mercredi 9 octobre 2024

"Le patient use toujours l'impatient"

"T'es con ou quoi ! T'es Tcherkesse et tu soutiens un parti xénophobe turc !", avait pesté mon daron ébahi contre son fasciste de cousin. Un hurluberlu qui défendait fièrement, tel un "vrai" Turc, une idéologie chauvine qui l'exécrait dans son essence et l'acculait dans sa différence. "Celladına aşık", comme le dit l'expression, "amoureux de son bourreau". Il bredouilla, gesticula et broncha encore plus. Les nationalistes ont cela de gênant qu'ils sont infoutus de réfléchir dix secondes d'affilée. On se désole à leur place. Un peu comme pour les enfants de 7 ans qui croient nous épater avec leur aplomb à couper au couteau; crânerie pour eux, ânerie pour nous... 

Ces deux descendants de réfugiés ossètes, rescapés des massacres perpétrés contre les Tcherkesses de Russie puis chassés de l'Empire russe vers l'Empire ottoman, avaient émigré en France pour moins d'idéologie et plus de bonheur. Mal leur en a pris. Le pays de Le Pen est friand de ces ferrailleries qui font vivre les bistrots. C'est connu, à trop aimer les bavardages, on finit par détester les raisonnements. On s'ennuie soi-même ? Alors, on s'enivre de slogans. On ennuie les autres ? Alors, on les enivre de fiel. Un obscur sénateur guindé, propulsé chef de la police, l'a bien compris. En l'an 2024, dans un pays où des centaines d'acteurs, de romanciers, d'intellectuels, de musiciens d'origine étrangère ont participé au récit national, il a tout bonnement déclaré que l'immigration n'était pas une chance...

Heureusement que Mitterrand n'est pas mort centenaire. L'eût-il été, il aurait ajouté à ses divers qualificatifs empilés au gré de ses intérêts, celui de "séparatiste". Écoutez-le parler, c'est digne d'un cardinal : "La civilisation française s'est enrichie chaque fois qu'elle a reçu sur son sol des étrangers porteurs d'autres cultures. Qu'est-ce qui nous oblige à considérer que nous devons désormais nous placer dans un musée, objets dans la vitrine ? Je veux que l'on puisse venir en France, bousculer les coutumes et les usages français". "Les parents de Zola et de Gambetta étaient considérés comme des gêneurs qui voulaient prendre la place de commerçants français. Ç'eût été dommage de les renvoyer". "Nous sommes français, 'nos ancêtres les Gaulois', romains, un peu germains, un peu juifs, un peu italiens, un peu espagnols, de plus en plus portugais. Je me demande si, déjà, nous ne sommes pas un peu arabes"...

Jésus aurait sans doute applaudi des deux mains. Le pape passe déjà pour un hérétique sur cette question. Plus il lave les pieds des migrants, plus ses ouailles l'éclaboussent. Et que dire de cette dinguerie lors des élections anticipées où des chrétiens avaient voté pour plus de racisme ! C'est d'ailleurs là, une bien belle escroquerie : la droite est fièrement chrétienne mais diablement inhumaine. Des familles à regrouper ? Elle fait la fine bouche. Des étrangers à soigner ? Elle fait les gros yeux. Des réfugiés à protéger ? Elle fait la sourde oreille. Le conservatisme est un fanatisme comme les autres, il porte juste un costume de bal...

Et les "Français de souche", de l'histoire longue et des sépultures, ont la chance inouïe de compter sur des "racistes d'origine étrangère". Les Italiens Ciotti & Bardella, couplés à l'Algérien Zemmour, se la jouent plus patriotes que la vieille France cocardière alors que le Polonais Finkielkraut et l'Algéro-Marocaine Lévy s'adonnent avec l'Égyptien Messiha à un zèle propre aux parvenus. Le Roumain Serge Klarsfeld a été plus raffiné ; il a patienté 88 ans avant d'entamer une carrière de communautariste. Le "malaise des Français musulmans" n'est pas "mon problème !", a-t-il tranché. "Je ne peux pas m’occuper de tout, les musulmans doivent s’occuper d’eux-mêmes", et de toute façon, a-t-il précisé, "ils ne manifestent pas leur attachement à la France". Il suffit de changer un mot pour se retrouver devant un juge...

Ah les musulmans ! Des étrangers barbares, mal élevés, mal éduqués, mal léchés. Des barbus sectaires, des voilées réfractaires qui angoissent les authentiques nationaux abreuvés d'alcool et d'anxiolytiques. Une panique générale s'est installée en Occident. C'est le lot de toutes les religions en Europe : le protestantisme, d'abord; le catholicisme, ensuite; le judaïsme, enfin. C'est au tour des mahométans. Entre-temps, le fameux vivre-ensemble, c'est pour ceux qui vivent ensemble moins les musulmans. La raison a toujours un train de retard, c'est comme ça. Il faut juste savoir attendre. Ca tombe bien, l'endurance est une vertu islamique...



Comme leur grand-père idéologique Charles Maurras, les prêcheurs de haine espèrent "sortir du tunnel de 1789". Ils veulent moins de libertés car ils détestent le bonheur. Ils ont un besoin frénétique de sursauter en permanence, histoire de combler leur vacuité. Ce sont les perdants de l'Histoire. Zola et Gambetta reposent au Panthéon. Les grincheux atterriront dans l'index d'un obscur bouquin spécialisé destiné à être feuilleté par quinze universitaires au plus. Et nous autres "rescapés", plus tard, comme le disait Tonton, "quand on aura le temps, on prendra pitié d'eux"...