Lorsqu'une musulmane souhaite épouser un non-musulman, un monde s'écroule. La mère de ladite musulmane se convulse de fureur car un destin lui échappe; elle, qui, depuis un certain temps, compulsait déjà les listes, agréait des noms et surtout cochait des métiers, se retrouve dépossédée de l'un de ses attributs les plus légitimes : enquiquiner sa fille. Le père, lui, se sent d'emblée mal à l'aise; ensuite, il hausse le ton (et parfois la main) et au final, il accepte. Certes, mais à ses conditions. Il commence alors à distiller deux trois conseils (sous formes d'oukases, en réalité) afin que la requête du chevalier obtienne rapidement réponse. Il faut, évidemment, qu'il devienne musulman. Assez bizarrement, personne ne lui demandera de changer de prénom; en revanche, il y a bien une chose qui n'est pas négociable : si cet homme veut être gendre, il faut qu'il subisse l'épreuve du "sécateur". Car la descendance vient de son "machin" et il faut qu'il soit pur...
Et ça ne rigole pas, très cher. Nous en avions eu une démonstration, disons popote, avec Aïcha et Patrick; M. Bouamazza exigeant tout de go d'un homme qui voulait convoler avec sa fille et qu'il voyait pour la première fois, qu'il accepte l'opération. Et cette exigence n'est pas l'apanage des plus rustres ou des plus pieux, non, c'est une demande universelle; peu importe que la famille ne soit que musulmane d'apparence. Ayşe Kulin, la romancière turque la plus brillante et (donc) la plus lue du pays, racontait dans son autobiographie (Hayat, 1941-1964) comment les discussions au sein de la famille tournaient autour de la circoncision quand un Arménien avait demandé la main de l'une de ses tantes (p. 36 à 39). Une famille qui, bien que profondément ottomane (le dernier ministre des finances de l'empire ottoman étant son arrière-grand-père), n'avait pas un mode de vie particulièrement conservateur.
En réalité, ce qui comble la famille en posant cet impératif ne résulte pas précisément du profond désir de respecter une prescription religieuse; il s'agit tout simplement de se soumettre à un rite. Autrement dit, c'est le dehors qui importe, non la conviction. Et les familles turques religieusement tièdes n'en accordent pas moins de l'importance à ce rituel. Aucun parent ne prendrait le risque de se la jouer "libéral" et de refuser de se soumettre à cet exercice; car celui qui trinquera in fine sera son fils. Un garçon qui ne l'aura pas coupé... Et si un zigoto persiste dans son délire, il devra s'occuper plus tard du traumatisme infligé par ses soins à son fils... Lorsque Melisa Eliyeşil avait épousé le comte Charles Alexander de Faber-Castell, les journalistes avaient sans doute dû se poser la question avant qu'on apprenne que la Turque elle-même était chrétienne; ouf ! Cette question ne se posait donc pas en l'espèce...
Et c'est justement tout cet équilibre que remet en cause une décision du tribunal de Cologne qui a estimé que la circoncision était un délit qui violait le droit à l'intégrité physique de l'enfant. Tout de suite les grands mots, n'est-ce pas. L'enfant doit pouvoir donner son avis, ce n'est donc qu'à la majorité que ce genre d'opération peut avoir lieu. Evidemment, toutes les organisations religieuses ont exprimé leur mécontentement et celles des juifs et des musulmans ont naturellement fulminé. C'est que si l'on doit attendre la majorité du garçon, on est plutôt mal barré. Les musulmans, encore, ça peut attendre mais les juifs, eux, ont des délais. Et si l'enfant meurt avant cette date, qui va consoler la mère qui va croire (sans doute à tort) que son fils gît, à cause de son juridisme, au fin fond de la géhenne ? Et quelle est la logique d'une telle approche : devrions-nous suspendre la religion du fils jusqu'à ses 18 ans ? Si on respecte le droit à son intégrité, pourquoi ne pas pousser le raisonnement et interdire également la pratique et l'enseignement religieux au nom de sa liberté de conscience ?
Ces choses sont naturellement graves et il est légitime qu'un tribunal s'interroge. Ca fait bien longtemps que, moi-même, je me demande comment on peut défendre juridiquement la circoncision. On peut tenter l'argument de la liberté de religion mais il faut alors fermer les yeux sur l'excision des filles aussi (en tout cas, pour ceux qui la considèrent comme un commandement religieux). Or, les deux ablations ne sont pas logées à la même enseigne dans l'esprit des gens. Si l'on invoque la liberté individuelle, ça ne marche toujours pas puisque l'enfant n'a pas voix au chapitre. Il est comme hébété : peut-il vraiment s'y opposer ? Bah non, évidemment. C'est comme le mariage, c'est en famille que ces choses se cogitent. Bref, un véritable défi.
En réalité, ce qui comble la famille en posant cet impératif ne résulte pas précisément du profond désir de respecter une prescription religieuse; il s'agit tout simplement de se soumettre à un rite. Autrement dit, c'est le dehors qui importe, non la conviction. Et les familles turques religieusement tièdes n'en accordent pas moins de l'importance à ce rituel. Aucun parent ne prendrait le risque de se la jouer "libéral" et de refuser de se soumettre à cet exercice; car celui qui trinquera in fine sera son fils. Un garçon qui ne l'aura pas coupé... Et si un zigoto persiste dans son délire, il devra s'occuper plus tard du traumatisme infligé par ses soins à son fils... Lorsque Melisa Eliyeşil avait épousé le comte Charles Alexander de Faber-Castell, les journalistes avaient sans doute dû se poser la question avant qu'on apprenne que la Turque elle-même était chrétienne; ouf ! Cette question ne se posait donc pas en l'espèce...
Et c'est justement tout cet équilibre que remet en cause une décision du tribunal de Cologne qui a estimé que la circoncision était un délit qui violait le droit à l'intégrité physique de l'enfant. Tout de suite les grands mots, n'est-ce pas. L'enfant doit pouvoir donner son avis, ce n'est donc qu'à la majorité que ce genre d'opération peut avoir lieu. Evidemment, toutes les organisations religieuses ont exprimé leur mécontentement et celles des juifs et des musulmans ont naturellement fulminé. C'est que si l'on doit attendre la majorité du garçon, on est plutôt mal barré. Les musulmans, encore, ça peut attendre mais les juifs, eux, ont des délais. Et si l'enfant meurt avant cette date, qui va consoler la mère qui va croire (sans doute à tort) que son fils gît, à cause de son juridisme, au fin fond de la géhenne ? Et quelle est la logique d'une telle approche : devrions-nous suspendre la religion du fils jusqu'à ses 18 ans ? Si on respecte le droit à son intégrité, pourquoi ne pas pousser le raisonnement et interdire également la pratique et l'enseignement religieux au nom de sa liberté de conscience ?
Ces choses sont naturellement graves et il est légitime qu'un tribunal s'interroge. Ca fait bien longtemps que, moi-même, je me demande comment on peut défendre juridiquement la circoncision. On peut tenter l'argument de la liberté de religion mais il faut alors fermer les yeux sur l'excision des filles aussi (en tout cas, pour ceux qui la considèrent comme un commandement religieux). Or, les deux ablations ne sont pas logées à la même enseigne dans l'esprit des gens. Si l'on invoque la liberté individuelle, ça ne marche toujours pas puisque l'enfant n'a pas voix au chapitre. Il est comme hébété : peut-il vraiment s'y opposer ? Bah non, évidemment. C'est comme le mariage, c'est en famille que ces choses se cogitent. Bref, un véritable défi.
Cela étant, comme pour la question de l'étourdissement préalable des animaux, le "dialogue des religions islamique et juive" nous défige quelque peu; car la résistance à deux, plus précisément la résistance de ces deux, est toujours fructueuse. Le fameux dialogue des religions qui, au fond, ne veut rien dire reste un concept plein d'avenir : la résistance des hommes de religion... Et à l'instar du juge américain Roberts qui a estimé dans l'affaire de l'assurance maladie qu'il faut rechercher "une construction raisonnable pour sauver une loi de la non-constitutionnalité", les juges allemands devraient s'y coller dès maintenant pour rechercher toute construction juridique raisonnable pour sauver cette pratique de l'illégalité. Car se mettre à dos les musulmans et les juifs en même temps, euh... je ne dis pas le souk... Le souhait est là, aux juristes de trouver les arguments pour le satisfaire; comme le disait Antoine Garapon, "bien juger réclame d'abord non pas tant une progression vers la décision qu'une régression vers ce jugement déjà là (...)" (Bien juger. Essai sur le rituel judiciaire, p. 310). Est-ce trop demander à des spécialistes de contorsions juridiques ?