Evidemment, l'on a bien compris que si Obama a été couronné pour son soutien à la diplomatie, c'est que l'autre était plutôt va-t-en guerre. Obama est, comme on le sait, un bon discoureur. A Prague, au Caire, à l'assemblée générale des Nations-Unies. Ses mots apaisent. On a donc décerné un Nobel à un idéal, la paix et à une méthode, le multilatéralisme. En somme, parce-qu'il sait rêver, au sens positif du terme; sinon, un Nobel au leader d'un pays armé jusqu'aux dents et en guerres, euh... D'ailleurs, il était assez occupé : "Alors, on envoie combien de soldats ? Hein ? Combien il en veut encore McCrystal ?", "Monsieur le Président, vous venez de recevoir le prix Nobel de la paix, qu'est-ce qu'on fait ? On bloque tout ?", "mais non malheureux, on continue les guerres, je cherche la paix, le Nobel m'y encourage"... Le Nobel donne des coups de pouce, désormais. Ca serait "rigolo" de voir un Obama nobélisé autoriser des frappes sur l'Iran. Après tout Shimon Peres est également un Nobel...
D'ailleurs, les spécialistes américains ne comprennent pas toujours ce que leur Président a pu faire d'estimable. Même David Ignatus, que les Turcs connaissent bien, étant celui que Tayyip Erdogan avait sermonné à Davos, ne semble pas très convaincu : "The Nobel committee is expressing a collective sigh of relief that America has rejoined the global consensus. They’re right. It’s a good thing. It’s just a little weird that they gave him a prize for it". Les Républicains, eux au moins, savent ce qu'ils en pensent : Obama ne mérite pas ce prix. Une droite plutôt nationaliste qui rejette cet honneur fait (un peu quand même) à leur pays. Un peu comme pour Orhan Pamuk; le Président de la République, le très kémaliste Ahmet Necdet Sezer, ne l'avait même pas félicité. Car trop "bavard" sur la question des Kurdes et des Arméniens. Le nationalisme pris entre le marteau et l'enclume, ça s'appelle.
Il l'aurait sans doute mérité quelques années plus tard, son Nobel. Après tout, d'autres étaient plus légitimes à le recevoir; je ne sais pas moi, par exemple, l'ONG Memorial qui connaît des travers depuis quelque temps; il était peut-être temps de l'épauler.
En tout cas, l'on sait une chose : il suffit de respirer l'optimisme pour recevoir un Nobel. On aurait pu penser au Roi d'Arabie Saoudite aussi; il veut sortir son pays de la férule wahhabite conservatrice. Ou au président syrien, son sourire poupin étant, à lui seul, un art. Peut-être au président français, aussi : c'est lui qui courait mettre fin à la guerre Russie-Géorgie; encore lui qui se démène pour le soldat israélien mais néanmoins de nationalité française, Gilad Shalit. Bon, il avait l'air de menacer l'Iran de bombardement mais ça ne casse pas trois pattes à un canard. Tout le monde s'est agité comme il pouvait et c'est un parleur qui triomphe. Un coup de pouce. "P'tain, j'ai transpiré pour rien en courant à droite à gauche"...
Tayyip Erdoğan aurait été aussi un bon choix. Ca l'aurait conforté dans sa politique d'apaisement à l'égard des minorités, des Arméniens et des Arabes. D'ailleurs, il s'en passe des choses du côté de la paix avec les Arméniens. Bien sûr, les gens de la diaspora matamorisent à qui mieux mieux. C'est leur devoir, cela dit. Diaspora arménienne mais également diaspora turque; c'est-à-dire celle formée des Turcs de l'intérieur qui ne vivent plus en phase avec les aspirations du peuple : Baykal et autres. "Nan, nan, nan et nan ! M'sieur veut faire la paix avec les Kurdes, serrer la main aux Arméniens, où va-t-on ? Vers plus de démocratie, nous dit-on, oust !". Toujours la commination. Un fonds de commerce. D'ailleurs, le Premier ministre avait invité le "social-démocrate" Baykal et le nationaliste Bahçeli à une rencontre. Le nationaliste a, évidemment, rejeté la demande : "espèce de malfrat, tu crois vraiment que je vais m'associer à ton entreprise interlope, dégage, ne reviens jamais, ne me parle pas de dialogue, notre jargon ne connaît pas ce terme !". Le "social-démocrate" a préféré temporiser : "on verra". Le Premier ministre a donc réitéré son invitation par une lettre; comme si il écrivait à un dirigeant étranger. Quoique. Baykal, fidèle au parallélisme des formes, pense lui répondre par courrier également. L'on attend sa réponse : "M. le Premier ministre veut parler avec moi sur l'ouverture, qu'il me dise d'abord de quoi il veut précisément me convaincre et après j'irais papoter". Commence à raconter de loin, si ça m'intéresse, je tendrais l'oreille... Un dialogue, ça s'appelerait. Personne n'a pu comprendre le sens de cette approche. Cela dit, faut-il essayer de comprendre Baykal ? C'est une autre question.
Tout le monde est content. "Ca y est, on va créer une commission, les Turcs vont enfin apprendre leur effroyable faute, youppi !", "ah enfin, şükür, on va pouvoir jeter nos liasses d'archives à la face des Arméniens, ces traîtres !"... Ca serait donc un "pas". Chacun refusant d'ailleurs, quelque soit le mérite des historiens qui plancheront sur la question, de reculer. Destruction voulue ou mauvais traitements justifiés par les circonstances ? Les historiens nous le diront. Lorsque la mémoire se croit histoire, on n'avance pas. Moi, en tout cas, je n'en sais rien. Je suis toujours l'avis d'Ilber Ortaylı sur ces questions...
Je me demande si l'on devrait pas créer plutôt un "prix de la zizanie". Car les rapports ni même d'ailleurs les actions en justice devant la Cour pénale internationale ne servent à rien. Un prix qui appelera le monde entier à lancer des imprécations sur le malheureux élu. Celui qui le recevra sera stigmatisé et sera contraint de faire des efforts pour effacer cette honte. Imaginons un Poutine, un Netanyahou, un Bachir, montré du doigt par un cénacle d'honnêtes gens. On évitera les hypocrisies; on n'aura pas, ainsi, à décerner un prix à quelqu'un pour signifier en fait qu'il s'inscrit contre un autre... On félicite Obama; pour être le contre-exemple de Bush. On aurait pu directement blâmer ce dernier, et épargner quelques vies...