"Oyez ! Oyez !", avait-on semoncé. "Ça ne rigole plus, la Turquie prépare sa nouvelle Constitution". Oh oh... Et la Commission affectée à cette tâche ne venait-elle pas de faire scintiller le premier article : "la dignité humaine est inviolable. Elle est le fondement des droits de l'Homme et de l'ordre constitutionnel". Adopté à l'unisson, s'il-vous-plaît (il n'y avait rien à contester cela dit, mais dans le contexte turc, l'unanimité a son importance même lorsqu'il s'agit d'affirmer une lapalissade). Tout le beau monde fut ravi, les manchettes attirèrent notre attention sur cette tautologie : dorénavant, on va respecter les êtres humains parce-qu'ils sont précisément humains. La Turquie, en liesse, venait de trouver son fondement positiviste : la dignité, la "karama" des révolutionnaires arabes.
Et le Premier ministre prit la parole, on l'écouta et... et... et paf ! On comprit la blague... Où a-t-on vu que la dignité humaine a une importance dans une quelconque contrée musulmane ? Précisément en Turquie, l'Homme, en tant que tel, sans appartenance identitaire, sans attache idéologique, dans toute sa nudité, n'a aucune forme de prééminence axiologique. Ni pour les kémalistes ni pour les conservateurs de l'AKP. Il lui faut toujours une orientation, une communauté qui lui tienne la main. Quand l'Etat AKPiste détermine le vice et la vertu, l'opposition kémaliste conteste, certes; mais conteste le contenu de cette définition, pas le droit d'en établir une...
Colère, encore et toujours. A cause de cette plaie saignante, le "massacre de Uludere". Depuis cinq mois, rien ne s'est passé. "Les enquêtes administrative et judiciaire continuent", officiellement. La vidéo de l'attaque dure quatre heures. 34 morts. Et cinq mois d'enquête pour mettre la cassette, la visionner et faire un tableau avec deux colonnes : les responsables de cette "bavure" d'une part, les sanctions à infliger d'autre part. On se rappelle, en France, à Carcassonne, lorsqu'une démonstration publique avait foiré et fait 17 blessés, le chef d'état-major de l'armée de terre avait démissionné; car il était civilisé, il ne comprenait pas ce qu'il pouvait faire de plus dans son poste avec une telle faute sur la conscience. Car il était là pour honorer une fonction, pas pour l'occuper bêtement jusqu'à la retraite...
Et le Premier ministre prit la parole, on l'écouta et... et... et paf ! On comprit la blague... Où a-t-on vu que la dignité humaine a une importance dans une quelconque contrée musulmane ? Précisément en Turquie, l'Homme, en tant que tel, sans appartenance identitaire, sans attache idéologique, dans toute sa nudité, n'a aucune forme de prééminence axiologique. Ni pour les kémalistes ni pour les conservateurs de l'AKP. Il lui faut toujours une orientation, une communauté qui lui tienne la main. Quand l'Etat AKPiste détermine le vice et la vertu, l'opposition kémaliste conteste, certes; mais conteste le contenu de cette définition, pas le droit d'en établir une...
Colère, encore et toujours. A cause de cette plaie saignante, le "massacre de Uludere". Depuis cinq mois, rien ne s'est passé. "Les enquêtes administrative et judiciaire continuent", officiellement. La vidéo de l'attaque dure quatre heures. 34 morts. Et cinq mois d'enquête pour mettre la cassette, la visionner et faire un tableau avec deux colonnes : les responsables de cette "bavure" d'une part, les sanctions à infliger d'autre part. On se rappelle, en France, à Carcassonne, lorsqu'une démonstration publique avait foiré et fait 17 blessés, le chef d'état-major de l'armée de terre avait démissionné; car il était civilisé, il ne comprenait pas ce qu'il pouvait faire de plus dans son poste avec une telle faute sur la conscience. Car il était là pour honorer une fonction, pas pour l'occuper bêtement jusqu'à la retraite...
Et avec un ministre de l'Intérieur qui débagoule des torrents d'ânerie depuis sa prise de fonctions, on n'a pas finit de dégorger. "De toute manière, si on ne les avait pas tués, ils auraient dû passer au tribunal ! Car ils faisaient de la contrebande !". Bah oui, voilà les propos d'un être humain. Qui plus est, ministre de l'Intérieur d'un gouvernement soi-disant conservateur. Et le Premier ministre, islamo-chariatiste comme on le sait, avoir l'indécence de dire trois jours avant : "ça suffit ! arrêtez de parler d'Uludere, on a casqué et on s'est excusé, c'est bon !". Bah oui... Même si personne n'a encore entendu les excuses officielles de l'Etat... Donc désormais, on pourra massacrer des Kurdes car contrebandiers et on s'en foutra, passez l'expression, des exigences de procès équitable, de dignité, etc. Tout ce blabla qui devrait, inchallah, figurer dans la Constitution des Turcs. Oui, qu'on s'en fout alors...
Les irresponsables de l'Etat, d'un côté donc. Et de l'autre, les conservateurs qui font tout pour mettre sous le boisseau; Ahmet Altan s'est empressé de poser la "question qui tue" : "qu'aurait fait votre Prophète en cette circonstance, chers musulmans ? S'il se serait tu, je prends l'engagement de ne plus écrire sur la religion et les croyants car une religion dont le Prophète aurait fait profil bas face à cette tuerie ne m'intéresse plus; s'il se serait dressé, alors vous, ses suiveurs, pourquoi vous vous taisez ?". Bonne question mais on n'a même pas besoin d'une religion pour pleurer les morts et demander des comptes; être un humain aurait suffi; amplement suffi... Et qu'aurait fait le Prophète ? "Aurait fait" ? Non ! "A fait". Il a déjà agi. Célèbre épisode : il avait envoyé Khâlid ibn al Walîd auprès de la tribu des Banû Jadhima (qui avait tué son oncle quelques années auparavant) afin qu'il leur explique l'islâm en vue d'une conversion; ils se convertirent mais Khâlid, surnommé le "Glaive de Dieu", "les fit lier et les fit mettre à mort l'un après l'autre. Le Prophète, informé de l'action de Khâlid, fut très affligé; il se tourna vers la Ka'ba et s'écria : "Ô Dieu ! Je suis innocent de ce qu'a fait Khâlid ! " (Tabari, Histoire des Prophètes et des rois, éditions de la Ruche, 2006, p. 569). Je suis innocent de ce qu'il a fait, de ce qu'ils ont fait. Je m'excuse et je répare...
La "question qui tue" est ailleurs, en réalité : quid si ces victimes étaient des Turcs ? des vrais, cela s'entend ? de ceux qui soutiennent à cor et à cri Mustafa Kemal ou le parti des nationalistes ? Les clameurs auraient été tout aussi lâches ? Quand les conservateurs, les kémalistes, les gauchistes, les libéraux, les Kurdes, les Grecs, les Arméniens, les Tcherkesses, etc. commenceront à avoir la bile enflammée face aux injustices qui touchent un de leur frère humain, là, on pourra prendre une feuille blanche, tremper la plume et s'acharner : "la dignité humaine est inviolable". Et avant de la coucher dans la Constitution, un bout de papier au final, cette phrase devra orner le fronton de tous les édifices publics : "Heureux celui qui se dit Turc" out, "la dignité humaine est inviolable" in. Autant dire une farce; une énième...