Nous voilà repartis à la quête de la Nation turque; les propos se suivent et se ressemblent. Les indignations et les protestations s'ensuivent et se ressemblent.
Tayyip Erdoğan, Premier ministre turc de plus en plus nationaliste à mesure que les élections municipales approchent, a lancé aux Kurdes qui s'agitent : "un seul drapeau, un seul peuple, un seul Etat; celui qui refuse ce triptyque peut s'en aller". Allez oust ! Promouvant ainsi, sans le vouloir bien sûr, l'idée d'un Kurdistan. Ein Volk, ein Staat, eine Fahne.
Il fut un temps où les laïcistes invitaient Erdoğan et ses affidés passéistes vers la sortie : "si vous n'êtes pas contents, montez vos chameaux et allez où vous voulez". L'ancien Président de la République, Süleyman Demirel, celui-là même qui vient de la mouvance démocrate mais qui glisse à gauche à chaque fois qu'il ouvre la bouche, avait même osé : "les filles voilées qui veulent étudier peuvent toujours partir en Arabie Saoudite"... C'est donc une tradition : quand vous insupportez, on vous montre la porte. Ca s'appelle une Nation.
Il fut un temps où les laïcistes invitaient Erdoğan et ses affidés passéistes vers la sortie : "si vous n'êtes pas contents, montez vos chameaux et allez où vous voulez". L'ancien Président de la République, Süleyman Demirel, celui-là même qui vient de la mouvance démocrate mais qui glisse à gauche à chaque fois qu'il ouvre la bouche, avait même osé : "les filles voilées qui veulent étudier peuvent toujours partir en Arabie Saoudite"... C'est donc une tradition : quand vous insupportez, on vous montre la porte. Ca s'appelle une Nation.
Le ministre de la défense dont personne n'arrive toujours pas à comprendre comment il meuble son temps, lui aussi, s'est lancé : "regarde, comme on est bien entre nous, heureusement que l'on a fait les transferts de population jadis, les Grecs chez eux, les Arméniens à l'au-delà, on est bien, hein ? Sans les giaours, hein ? Allez, viens que j't'embrasse". On les a spoliés et on a bien fait. L'argument est connu en France : les Juifs ont tout, ils dirigent la finance et l'industrie donc la politique et le monde. Le Ministre Vecdi Gönül a donc déblatéré contre les Levantins : "ils avaient toutes les richesses, on a bien fait; vraiment, je suis fier". Atatürk aussi l'avait avoué, il voulait un Etat national ethniquement et culturellement uni (“ırken ve kültürce türdeş ve birleşik"). Mais il n'a pas à s'en inquiéter. Ca s'oubliera. Et on se souvient alors de Nariaki Nakayama, ministre japonais des transports et du tourisme qui a dû quitter son poste quatre jours après sa nomination pour avoir dit : "nous, mes petits, on n'aime pas les étrangers, donc en tant que ministre du tourisme, je vais tout faire pour réduire le nombre de touristes; on est un pays homogène aussi, on est bien entre nous"...
La faute aux Alliés; ils avaient estimé que l'homogénéité serait mieux pour l'avenir. Le traité de Lausanne : 500 000 Musulmans vivant en Grèce postés en Turquie et 1 500 000 Orthodoxes vivant en Turquie replantés en Grèce. "Vous avez fait la Turquie, maintenant vous devez faire des Turcs" a dû souffler Azeglio...
Les Grecs se réjouissent de cette bourde ministérielle : "il a avoué le salaud, qu'ils ont fait une épuration ethnique !", "mais non, il s'ennuie dans son ministère, le chef d'état-major n'est pas son subordonné hiérarchique, ayez pitié de lui". Ce Vecdi Gönül, ancien préfet, ancien Président de la Cour des comptes était pressenti pour la Présidence de la République à la place d'Abdullah Gül. La raison ? C'est un type effacé et surtout sa femme n'est pas voilée. Et quand je pense que je le soutenais...
Une journaliste enrage : "on s'est tiré une balle dans le pied en les virant, les minorités; ils formaient notre Occidental intérieur"; les minorités étant perçues comme le moteur de l'occidentalisation de l'empire ottoman : industrie, commerce, littérature, habillement, musique, architecture, journalisme, enseignement supérieur et même la première imprimerie à Istanbul en 1490 établie par des Juifs.
Et voilà aussi les Alévis manifester; pour la première fois dans l'histoire relèvent les analystes, ils manifestent pour une cause communautariste. Ils ont raison, ils veulent échapper aux cours de sunnisme dans les écoles (malgré les décisions de la Cour européenne des droits de l'Homme et du Conseil d'Etat turc), ils veulent une reconnaissance de leurs lieux de prières, les "cemevleri", ("maisons de rassemblement") : "mais vous dansez là-dedans !", "mais non c'est notre culture et notre manière d'exprimer notre foi", "tais-toi, hérétique, dans l'islam, on ne danse pas dans les lieux de prière; si vous dansez, ce n'est donc pas un lieu de prière". Syllogisme imparable. Le Directeur des affaires religieuses tousse, comme à son habitude, "on vous aime". Et le gouvernement envisagerait de créer une "direction chargée de la question des Alévis". Enfin.
Les Kurdes sont déjà mécontents; d'ailleurs on leur a rappelé pendant longtemps que la kurdicité n'existait pas : "mais non, vous êtes nos Highlanders !"; depuis, ils veulent l'indépendance ou l'autonomie ou le fédéralisme, on ne sait plus. Le Patriarche Bartholomée a toujours les yeux embués, on ne fait plus attention... Les journalistes se bousculent pour expier la maladresse : "Aramızda zaten seyrek kalmış gayrimüslim unsurlarımız, Bakan'ın sözüne üzülmesinler; azlığın görüşüdür" (A. Turan Alkan). "Ne vous en faites pas chères minorités, les propos du Ministre reflètent la position d'une minorité"... Joli calembour.
C'est un pays comme ça. Un pays où le journal équivalent au Monde, Hürriyet (Liberté) énonce dans sa première page "la Turquie est aux Turcs". Le néo-ottomanisme est en vogue en ce moment dans la politique extérieure turque : on essaie d'intercéder entre la Syrie et Israël, le Premier ministre propose déjà à Obama de l'adouber pour s'entremettre entre les Etats-Unis et l'Iran. Et en plus, nous voilà au Conseil de sécurité. Le néo-ottomanisme, belle approche, mais on devrait aussi l'appliquer en politique intérieure. Vive le communautarisme à la Charles Taylor !