dimanche 7 décembre 2008

Glose itérative

Cette semaine, le voile était encore en vedette. Un puits sans fond; le voile est devenu un profond sujet de discorde dans nombre de pays, une épine dans les relations sociales, un problème de civilisation. On malaxe tout : liberté religieuse, laïcité, égalité des sexes, droits de la femme, ordre public, etc.


Depuis que Deniz Baykal, président du CHP (parti qui, dit-on, est de gauche), a béni ses nouvelles adhérentes en "çarşaf", les discussions sur sa foi et sa sincérité n'en finissent plus; on apprend que lui, le Grand prêtre des laïcistes, s'est reconverti dans la promotion de la diversité dans la vêture : "elles cognaient à la porte du Parti, que devais-je faire ? Les chasser ? Moi, démocrate !". Les joues légèrement empourprées.


La dissidence interne commence à s'organiser autour de Necla Arat, une professeure de philosophie; une épaisse matrone.


C'est la seule à rugir tant; l'entêtement étant, comme on le sait, l'expression d'un "vice caché", les journalistes se sont "jetés" sur son passé. Et voilà déniché un récit picaresque : dans le système universitaire turc, le passage de la maîtrise de conférences (Doçent) au "Professorat" (Profesör) se fait sur présentation d'un doctorat d'Etat (habilitation à diriger des recherches ou agrégation pour les disciplines juridiques, économiques et de sciences politiques en France). Il faut compter, au minimum, cinq années. Or, notre malheureuse a été "élevée" au grade de maître de conférences en 1975 (en Turquie, le statut de maître-assistant existant toujours : yardımcı Doçent) et "créée" professeure en 1988. Soit une période d'attente inhabituelle de 13 ans. Et la raison n'est évidemment pas glorieuse : notre combinarde a pompé à droite à gauche pour son doctorat d'Etat; du plagiat fait rustiquement (200 pages sur 218 !). Et qui présidait la commission disciplinaire ? Un professeur de... théologie. C'est une rescapée d'un théologien. Tout s'explique. Pour la petite histoire, son sujet de "professorat" portait sur la morale...


Un autre foyer de résistance : l'armée. La ferveur des Turcs pour Mustafa Kemal n'est plus à démontrer; ça tombe bien, un temple a été construit en son honneur en plein coeur d'Ankara. Et toute la gueusaille défile périodiquement pour déverser ses doléances, rancoeurs et autres pathologies. Le 3 décembre fut donc un jour comme les autres : la journée des handicapés a drainé au "monothéon" les familles concernées. Rien d'extraordinaire. Mais voilà que des "gens en épaulettes" se sont plantés, tels les molosses de Memnon, devant les mères voilées du groupe. "Enlève et entre", "comment vous dites ?", "Ôte ce voile, j'te dis, libère-toi", "jamais", "circule alors"... La coutume demande à une femme, désirant entrer dans une mosquée, de poser un voile sur la tête; et personne ne bronche. Et bien, le rituel au sanctuaire kémaliste impose de se "défroquer".

Mais les militaires font toujours ça; ils quittent toute cérémonie publique lorsqu'une femme voilée se présente sur scène. Et ils refusent l'accès des casernes aux mères mal voilées : il faut toujours laisser émerger une mèche. C'est le critère. Une tragédie. Une comédie. Une maladie. Délire obsidional.


Heureusement, Ertuğrul Özkök, l'éditorialiste en chef de Hürriyet (équivalent du Monde), est là; ce sieur dont l'avis sur les choses publiques est indexé sur l'humeur de son patron, le célébrissime Aydın Doğan, a "osé" publier une photo de famille qui montre sa grand-mère en "çarşaf" : "regardez, nous ne sommes pas athées, nous autres; nous avons de la branche". La dispute des symboles. "Moi, j'ai trois voilées, une grabataire en plus, c'est émouvant non, qu'est-ce t'en penses ?", "moi j'ai quatre barbus et pas de voilées, elhamdulillah", "chariatiste, arriéré !", "oust ! complexé, vendu !"...


Bien sûr, Ramzan Kadyrov, le satrape de Tchétchénie, ne s'est pas inspiré des débats turcs pour imposer aux étudiantes le port du foulard. C'est un fils de mufti, voyons. Et les Russes l'aiment bien; et les hommes en ont assez d'être séduits. C'est prouvé, la concupiscence (non théologique s'entend) nuit gravement à l'attention; à l'université encore plus, les neurones n'ont pas le droit au répit.


Comme il faut que le hasard fasse bien les choses, la Cour européenne a pondu deux arrêts sur le foulard (Doğru c. France et Kervancı c. France, 4/12/2008). L'histoire de deux collégiennes d'origine turque insistant pour porter leur "accessoire" en sport; la loi de 2004 n'était pas en cause, l'on se plaçait donc sous le régime de 1989. Les juges sont unanimes : "mais tu ne peux pas faire du sport avec un voile, ma fille, allez, enlève ça", "bah si m'sieur, c'est même mieux, ça tient les cheveux", "mais là n'est pas le problème ma fille, t'es constipée ou quoi, la pratique importe peu, la théorie dit que c'est incompatible", "mais...", "oh quelle gueuse celle-là ! on s'en fout de ta vie, tu nargues la laïcité, point. Rejeté". Les arguments de la requérante étaient sensés pourtant : "lors du conseil de discipline, lorsqu’il lui a été demandé en quoi le port du foulard ou d’un bonnet pendant ses cours mettait en danger la sécurité de l’enfant, il [le professeur de sport] a refusé de répondre à la question posée. Le Gouvernement ne donne pas plus d’explication sur ce point." (§ 44). La Cour ne s'attarde pas, évidemment : "la Cour estime que la conclusion des autorités nationales selon laquelle le port d’un voile, tel le foulard islamique, n’est pas compatible avec la pratique du sport pour des raisons de sécurité ou d’hygiène, n’est pas déraisonnable." (§ 73) On comprend l'interdiction du voile ou du turban sikh pour le casque obligatoire ou pour la photo sur les documents officiels mais dire, péremptoirement, qu'il n'y a pas "à justifier, dans chaque cas particulier, l’existence d’un danger pour l’élève ou les autres usagers de l’établissement" (§ 38), c'est tout de même bizarre. "Oh moi tu sais, je ne sais pas si c'est compatible avec la pratique du sport, mais si ton prof le dit, c'est qu'il a ses raisons", "mais non, même lui ne sait pas", "allez, allez, règlez ça entre vous, nous, nous avons peur de traiter de la laïcité"...


Les débats de la semaine ont tourné autour du voile. Mais toujours rien à mettre sous la dent. Que des déceptions. Mais le temps a été créé pour cela, pour apprendre à meubler l'intermédiaire. L'idéologie transpire, on n'arrive toujours pas à avouer; sinon comment expliquer l'affaire du gîte d'Epinal, l'affaire des mères voilées accompagnant les enfants lors des sorties scolaires, l'affaire de la stagiaire voilée auprès de la fédération du Rhônes de la Ligue des droits de l'Homme (!), l'affaire des étudiantes voilées à l'université Montpellier 1 ? La laïcité à toutes les sauces. "On n'aime pas le voile, c'est ça qu'tu veux entendre ?". Voilà ! Je sentais bien que la laïcité n'y était pour rien. Oh be...