mardi 15 octobre 2024

"Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par..."

En l'an 2023, cela faisait bien longtemps que les affaires du monde ne faisaient plus vomir. On s'y était habitué. Des Africains suffoquaient dans leurs coins ou se noyaient dans les eaux internationales, quelques âmes bien nées s'en formalisaient et puis c'était tout. Le bon Dieu avait décrété la double peine : ils vivraient pauvres, anonymes ils mourraient. Leurs cadavres mêmes étaient inodores : aucun idéologue, aucun "pro-", aucun "anti-", aucun religieux, aucune passionaria ne remuait ciel et terre. Le calvaire des "figurants" était toujours embarrassant, on s'en émouvait certes mais ça nous ennuyait, ça ne fabriquait pas de polémiques...

Et un beau jour, la planète entière se réveilla en sursaut. Des terroristes avaient tout bonnement envahi Israël. Un millier de morts, des centaines de kidnappés, des millions de traumatisés et des milliards de suspects. L'Occident fulmina et c'était normal; Israël, bien que situé au Proche-Orient, faisait partie de l'Europe occidentale selon la classification onusienne. L'Orient marmonna et c'était normal aussi; les Israéliens, bien que vivant au Proche-Orient, auraient dû rester en Europe occidentale selon la conception antisioniste. Les antisémites, eux, se régalèrent : des juifs étaient assassinés, des Arabes étaient massacrés...


Bibi avait déroulé des plans sur la table. Avec son armée la plus morale du monde, il promettait des frappes chirurgicales. Sarcler les mauvaises herbes, c'était tout. Dès le lendemain, il opéra à la diable. Des nunuches avaient beau appeler au bon sens, l'eschatologie était formelle : les suprémacistes juifs et les évangélistes chrétiens devaient bâtir le grand Israël pour hâter la venue du Messie (qui n'était pas le même d'ailleurs mais comme qui dirait, on verrait le jour J). Les djihadistes musulmans, eux, attendaient l'apparition du Mahdi et du Messie, prélude à la fin des temps. Avec Amalek et la prophétie d'Isaïe, tout devint si confus qu'on ignorait qui était "martyr", qui était "assa-saint". Ce qui était à la base un conflit régional de terres et de frontières entre deux peuples sémites devint une double guerre sainte surnaturelle...

Les Israéliens eurent le droit de hausser le ton. C'était l'hubris, c'était la revanche. Les Orientaux aussi pouvaient aligner un chapelet de jurons. La justice de leur pays était pro-palestinienne. Seuls les Européens devaient se taire. Critiquer Israël devint un acte antisémite. D'ailleurs, n'étions-nous pas un chouïa crypto-antisémites, nous autres musulmans ? C'était le double drame : il fallait commencer par maudire les occupés avant de bénir les occupants. Ils avaient le droit de se défendre, pardi ! Le nouveau système international, fruit de la Charte des Nations Unies de 1945 et des Conventions de Genève de 1949, avait beau être passé par là, on s'en foutait. On citait Dresde et Hiroshima pour excuser les indicibles souffrances...

Et il ne fallait surtout pas "contextualiser". Si un Français disait, "Le 7 octobre est arrivé de la manière la plus brutale, mais après dix-huit ans en prison, les gens peuvent devenir fous", la police défonçait sa porte à l'aube. Si un Français disait, "Personne n’ose dire un mot sur Israël. Ne tombez pas dans ce piège : vous n’avez pas seulement le droit de critiquer Israël, vous en avez le devoir. Le contexte est l’occupation et la colonisation depuis cinquante ans, et vous en voyez les résultats. Les Palestiniens n’accepteront jamais l’occupation. Connaissez-vous un peuple prêt à vivre sans citoyenneté ?", il se retrouvait devant un juge. Si un Français disait, "Les victimes du plus grand génocide de l’histoire devraient être encore plus sensibles lorsqu’il s’agit du génocide d’autres peuples. Les Israéliens font le contraire. Ils estiment qu’après la Shoah, nous avons le droit de faire ce que nous voulons", il se faisait lyncher par les académiciens de Twitter. Et pourtant un Israélien pouvait le dire sans en être inquiété...

Les Allemands, on comprenait. Ils ne rataient pas un crime contre l'humanité. Les Héréros, les Arméniens, les juifs et maintenant les Gazaouis. Toujours du mauvais côté. Les Français, d'ordinaire droits-de-l'hommistes, se transformèrent en boutefeux. On vit sur les écrans des humoristes, des acteurs, des chanteurs, des animateurs, des philosophes devenir fous du jour au lendemain. La défense des siens était légitime, encore fallait-il éviter le fanatisme, un travers qui valait bien le séidisme du camps adverse...


Les Palestiniens et les Israéliens méritaient mieux que l'Apocalypse. Le messianisme et le fondamentalisme broyaient des vies avec une égale bonne conscience. On ne savait plus trop quoi faire ni quoi dire. Les juges guettaient les mots. Les journalistes gâtaient les pensées. Alors on s'en remit au futur Chirac. Dans vingt ans, quand le monde aurait eu le temps de reprendre ses esprits, un homme sortirait des rangs pour dire ce que l'autre avait dit en son temps. Acculés par nos enfants, on répondrait qu'on avait été envoûté...