La Turquie pleure. 15 soldats sont morts à Hakkari. Héroïquement. En luttant contre les terroristes du PKK. Des "martyrs". Les Français aussi avaient connu cette situation; 10 soldats.
L'émotion face à la mort est la même pour tous. L'émotion face à ces morts a une autre teinte. En France, le père d'un soldat avait grondé à voix haute, son "bout de chou" était trop jeune, il n'aurait pas dû être en Afghanistan. Le peuple aussi était en colère, qu'a-t-on faire de l'Afghanistan ? C'est où ? Pourquoi ?
Les Turcs sont traditionnellement moins bavares; la guerre contre le PKK dure depuis plus de 20 ans. Chaque famille est touchée. On n'ose pas protester. C'est la patrie, l'anatolie, ses frontières. Ca ne se discute pas.
Heureusement, on commence à s'interroger. Les journaux relatent l'information d'une manière ordonnée : on encense d'abord les morts, on prépare un petit spot sur sa famille, sa veuve, ses enfants, on égrène ses faits d'arme, on relate des anecdotes et nous, les téléspectateurs, nous pleurons toutes les larmes de notre corps. C'est humain. Ensuite, on tente une "petite" discussion : n'aurait-on pas pu éviter ces morts ? Les militaires sont interrogés, on se tourne vers le Chef d'état-major, il parle techniquement, personne ne s'attarde.
Les journalistes sont moins conformistes dorénavant : c'est la cinquième attaque dans cette zone, plus de 40 soldats tués depuis 1992. Tout le monde rage : "ils font quoi nos espions !". L'ancien chef d'état-major de l'armée, le Général Büyükanıt, voulant rassurer ses compatriotes, avait eu cette phrase malheureuse : "on les suit de très près comme dans le Loft Story". Si c'est cela suivre, on a donc évité une guerre en bonne et due forme... D'autant plus qu'ils étaient près de 300 à attaquer, les criminels. "Ne vous inquiétez pas, ils se défont, c'est pour ça qu'ils attaquent". Ouais. Poutine, lui, voulait les poursuivre "jusque dans les chiottes".
L'option militaire va reprendre corps, évidemment; il faut bien éponger le sang des "martyrs". "Nous sommes déterminés à lutter contre ces innommables". On l'espère bien. Le Président Gül devait effectuer une visite en France, annulé; le Premier ministre Erdogan était au Turkmenistan et se préparait à s'envoler en Mongolie, annulé. On a besoin d'eux. Non pas pour définir une nouvelle stratégie, mais pour réconforter la nation. La stratégie, voilà bien un drôle de mot...
En France, une commission avait été formée, on voulait savoir, le ministre Morin balbutiait, comme à son habitude certes, mais une madrerie respirait dans sa gesticulation. En Turquie, c'est la routine, on naît, on vit, on meurt. Le Premier ministre Tayyip Erdogan avait eu, jadis, une "idée" véridique mais difficile à "vendre" : "l'armée, ce n'est pas une sinécure, il faut savoir mourir". Le mot "şehit" (martyr, celui qui a témoigné de sa foi) vient tout droit de la phraséologie islamique; mais l'administration, pourtant astreinte au principe de laïcité, trouve normal de désigner officiellement les militaires morts de cette manière. "Morts pour la patrie", en version laïque.
La résolution du problème est ailleurs, on le sait : lutter contre les "terroristes" n'étant pas forcément une lutte contre le "terrorisme". Une obscure cour a décidé que proférer des menaces de mort contre les membres du DTP (parti pro-kurde) devait être perçu comme une manifestation de la liberté d'expression ! "Tu veux de la liberté, tiens, vas-y !". La Cour constitutionnelle est en passe d'interdire le DTP. Des jeunes turcs et kurdes se sont enflammés à Balıkesir, sur la côte égéenne. La suspicion, la méfiance. Quand on reproche à une mère, mère d'un terroriste, d'aller pleurer devant la tombe de son fils et, ainsi, de faire l'apologie du terrorisme, on n'est pas sorti de l'auberge.
Antoine Garapon, dans l'Esprit (mars-avril 2008, pp. 139-157), résume bien l'impasse : "cette guerre contre le terrorisme est sans fin : puisqu'elle n'a pas été déclaré, elle aura du mal à connaître son épilogue dans un traité de paix". Il nous reste plus qu'à lever les mains et à prier, pensant à cette "philosophie" d'Itzhak Rabbin : "il faut combattre le terrorisme comme s'il n'y avait pas de négociation et négocier comme s'il n'y avait pas de terrorisme". En défiant, au besoin, les yeux torves des nationalistes en strass...
L'émotion face à la mort est la même pour tous. L'émotion face à ces morts a une autre teinte. En France, le père d'un soldat avait grondé à voix haute, son "bout de chou" était trop jeune, il n'aurait pas dû être en Afghanistan. Le peuple aussi était en colère, qu'a-t-on faire de l'Afghanistan ? C'est où ? Pourquoi ?
Les Turcs sont traditionnellement moins bavares; la guerre contre le PKK dure depuis plus de 20 ans. Chaque famille est touchée. On n'ose pas protester. C'est la patrie, l'anatolie, ses frontières. Ca ne se discute pas.
Heureusement, on commence à s'interroger. Les journaux relatent l'information d'une manière ordonnée : on encense d'abord les morts, on prépare un petit spot sur sa famille, sa veuve, ses enfants, on égrène ses faits d'arme, on relate des anecdotes et nous, les téléspectateurs, nous pleurons toutes les larmes de notre corps. C'est humain. Ensuite, on tente une "petite" discussion : n'aurait-on pas pu éviter ces morts ? Les militaires sont interrogés, on se tourne vers le Chef d'état-major, il parle techniquement, personne ne s'attarde.
Les journalistes sont moins conformistes dorénavant : c'est la cinquième attaque dans cette zone, plus de 40 soldats tués depuis 1992. Tout le monde rage : "ils font quoi nos espions !". L'ancien chef d'état-major de l'armée, le Général Büyükanıt, voulant rassurer ses compatriotes, avait eu cette phrase malheureuse : "on les suit de très près comme dans le Loft Story". Si c'est cela suivre, on a donc évité une guerre en bonne et due forme... D'autant plus qu'ils étaient près de 300 à attaquer, les criminels. "Ne vous inquiétez pas, ils se défont, c'est pour ça qu'ils attaquent". Ouais. Poutine, lui, voulait les poursuivre "jusque dans les chiottes".
L'option militaire va reprendre corps, évidemment; il faut bien éponger le sang des "martyrs". "Nous sommes déterminés à lutter contre ces innommables". On l'espère bien. Le Président Gül devait effectuer une visite en France, annulé; le Premier ministre Erdogan était au Turkmenistan et se préparait à s'envoler en Mongolie, annulé. On a besoin d'eux. Non pas pour définir une nouvelle stratégie, mais pour réconforter la nation. La stratégie, voilà bien un drôle de mot...
En France, une commission avait été formée, on voulait savoir, le ministre Morin balbutiait, comme à son habitude certes, mais une madrerie respirait dans sa gesticulation. En Turquie, c'est la routine, on naît, on vit, on meurt. Le Premier ministre Tayyip Erdogan avait eu, jadis, une "idée" véridique mais difficile à "vendre" : "l'armée, ce n'est pas une sinécure, il faut savoir mourir". Le mot "şehit" (martyr, celui qui a témoigné de sa foi) vient tout droit de la phraséologie islamique; mais l'administration, pourtant astreinte au principe de laïcité, trouve normal de désigner officiellement les militaires morts de cette manière. "Morts pour la patrie", en version laïque.
La résolution du problème est ailleurs, on le sait : lutter contre les "terroristes" n'étant pas forcément une lutte contre le "terrorisme". Une obscure cour a décidé que proférer des menaces de mort contre les membres du DTP (parti pro-kurde) devait être perçu comme une manifestation de la liberté d'expression ! "Tu veux de la liberté, tiens, vas-y !". La Cour constitutionnelle est en passe d'interdire le DTP. Des jeunes turcs et kurdes se sont enflammés à Balıkesir, sur la côte égéenne. La suspicion, la méfiance. Quand on reproche à une mère, mère d'un terroriste, d'aller pleurer devant la tombe de son fils et, ainsi, de faire l'apologie du terrorisme, on n'est pas sorti de l'auberge.
Antoine Garapon, dans l'Esprit (mars-avril 2008, pp. 139-157), résume bien l'impasse : "cette guerre contre le terrorisme est sans fin : puisqu'elle n'a pas été déclaré, elle aura du mal à connaître son épilogue dans un traité de paix". Il nous reste plus qu'à lever les mains et à prier, pensant à cette "philosophie" d'Itzhak Rabbin : "il faut combattre le terrorisme comme s'il n'y avait pas de négociation et négocier comme s'il n'y avait pas de terrorisme". En défiant, au besoin, les yeux torves des nationalistes en strass...