est un séide avant d'être un individu. À défaut de se forger des opinions, il embrasse des passions. Qu'il soit erdoganiste, güleniste, islamiste, kemaliste ou nationaliste, il préfère l'ivresse du groupe à la rudesse de la conscience. Chacune de ces chapelles est une bande organisée.
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La couardise est la plus grande caractéristique du Français. Il aime rouspéter mais seulement dans l'anonymat d'une foule.
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Dans un débat d'idées, celui qui professe ses convictions de manière tapageuse est un fanatique qui a peur de sa liberté.
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Pauvre Jésus, s'il lui prenait l'envie d'accélérer la parousie, il se pâmerait d'épouvante à la vue de son vicaire habiter un palais en hiver, un castel en été, ses serviteurs se sodomiser à l'ombre des églises et ses ouailles bricoler une foi rachitique avec un peu de Marie, un morceau de Saint-Suaire et beaucoup de mythologie...
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Si 1/10è des crimes commis par les prêtres l'avait été par les adeptes d'une "secte", la face du monde en eût été changée...
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Qu'est-ce qu'un grand romancier, au fond ? C'est un styliste qui enfante des métaphores pour occuper la marmaille humaine.
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La seule arrogance qui vaille est celle de l'écrivain. Ses sentences nous libèrent.
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Un Etat laïque est un Etat dans lequel le péché des uns n'est pas un délit pour tous.
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L'anglais revigore. Le français épuise.
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Dans une démocratie, le peuple est invité à tourner les pages, non à les noircir.
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L'amour n'est rien d'autre que le désir bestial en costume de bal.
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L'homme qui déflore une femme est toujours son dernier amant.

dimanche 22 mars 2020

En attendant Godot

Ce fut, pour ainsi dire, la drôle de guerre version 2020. Du jour au lendemain, les médecins devinrent généraux, les généraux devinrent soignants. Les citoyens se terrèrent dans leur tranchée et se morfondirent dans un embêtement exquis. Tout fut à leur portée, des livres aux denrées, des jeux aux réseaux, des enfants aux animaux, mais ils ne parvinrent pas à tuer le temps. Car l'esprit, accoutumé aux délices de la liberté depuis Voltaire, Rousseau et compagnie, était enchaîné. On ne savait plus s'ennuyer. Et surtout, comme le dirait Zola, "il y avait [désormais] entre eux un nouveau lien, la mort toujours présente"...

Après les élections municipales, le chef de l'État décréta un confinement général. Sa stratégie, à la va-comme-je-te-pousse, fut unanimement taxée de bancale. Ce fut comme le Carême qui succède au carnaval, sans transition. Ses ministres multiplièrent les suppliques et les sanctions. Celui de l'Intérieur imposa des amendes aux "imbéciles". Celui des Affaires étrangères prescrivit de la "patience" aux Français bloqués à l'extérieur. Celui de la Santé hérita d'une pagaille et fit ce qu'il put faire. Sa devancière fut traînée en justice pour négligence. Il faut dire qu'elle avait quitté son poste en pleine tempête pour devenir l'édile d'une ville. Une "mascarade", de son propre aveu...

La mort rôdait. L'Ange Azraël avait étendu son manteau sur le globe. Un spectre traversait la planète, fauchant par-ci, terrorisant par-là. Le fantôme, qui mesurait 1000 fois moins qu'un cheveu, réussit à terrasser la planète entière. L'Empire du Milieu avait atteint, là, le summum de l'exportation. Un "virus chinois", avait habilement tranché le président américain. On avait tous eu envie de lui donner raison mais on préféra rester poli. Finalement, c'est l'Iran et l'Europe qui furent sévèrement touchés. L'Europe, à la limite, on comprenait; à chaque crise mondiale, c'est elle qui trinquait. Mais l'Iran ? Pour une fois qu'il n'avait enquiquiné personne... 


On se mit tous à l'hygiène. Si bien que les chrétiens s'adonnèrent aux ablutions à la mode islamique, les musulmans se réfugièrent dans les solutions alcooliques et tout le monde se salua à l'orientale. Les enfants étaient séparés de leurs mémés qui, Dieu merci, pouvaient sortir leur chien. Les couples eux-mêmes craignaient la promiscuité. Sans le dire, les autorités espéraient au moins que de ce mal, sortirait un bien : une armée de Capricorne en décembre 2020-janvier 2021. Le million de docteurs, d'infirmiers et de pharmaciens fut envoyé au casse-pipe. Les masques manquaient. Le gouvernement l'avoua du bout des lèvres...

Puisqu'une calamité avait cerné l'humanité entière, les soutaniers de toutes les religions s'auto-convoquèrent également qui pour apaiser, qui pour effrayer. Sa Sainteté fut le plus généreux : il accorda l'indulgence aux victimes. Avec une foultitude de conditions certes, mais le geste était là. Les imams fermèrent les mosquées même pour la très canonique "prière du vendredi". Personne n'osa broncher. Il faut dire que l'entêtement n'avait plus aucune utilité. C'était le branle-bas généralisé, on n'avait plus l'énergie de s'écharper. Nos fors intérieurs étant vides, on se tourna vers le monde réel. Les eaux s'assainirent. La qualité de l'air s'améliora. Le chant des oiseaux devint mélodieux. Les mauvaises langues dirent que la Nature prenait sa revanche, une terrible revanche. Le silence des espaces infinis fut effrayant...