Nous voilà enfin comblés ! Pas de goujateries, pas d'insultes, pas de blessés ni de morts. C'est que l'on avait l'impression que le match turco-arménien était une simulation de combat : les policiers, les tireurs d'élite, les agents secrets fourmillaient. "Nan nan, c'est rien, c'est un match", "Hay Allah..."
Les Turcs, comme on le sait, ont radicalement changé de diplomatie. Les Français, eux, ressortent les anciennes recettes, la fameuse Françafrique : "alors, ce type, il est plutôt France ou pas ?", "Non Monsieur, il pourrait mettre à mal nos intérêts", "Hmm, bon, remplaçons-le". Il fut un temps où le jeune Bongo, Albert à l'époque, se faisait adouber par de Gaulle en personne et son "secrétaire", Jacques Foccart. L'ère où la France était, dans ses anciennes colonies, le Maître malgré lui. D'ailleurs, le nouveau "secrétaire", Claude Guéant, aurait les mêmes passions; quand il s'ennuie, il regarde la carte de l'Afrique; ça déride, paraît-il...
Cette fois-ci l'Arménien gondolait; on se souvient de la bouille du ministre des affaires étrangères, Edouard Nalbandyan (ça vient sans doute du turc "nalbant", un maréchal-ferrant). Le sourcil froncé et les lèvres indécollables. Sans doute constipé. Evidemment, signer de la paperasse, c'est une chose; l'appliquer en est une autre. Tellement de pages à signer. Et à chaque page, il se rembrunissait davantage; c'est que son "maître" Lavrov lui avait "ordonné" de ne pas faire le rabat-joie. "Il est hors de question que la délégation arménienne ne fasse pas de déclaration, nous allons dire que... !", "Chut ! Ou j't'en colle une". Et il ne fallait pas non plus que tout ce beau panel fût convoqué pour rien : Lavrov bombant le torse comme un soviétique, Clinton toujours aussi souriante et se léchant déjà les babines à l'idée de pouvoir torpiller "ses" Arméniens toujours aussi nombreux dans les couloirs du Sénat, Kouchner bougeant sans arrêt comme son Chef, Solana toujours aussi maniaque avec ses mains qui se baladaient sur les épaules des uns et sur le dos des autres, Calmy-Rey qui n'avait d'autre mérite que d'être affable et, s'il vous plaît, Son Excellence Charles Aznavourian, ambassadeur de l'Arménie en Suisse. Du gratin.
Le Président Sarkissian, lui, a décidé d'être joyeux; trop, peut-être; si bien que sa joie augmentait à mesure que son équipe engrangeait les buts...
Les Turcs et les Arméniens, naguère chiens de faïence, devenus des amis comme cochons ? C'est que le ministre des affaires étrangères, le Professeur Ahmet Davutoğlu, a quelque peu du mérite; il applique, pour ainsi dire, "sa" politique; celle qu'il a mis tant de temps à forger dans les universités. Une théorie qui marche. En somme, des fleurs à la place des verges. Et le réchauffement des relations avec la Syrie, l'Iraq du Nord, la Grèce, le rapprochement avec la Russie, la Géorgie, l'Iran, le renforcement du lien européen sortent de ce cerveau. Les Azéris font semblant de rouspéter; ils ont été impliqués dans toutes les phases du processus mais l'autocrate a toujours besoin de la peur de ses sujets; la peur, comme on le sait, pousse l'enfant à se cramponner sur la jambe de papa. En théorie, en tout cas; Khamenei n'a toujours pas compris pour sa part, pourquoi les Iraniens sont aux trousses d'Ahmadinejad alors qu'il espérait que sa stratégie de tension les pousserait dans ses bras...
Les relations avec Israël s'enveniment certes, mais il fallait bien s'indigner concrètement; la Turquie a donc annulé un exercice militaire conjoint qui devait se faire à Konya. Le Premier ministre en a profité pour jeter la responsabilité sur son peuple, "tu sais mon frère, les Turcs ne vous aiment pas alors...". Le ministre Davutoğlu a été obligé de fournir une raison un peu plus sérieuse : "comment voulez-vous que l'on entraîne sur notre sol des avions israéliens qui vont bombarder ensuite Gaza !". C'est bizarre mais ça ne sonne pas trop Davutoğlu. Mais bon. Et comme Erdoğan a beaucoup de chance, le Conseil des droits de l'Homme vient d'adopter le rapport Goldstone... "Cuk". Israël est bousculé. Il cherche donc des têtes à claques, rien d'anormal.
Evidemment, les aboiements ne se sont pas fait attendre. Les partis d'opposition ne savent plus où donner la tête; les "ouvertures" se succèdent. Or il faut dénoncer, critiquer voire menacer de trahison. Ce qui est sans doute le plus piteux dans cette comédie, c'est que les plus inflexibles sont en général des kémalistes; Mustafa Kemal, celui qui avait dit : "Paix dans la patrie, paix dans le monde"... N'a-t-il pas raison le Président Gül quand il dit : "excusez-nous mais nous, en cet instant, nous écrivons l'Histoire". Honni soit qui mal y pense, que dire...