Le jour où le musulman remettait sa blouse était arrivé. Il devait perpétuer la "jurisprudence" d'Abraham; certes, les théologiens n'étaient pas unanimes, comme d'habitude, mais la voix de la dissidence était encore trop inaudible pour se risquer à renier une "prescription". Chez les Hanafites, une des quatre écoles juridiques du sunnisme, on hésitait entre "wâjib" et "sounna". Le maître éponyme, Abû Hanîfa, avait estimé que le Sacrifice était une obligation (wâjib), ses disciples, une habitude du Prophète (sounna). Alors, le commun des mortels préféra ne pas pousser l'analyse; d'ailleurs, on ne lui demandait pas de s'interroger, trop risqué. Il devait obtempérer. Il s'exécuta. Il se rendit à la mosquée et l'expédition commença...
Et il devait encore se justifier. Car musulman en terre occidentale. Et terre occidentale fortement sécularisée. Alors quand il vivait sa religion, d'autres lui en voulaient. Le syndrome de celui qui vit mal sa sécularisation : celui qui coule rêve de voir tout le monde couler; si Dieu existe, ils serreront les rangs. Oui mais le musulman s'en fichait; dans son coin, il voulait honorer son Dieu. Et il était convaincu que Celui-ci lui demandait de sacrifier un animal tous les ans pour renouveler sa soumission. Cure-dent dans la bouche, l'homme sécularisé protesta. Un "carnage", une "barbarie" ! Mais le musulman ne prit pas la mouche. Après tout, dans le pays du foie gras et des salles de torture que sont les salles de gavage, il n'était pas à la première sensibilité près, inventée spécialement contre les musulmans. L'usage...
Et il devait encore se justifier. Car musulman en terre occidentale. Et terre occidentale fortement sécularisée. Alors quand il vivait sa religion, d'autres lui en voulaient. Le syndrome de celui qui vit mal sa sécularisation : celui qui coule rêve de voir tout le monde couler; si Dieu existe, ils serreront les rangs. Oui mais le musulman s'en fichait; dans son coin, il voulait honorer son Dieu. Et il était convaincu que Celui-ci lui demandait de sacrifier un animal tous les ans pour renouveler sa soumission. Cure-dent dans la bouche, l'homme sécularisé protesta. Un "carnage", une "barbarie" ! Mais le musulman ne prit pas la mouche. Après tout, dans le pays du foie gras et des salles de torture que sont les salles de gavage, il n'était pas à la première sensibilité près, inventée spécialement contre les musulmans. L'usage...
BB, comme de coutume, dénonça tout abattage; elle fustigea "rituels religieux archaïques d’égorgements douloureux", "tradition musulmane sanglante", "barbarie", "abominations", "tradition atroce". De l'avis général, elle aurait eu raison si elle n'avait pas opposé encore une fois les "nous" et "eux" : "la France est un pays civilisé, un état laïque", "pour moi, et pour une immense partie de la population française, ce jour de l’Aïd est un cauchemar". Mais pour la corrida, on ne retrouva pas les grands mots du genre "la France est un pays civilisé" ou "pour une immense partie de la population française". C'est que dans cette dernière affaire, il n'y avait pas de musulmans à stigmatiser...
La sauvagerie des uns devenait exotisme pour d'autres. Les présidents américains avaient beau gracier une dinde, les autres étaient exécutées. Les Français avaient beau rouspéter pour le "mouton", ils dégustaient à 80 % du foie gras lors des fêtes. Ainsi allait le monde : on tuait des animaux. L'article de loi avait beau demander un étourdissement préalable, on l'étouffa d'exceptions. Des centaines de milliers de chasseurs. Des centaines de milliers de pêcheurs. Des milliers d'adeptes de la tauromachie. Et des collectionneurs d'insectes. Les "barbares" étaient devenus la règle, les civilisés, l'exception. On avait même inventé des tue-mouches, c'est dire. Sans crier gare, on tuait. Des mouches. Sans étourdissement préalable...
Il fallait dire que le musulman s'attendait à ces vagues, à ces pâmoisons d'usage. "Qu'arrive-t-il quand une de nos actions cesse d'être spontanée pour devenir automatique ? La conscience s'en retire" disait Bergson. Chacun déballait ses habitudes de pensée. On réagissait par réflexe. En revanche, il fut encore plus pathétique : le mufti de Turquie avait fixé la date du Sacrifice au jeudi 25 octobre. Et il s'en alla au pèlerinage à La Mecque. Les autorités saoudiennes avaient opté pour le vendredi 26 octobre, pour leur part. Comme la plupart des pays musulmans, d'ailleurs. On était donc dans le burlesque : le mufti allait fêter, un vendredi et ses ouailles, un jeudi. Du haut de son hôtel mecquois, il fit une conférence de presse pour rappeler le motif du décalage. Le même motif. Une histoire de décompte. Ainsi allait le monde musulman : la vigile et le jeûne pour les uns sur le mont Arafat, la fête et la bombance pour les autres sur les plaines anatoliennes. Une habitude. Une énième. Avec un grand mufti devenu pèlerin selon le "calendrier musulman saoudien", et pécheur selon le "calendrier musulman turc". La cerise sur le gâteau...
Il fallait dire que le musulman s'attendait à ces vagues, à ces pâmoisons d'usage. "Qu'arrive-t-il quand une de nos actions cesse d'être spontanée pour devenir automatique ? La conscience s'en retire" disait Bergson. Chacun déballait ses habitudes de pensée. On réagissait par réflexe. En revanche, il fut encore plus pathétique : le mufti de Turquie avait fixé la date du Sacrifice au jeudi 25 octobre. Et il s'en alla au pèlerinage à La Mecque. Les autorités saoudiennes avaient opté pour le vendredi 26 octobre, pour leur part. Comme la plupart des pays musulmans, d'ailleurs. On était donc dans le burlesque : le mufti allait fêter, un vendredi et ses ouailles, un jeudi. Du haut de son hôtel mecquois, il fit une conférence de presse pour rappeler le motif du décalage. Le même motif. Une histoire de décompte. Ainsi allait le monde musulman : la vigile et le jeûne pour les uns sur le mont Arafat, la fête et la bombance pour les autres sur les plaines anatoliennes. Une habitude. Une énième. Avec un grand mufti devenu pèlerin selon le "calendrier musulman saoudien", et pécheur selon le "calendrier musulman turc". La cerise sur le gâteau...