Les Turcs ont une belle expression pour amortir le "choc" quand ils hésitent entre indignation et ricanement : "yurdum insanı". Littéralement, "un homme de mon pays". Du genre "un truc que seul un Turc peut oser faire". Celui qui, par nature ou par construction sociale, se soucie peu de la forme, de l'opinion générale. Celui qui "fait comme il peut". Qui pour se servir d'un câble électrique qui, normalement, ne passe pas par-là; qui pour dire au juge le plus sérieusement du monde qu'elle, bigleuse, ne peut plus supporter son mari laid; qui pour placarder une affiche interdisant aux étudiants d'entrer précisément dans le club étudiant; qui pour placer sa grosse femme à l'arrière du tracteur afin d'équilibrer le devant où il manque un pneu; qui pour transporter sa vache sur son deux-roues comme un panier, etc. etc.
C'est bien pourquoi, lorsqu'un Européen s'installe un temps en Turquie, il est complètement déboussolé. La facture payée recta, ça saute. La rigidité dans le métro, connais pas. Le respect de la réglementation, inchallah. Une insouciance telle s'empare du néophyte que juste pour ça, il y aurait raison à s'opposer à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne; Union où la taille de la banane et peut-être des pois chiches fait papoter jusqu'à l'aube. Le juridisme tue l'âme de l'Europe, venez en Turquie ! Un slogan que je soumets au ministère du tourisme turc... "Des pays où l'absurdité, l'anormalité, l'aberration ne sont pas illico presto choquantes, doivent bien exister ailleurs !" Bien sûr que oui ! Tout l'Orient en est rempli, mais je persiste, il y a un "plus" typiquement turc. Et ce "plus", le voici (et encore, je reste délicat) :
Voilà le pays où 95 % des habitants sont musulmans. Le pays qui basculerait tous les jours dans la charia. Cette demoiselle est, attachez vos ceintures, une musulmane "pratiquante". "Pouah ! C'est une blague ou une intox ?". Non, c'est une "yurdum insanı". Si si. Elle est une des adeptes du célébrissime Adnan Hoca, alias Harun Yahya, celui qui inonda jadis les écoles françaises de ses livres pro-créationnistes. Ce "savant religieux" passe pour avoir le plus grand réseau de bombasses dans le monde musulman. Et d'adonis, naturellement. Son mouvement (et non sa "confrérie") a le but d'islamiser le monde (oui oui, le monde) car ce Sieur qui est versé dans l'ésotérisme cache à peine sa stature de "Mahdi", celui qui descendrait à la fin des temps pour faire régner la justice. "Comment ? Comment ? Moi aussi ! Moi aussi !". Doucement, tosunum...
La communauté est organisée au cordeau, les critères sont stricts : une crinière luxuriante pour les hommes, une poitrine généreuse pour les femmes; la richesse et la virginité. "Quoi !". Ça existe coco, oui, des femmes jolies, riches et vierges. Mieux, des hommes sexys, riches et vierges. Evidemment, dans une "zone géographique" où la belle poule ou le beau mâle doivent s'exercer à la chose le plus tôt possible pour "profiter de la vie", on ne peut pas comprendre. Il faut être bien élevé pour saisir... Bref, Adnan Hoca donc, sous des dehors de Hugh Hefner, mène sa petite barque islamiste car il a compris ce que personne d'autre ne veut accepter : dorénavant, les religions recrutent de cette manière, en aguichant, en faisant baver. "De la connerie, tout ça !", peut-on s'évanouir. Certes, mais le premier qui jure ne plus regarder...
Et comme les chaines se comptent par centaines en Turquie (où la liberté d'expression n'existe évidemment pas, n'est-ce pas), Adnan Hoca a eu l'idée d'en créer une et de dispenser ses commentaires sur tel ou tel événement. Alors, on y voit ces beaux gosses s'émerveiller sur leurs tours de bras et leurs carrures, ces vénus nous montrer leurs lèvres bien pulpeuses, tout cela rythmé par les indispensables "inşallah" (si Dieu le veut) et "maşallah" (comme Dieu l'a décidé). L'ado se retient pour ne pas rire, la mère se retient pour ne pas lui ficher une baffe, le père appelle évidemment le CSA turc pour dénoncer ce "bordel" et patatras ! Ce "plus" turc échoue sur le bureau du très cul-serré RTÜK. La "jurisprudence" en la matière étant proverbiale, on peut espérer une "action forte" de l'institution sur, euh... "pour ainsi dire, un nichon, sauf le respect que je dois à madame" (Marcel Pagnol, Topaze)...
Un jour, j'avais été approché par un "islamiste" pour parler engagement politique. J'ai toujours eu un faible pour les yeux bleus. "Le rapport ?". Attends. Il me déroula un plan de carrière et une rhétorique d'une manière assez efficace. Les yeux en boule de loto, je l'écoutai, j'acquiesçais pour donner mes comptes Facebook et Twitter que je n'avais pas et que je n'avais jamais eus; il parlait et parlait, l'iris bleue avait envahi la pupille noire, le soleil frappait comme pour Meursault, je nageais dans l'océan, oui, me disais-je, il faut l'envoyer chez les Adnan Hoca, il ferait un bon prédicateur et paf, il finit : "alors, ok ?". Ok ? J'avais écouté pendant trois heures, trois heures de ma vie, et un "ok" à la fin; Mitterrand, avait-je pensé, je ne te trahirai pas. Alors, je me jurai de considérer que je n'avais pas perdu trois heures de ma vie pour rien : car, pendant trois heures, chers amis, j'avais admiré de très beaux yeux...
A l'heure où les barbus avec leur Ahmet le Soutanier sont dans une mauvaise passe, où les intellos avec Fethullah Gülen sont dans une impasse, on attaque nos beautés. Beautés bénies par le cheikh Nazim el Kibrisi, le fou ou le saint, c'est selon. Ah oui, car j'ai oublié de le dire mais Adnan Hoca voue une admiration sans borne à ce fou/saint. Celui qui prétend avoir converti à l'islam le prince Charles. "C'est un monde de dingue !". Bah oui, un autre "yurdum insanı", que veux-tu. Enturbanné comme il se doit, un peu vieux mais toujours babillant. Et spectateur assidu de ces allumeuses. Tarabiscotage de l'islam, auraient crié les justes. Et ils auraient eu raison si nous étions en Iran ou dans un quelconque pays arabe. Mais nous sommes dans le pays des Turcs. Où des mamelues, fessues et lippues pour les unes, chevelus, ossus et membrus pour les autres sont islamistes. Aux chapelets, citoyens !