jeudi 20 mai 2010

Bay bay...

C'est grandiose, tout de même. Le CHP, parti de "gauche" nationaliste turc, explose en direct. On s'en souvient, son leader, Deniz Baykal, avait quitté la scène politique après qu'une vidéo le montrant en plein adultère, avait été diffusée. Dans la foulée, un député en vue, Kemal Kılıçdaroğlu a annoncé sa candidature à la présidence.


Chose étonnante, le vieillard en titre du parti, l'indéboulonnable secrétaire général, Önder Sav, a lâché Baykal, son ami, son collaborateur, son alter ego, son confident de 40 ans. Le "maire du palais" a décidé de soutenir Kemal Kılıçdaroğlu. Immédiatement le conseil de direction du parti s'est réuni pour lancer un appel solennel à Baykal afin qu'il reprenne les rênes du parti. On apprend que la réunion a été houleuse, Önder Sav ayant été honoré du classique "agent de la CIA" par un cerveau brûlé; celui-ci a immédiatement quitté la salle et s'est présenté devant les caméras de télévision pour railler les dirigeants du conseil de direction ! Un déchirement interne ! Le trésorier du parti, de son côté, a pris la parole pour lire la déclaration du conseil et appeler Önder Sav à la démission; ce dernier l'a invité à aller se faire voir... Et comme l'opportunisme n'a jamais tué personne, les 2/3 des députés et la quasi-unanimité des présidents de fédérations ont fait acte d'allégeance au candidat Kemal Kılıçdaroğlu !


Pour ceux qui suivent la vie politique turque, c'est tout bonnement révolutionnaire, le vieux lion a été évincé; il est vrai qu'un homme immoral n'aurait plus été crédible; même moi qui suis très très indulgent dans les affaires de moeurs, j'aurais sans doute éclaté de rire si je voyais Deniz Baykal prendre son air sérieux et défendre le droit des femmes, par exemple... Désolé. Ce n'est pas tant le fait qu'il a trompé sa femme qui me trouble, c'est l'état dans lequel on le voit dans la vidéo. Ce sentiment qui, quoi que l'on fasse, ne s'effacera jamais. C'est vraiment dommage. D'ailleurs, le Premier ministre Erdogan a déjà commencé les insinuations : "alors que nous nous démenions au Parlement pour changer la Constitution et améliorer les standards démocratiques de notre pays, Monsieur Baykal était occupé à faire autre chose..."


Baykal qui avait fait semblant de se retirer et qui attendait sagement les supplications des CHPistes pour revenir, a l'air tout chose : les CHPistes se sont illico détournés de lui ! Même Önder Sav, un Tcherkesse par-dessus le marché, l'a poignardé, lui, Baykal, un autre Tcherkesse. Il a soutenu Kemal Kılıçdaroğlu, un alévi ! On rêve. Car c'est une tradition, en Turquie : tout fonctionne par communautarisme ou esprit de clocher : la justice est aux mains des alévis, la diplomatie aux mains des Sabbataïstes, la police et les renseignements aux mains des Tcherkesses. Le CHP était, quant à lui, le parti des alévis mais Baykal avait toujours pris soin de ne pas en faire un parti d'alévis.


Kemal Kılıçdaroğlu que ses partisans appellent Gandhi Kemal est surtout connu pour ses bourdes : lorsque le sinistre Onur Öymen avait dit des choses sur Dersim (massacre des Kurdes alévites), il l'avait appelé à démissionner avant de se raviser le jour d'après; lorsqu'il avait voulu "coincer" le ministre des finances en révélant que sa soeur avait bénéficié d'un passe-droit pour obstenir l'allocation de pauvreté et que le ministre avait tout bonnement saisi l'occasion pour rappeler qu'à l'AKP contrairement au CHP lorsqu'une personne devenait ministre, toute sa famille ne s'enrichissait pas et que, effectivement, sa soeur était dans le besoin, il avait dû platement s'excuser... Il est connu aussi pour dénicher des dossiers de corruption contre les membres de l'AKP sans que personne ne le prenne trop au sérieux. Voilà donc le futur Premier ministre de la Turquie, un amateur.


Tant pis. On l'accepte quand même. Un peu benêt, pas charismatique du tout, malheureux candidat à la mairie d'Istanbul. Ca ne fait rien. Tant qu'il ne ressorte pas les salades du type "la laïcité est en danger", "on bascule", "j'étouffe", etc., il est digne d'être soutenu. Mais lorsque sa première déclaration, c'est de proposer la candidature de Deniz Baykal à la présidence de la République en 2012, on s'évanouit...


Le CHP est officiellement un parti de gauche. Un parti de gauche qui n'a jamais eu une rhétorique de gauche. Un parti de gauche rempli d'ambassadeurs en retraite. Un parti de gauche dont le cheval de bataille est le maintien du statu quo. Un parti de gauche qui reste atone sur l'explosion de la mine de charbon. Un parti de gauche qui freine les tentatives de "réhabilitation" des Kurdes. Un parti de gauche qui ignore le concept de droits de l'Homme. Un parti de gauche qui est sur le point de se faire expulser de l'Internationale. Un parti de gauche qui est soutenu par les grands industriels du pays. Avec Gandhi Kemal, espérons que les anciens schémas seront abolis, que nous ne serons plus "laïcs-obscurantistes" mais "corrompus-intègres", "privilégiés-exploités", "délinquants-victimes". De la sauce gauche, enfin. Bülent Ecevit, le seul vrai social-démocrate d'envergure que la Turquie a connu, peut dormir en paix... Gandhi Kemal arrive... Yes you can !