Les militaires sont nécessaires dans une société. Aucun doute, il faut bien se défendre. Vivre en sécurité. Et ils font leur métier, les armes à la main. Certains font plus que leur métier, d'autres moins.
Il est des généraux qui ne "rigolent pas". Ceux de la Birmanie, par exemple. Ils ont libéré un vieux prisonnier politique, U Win Tin; on est contents; "t'as vu, ils s'adoucissent ", "rêve pas mon grand, les portes de l'Assemblée générale de l'ONU s'ouvrent, c'est pour ça, de la poudre". C'est vrai que les généraux qui géhennent la Fille du Père de l'Indépendance ne méritent aucunement le bénéfice du doute.
En Thaïlande, où les factions se déchirent sous le haut patronage du Roi, le Bien-Aimé et richissime Rama IX, le chef de l'armée de terre a lancé à l'endroit de ceux qui appellent à l'intervention de l'armée : "merci, coco, l'armée ne sert ni le gouvernement (sic) ni l'opposition; tu crois quoi ! que c'est facile de mener la barque ! les coups d'Etat ne servent à rien, on s'y refuse". Démocratissime. Tout de même bizarre, une armée qui refuse de secourir le gouvernement. Pas tout à fait parfait. En France, c'est la Grande Muette; mais ils obéissent, les nôtres, aux gouvernants. Le Général Cuche en est un rescapé.
Bien sûr, la Turquie fait figure d'exception. On apprend que le chef d'état-major de l'armée de l'air vaquait à ses passions sportives au moment où les militaires se démenaient contre les terroristes du PKK; pendant 9 heures sans l'intervention des avions F-16. Le Général jouait au golf.
Bien sûr, le service de communication des armées a trouvé bon de préciser qu'il n'était pas interdit de jouer au golf et surtout que le Général n'avait pas été mis au courant de ces échauffourées. On avait déjà compris que le service de renseignements de l'armée laissait à désirer; maintenant, on apprend que le service d'informations est, lui aussi, défaillant. Ca s'appelle la deuxième puissance militaire de l'OTAN...
Les militaires sont les nobles. Rustres qu'ils peuvent paraître, ils ont de la branche. En Occident, les gens qui font partie de l'aristocratie et qui, à longueur de temps, vous apprennent comment manger, comment saluer, comment s'asseoir, etc, le sont par la grâce de leurs aïeux militaires. La rustauderie s'est effacée avec le temps (je ne parle évidemment pas des faux nobles que sont ceux qui descendent de la noblesse de robe). En Turquie, on les envie; alors, on adopte leur mode de vie : golf, salon, réception, bal, etc. On les appelle des généraux "mon cher". Quoique. En France, le Général Jean-Louis Georgelin n'a pas connu les affres du terrain non plus; des militaires en chambre. "Tais-toi, dissident, on ne va pas inventer des guerres !". C'est vrai.
Les militaires jouissent quand même d'un grand respect parmi les Turcs. Non pas qu'ils aiment leurs beaux yeux, mais simplement la conscription fait qu'ils s'y intéressent malgré eux. La raison pour laquelle l'Armée n'est pas très enthousiaste pour la professionalisation. Et ils sacralisent le service militaire; une vision spartiate du devoir principal de tout Turc. Les familles tombent dans ce piège aussi; les mères qui viennent de perdre leurs fils, morts aux combats, répètent inlassablement le même morceau : "j'en ai encore un prêt au combat". La famille pousse donc immédiatement le puîné, déjà emballé. Tout Turc a quelque chose de sacré à perdre : sa vie. Même scène pour les mères palestiniennes. Alors que les deux situations sont radicalement différentes. Peu importe, il faut penser de cette manière. Béni-oui-oui.
Ils les aiment tellement que même un "intellectuel", le Président de l'Université d'Istanbul préfère inviter à la rentrée universitaire, des généraux plutôt que le Président de la République ou le Premier ministre; "moi, je n'inviterai jamais ces gens-là; l'université est impartiale; d'ailleurs, je n'inviterai jamais Yaşar Kemal ou Orhan Pamuk". C'est bien. L'un, figure emblématique de la littérature turque, l'autre, prix Nobel de littérature en 2006 (félicitations, en passant à notre Le Clézio national pour le Nobel 2008). La passion des bottes. "Misérable, arrête de chercher des crosses, allez, rentre dans le rang".
A laver la tête d'un âne, on y perd sa lessive, dit le proverbe. La troupe des lécheurs de bottes, heureusement, dégraisse. Les appels à la démission se multiplient; mais l'inconscient ne lâche pas prise : ceux qui émettent ces appels prennent soin d'écrire : "je pense que les dirigeants à la mie de pain, doivent s'en aller, militaires ou politiciens". L'attaque directe n'est toujours pas dicible; on a peur, voyons, ils ont les armes, eux; et de la gueule surtout. Il faut édulcorer. Prise de consience est là, au moins. La mort des uns stimule la bouche des autres. D'un mal, sort le bien. C'est le seul réconfort; espérons que les traîneurs de sabre penseront à ce joli mécanisme qui existe et qui grandit celui qui l'emploie : la démission. "Mais t'es fou, en pleine guerre ! Tu veux qu'ils s'en réjouissent, les terroristes ! Allez, allez". Cause toujours... Quand la cause de la débandade devient la justification du statu quo, on arrête la réflexion. A quoi bon ? Un chapelet à la main, on se lance : hasbiyallah, hasbiyallah, hasbiyallah,...