Voilà donc que tout le monde se lance à la recherche de son "Obama". "Attends, je l'admire encore un peu", "mais viens, on cherche le nôtre, donne ton avis !", "c'est vrai ?", "bah oui, regarde, les candidats se bousculent, une véritable foire". Eva Morales a ouvert le bal des pâmoisons : "un Morales à la tête des Etats-Unis, youppi". Deux noms que l'histoire reçoit sans broncher : Morales et Obama. Lula da Silva essaie aussi de s'aventurer, "un socialiste, ouais !"... Se dire sorti de la cuisse de Obama, le nouveau brevet. Tiens Medvedev aussi argumente : "mais euh, moi aussi je suis jeune, beau et prof de droit".
En France, on ne sait pas pourquoi mais les yeux se tournent, mécaniquement, vers le Parti socialiste, "allez, Malek, explique-leur notre formidable politique"; l'UMP ne s'en excuse même pas, ils n'ont jamais rien promis : "nous sommes une nation une et indivisible, pas de sections chez nous", "Black-Blanc-Beur, c'était quoi alors ?", "une blague, mon poulain, tu ne l'as pas encore compris depuis"... Et ils ont Rachida; et Rama et même Fadela. Nommées mais bon. Mais ils ont Nicolas Sarkozy. Le "fils d'immigré". Alors, les privautés rejaillissent, "c'est un copain Barack, regarde, on se donne des tapes", Angela Merkel soupire, elle en avait assez de ses petites mains pianotant sans arrêt sur son dos.
Alors, on redéballe tous les débats, dissertations, riottes rouillés; c'est reparti pour les soucis des "afro-français", des jeunes des banlieues, on ressert la diversité, la discrimination positive cependant que les jeunes diplômés des cités jurent de donner du bec et de l'aile pour s'imposer.
En Turquie, pays des rêveries par excellence, on ne se sent pas trop préoccupé. Le Premier ministre Tayyip Erdogan est déjà un Obama; le porte-parole des religieux, des laissés-pour-compte, des demi-sels, des miséreux; de la "vile multitude". Et que dire des Présidents de la République : sur onze, on a eu trois kurdes (Ismet Inönü, Cemal Gürsel, Turgut Özal), un laze (Cevdet Sunay) et deux caucasiens (Fahri Korutürk et Ahmet Necdet Sezer). Un Pays d'Obamas.
On l'aura compris, la problématique n'est pas la même : en France et en Turquie, ce n'est pas l'ethnie qui met mal à l'aise, c'est la religion. Un Musulman en France et un Alévi en Turquie, voilà la révolution... Le problème, en France, c'est que les fils d'immigrés ne se sentent pas culturellement Français; ils ne peuvent donc prétendre politiquement à quoi que ce soit.
On déplore souvent l'inaction des Turcs dans la vie politique française par rapport à la réussite des mêmes en Allemagne : maires, députés, conseillers municipaux à foison. C'est vrai. Et je m'époumonne à rappeler sans cesse que l'Allemagne ce n'est pas la France, que la France a un autre air, que c'est le pays des baronnies, des écuries, du conservatisme, de l'immobilisme. La France est gérée par une clique d'héritiers. Pas de place; plus de place. "Trouve-toi un protecteur", "ah bon, c'est comme ça que ça se passe ?", "bien sûr, mon grand, il faut être introduit"... La politique est un métier, ni une mission ni un sacerdoce. On vient et on reste. Et si le peuple a le malheur de vous débarquer ou que l'on ne vous trouve plus de fauteuil, on vous nomme ambassadeur à la FAO, président de l'Institut du monde arabe, président de la Croix-Rouge. Le système des arrangements. Il faut donc introduire le non-renouvellement des mandats. Unique solution. Tout le monde y passe.
Bref, on a d'abord besoin d'un Martin Luther King avant d'avoir droit à un Obama. Yes we can but over there not here.