mardi 29 juillet 2008

Nettoyage

Voilà que la justice turque fait encore rire. Les libéraux ricanèrent quand le Procureur général près la Cour de Cassation publia ses griefs contre l'AKP, parti gouvernemental. "Allez, vas-y envoie ta collection d'articles de journaux aux juges constitutionnels, ils te calmeront !". Quand ces derniers ont accepté de se pencher sur l'affaire, ces mêmes en ont hurlé de rire "Adieu démocratie...". Rire est la meilleure façon de pleurer...
Et maintenant, nous avons sous les yeux l'ordonnance de renvoi du juge d'instruction de l'affaire dite "Ergenekon", cette nébuleuse subversive mêlant ardeur nationaliste et défense criminelle du "statu quo". Plus de 2000 pages accompagnées de centaines de classeurs de preuves. Les rires continuent : encore plus bruyants mais moins nombreux; "et ben dis ! C'est quoi ce torchon ?"
La thèse est la suivante: certaines personnalités (généraux, journalistes, fonctionnaires, hommes d'affaire, voyous patentés, etc) ont décidé de "sauver" la République en créant un climat de terreur propice à l'intervention heureuse des militaires. Ainsi, Ilhan Selçuk aurait fait jeter une bombe dans l'enceinte de son propre journal pour faire accroire que le Pays sombre dans la terreur islamiste. L'organisation aurait préparé l'attentat contre le Conseil d'Etat qui avait fait un mort et qui avait été revendiqué par un avocat las de l'interdiction du voile dans les universités et qui avait plongé l'ancien Premier Ministre, Bülent Ecevit, dans une douleur extrême et finalement dans un coma provoquant quelques mois plus tard sa mort.
Les prises de position sont bien plus subtiles : les uns se refusent d'imaginer de penser que les accusés aient pu tenter une pareille entreprise : "Quoi Ilhan Selçuk, gardien du temple ! Lui, un malfrat ! Lui qui est "chargé d'ans" ! Nenni". Evidemment, le soliste, encore une fois, c'est Baykal le Négateur. "La montagne a accouché d'une souris, fulmine-t-il; Tout ça, c'est de la fable, ils n'ont rien fait, je le sais, je le sens, des nèfles !".
D'autres sont plus circonspects : "bon c'est un peu fort de café mais voilà quoi". Le Gouvernement, plumeau en main, se réjouit : "Nous brisons les clans, les gangs, combattons sans relâche les apaches qui se sont enchâssés dans les structures de l'Etat". Bon vent.
On veut déjà boucler l'affaire; certains journalistes estampillés dénigrent les accusations (quand ont-ils eu le temps de lire les 2000 pages !), d'autres dégomment celles qui leur semblent par trop grossières et font le disque rayé : "Ilhan Selçuk, hara-kiri ! Non, vraiment...". Je ne sais trop pourquoi, le nombre des années rend, dans l'imaginaire, exempt de tout soupçon. L'honnêteté passe au second plan : "jeune, sans doute, mais à cet âge, non, voyons". D'autres folliculaires n'en rougissent même pas : "eh bien, ils ont raison, tout est bon pour se débarrasser de ces gens-là, tuer, provoquer, voler, tout, entends-tu, tout !". Des Professeurs de droit pénal font le juriste puriste :"mais, il n'y a même pas d'action, rien; liberté de pensée, voyons; tant qu'il n'y a pas de conception, de commencement, hein, il est où le coup d'Etat ? Vous voyez, allez rien à espérer, l'iter criminis, voyons, ce n'est pas nous qui l'avons inventé". L'agrégation a toujours été bizarre en Turquie...
Un juriste ne doit jamais cesser de vénérer la présomption d'innocence mais la langue peut nous démanger : "Certaines chosent se sentent avec le coeur". Iter veritatis.