mercredi 24 septembre 2008

Histrionnerie

Ca y est, lui aussi s'est "dénaturé". L'ancien Président de l'assemblée nationale turque, Bülent Arinç. C'est un type de haute volée, conservateur patenté, un vieux routier de la politique. Il dit tout haut ce qu'il ne faut pas vraiment oraliser. Les laïcistes le détestent, donc. Lors des élections présidentielles, il avait émis la volonté d'élire, enfin, un homme pieux, de la trempe d'Abdullah Gül. "Rétracte-toi, chariatiste, comment oses-tu réclamer un Président pieux à la tête d'une république laïque ?", "j'ai le droit, non ?", "misérable, dis-le, tu veux fausser la République !". Depuis, Gül est Président et la République se porte bien...

A un agriculteur qui se plaignait des prix de vente du raisin cette saison, lors d'une réunion locale à Manisa, sa circonscription, il lui répondit sans barguigner : "tu mens, bouffon, vendu...". Les répliques au peuple ne sont certes pas les joutes les plus réussies des hommes politiques, sauf en période électorale; on sait caresser dans ces moments-là. Le reste du temps, on vient, on visite, on interroge et on repart sans écouter; écouter voudrait dire tendre l'oreille à des sons; et des sons, il y en a une kyrielle. Ce brave paysan avait cependant sa carte à l'AKP; un membre actif, les mains gercées à force d'applaudir; il s'est senti trahi : "c'est donc comme ça, hein ? Paltoquet !".

Bien sûr, pour un Occidental, poser une question à son représentant, c'est comme acheter du pain, c'est normal; d'ailleurs, les députés sont au petit soin dans leurs permanences : factures impayées, arranger un boulot, aider à se débarrasser du fisc, etc. La Déclaration des droits de l'Homme le dit si bien dans son article 15 : "la Société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration". Ne vous bousculez pas, il faut savoir comprendre ce texte, évidemment... Mais l'esprit est là.

Le respect de l'autre aurait suffit à modérer le ton d'ailleurs; pas besoin d'avoir une loi pour fixer les canons de la discussion. Jadis, le Premier ministre Tayyip Erdogan avait rustiquement insulté un autre paysan venu demander des explications : "alors, tes promesses, où elles sont, on a faim, tu as fait pleurer nos mères (belle expression turque qui consiste à insister sur le degré de la détresse)" et le Premier minsitre de répondre : "prends ta mère et tire-toi !". La France se torche toujours les yeux depuis le rabrouement désormais rebattu de Monsieur le Président à un type, il faut dire, pour le moins grossier : "casse-toi alors, pauvre con".

Les Princes de la politesse, il y en a : en Turquie, on cite souvent le feu Premier ministre Bülent Ecevit (jusqu'à ce qu'il ordonne de jeter dehors la députée Merve Kavakçi qui s'était présentée à l'Assemblée avec son voile) et le feu ministre des affaires étrangères, Erdal Inönü, le fils de Ismet Inönü, le compagnon de guerre de Mustafa Kemal et son successeur à la Présidence en 1938. Un flandrin; un politicien malgré lui. Toujours poli et toujours respecté. Enfin, Ismail Cem, un ancien ministre des affaires étrangères aujourd'hui décédé; la politesse portée à son plus haut niveau. En France, les parangons de la correction et de l'honnêteté en politique sont assurément le Général de Gaulle et Pierre Mendès-France.

Les gens de l'élite sont ainsi faits; le dédain est le corollaire de la fonction ou de la situation sociale. Et comme la fonction se tient désormais ad vitam aeternam, la condescendance tend à se gonfler de mandat en mandat. La solution est le non-renouvellement des mandats; une rotation là où il y a du pouvoir. La tentation du mépris vient d'un sentiment profond, celui de figement de son état : ayant approché l'autorité, le pouvoir et donc ressenti la prééminence et les louanges, les prônes et les exaltations s'ensuivent. La solution est facile à envisager pour ceux qui sont en politique, la liquidation démocratique, mais difficile pour les riches et les aristocrates; la hauteur ne se perd jamais, elle est imprimée.
Les imprécations sont d'un autre temps. En même temps, le respect de la dignité ne doit pas être une formalité, vu d'en-haut. Un ami me proposait d'imaginer une scène pour atténuer le sentiment d'injustice qui point dans ces moments-là : le scatologique; une besogne, nous dit-on, à laquelle même la Reine est astreinte. Les hommes sont vraiment égaux...