Les garnements n'en espéraient pas tant. Le Conseil de l'Europe vient les cajoler. Il est temps de mettre un terme à la pratique de la punition. Qui est donc le géniteur pour fesser SA progéniture ? Terminé. Respect de l'autre, dignité de la personne humaine va-t-on leur rétorquer. "Et quoi encore, on nous interdit cette vieille bonne méthode d'éducation ! Occupe-toi de tes fesses, le Monsieur de là-bas !".
Le Conseil de l'Europe a décidé de partir en croisade contre la "fessée". Le slogan est à traumatiser encore plus les enfants : "Levez la main contre la fessée". Le vocabulaire est toujours épatant: on vise à promouvoir une "parentalité positive". Des mots froids. Mais sûrement pas du vent.
Adieu baffe, tape, giroflée, tarte... L'heure est au raffinement; et surtout à la prise de conscience. Les enfants avaient un privilège à l'envers, celui de ne pas profiter des droits des Grandes Personnes. Les bouts de chou sortent des choux. Chaque chose en son temps. Les enfants sont toujours vénérés, ils vont désormais être respectés.
Le vocabulaire explose: mauvais traitements, humiliations, châtiments corporels, etc. Les psy exultent, le Comité des droits de l'enfant respire, les politiques s'en émeuvent. Le juge européen avait déjà donné le ton: en 1998, il avait débouté un beau-père qui défendait bec et ongles sa manière de dresser son enfant: quelques coups de canne (une "punition raisonnable" avaient estimé les tribunaux britanniques). La Cour lui a bien évidemment montré son bec jaune avant de le clouer. La "fessée judiciaire" avait également été réprouvée en 1978 (Tyrer contre Royaume-Uni: un adolescent avait été condamné à recevoir des coups de verge, pantalon baissé, on rêve !).
Les histoires de fesse ne sont pas toutes logées à la même enseigne. En 2005 dans une affaire de sadomasochistes (K.A et A.D contre Belgique), la Cour, toute penaude sans doute, décrit la scène : "On y voyait les prévenus utiliser des aiguilles et de la cire brûlante, frapper violemment la victime, introduire une barre creuse dans son anus en y versant de la bière pour la faire déféquer, la hisser suspendue aux seins puis par une corde entre les jambes, lui infliger des chocs électriques, des brûlures et des entailles, lui coudre les lèvres vulvaires et lui introduire, dans le vagin et l’anus, des vibrateurs, leur main, leur poing, des pinces et des poids" (§ 13). Les notions d'intégrité physique, d'ordre public, de dignité humaine se flétrissent. Le juge décrète que le "droit de disposer de son corps" couvre tout ça (en l'espèce, les deux sado ont tout de même été déboutés car ils n'ont pas respecté la volonté de la victime qui avait dit "pitié", appel qui serait, dans leur jargon, le synonyme de "stop").
Jadis, quand je fréquentais les cours d'instruction coranique, la réponse automatique de l'imam à notre indolence était une petite frappe sur les doigts serrés de la main droite. On pleurait en ricanant. Un de mes cousins qui avait fréquenté en Turquie des cours d'apprentissage du Coran se délectait en nous expliquant les différentes méthodes laborieuses trouvées par les "professeurs" pour policer leur mauvaise humeur. Il en rigolait aussi. Etrange situation.
On nous vole nos souvenirs. On nous dépouille. Quoique. Mes mères se sont toujours abstenues. Mon père, un brin paterfamilias, avait le chic pour la correction verbale. Une parole acide vaut mille fois plus qu'une raclée phénoménale. Encore faut-il avoir le don de la formuler.
Les parents, quoiqu'ils fassent, sont nos seuls admirateurs et soutiens inconditionnels. Ad vitam aeternam. Ils méritent les éloges les plus fervents. Leur stigmatisation, quand ils "dérapent", ne doit pas nous faire oublier leur particularité. Henry Ward Beecher disait que "le coeur d'une mère est l'école de l'enfant"; l'abbé Antoine Prévost ajoutait: "un coeur de père est le chef d'oeuvre de la nature". Leur geste n'a qu'un dessein: notre bonheur. Nous n'avons plus qu'à leur baiser la main, avidement. L'islam nous l'apprend: "le Paradis se trouve sous les pieds des mères". Mains, bouches, coeurs, pieds, il faut savoir faire la part des choses...