Contrairement à un sumérologue qui, selon la formule consacrée, "sait presque tout sur presque rien", le Premier ministre turc adore étaler ses maigres connaissances dans moult domaines. "Moult domaines", comme un Premier ministre ordinaire, dirai-je; "maigres connaissances", comme un Premier ministre turc, ajouterai-je. Non non, je n'insulte personne et sûrement pas tout un peuple. Simple observation. C'est que l'électeur turc aime avoir des dirigeants qui parlent. Car parler signifie provoquer donc cliver donc se baratter la cervelle. Et comme, généralement, celui qui sait peu jacasse beaucoup, ça tombe bien. Personne n'était fan de la rhétorique de l'ancien Premier ministre Bülent Ecevit, un intellectuel et poète dans ses heures; personne n'avait lu et n'avait l'intention de lire ses poèmes. Idem pour l'ancien Président de la République, Ahmet Necdet Sezer, celui qui sortait de son palais une fois par an pour prononcer un discours aseptisé devant la représentation nationale...
Recep Tayyip Erdogan, un bon orateur donc, récolte ainsi les fruits de ses fulgurances. Car il lance une polémique sans en maîtriser plus avant les tenants et les aboutissants et se retire aussitôt pour admirer la chamaillerie. Et il a de la chance, franchement. Quand il s'en prend à la "césarienne" (oui oui, le mode d'accouchement), une bronca se lève, on croise les fers et au moment où les anti-interventionnistes ont presque raison, une
étude américaine apporte de l'eau à son moulin ! Alors, on oublie la forme (est-ce que le Premier ministre a légitimité pour dénoncer la césarienne ?) et on se fixe sur le fond; un fond qui lui donne rageusement raison : "
Les femmes enceintes qui optent pour une césarienne en l'absence d'indication médicale devraient être averties que leur enfant peut courir un risque accru d'obésité ". Donc, il faut privilégier les "accouchements par voie basse", hein...
Autre épanchement logorrhéique : Erdogan se déclare, aujourd'hui, contre l'avortement. Comme devrait l'être tout humaniste certes mais il le fait aujourd'hui; dix ans qu'il dirige ce pays, concocte des lois, parle d'abondance. Car la visée est autre : la dérobade. "Alors, expliquez-nous pourquoi 34 Kurdes sont morts à Uludere ?", "bah oui mais chaque avortement est un Uludere, et toc !"... Oui, sans blague. Et tout le monde, évidemment, tombe dans le panneau. Alors, c'est reparti pour les discussions de bioéthique. Et les religieux des partis marginaux en profitent pour ouvrir immédiatement les cahiers de doléances : pénalisation de l'adultère et des relations homosexuelles. Au nom de la cohérence, naturellement. Et nous voilà embarqués dans les trous sans fin...
L'avortement est une opération qui concerne avant tout la femme; non pas parce-qu'il s'agit d'un de ses droits mais parce-qu'il relève d'une intervention sur son corps car la Nature en a disposé ainsi, c'est elle qui porte l'enfant. Et il n'y a pas lieu de tomber dans les passions, une simple règle de droit suffit, ni règle morale ni article de code religieux non, une simple règle de droit :
"la loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. Il ne saurait être porté atteinte à ce principe qu'en cas de nécessité". Eh oui,
article 1er de la loi du 18 janvier 1975. Autrement dit, l'avortement est une exception au droit à la vie de l'embryon et non un droit de la femme à disposer de son corps. Cela n'a strictement rien à voir avec les droits de la femme. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est l'article inaugural de la loi susvisée. Loi toujours en vigueur...
La femme dispose seulement du droit de pondre ou de ne pas pondre. C'est un droit fondamental; d'où la légitimité des contraceptifs. Mais son droit de ne pas être maman s'arrête au moment précis où un autre être humain acquiert le droit à la vie. Sauf s'il y a risque mortel pour sa propre santé, la femme ne devrait pas pouvoir avorter. Car refuser la naissance d'un foetus malformé révèle, au fond, un mépris pour le droit à la vie d'un handicapé, autant dire une monstruosité. Quelle est la différence ontologique entre avorter un futur handicapé et tuer un handicapé actuel ? L'un vit
in utero, l'autre
ex utero; mais les deux vivent. Quoiqu'en France, tuer son enfant souffrant a tendance à ne plus être considéré comme un crime puisque les tribunaux agissent "avec clémence". N'est-ce pas, la mère qui avait noyé sa fille par trop encombrante (et trop souffrante) devait presque être
félicitée. Et les juges de première instance le firent puisqu'ils l'acquittèrent. Acquitter, au nom de la justice, une personne qui tue une autre personne ! Donc comme la femme enceinte, la "déjà-mère" pouvait (l)également, au nom d'on ne sait trop quoi, ôter la vie à un autre être humain parce-qu'il avait le tort d'être l'enfant de celle-ci !
Heureusement que les juges d'appel avaient fait semblant de sauver les meubles en lui infligeant une
peine de deux ans d'emprisonnement. Avec sursis, naturellement, il ne fallait pas accabler encore plus une mère intarissable sur la mort de sa fille (qu'elle venait, au demeurant, d'assassiner)...
Les théologiens n'ont pas hésité pour dire ce qu'ils connaissent le mieux : la vie des autres. Même en cas de viol, la femme ne peut opter pour l'avortement pour une simple et bonne raison que l'enfant n'a aucune responsabilité dans l'acte malheureux qui l'a atteinte. Difficile, inhumain même, d'accord; mais, on l'a dit, il faut éviter les passions dans ce genre d'affaires : c'est ce qu'avait fait je ne sais plus quel archevêque qui avait excommunié une jeune fille qui avait avorté après avoir été violée. Et tous les "humanistes" du monde moderne s'étaient évanouis de rage. Or l'homme de religion ne faisait que son boulot, appliquer les exigences de sa foi. Car le fruit du viol n'avait aucune faute dans cette affaire...
Ainsi, une femme enceinte de six mois qui se fait renverser par une voiture et qui perd le "truc" qui se trouve dans son ventre, ne crie qu'une chose : "j'ai perdu mon ENFANT". Et non, "j'ai perdu la CHOSE que je portais depuis six mois" ! Même les paquets de cigarette ont compris que "fumer pendant la grossesse nuit à la santé de votre ENFANT". Le droit de disposer de son corps signifie que la femme a le droit d'avoir des relations sexuelles comme elle l'entend et de prendre toutes ses dispositions pour éviter de tomber enceinte; une fois qu'elle l'est, elle est soumise au principe de bon sens : "La liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres". On ne corrige pas son erreur sur le dos d'un enfant qui n'a rien demandé. "Je n'ai pas les moyens, j'avorte", "je suis jeune, j'avorte", "j'ai oublié de me protéger, j'avorte". Non non et mille fois non ! On ne pas avoir la contraception, l'avortement et l'accouchement sous X. Dans ma conception libérale des choses, il faut assumer ses responsabilités.
Et dire que de toute manière, les femmes continueront d'avorter même si c'est interdit, ça ne résout pas le problème. Alors, on arrête d'incriminer tous les délits et crimes et tiens pourquoi pas la pédophilie et l'inceste. On a bien compris que l'incrimination ne fait pas disparaître ces deux abominations; pourtant, on ne se résigne pas à les légaliser. Si on devait légaliser tout ce que l'Homme brave, il n'y aurait plus de code pénal... En matière de droit de l'Homme, on ne suit pas la majorité, on suit l'idée de Justice. On ne défend aucune idéologie, aucune conception de telle ou telle religion, on ne défend qu'une chose : la vie. Et on est effaré de constater qu'une confusion universelle attache le droit à la vie d'un être humain au bon vouloir d'un autre être humain. Pour notre part, nous sommes un adepte de la prière khayyamienne : "Heureux l'enfant qui a expiré le jour de sa naissance ! Plus heureux celui qui n'est pas venu au monde !". Mais c'est là une autre histoire...