Comme notre très européen Giorgio Napolitano, Robert Mugabe a été réélu à près de 90 ans. Pour le premier, c'est l'honneur dû à la sagesse, pour le second, c'est... euh... une longue histoire. Disons que les "pères de la Nation" ont souvent cet insigne privilège de diriger ad vitam aeternam l'appareil d'Etat qu'ils ont contribué à ériger. Le peuple étant théoriquement reconnaissant. Imaginez un Atatürk partir grossièrement après deux mandats. Bouh ! Heureusement qu'il mourut en pleine quinzième année de sa charge à seulement 57 ans. Ça lui valut d'être parti ad patres en odeur de sainteté et non en ex-président battu aux élections. Le pauvre de Gaulle, il en a fait tout un fromage de son obsession démocrate et de son référendum; voilà le résultat, mort dans un village...
Robert, lui, est de cet acabit. Le "bon père de famille". Qui reste coûte que coûte. A la limite, on comprend le désir de durer (surtout à un âge où ça sent le sapin) mais quand on se sait indéboulonnable, pourquoi s'asseoir sur une chaise et truquer sans cesse les élections alors qu'on peut se reposer à volonté sur un trône ? "Allez, ça recommence !". Bah quoi, c'est logique. Une monarchie authentique a plus de valeur qu'une république viciée. Pourquoi jouer la comédie et ne pas installer tout bonnement une monarchie ? L'envie est là, les structures sont là, le consentement est là. Car même l'Africain de base a bien noté que ses dirigeants ont la vilaine tendance à se maintenir à demeure. Pourquoi devenir autocrate alors qu'on peut être monarque, comprends pas...
D'autant que les roitelets de province ne manquent pas dans ce continent. Il existe même un "forum des rois, sultans, princes, cheikhs et chefs coutumiers d'Afrique". Si, si. "Même que" Khadafi s'était proclamé Roi des rois. Admirez-moi ça (pour le seul Nigeria), j'en passe et des meilleurs :
Et il y a Mswati III du Swaziland, Letsie III du Lesotho et Mohammed VI du Maroc. Ces derniers jouent naturellement dans la cour des grands. C'est la mode. Jadis, l'empereur Haïlé Sélassié Ier d'Ethiopie pouvait se targuer d'être le chef d'une des plus vieilles dynasties régnantes. L'empereur Bokassa Ier du Centrafrique faisait plus rire qu'autre chose. "Ouais, c'était n'importe nawak han !". Pourquoi donc ? Quand le noblaillon Bonaparte qui n'avait aucune raison de devenir empereur le devient, ça fait distingué et ses descendants portent fièrement les titres de princes et princesses. Idem pour les Pahlavis. Deux générations suffisent pour devenir respectable. Et une impératrice en exil, c'est toujours chic... Mais quand un gus africain ose la même chose, c'est évidemment une connerie et il ne viendra à l'idée de personne de considérer ses descendants comme "Ses Altesses Impériales"...
Robert, donc. Robert Ier du Zimbabwe. Et les élections d'abord, à quoi ça sert dans les pays africains et arabes ? Comme dirait Céline, "à s'engueuler et puis c'est tout". Le peuple vote nécessairement mal. Même s'il vote bien, la "communauté internationale" s'empresse de penser le contraire. Il fut un temps où les radicaux français refusaient le droit de vote aux femmes car sous influence du curé; même raisonnement pour les peuples arabo-musulmans et les peuples africains, les uns influencés par le Coran, les autres par les intérêts de leur clan. Il faut donc des hommes à poigne, des présidents mal élus mais bien serviles. Des remparts contre le "terrorisme". Car la sûreté de l'Occidental vaut bien plus que la dignité de l'Africain. D'accord. Ah oui, l'Occidental préfère tout de même un président qu'un monarque car même si, in fine, ils se confondent dans les faits, il y a au moins dans le premier cas de figure, des urnes à déplacer et des missions à expédier. Une ambiance, quoi...
Et c'est vulgaire d'élire un chef d'Etat au suffrage universel direct, non ? "Ah le fasciste !". Calme, calme. Une simple conjecture. Même les Roms ont un "roi international". Son décès lui vaut une nécrologie. Il faut des monarques, c'est sûr. La monarchie adoucie les mœurs. Ernest Renan écrivait je ne sais plus où que "la monarchie répond à des besoins profonds de la France. Notre amabilité seule suffit pour faire de nous de mauvais républicains. Les charmantes exagérations de la vieille politesse française, la courtoisie qui nous met aux pieds de ceux avec qui nous sommes en rapport, sont le contraire de cette raideur, de cette âpreté, de cette sécheresse que donne au démocrate le sentiment perpétuel de son droit. La France n'excelle que dans l'exquis, elle n'aime que le distingué, elle ne sait faire que de l'aristocratique". Voilà un bon exemple d'universalisme des valeurs françaises à exporter d'urgence. Hein Robert ? Et quand on est monarque, il y a toujours quelqu'un qui finit par vous respecter...