Vendredi 23 octobre. 9h30. CNRS. Journée d'étude du Groupe d'étudiants et de jeunes chercheurs sur la laïcité, la liberté de religion et le droit des minorités. J'en suis un des membres. Un groupe créé en 2008 sous la direction de Mme Valentine ZUBER, enseignante à l'EPHE.
Encore et toujours, la laïcité. Nous, les "jeunes", qui présentions nos travaux et deux sommités, Jean Baubérot et Pierre-Jean Luizard. M. Baubérot était arrivé assez remonté; c'est que son audition à la "mission d'information sur le voile intégral", l'avant-veille, s'était mal passée. En visionnant la séance, on comprend. Certains députés sont mal à l'aise face au spécialiste de la laïcité; d'autres ont l'air très ignares sur les faits historiques relatifs à la naissance de la laïcité en France. Dommage pour la Nation que d'avoir de tels représentants. Evidemment "Monsieur le Président" n'a rien perdu de sa verve; le très laïque André Gérin. Et l'on note au passage que les spécialistes de la langue de bois que sont les députés face aux caméras, ont en réalité des difficultés à parler correctement la langue française. Certains sont franchement lourds; l'on croirait des maquignons en train de débattre entre eux ou des charretiers réunis dans un bistrot...
Le "Président" Gérin était sur la défensive; tellement que finalement on a rien compris de l'audition. "Je pense que vous devez élargir le champ de votre analyse aux discriminations qui alimentent les replis communautaires" a voulu signifier l' "intellectuel Baubérot", forcément déconnecté de la réalité. Et de s'entendre dire, "oh mais toi de toute façon, t'es un universitaire, tu ne comprends rien à la réalité des faits, allez..." Et j'ai eu presque honte d'entendre dire à un sociologue qu'il était déconnecté des réalités et qu'il versait dans le phébus. C'est comme dire à un professeur de droit qu'il ne lit pas les arrêts qu'il est censé commenter !
La proposition était censée, pourtant. Mais la réponse a giclé, "bon ça va hein, on sait ce qu'on fait !" On se demande si les députés n'ont pas formé cette "mission" non pas pour s'informer mais pour entendre des cris, compter les larmes, écouter des plaintes capables d'étayer leur "naturelle orientation" vers une loi d'interdiction. 367 cas, avaient dit les services de l'Etat. On a l'impression en écoutant certains des membres yeux écarquillés, joues en feu, que la "barbarie" a investi notre pays. On se souvient de l'attitude fort gauche de certains qui forcaient la main au "représentant" des musulmans de France; ça avait tourné au ridicule, "allez dites-le, c'est de l'intégrisme", "je dirais que c'est une lecture très contestée et minoritaire","on s'en fout, dis-nous que c'est l'étendard des intégristes", "je dis, Messieurs, que c'est une lecture qui doit être combattue mais sur un strict plan théologique, alors permettez-nous...", "ouais mais regarde coco, Tantawi est clair, lui !", "d'accord, mais le principe, c'est la liberté, donc on n'impose rien sur le plan théologique", "ouais mais bon, pfff, tu nous aides pas mon brave, dis ce qu'on veut entendre, regarde, franchement les jeunes filles qui sont harnachées dès l'enfance"...
En effet, l'islam l'impose : à l'échelle individuelle, les versets ne tombent réellement du Ciel qu'une fois que l'on jouit de la raison. L'ode à la raison. Mais les parents n'ont-ils plus le droit d'éduquer leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques ?
Une députée s'acharnait à faire croire à l'assistance que voir le visage de son interlocuteur dans la rue, le métro et sur la place du marché était une "liberté"... Une autre voulait absolument entendre l'expression "manipulation de l'esprit" pour qualifier la situation dans laquelle se trouvent les femmes en niqab. Et rappelait-elle, la France a une loi contre les sectes; une législatrice soit dit en passant. Une loi sur les sectes ! Elle a voulu sans doute dire contre les "dérives sectaires" ce qui, juridiquement, n'est pas exactement la même chose. Et très chère n'a toujours pas saisi que toute religion est une manipulation, une "illusion" disait Freud... Ce sont des députés qui parlent, ce n'est pas un sketch. Voilà le niveau.
Bref, la République est jalouse de l'islam; car il est plus attirant qu'elle. Et elle n'arrive pas à comprendre. Comment peut-on préférer la soumission, la privation, le formalisme à la liberté, l'émancipation, l'égalité ? A la fin de ma communication, un "juriste" m'a reproché de considérer le droit comme étant essentiellement "utilitariste". Mon tort était d'avoir dit : "la laïcité juridique, ce n'est ni l'émancipation des esprits ni l'égalité des sexes". Un philosophe, un historien, un sociologue, j'aurais compris; un juriste. Le droit devrait donc postuler des modes de vie, défendre des idéologies. Ce n'est pas ma conception du droit et encore moins de la laïcité juridique.
La laïcité est un principe juridique, c'est tout. L'islam, c'est un principe de vie. Le choix est vite fait. Ca serait dommage de provoquer un bras de fer. Le "vivre-ensemble" est une exigence et un concept religieux; toutes les religions condamnent les vies solitaires pour les laïcs (dans le sens premier du terme). Paradoxalement, la République a repris ce terme; serait-elle devenue religion ? Ce n'est pas anodin si de nos jours, on essaie de réhabiliter la Fraternité. Et moi je suis libéral, je suis individualiste et la marginalité des uns ne me préoccupe pas le moins du monde. Je suis même un "fondamentaliste de la laïcité", partisan du retour aux fondements de la laïcité juridique libérale, c'est dire...