dimanche 2 mai 2010

De-ci, de-là...

C'est qu'il est ainsi, mon ami Muhayyel. Il veut tout savoir, tout goûter. "Allez viens, on va voir la cérémonie des moines tibétains du monastère de Nechung", "qu'est-ce ... ?", "oui oui je sais, c'est dangereux, t'as peur de basculer, je sais !", "euh...", "mais t'inquiètes, c'est juste pour respirer un peu", "je suis pauvre moi, tu sais, je préfère garder mon économie pour Joshua Bell", "allez allez"...




Bon bah, allons donc à l'opéra Bastille. C'est plus le mot "respirer" qui m'a attiré, je l'avoue. Une pause, c'est toujours bien. D'autant que, je ne sais pourquoi, j'ai immédiatement fait un lien entre bouddhisme et soufisme; et comme le chant soufi est gracieusement requinquant, j'ai commencé à rêver. Les cérémonies religieuses, ça promet toujours puisque, par définition, l'indicible ravissement est une épiphanie de l'invisible.


Avec tout le respect conventionnel que j'ai pour le bouddhisme, je dois dire que leurs chants m'ont donné des frissons. J'avoue que je me suis pas mal ennuyé. Les moines étaient concentrés, pourtant. J'ai repéré deux-trois jeunes; je les ai bien fixés. Mon côté musulman avait de la peine, évidemment. Voir ces jeunes moines perdre du temps dans ces postures où ils avaient l'air de ressentir des choses spirituelles élevées, un calvaire. "C'est du pipeau !", "chuuuuuut"...


"Ils étaient bons, hein, nos frères bouddhistes ?", "franchement, ça ne m'enchante pas d'être sincère, j'aurais pu répondre par des formules passe-partout mais vraiment leur chant me fait peur", "astagfiroullah !". C'était vrai pourtant : des voix rauques, des objets bizarres balancés à droite à gauche, des acrobaties manuelles sans intérêt apparent, et surtout les horribles "grandes trompes en bronze dung chen" ou les "cloches drilbu"... Akıl fikir ver yâ Rab...


C'est qu'il insistait dans son élan oecuménique, Muhayyel. Et quand le Coran devient argument, on ne peut que tendre l'oreille. La sourate 21, verset 85 évoque "Dhû l-Kifl" et la sourate 95, verset 1 parle du "Tîn", le figuier. Beaucoup de théologiens musulmans voient dans ces deux données, une référence à Bouddha. "Bouddha était appelé "celui de Kapil", ce que signifie précisément Dhû l-Kifl : en effet, la lettre p n'existe pas en arabe, et la plus proche en est le f. Kapil serait donc devenu Kifl (...). Le rapprochement entre Dhû l-Kifl et Bouddha est corroboré par le fait que le "figuier" évoqué dans la sourate 95, verset 1, désignerait l'arbre de la Bodhi sous lequel le Bouddha est parvenu à l'illumination" (M. Ali Amir-Moezzi (dir.), Dictionnaire du Coran, Robert Laffont, 2007, p. 218, rubrique Dhû l-Kifl, rédigée par Eric Geoffroy).


Comme on le sait, un musulman n'a pas besoin de se convertir au bouddhisme ni au judaïsme ni au christianisme puisqu'il est tout cela à la fois. Si la raison conduit l'homme à croire à un dieu, la logique pousse à être musulman. Pourquoi s'attarder dans les différentes "étapes" alors que l'islam est le point d'aboutissement ? Quel peut être le sens du "dialogue des religions" dans une configuration où l'islam accepte les autres mais où le judaïsme rejette la Vérité chrétienne et le christianisme nie la Vérité islamique ? Des réunions, des serrements de mains, des étreintes protocolaires, des tapotements guindés, etc.


Dans son livre Principes directeurs du droit international privé et conflit de civilisations. Relations entre systèmes laïques et systèmes religieux (un livre que j'ai lu dans le cadre de mes études, évidemment, ce n'est pas du genre à être lu au coin du feu), Marie-Claude Najm est on ne peut plus percutante : "Envisagé comme un facteur de rapprochement de la substance même des doctrines religieuses, le dialogue entre les religions nous paraît largement illusoire, car les religions ne sont pas théologiquement fongibles" (p. 3).


Et Hans Küng veut absolument une "paix mondiale" qui passe par une "paix religieuse"; il a donc écrit un pavé sur l'islam, publié en allemand en 2004 (Der Islam) et en français en avril 2010 (l'Islam). Il n'appelle pas à "une fusion syncrétiste" nous dit-il mais au "respect mutuel" et à "la reconnaissance objective et honnête de ce qui nous sépare et de ce qui nous lie" (p. 13). Il reconnaît la bizarrerie de son entreprise : "ce travail peut paraître provocant, et tout d'abord pour le lecteur musulman : comment un théologien chrétien peut-il oser se mêler d'affaires et de discussions aussi intimes de l'islam ? Mais aussi pour le lecteur chrétien : comment un théologien chrétien peut-il sur beaucoup de points se rapprocher autant des musulmans ?" (p. 17). Et la bonne nouvelle : "d'un point de vue chrétien, l'islam peut être chemin de salut" (p. 100) depuis Vatican II... Merci.


D'un point de vue laïque, l'islam ne peut, évidemment, être chemin de salut. Puisque cette religion brime ses adeptes, comme on le sait. Heureusement qu'elle a quelques siècles sinon on aurait été capable de la taxer de secte et de l'assiéger en lui décochant des articles des différents codes juridiques qui régissent notre pays, comme on sait si bien le faire en France. Les témoins de Jéhovah et les scientologues en savent quelque chose. Quoique la stigmatisation incessante et les provocations périodiques font autant de mal. Mais dans la loi qui va être votée par le Parlement dans quelques semaines, une période de pédagogie serait envisagée; car la République sait que ce qu'elle fait est mauvais. Sinon pourquoi envisager six mois pour convaincre les véritables destinataires, les femmes niqabées. Une loi sur mesure. Les étudiants en droit savent, dès la première année, que les lois sont générales. "C'est de la théorie ça, mon petit bonhomme"...


La République va dire à ces femmes qu'elles doivent abdiquer leur foi pour leur propre bien. Ou au nom de la conception de l'esthétique en vigueur dans ce pays. Elle va leur demander le plus officiellement du monde de renoncer à leur liberté de religion. Même l'Eglise a changé de paradigme, la République s'entête. République dirigée par des politiciens d'une majorité conservatrice, respectueuse des traditions chrétiennes de la France, soi-disant. Et si Sa Sainteté Benoît XVI envoyait une "lettre aux chrétiens de France", histoire de rappeler à ses ouailles que Vatican II, c'était en... 1965. Dieu n'en veut plus aux musulmans et à leur mode de vie, qu'est-ce qui t'arrive à toi, République ? Sana ne oluyor ?