Les bibliothèques sont pleines de livres. On ne les lira jamais, c'est sûr. Si on en lit deux par semaine, ça ne fait "que" 100 livres par an. Soit entre 5000 et 6000 dans la vie. Autant dire, rien. Chaque rentrée littéraire déverse sa charretée, pas moins de 600 livres ! Et je me demande toujours comment font ces "académiciens", bibliophages fussent-ils, pour avaler, digérer, crachoter. Et décerner une palme. Je n'en sais rien, je pense à Pierre Assouline et je ferme les yeux...
Les parents, les professeurs, les grands, les anciens, les Bac+2, les concierges disent tous la même chose au môme qui passe avec ses billes :"lis !". Et c'est tout. Ni "pourquoi ?", ni "quoi ?", ni "comment ?". L'adolescent, épris de liberté malgré ses boutons qu'il n'arrive pas à chasser, rejette souvent la proposition. Lui, il veut regarder la nature. Le sexe opposé, en général. Alors, lire les misères de Jeanne, de Cosette, de Quasimodo, etc., il s'en moque. Ça fatigue les yeux, ça embrume le cerveau et, surtout, ça fait réfléchir. L'ado ne réfléchit pas, n'est-ce pas. Il agit, il séduit, il jouit. Il ne "pense" qu'à ça.
Les professeurs de lettres se plaignent toujours de la "dégradation du niveau en français". "Ils ont raison", disent ceux qui font déjà le barbon (ça a plus d'allure quand on prétend, jeune; vieux, ça fait rétro). La littérature signifie style et récit. L'essai signifie style et savoir. Le style n'existe plus, nous sommes tous d'accord. Le père Céline avait dit quelque part, "c'est rare un style, monsieur ! Un style, il y en a un, deux, trois par génération. Et il y a des milliers d'écrivains; ce sont des pauvres cafouilleux, des aptères ! Ils rampent dans les phrases, ils répètent ce que l'autre a dit". De l'orfèvrerie...
C'est vrai qu'il y a 40 Académiciens (35 plus concrètement). La théorie nous impose de les considérer comme les plus éminentes plumes de notre pays. Et Céline parle de trois génies à tout casser. Ce n'est pas parole d’évangile certes, mais il y a comme un début de vérité. Qui sont ces génies aujourd'hui ? Moi, je n'en sais rien. Je me fie à Amin Maalouf et je ferme les yeux...
Ou alors, il faut se contenter de la "méthodologie Pierre Bayard". Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? Un professeur de littérature à l'université, le Sieur ! Oua oua oua... La recette ? Bah il faut le lire... Force est de reconnaître que le récit et le savoir sont également en voie de disparition. A part Michel Serres qui intervient de temps en temps pour plaquer de grandes idées sur de petits mots et Alain Finkielkraut qui a l'air de mériter le Prix Nobel de philosophie à chaque fois qu'il ouvre la bouche, il n'y a plus aucun "grand" nom qui émerge en sciences sociales. Oui, c'est prétentieux, je sais. C'est tellement jouissant d'écrire des sentences. Mais il y a espoir; c'est Dumézil qui l'affirme, on s'incline et on attend alors, "rien n'est jamais perdu des propositions d'avenir : elles attendent seulement dans l'immensité, dans l'éternité des bibliothèques, la flânerie ou l'inquiétude d'un esprit libre".
Et tous ceux qui lisent ont, par la force des choses, envie d'écrire. Pour en rajouter une couche. Nul ne peut communiquer sa pensée de manière exacte, c'est comme ça. Mais on écrit. On raconte tous quelque chose, ici, là-bas, sur un réseau. Le problème est que personne n'écoute ni ne lit, pour le coup. Il faut sermonner de la banalité pour être audible. On se dit bonjour, on parle météo et on fait exprès de réfléchir à un sujet grave pendant, allez, 10 minutes; chacun récite sa leçon ou se forge rapidement une miette de pensée, on chiquenaude et on se sépare. Paradoxe : avec les amis, on parle moins bien qu'avec des tiers, le temps presse, il faut rire... Ah Jorge de Burgos, Te saluto !
"Arrête de raconter ta vie !", lâche souvent le potache avant de quérir les détails de ladite vie sur Facebook. "Tout ou presque a été pensé, dit et écrit" lâche souvent le savant avant de disserter en long et en large sur sa propre affirmation. C'est que l'habitude a pris le pas sur le discernement; il FAUT dire pour garder un rang. Et pour dire, il faut ressasser. Bah oui, ma pauvre ! Ressasser, c'est de l'orgueil, en somme. L'Abbé Dinouart donc : "Jamais l'homme ne se possède plus que dans le silence : hors de là, il semble se répandre, pour ainsi dire, hors de lui-même, et se dissiper par le discours, de sorte qu'il est moins à soi, qu'aux autres". Plus rien à dire. Jusqu'à nouvel ordre. Au revoir...