dimanche 22 décembre 2013

Foire d'empoigne...

Ça y est, ils ont brûlé leurs vaisseaux. Le premier ministre Tayyip Erdoğan et l'imam Fethullah Gülen. La figure de proue de l'islam politique d'un côté, l'inspirateur d'une puissante communauté économico-politico-religieuse dite "cemaat", de l'autre. L'un dirige le pays depuis 11 ans. L'autre vit en exil aux Etats-Unis depuis 14 ans. Qui a raison, qui a tort, ou plutôt qui sait ce qu'il se passe, on s'en fout, passez l'expression. On est en Turquie. Et on est surtout en pleine bagarre, on attend des renforts, pas de démonstrations. Les deux vieux rescapés du "système kémaliste" qui se sont saignés des quatre membres pour se hisser là où ils sont aujourd'hui, en train de se chamailler, que dis-je, de se sangler, voilà bien un triste épilogue. Pour eux et pour leur troupe, la même d'ailleurs, le même électorat, la même piété, le même dessein. Une "fitna" comme dirait le dévot; un "gâchis" comme dirait l'électeur de droite; une "bénédiction" comme dirait l'électeur de gauche...

Le "scénario" requiert une solide haleine : Gülen veut se débarrasser d'Erdoğan, trop enclin à isoler la Turquie sur la scène internationale. En contrepoint, le premier ministre ne sacque plus l'influence de ce cemaat dont l'entrisme dans la police et la justice est proverbial. Les choses s'accélèrent lorsqu'Erdoğan envoie à Oslo son directeur des Renseignements, négocier avec les Kurdes du PKK et passe sereinement sur le billard pour une opération de je ne sais plus quoi. Mais voilà; les méchants guettent. Un procureur, proche du cemaat, décide alors d'inculper l'espion en chef pour haute trahison ! Écumant de colère, Erdoğan rompt sa convalescence et fait voter une loi en catastrophe pour barrer la route à cette éventualité. Et comme la vengeance est un plat qui se mange froid, il décide quelques mois plus tard de sabrer le gagne-pain de "l'ennemi" en voulant interdire les centres de soutien scolaire. C'est la déclaration de guerre : Gülen envoie ses policiers aux trousses des ministres de Sa Majesté. Et paf, on embarque, entre autres, et s'il vous plaît, le fils du ministre de l'Intérieur pour corruption...

Et quand les "grands" numérotent leurs abattis, les "petits" se créent des fables. Bienvenue dans la politique turque. Un déballage s'ensuit, on fait feu de tout bois : pourquoi d'abord un imam se mêle-t-il de politique ? Hein ? Pourquoi vit-il aux Etats-Unis ? Pourquoi ne porte-t-il pas de barbe ? Pourquoi n'est-il pas marié conformément à la tradition du Prophète ? Pourquoi adore-t-il Israël ? Et si le camp adverse commence par "euh...", on va vite à la conclusion : c'est donc un agent du Mossad ou je ne sais pas moi, un cardinal caché. Ah oui, alors ! En Turquie, point de divergence sans dispute et point de dispute sans Etats-Unis et Israël. Dommage qu'Aytunç Altındal, le pape de la "théorie du complot", est mort récemment... Argumentum ad hominem, loi de Godwin, etc. etc. On mélange tout ça avec la hargne des islamistes qui, déjà, ont une dent contre lui, le "modéré", le partisan du dialogue des religions, le défenseur de la stabilité. Et on aboutit tout naturellement à la "vérité" : la Turquie est face à un complot international. Erdoğan allant même jusqu'à menacer l'ambassadeur américain d'une expulsion...

C'est dire à quel point les fariboles volent haut, dans ce pays. Le citoyen turc aime à être secoué. A plonger dans les méandres. A tirer des conséquences hâtives. Comme on le sait, dans les pays "orientaux", les problèmes viennent toujours des Etats-Unis. Des ministres sont-ils accusés de corruption ? C'est possible mais c'est un complot contre Erdoğan ! La descente de la police ne se fait-elle pas à une date assez évocatrice ? C'est possible mais c'est une opération "mains propres" ! Bref, encore une tourmente, encore un président qui préside son palais le temps de la tempête; encore une opposition qui attaque bille en tête; encore un premier ministre qui braille; encore un cemaat qui cabale. Voilà l'image qui en ressort.

Et surtout, encore un pays divisé en deux, une presse peu objective ou trop partiale. Le gouvernement a initié une de ces valses de directeurs de la police que même un gus bien intentionné y décèle un mouvement de panique. Un journaliste qui ne cachait pas sa sympathie pour le cemaat claque la porte d'un journal pro-Gülen alors que Nazlı Ilıcak qui ne cachait pas sa sympathie pour le gouvernement est virée d'un journal pro-Erdoğan ! L'un dénonce des manigances qui nuisent à la démocratie, l'autre, l'impassibilité des ministres mis en cause. Ma pauvre abeille, c'est encore Nazlı Ilıcak qui paie les pots cassés. Cette grande dame du journalisme turc avait été déchue, pour violation de la laïcité, de son mandat de députée par la Cour constitutionnelle en 2001, elle avait simplement accompagné la députée voilée Merve Kavakçı dans l'hémicycle. Pour une femme qui ne porte pas de voile et qui se targue de boire de l'alcool, ça faisait tellement "connerie" que la Cour européenne des droits de l'homme lui avait donné raison...

Bref, ça papote à chaque coin de rue. Les cafés se transforment en salons; les salons se transforment en boudoirs. On fait des calculs, on suppute des choses. Les boutefeux crient à la liquidation. Les vindicatifs ont l'oreille en campagne, les corrompus ont chaud aux oreilles, les complaisants ont l'oreille indulgente, les conservateurs en ont par-dessus les oreilles. Et l'acmé a été atteint : Fethullah Gülen, dans un de ses rares moments de transe, a lancé des imprécations, le "bazooka" dans la tradition islamique. Une malédiction à double tranchant : pour lui et ses suiveurs s'ils ont fauté, pour les Erdoğan et autres s'ils ont détourné de l'argent public. Et ce dernier de répondre : "on va dévaster vos repaires ! Nous, nous prions pour le bien, nous ne maudissons pas !"... Le souhait d'Adnan Hoca pour les rabibocher étant plus une farce qu'autre chose, la situation semble enténébrée. Une catharsis pour la République turque. Les deux camps se défendent mal, est-ce une raison pour les condamner ? comme dirait Victor Hugo. Tout reste à prouver mais quoi qu'il en retourne, personne n'en sortira la tête haute, c'est quasiment assuré... 

Candan Ercetin - Yalan

dimanche 8 décembre 2013

Prêchi-prêcha...

"Ne lisez pas de romans, mes agneaux ! Ça ne sert à rien, ça bouffe votre temps et ça m'énerve !", pontifia l'imam ex cathedra, lors de la prière du vendredi. "Dévorez les livres sur la religion et vous serez sauvés !". Lui, lisait jusqu'à minuit, ah oui alors, il était vieux, il n'avait pas le luxe de ronfler 8 heures. Et il faut dire que c'est un mufti en retraite, une sorte d'archevêque qui, normalement, est dispensé d'assurer la prière quotidienne dans une mosquée. Un "hiérarque" payé pour délivrer ces fameuses "fatwas" derrière de belles portes capitonnées, un homme de bureau, quoi... Et claironner sa bibliophagie et donc sa pénétration et sa fatuité était un comportement qui seyait particulièrement à un homme de religion, n'est-ce pas...

Éblouis étaient les orants au sortir de la mosquée. Car on leur avait dit "ne lisez pas", ça délivrait de la besogne. "Tu vois, on avait raison, la lecture est une mauvaise action, c'est l'imam ayant rang de mufti qui le dit !", "euh, ce n'est pas exactement ce qu'il a dit", "mais si mais si, on a tous entendu !". Le "privilège" de l'ignare, l'abolition des nuances. Il n'est rien de moins tronquée que la parole dite en public... Ça ressemblait fort à cette malice du "dede" bektachi (sorte de guide chez les alévis) qui répondait à qui le critiquait : "le verset 43 de la sourate 4 dit : 'ne priez pas !', je ne fais qu'appliquer le Coran". Sauf qu'il escamotait la proposition subordonnée circonstancielle : "ne priez pas lorsque vous êtes ivres (...)"...

Ébaubis étaient les deux professeurs de lettres, présents dans l'assistance. Papivores comme il se doit. "C'était ubuesque", s'empressa le premier; "quelle capucinade ! quelle outrecuidance ! quelle connerie !" s'enfiévra le second. Le bon Turc ne lisait certes déjà pas, mais là, c'était du jamais-vu. Un imam disait le plus sérieusement du monde qu'il ne fallait pas lire de la fiction ! "Et si on lui parlait des résultats de l'enquête PISA, qu'est-ce t'en penses ?", "comme dirait Rûmî, 'il n'est pas possible qu'un enfant qui tète, mange', laisse tomber !". Le sermonnaire n'avait pas pu s'empêcher de venir les saluer, les grands esprits allaient se rencontrer mais les profs lâchèrent de conserve : "allez, à la revoyure !"...

Heureusement que les dévots n'écoutent généralement pas les prédicants. On vient se débourrer le crâne, se conformer à la tradition ou faire la liste des absents, histoire de jaser par la suite. Et même s'ils prêtent l'oreille, les Turcs n'aiment pas lire, ce n'est pas un mystère. Ils ne savent donc pas saisir le sens d'une phrase, comme le montre l'enquête. Un cousin philosophe, formé en France, avait préféré enseigner en Turquie. "Allez, sortez les copies, dissertation surprise !", s'était-il enthousiasmé. Et le chœur de dire : "c'est quoi !"... Comme quoi, Celal Şengör a raison quand il affirme qu'il n'y a pas d'université en Turquie mais seulement quelques universitaires formés à l'étranger...

Mais il y a un autre drame pour les volontaires, la diglossie. Certes, la langue turque est en soi difficile (utilisation abondante du passif, verbe en fin de phrase, etc.), mais elle est surtout devenue du "n'importe quoi". L'activisme de l'Académie de la langue turque (Türk Dil Kurumu) a contribué à créer une nouvelle langue qui ne serait pas comprise par nos arrière-grands-parents. Dilleri var bizim dile benzemez comme dirait le pro-renouveau Cevdet Kudret. Les nouvelles générations ne savent pas lire l'ottoman, pourtant écrit sur les pierres tombales, les frontons, les archives, etc. Elles ne comprennent même pas un discours de 1960 ! Pas de littérature, pas de vocabulaire, pas de style, pas de pensée, pas d'avis. Comme dirait l'expression turque, quand l'imam vente, les ouailles défèquent...

mercredi 27 novembre 2013

Coups de férule

Les Turcs ont une belle expression pour amortir le "choc" quand ils hésitent entre indignation et ricanement : "yurdum insanı". Littéralement, "un homme de mon pays". Du genre "un truc que seul un Turc peut oser faire". Celui qui, par nature ou par construction sociale, se soucie peu de la forme, de l'opinion générale. Celui qui "fait comme il peut". Qui pour se servir d'un câble électrique qui, normalement, ne passe pas par-là; qui pour dire au juge le plus sérieusement du monde qu'elle, bigleuse, ne peut plus supporter son mari laid; qui pour placarder une affiche interdisant aux étudiants d'entrer précisément dans le club étudiant; qui pour placer sa grosse femme à l'arrière du tracteur afin d'équilibrer le devant où il manque un pneu; qui pour transporter sa vache sur son deux-roues comme un panier, etc. etc. 

C'est bien pourquoi, lorsqu'un Européen s'installe un temps en Turquie, il est complètement déboussolé. La facture payée recta, ça saute. La rigidité dans le métro, connais pas. Le respect de la réglementation, inchallah. Une insouciance telle s'empare du néophyte que juste pour ça, il y aurait raison à s'opposer à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne; Union où la taille de la banane et peut-être des pois chiches fait papoter jusqu'à l'aube. Le juridisme tue l'âme de l'Europe, venez en Turquie ! Un slogan que je soumets au ministère du tourisme turc... "Des pays où l'absurdité, l'anormalité, l'aberration ne sont pas illico presto choquantes, doivent bien exister ailleurs !" Bien sûr que oui ! Tout l'Orient en est rempli, mais je persiste, il y a un "plus" typiquement turc. Et ce "plus", le voici (et encore, je reste délicat) :


Voilà le pays où 95 % des habitants sont musulmans. Le pays qui basculerait tous les jours dans la charia. Cette demoiselle est, attachez vos ceintures, une musulmane "pratiquante". "Pouah ! C'est une blague ou une intox ?". Non, c'est une "yurdum insanı". Si si. Elle est une des adeptes du célébrissime Adnan Hoca, alias Harun Yahya, celui qui inonda jadis les écoles françaises de ses livres pro-créationnistes. Ce "savant religieux" passe pour avoir le plus grand réseau de bombasses dans le monde musulman. Et d'adonis, naturellement. Son mouvement (et non sa "confrérie") a le but d'islamiser le monde (oui oui, le monde) car ce Sieur qui est versé dans l'ésotérisme cache à peine sa stature de "Mahdi", celui qui descendrait à la fin des temps pour faire régner la justice. "Comment ? Comment ? Moi aussi ! Moi aussi !". Doucement, tosunum...

La communauté est organisée au cordeau, les critères sont stricts : une crinière luxuriante pour les hommes, une poitrine généreuse pour les femmes; la richesse et la virginité. "Quoi !". Ça existe coco, oui, des femmes jolies, riches et vierges. Mieux, des hommes sexys, riches et vierges. Evidemment, dans une "zone géographique" où la belle poule ou le beau mâle doivent s'exercer à la chose le plus tôt possible pour "profiter de la vie", on ne peut pas comprendre. Il faut être bien élevé pour saisir... Bref, Adnan Hoca donc, sous des dehors de Hugh Hefner, mène sa petite barque islamiste car il a compris ce que personne d'autre ne veut accepter : dorénavant, les religions recrutent de cette manière, en aguichant, en faisant baver. "De la connerie, tout ça !", peut-on s'évanouir. Certes, mais le premier qui jure ne plus regarder... 

  














Et comme les chaines se comptent par centaines en Turquie (où la liberté d'expression n'existe évidemment pas, n'est-ce pas), Adnan Hoca a eu l'idée d'en créer une et de dispenser ses commentaires sur tel ou tel événement. Alors, on y voit ces beaux gosses s'émerveiller sur leurs tours de bras et leurs carrures, ces vénus nous montrer leurs lèvres bien pulpeuses, tout cela rythmé par les indispensables "inşallah" (si Dieu le veut) et "maşallah" (comme Dieu l'a décidé). L'ado se retient pour ne pas rire, la mère se retient pour ne pas lui ficher une baffe, le père appelle évidemment le CSA turc pour dénoncer ce "bordel" et patatras ! Ce "plus" turc échoue sur le bureau du très cul-serré RTÜK. La "jurisprudence" en la matière étant proverbiale,  on peut espérer une "action forte" de l'institution sur, euh... "pour ainsi dire, un nichon, sauf le respect que je dois à madame" (Marcel Pagnol, Topaze)...  

Un jour, j'avais été approché par un "islamiste" pour parler engagement politique. J'ai toujours eu un faible pour les yeux bleus. "Le rapport ?". Attends. Il me déroula un plan de carrière et une rhétorique d'une manière assez efficace. Les yeux en boule de loto, je l'écoutai, j'acquiesçais pour donner mes comptes Facebook et Twitter que je n'avais pas et que je n'avais jamais eus; il parlait et parlait, l'iris bleue avait envahi la pupille noire, le soleil frappait comme pour Meursault, je nageais dans l'océan, oui, me disais-je, il faut l'envoyer chez les Adnan Hoca, il ferait un bon prédicateur et paf, il finit : "alors, ok ?". Ok ? J'avais écouté pendant trois heures, trois heures de ma vie, et un "ok" à la fin; Mitterrand, avait-je pensé, je ne te trahirai pas. Alors, je me jurai de considérer que je n'avais pas perdu trois heures de ma vie pour rien : car, pendant trois heures, chers amis, j'avais admiré de très beaux yeux...    

A l'heure où les barbus avec leur Ahmet le Soutanier sont dans une mauvaise passe, où les intellos avec Fethullah Gülen sont dans une impasse, on attaque nos beautés. Beautés bénies par le cheikh Nazim el Kibrisi, le fou ou le saint, c'est selon. Ah oui, car j'ai oublié de le dire mais Adnan Hoca voue une admiration sans borne à ce fou/saint. Celui qui prétend avoir converti à l'islam le prince Charles. "C'est un monde de dingue !". Bah oui, un autre "yurdum insanı", que veux-tu. Enturbanné comme il se doit, un peu vieux mais toujours babillant. Et spectateur assidu de ces allumeuses. Tarabiscotage de l'islam, auraient crié les justes. Et ils auraient eu raison si nous étions en Iran ou dans un quelconque pays arabe. Mais nous sommes dans le pays des Turcs. Où des mamelues, fessues et lippues pour les unes, chevelus, ossus et membrus pour les autres sont islamistes. Aux chapelets, citoyens !

mercredi 13 novembre 2013

Leçon inaugurale de sociologie, sociographie et sociolâtrie structuralistes turques

Quand le cousin sociologue m'avait invité à sa soutenance de thèse l'an dernier, j'avais d'abord écarquillé les yeux avant de pouffer. Moi, un chasseur de minutes, perdre des heures à écouter une "non-discipline" pour apprendre au bout du compte que dalle ! Car je voudrais le dire, n'est-ce pas, une matière qui n'a pas sa propre agrégation, suivez mon regard, ne peut qu'être une farce. Un truc entre deux portes; un détail superfétatoire d'histoire ou de philosophie; de la jacasserie; bref, de l'inutile. Et l'humeur rebourse, l'érudition primesautière, la "pontife attitude" des professeurs-membres du jury, mon Dieu ! Mais le temps de ronchonner tranquillement, je m'étais retrouvé sur les grands chemins; trois ans passés au quartier latin ne m'avaient servi à rien pour m'y retrouver à la Sorbonne. Trop de couloirs, trop de portes, trop de personnes qui ne savent jamais où se trouve la salle demandée...

Quatre sommités, un presque docteur, une femme fébrile, une assistance grave. Voilà la scène. Alors on s'était mis à écouter, écouter et écouter; on ne comprenait rien, on se demandait s'ils se comprenaient, eux, là-bas, les savants, on réécoutait et on s'ennuyait. Pourtant, il y avait du Mustafa Kemal, du Bonaparte, du Nasser, du Weber, du charisme, etc. Pour ma part, j'aimais bien Schumpeter. "Mais c'est même pas un sociologue, c'est un économiste !" m'avait soufflé quelqu'un dans l'assistance. Pff. Au lycée, on s'en foutait, passez l'expression, qu'il fût économiste; notre professeur de "sciences économiques et sociales" en parlait, c'était tout. Bourdieu et Boudon aussi, j'aimais bien; qu'avaient-ils apporté à la marche de l'humanité, je n'en savais plus grand chose mais c'était Bou Bou. Et quand ça balance entre les deux, c'est tellement craquant... Ah, c'était fini, tout ce beau monde se félicitait, les profanes aussi dissertaient tout haut sur ce que, cinq minutes plus tôt, ils maudissaient tout bas... "Oui, oui, allez, cia ciao cia ciao"...

Bref, la sociologie devait bien servir à quelque chose. Pourquoi je n'y comprenais rien malgré ma haute..., euh..., hum. Je cherchai désespérément, je lus des "tables de matières", des "index", des "introductions", pouah, rien à faire. Seul le doyen Carbonnier me séduit mais je me rendis rapidement compte que c'était son style qui m'intéressait, pas le fond. Je refermai tout et continuai à vivre ma vie de gueux. Et un jour,  la révélation : comme une blague, mais c'est vrai; le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdoğan, m'a enfin permis de saisir la "chose". Et comme tout débutant, je me suis précipité pour étaler ma science et mon zèle. Ainsi, vais-je faire un cours de sociologie politique à destination des nuls. Car la sociologie et toutes ses déclinaisons m'ont transformé en Adalbéron de Laon. Les Trois ordres, oui ! L'imaginaire féodal mâtiné de sauce turque. Tout a commencé avec les semonces et les coups de boutoir du Premier ministre conservateur-démocrate. "Il met les nerfs de tout le monde en pelote" m'étais-je en train de dire que d'un coup, LE mot apparut : pelote ! Bah oui, qui disait enroulement de fils devait bien dire déroulement c'est-à-dire sociographie...

Erdoğan avait juré en 2002 qu'il respecterait les différents modes de vie dans le pays. Pays à 95 % musulman avec les trois quarts sunnites dont la moitié était pratiquante, l'autre moitié tiède, sans oublier un dixième d'islamistes, un zeste d'indifférents, le quart alévi avec une moitié non musulmane, une autre moitié boudeuse, 5 % de minorités divisées en orthodoxes, Arméniens, Grecs, juifs, syriaques, athées et cetera pantoufle. Bref, un bordel pas possible. Quelques-uns le traitèrent de menteurs, d'autres se forcèrent à le croire et tout le monde se mit à attendre. Si bien que d'année en année, à mesure qu'il dégommait les contre-pouvoirs, on vit le penaud Erdoğan, se transformer en pourfendeur de la relation hors mariage, de la consommation d'alcool, de la vêture féminine trop courte, de la proximité trop flagrante des garçons et des filles sur les bancs publics. Et dernièrement, il fustigea la colocation d'étudiants et d'étudiantes. Une énième, pouvait-on penser mais non; il avait pris une résolution, à savoir légiférer, et surtout fourni une explication : "le peuple veut ainsi !". Bah oui ! Le peuple ! Aucun père et surtout aucune mère turcs ne souhaiteraient voir leur fille cohabiter avec un mâle (sunnite et alévi, même combat !). "Oui mais si les jeunes le souhaitent, qui peut s'immiscer dans leur vie privée ?", bah, le peuple, voyons...

L'erreur des observateurs se trouve ici; ce ne sont pas les données religieuses ou ethniques qui sont instructives pour comprendre la Turquie, c'est la sociologie culturaliste ! Les fameux Trois ordres. Brossons un panorama rapide, idéal-typique comme dirait le Maître, chacun se trouvera un sujet de thèse : 

Les membres de la famille impériale, les aristocrates et les lettrés forment le premier ordre. Ceux qui lisent en ottoman et en turc (en partie pour les princes et princesses actuels nés pour la plupart en exil), souvent en français ou en anglais. Les femmes s'habillent correctement, sans la prétention de vouloir étaler leur chair. La famille impériale se divise elle-même en deux groupes : les Occidentaux qui ne pratiquent pas la religion mais en possèdent une bonne connaissance et les Orientaux qui ne voient aucun problème à courber l'échine devant un cheikh. Les lettrés sont des intellectuels de haut vol qui se croisent dans certains quartiers d'Istanbul (notamment Teşvikiye). Leur signe particulier : le dédain, la critique de l'inculture et de la grossièreté de ceux qui débarquent à Istanbul et qui dénaturent le savoir-vivre ancestral. C'est un club très fermé, très discret. Ils peuvent être de gauche comme de droite. Ils écoutent de la musique classique occidentale et de la musique classique ottomane. Ils ont eu une très grande culture en matière littéraire et artistique, pensent que les couleurs et les goûts sont évidemment discutables  et se targuent d'ignorer le sport.

Les bourgeois, les artistes et les intellectuels de second ordre occupent le deuxième rang. Ceux qui lisent tout sauf la langue et la culture ottomanes. Ils maîtrisent également l'anglais ou le français. Les femmes s'habillent dernier cri; les Occidentales elles-mêmes envient leur "liberté vestimentaire". Ils sont adeptes de la "culture républicaine" qui se borne à perroqueter qu'on doit tout à Mustafa Kemal (cf. le discours de la députée Şafak Pavey qui apprend à la Nation que "la jeune fille, qui porte un voile coloré et met un jean serré, s'embrasse sous les arbres grâce à Atatürk"). L'anniversaire de sa mort est l'occasion de renouveler avec encore plus de vigueur la "profession de foi" kémaliste. Leur signe particulier : le dédain également mais surtout l'exhibition de ce dédain. Ainsi, Ali Koç, un des plus riches héritiers de Turquie, n'aura aucun scrupule à croiser les jambes devant la princesse Neslişah Sultan alors qu'un intellectuel comme Ilber Ortaylı croisera plutôt les mains en signe de respect. C'est LA société (dite "cemiyet"). Ils sont, sans exception, de gauche. Ils écoutent de la musique classique occidentale, courent de concerts en concerts pour apparaître sur les émissions et les magazines. Ils ont une culture qui laisse à désirer, sont d'extraction modeste et font tout pour ne plus sentir le hareng. Ils adorent le golf et aiment se faire élire à la tête des clubs de football. C'est le groupe le plus pathétique au sens psychophysiologique...

Le tiers-état alias le bas peuple ou la "vile multitude" ou encore la piétaille. Ceux qui ne lisent jamais, réfléchissent peu. Les femmes portent très souvent le voile. Ils vivent en Anatolie et ont commencé depuis les années 70 à coloniser Istanbul. La culture "islamique" prévaut (soi-disant). Leurs signes particuliers : l'affabilité, les salamalecs, la non-mixité, l'attention particulière à la moralité. Ils sont plutôt du centre droit. Ils écoutent tout sauf du distingué. Ils n'ont donc aucun goût. Ils ne vivent pas au sens sociologique du terme, ils existent au sens plus biologique. Ils ne vont ni aux concerts ni au théâtre. Ils adorent exclusivement le football. Ils aiment se chamailler pour un oui pour un non et ont un tropisme singulier pour parler des autres, histoire de meubler le temps qui passe. Les deux ordres sus-mentionnés font tout pour éviter leur contact (sauf pour les femmes de ménage) et surtout s'obstinent à ne pas leur reconnaître une dignité particulière.

Bien, maintenant, prenons un exemple. Considérons le fait social le plus typique de la société turque : le voile. Les réactions individuelles découlent de l'ordre d'appartenance des personnes qui les émettent. Quand un Monsieur comme Bülent Ecevit (deuxième ordre même si sa famille appartient à la haute aristocratie ottomane), feu Premier ministre, incarnation même de la civilité et grand critique du "kémalisme de garde-robe"  (c'est son expression) s'explose la voix en 1999 pour virer la députée voilée qui essaie de prêter son serment, ce n'est ni une raison juridique, ni politique, ni idéologique qui le met en transe, c'est un sursaut culturel. C'est ce bout de tiers-état au cœur de l'Etat qui le bouleverse. Quand un islamiste pur sucre comme Mehmet Şevket Eygi (premier ordre), journaliste et écrivain très raffiné du reste, critique le voile à couleurs vives, le voile avec jean serré, le voile avec maquillage, ce n'est ni une raison juridique, ni politique, ni idéologique qu'il invoque, c'est une raison culturelle : la prédominance de la "culture bédouine" (c'est son expression).

Autre exemple : la place de la femme dans la société. Le premier ordre lui donne la possibilité de faire de longues études mais espère toujours qu'elle garde son rang; point de privauté, point d'embrasement. Le qu'en dira-t-on est essentiel. Le deuxième ordre se la joue "cool"; la femme fait également des études mais elle est beaucoup plus libre; elle peut emménager avec son petit-ami au vu et au su de tous. L'épanouissement est essentiel. Le tiers-état est catégorique : l'éducation de la femme est certes souhaitée mais elle n'est pas le premier des soucis. La culture du gynécée prévaut ou demeure tenace. On se souvient tous, n'est-ce pas, du Soliman Aga dont parle Gérard de Nerval dans son Voyage en Orient. Celui dont les sentences d'il y a presque deux siècles résument à merveille la situation actuelle : "Chez nous, les femmes vivent ensemble et les hommes ensemble, c'est le moyen d'avoir partout la tranquillité" ou "n'est-il pas plus agréable de causer avec des amis, d'écouter des histoires et des poèmes, ou de fumer en rêvant, que de parler à des femmes préoccupées d'intérêts grossiers, de toilette ou de médisance ?". La "différenciation" est essentielle (ajoutons la remarque de Nerval : "on doit y voir peut-être moins le mépris de la femme qu'un certain reste du platonisme antique, qui élève l'amour pur au-dessus des objets périssables").

Le fait est que le gouvernement actuel représente ce tiers-état qui adore savoir qui fait quoi, qui vit avec qui, qui lorgne sa fille, qui ne va pas à la mosquée, qui ne porte pas le voile, etc. Ni une critique islamiste (le droit religieux exigeant quatre témoins oculaires au moment de la "pénétration" pour pouvoir parler d'adultère) ni une critique juridique (par exemple, l'article 8 de la CEDH) ni la défection des libéraux ni même quelques vérités historiques dérangeantes ne leur font effet. Ils vivent avec leurs structures de pensée. Et c'est comme ça. Le Premier ministre sait jouer sur cette prémisse. En disant démocratie, il pense sociolâtrie, le culte de la société. Celle qui a une fixation sur la morale. Et je voudrais le dire, chers enfants, le drame est le suivant : que le gouvernement soit islamisant ou gauchisant, il n'a aucun moyen d'échapper à cette vague de fond, à ce structuralisme historique du peuple turc. Et comme on ne peut pas accélérer le mouvement de civilisation et pousser des millions du jour au lendemain dans la première catégorie, on est tout bonnement mal barré. Certes la Turquie ne sera jamais une nomocratie mais elle ne sera pas non plus de sitôt un parangon de démocratie. Où la chèvre est attachée, il faut qu'elle broute. Voilà ce que nous enseigne la sociologie. Merci. (Applaudissements et sifflements dans l'amphi, la statue de Claude Lévi-Strauss semble cligner de l’œil...).

lundi 4 novembre 2013

"Oh ! la grande fatigue que d'avoir une femme !" (Molière)

Dans la vie, mon cher, il n'y a que deux catastrophes : la mort et le sexe. Des synonymes, diront les connaisseurs en "petite mort". Connaisseurs essentiellement mâles. Car la science nous enseigne que l'homme a, disons pour faire simple, une facilité naturelle en la matière. Une "mécanique" pour monsieur alors que ma pauvre abeille doit mendier toutes sortes de blandices pour, peut-être, espérer... Bref, la Nature en a décidé ainsi, tant mieux ou tant pis. D'aucuns diront encore que ce sont toujours les hommes qui sont chouchoutés par elle. Que veux-tu; on subit. Ne pas bouder son plaisir, dit-on quand on a tout compris. Car le délice qui y est attaché est tellement exquis que même l'immensurable poète islamiste Necip Fazıl Kısakürek (1904-1983) avait composé dans sa prime (et païenne) jeunesse le plus beau poème consacré à l'onanisme...  

Et la Mère Nature a aussi "demandé" aux hommes d'assumer leur penchant. Si bien que même les hommes policés comme les monarques ne demandent qu'à blanchir sous le jupon. Louis XIV, lui, c'était un peu partout et tout le temps; la pauvre Madame de Maintenon n'en pouvant plus, demanda même à l'évêque de Chartres si elle devait encore, à cet âge, remplir le "devoir conjugal". Oh que oui, lui répondit Monseigneur, tout enfiévré, enfin j'imagine. Napoléon III, idem, ne "pensait qu'à cela". Et comme par hasard, l'impératrice Eugénie aussi avait l'air rétive. Cette même Eugénie qui ne trouvait rien à redire dans les bras du Sultan ottoman Abdülaziz; à tel point que la "Valide Sultan" (Reine Mère) dut la rabrouer : "t'as pas un mari toi, ma cocotte, rentre chez toi !"... La pauvre. C'est bizarre, trois fois "pauvre" pour trois femmes...

Chez les Turcs donc, la pudeur empêche de "serrer" la "sœur" d'un autre. Du coup, on va voir les "sœurs" d'on ne sait trop qui. Dans les "genelev" ou "kerhâne" (déformation du mot persan كارخانه qui signifie simplement "usine" ou du mot mi-arabe mi-persan كره خانه qui signifie "lieu de répugnance"). Les "maisons closes". Une tradition nationale qui pousse le mâle à apprendre là où il n'y a pas d'honneur à sauver, n'est-ce pas. Mâle qui apprend si bien que, Turc ou pas, il ressent le besoin d'y retourner pour, cette fois-ci, "vivre des expériences". Car comme dirait Zola, "les hommes, souvent, se marient pour une nuit, la première et puis les nuits se suivent, les jours s'allongent, toute la vie, et ils sont joliment embêtés" (L'Assommoir)... Heureusement, cela dit, que le premier "sexe shop halal" a ouvert son site Internet en Turquie. Désormais, les couples vont s'éclater entre eux. Mais si je connais bien les hommes,...

L'Empire, en son temps, avait préféré réglementer la profession. Un Etat théoriquement d'inspiration islamique. Mais il avait dû comprendre que décréter une nouvelle nature à l'homme serait, au-delà d'être impossible, une faute (Saint Paul ayant préféré croire que l'annulation du génésique marcherait). Il en profita même pour aller au-delà, très au-delà, en créant des "civelek taburları", des "bataillons d'éphèbes". Chargés d'accompagner les vaillants guerriers à droite à gauche pour le truc, comment dire, voilà quoi. Et celui qui ne rougit pas en lisant le livre Osmanlı'da Seks (Le sexe chez les Ottomans), je le taille en marbre... Les mêmes prémisses conduisant au même syllogisme, la République a préféré garder le statu quo. Jadis, quand j'étais ado, on entendait souvent parler à la télévision de Matild Manukyan, une Turque arménienne qui avait fait fortune dans le proxénétisme jusqu'à devenir la plus grosse contribuable d'Istanbul avant de se convertir à l'islam vers la fin de sa vie et faire bâtir une mosquée ! Celle dont la vie aurait fait un bon roman...

Tout ça pour signer le Manifeste "Touche pas à ma pute" ? Voiiilà, tout compris. Certes, Babeth et autres qui refusent sa liberté à la femme voilée car soumise sont là pour défendre la liberté de la pute puisque esclave mais tant pis. Un bon libéral défend l'épanouissement individuel avant tout. Et il dit non à cette obsession immarcescible de la loi qui souhaite sauver l'autre malgré lui. Sur le plan de la liberté, putes et voilées, même combat ! Mais assez étrangement, ceux qui défendent le consentement des premières s'opposent au consentement des secondes. Car les unes vendent leurs "charmes" alors que les autres les cachent. Et ça fait rager l'Occidental... 

A une époque où tout priapise, où tout est lascif, on devrait interdire la conjonction tarifée des voluptés ? Non. Que celui qui souhaite maudire la prostitution et son client, le fasse. Que le législateur qui souhaite bannir la prostitution et blâmer son client, rengaine son sermon. En matière de mœurs, dès lors qu'il n'y a pas de tiers lésé, aucun principe juridique ne doit pouvoir interférer dans l'autonomie personnelle. Que celui qui s'entête à corriger un penchant laisse le droit à sa place et se cramponne à la responsabilisation des familles, mieux à la morale; morale qui nous apprend que, comme le disait encore lui, Zola, "quand on a été bien élevé, ça se voit toujours"...

samedi 19 octobre 2013

Au pain bis de la République...

Un gay qui ne croit pas en l'au-delà est expédiée ad patres d'une église. La bonne moitié des participants est athée, l'autre, agnostique ou indifférente. Et son dernier "compagnon" est évidemment là. Tout comme le chef de l'Etat et un parterre de personnalités. Du Bach, du Wagner, du Shakespeare résonnent dans la "maison de Dieu". Non non, ce n'est ni la Suède ni la Norvège. C'est la France, la fille aînée de l'Eglise. Le pauvre curé, fidèle de Jésus aux dernières nouvelles, est sans doute en service commandé; il fait un effort pour les beaux yeux de l'air du temps et de l'assistance sécularisée. Une religion qui professe la vie après la mort; un dogme qui condamne l'homosexualité; une foi qui déplore le non-croyant. Et un cadavre et des pleureurs en totale contradiction. La religion de l'amour, ça doit être ça...

L'Eglise de Scientologie devient, elle, une "bande organisée", remplie d'escrocs. Des godiches qui sont en mal de repères optent pour cette Eglise; alors qu'ils ont le pouvoir de choisir, je ne sais pas moi, le bouddhisme, la franc-maçonnerie ou encore la philosophie (le diable qui vient opportunément secourir celui qui gît au fin fond d'un trou spirituel, comme on le sait). Ah ben non, nénette ou jeannot préfèrent devenir Scientologues. Alors, comme pour chaque adhésion à une quelconque section, il faut casquer. Mais voilà le hic. Les novices courent illico au tribunal pour pleurer sur leur sort et dénoncer des filous. Et comme la Miviludes veille à l'équilibre psychologique des citoyens français, tout le monde sursaute. La Cour européenne la reconnait depuis belle lurette cette Eglise, mais on ne la fait pas à la République laïque, n'est-ce pas...

Les dames voilées, quant à elles, sont toujours à l'assaut de ladite République. Pas les religieuses des monastères, non, elles, sont des saintes, pas touche; ce sont des dames voilées d'une autre espèce. Des musulmanes, des "soumises" à des barbus. Bon, on les tolère mais quand elles veulent porter leurs fichus dans les écoles ou dans les crèches, la République laïque se rembrunit et les citoyens s'emballent. Comme on le sait, la France regroupe "ceux qui sont Français" et "ceux qui ont la nationalité française". Les premiers "vivent ensemble", les seconds "enquiquinent les premiers". "Ceux qui vivent ensemble" sont les enfants des Lumières, ils respirent grâce à la laïcité. "Ceux qui enquiquinent tout le monde" sont des mal élevés, ils marchent sur les trottoirs avec des voiles et des barbes et revendiquent des droits par-dessus le marché, allez comprendre...

Et avec ça, l'article 1er de la loi de 1905 dispose que "la République assure la liberté de conscience". Tout comme l'article 1er de la Constitution de 1958 qui dispose que la France "assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances". Quel toupet, n'est-ce pas ! Il ne manquerait plus que la France qui s'est hasardée déjà à proclamer les droits de l'Homme au XVIIIè siècle respectât ces populations et leurs drôles de coutumes ! Heureusement que 84 % des Français souhaitent l'interdiction des voiles euh pardon des signes religieux dans les entreprises privées. Bien sûr. Après tout, la République est laïque. Il faudrait sauver les enfants de leurs propres mères voilées aussi mais comment faire ? Babeth et ses amis doivent y réfléchir...

Dans un autre pays laïque, la Turquie, la fameuse "courtoisie républicaine" demande aussi des "sacrifices" aux minorités. Le Président de la République, lui, revient de l'Arabie Saoudite; il était au pèlerinage. C'est un "hajj". Le Premier ministre est déjà ce qu'il est. Le chef d'état-major aussi s'est mis à parler de religion; après avoir visité une mosquée au Kosovo, il a signé le livre d'or en priant pour que la mosquée soit "toujours pleine". Et voilà que le chef des kémalistes s'est découvert une généalogie prestigieuse; il est descendant du Prophète, s'il vous plaît, c'est un "seyyid". Les dévots musulmans, eux, ne peuvent toujours pas ouvrir leurs confréries. Les alévis, eux, le peuvent mais leurs ministres du culte ne sont pas rémunérés comme les imams. Les orthodoxes survivent comme ils peuvent, la "courtoisie républicaine" leur interdit d'ouvrir leur école théologique pour former leurs popes...

Jean Baubérot nous a toujours appris que laïcité de 1905 rime avec liberté de culte. La "courtoisie républicaine", une émanation de la laïcité des Lumières, exige quant à elle une liberté de culte au rabais. Voilà où on a abouti. Les deux versions ont rêvé le "vivre-ensemble". On a eu le "vivre en sous-ensembles". Car je voudrais l'affirmer, n'est-ce pas, quand on taquine trop une minorité, elle finit par prendre conscience de sa... minorité. Le communautarisme, au fond, n'est que l'effet de la pourchasse laïcarde et non sa cause. Et quand 84 % des Français demandent la violation d'une liberté, on ne s'excuse que d'une chose : de vivre dans un pays où l'ânerie a pris le pas sur la raison. Patrie des droits de l'Homme et berceau des Lumières. Deux qualités devenues antinomiques quand j'y pense. L'individualisme de l'un s'est abîmé dans la "religion civile" de l'autre. Allez, a cappella, "je suis tombé par terre, c'est la faute à Voltaire, le nez dans le ruisseau, c'est la faute à Rousseau"... Bis ! Bis !

11.Andrea Bocelli - ''Va pensiero'' - Verdi Nabucco. ( Sacred Arias ).

vendredi 4 octobre 2013

En l'an de grâce 2013...

En 1839, le ministre des affaires étrangères de l'Empire ottoman, Koca Mustafa Reşit Paşa, lut, du fin fond du jardin impérial, le célèbre édit accordant, entre autres, un début d'égalité aux Ottomans non-musulmans, le Tanzimât Fermânı. La blague voulait qu'un gus turc qui écoutait le ministre charabiater, se vit répondre : "rien de difficile mon cher, dorénavant, il est interdit de dire giaour aux giaours !"... En effet, c'est que l'Empire se raffinait; les puissances étrangères poussaient aux réformes. Il eût été grotesque d'appeler "mécréant" un mécréant. Au 19è siècle, ça ne passait plus. Les dirigeants l'avaient si bien compris que ce fut le Vizir des affaires étrangères qui annonça aux Ottomans que Sa Majesté le Sultan s'était, dans sa magnanimité, penché sur leur sort. Comme l'actuel qui avait, seul, voix au chapitre lorsqu'il s'agissait de parler du patriarche de Constantinople, Sa Sainteté Bartholomée. Un Turc, pourtant...

La tradition nationale voulait que ce fût l'Etat qui octroyât des droits aux citoyens. Ces derniers, d'un tempérament peu émeutier, avaient une vénération pour celui-ci. D'où la drôlerie qui avait consisté pour le Premier ministre Erdoğan à préparer en catimini un "paquet de démocratisation", lu comme il se devait du haut d'un pupitre. La Nation, ça passait encore, n'est-ce pas, mais les députés eux-mêmes avaient appris en direct les mesures qu'ils allaient bientôt enregistrer. Démocratie... Le jour suivant, ce fut le président de la République Gül qui fit son dernier "discours du Trône". Sept ans avaient vite coulé, il était temps de faire l'épilogue. Devant la "représentation nationale" mais surtout devant son épouse, la Première Dame qui, en sept ans, avait osé pour la première fois mettre le pied à la loge pour ouïr son homme. Toujours aussi voilée, aussi souriante et aussi urbaine... Et le chef d'état-major, assis à deux pas, ne broncha même pas... Démocratie...

Les deux se targuèrent de diriger un pays qui avançait lentement mais sûrement. Le Premier ministre, futur Président, déclara tout de go qu'il était inconcevable de progresser malgré le peuple; il y avait un degré d'absorption, il ne fallait pas faire papilloter les yeux. Cette théorie bizarre qui soumettait la promotion de droits universels à l'assentiment populaire ne fut, fort heureusement, qu'un style de langage. On ne s'en émut point outre mesure. Le Président, l'actuel, le sortant, eut l'idée de respirer la prud'homie : oui, les forces de l'ordre avaient été brutales lors du "mini printemps turc", alias "parodie turque"; oui, la jeunesse n'avait pas toujours raison mais la société qui la frappait avait toujours tort; oui, il fallait présenter ses condoléances aux proches des victimes. On aurait entendu une mouche voler tant la Nation fut en communion...

Les réformes annoncées étaient sans conteste de bonnes mesures. Les femmes fonctionnaires allaient enfin pouvoir se voiler dans un pays où le taux de voilement atteignait 60 %. Seules la magistrature, la police et l'armée n'allaient pas être concernées. Pourquoi ? on n'en savait rien. Autrement dit, la neutralité de l'agent du service public, une déclinaison de la laïcité, passa à la trappe. Le système électoral allait être remis à plat; la technicité l'emporta, le citoyen n'y comprit rien et se rabattit sur la mesure suivante. Un détail allait, nous disait-on, renforcer la liberté de réunion; lequel, personne ne comprit. Allait-on continuer à gazer, au moins ? Bien sûr... Un Institut sur la langue et la culture tziganes allait voir le jour : on allait donc réfléchir, la Nation banda pour cette annonce; cette même Nation qui félicita chaleureusement le préfet de Bursa qui avait dit tout haut ce que tout le monde pensait tout bas, comme un ministre français...

En outre, l'Etat allait créer une "autorité administrative indépendante" pour lutter contre les discriminations; une HALDE turque. Et le fasciste qui s'aventurerait à inciter à la haine en raison du mode de vie allait croupir en prison non plus un an mais trois berges. Le Premier ministre qui adorait déblatérer contre les buveurs d'alcool (des "alcooliques") et autres jouvenceaux qui se pinçaient en public (des "pervers") était encore une fois dans toute sa cohésion... Il fut vite absout car il supprima ce fameux serment imposé aux écoliers depuis 1933; tous les matins, ils clamèrent ; "je suis Turc, je suis intègre, je suis studieux; mon devoir est de défendre les petits, de respecter les grands, d'aimer ma patrie et mon peuple plus que moi-même; Oh grand Atatürk ! je jure de suivre le chemin que tu as tracé, dans le dessein que tu as fixé; je fais don de ma personne à l'existence turque; Heureux celui qui se dit Turc !". Désormais, le petit Turc n'allait vivre que pour lui et les siens, dans son petit nuage, dans ses propres mots; les offrandes étaient terminées, les autels renversés, le "grand Atatürk" ne dévora plus personne...

Naturellement, la masse attendait les nouveaux droits accordés aux minorités. Rien pour les alévis (sauf le changement de nom pour une université de province), rien pour les orthodoxes (Sa Sainteté n'ayant plus d'espoir pour son collège théologique de Halki) et un bout de monastère rétrocédé aux Syriaques. La "grande minorité" était beaucoup plus chanceuse : les villes et villages kurdes allaient récupérer leurs appellations originelles; l'initiative privée allait pouvoir ouvrir des écoles en langue kurde avec un socle de connaissances en turc. La propagande politique allait désormais pouvoir se faire directement en kurde sans craindre une enquête préliminaire de monsieur le procureur. Et last but not least, les citoyens de la République turque allaient pouvoir utiliser trois lettres interdites jusqu'alors : les lettres q, x, w. Qui ne figuraient pas dans l'alphabet turc, naturellement mais qui menaçaient l'intégrité territoriale puisque membres à part entière de l'alphabet kurde...

Les trois partis d'opposition ne l'entendirent pas de cette oreille. Le CHP, un parti qui se croyait de gauche, ne disait ni oui ni non. Un toilettage, dit-il. Le slogan des libéraux, "insuffisant mais oui !" (yetmez ama evet) devenait ainsi "insuffisant mais non !" (yetmez ama hayır). Autant dire, une farce. Le MHP, de la droite nationaliste, se tenait droit sur ses bottes; c'était naturellement non. Il y avait, à coup sûr, anguille sous roche; le gouvernement allait vendre le pays aux terroristes kurdes. Naturellement, le BDP, parti qui représentait ces derniers justement, devait bien donner raison au MHP en sautant de joie. Eh ben non; il rouspéta dans le diapason le plus élevé; c'était quoi, ça, d'abord ! Un bout de papier ! Où était la libération d'Öcalan ? Le menu peuple, on s'en torchait, on voulait libérer le guide. Pff. Plus ses revendications étaient satisfaites, plus il rageait...

"C'est quoi ce bazar ! Vous n'êtes pas contents ?" criait de son côté le réformateur Erdoğan. Les citoyens qui avaient grappillé des droits ne surent pas trop ce qu'ils devaient en penser. La Turquie était un beau pays, un grand pays, multiculturel et multicultuel. Des modes de vie et des religions et des ethnies à foison. On aurait pu faire d'autres gestes. Distribuer, redonner la nationalité aux descendants des "exilés", des "rescapés", des "bannis", par exemple. Une Nation de 70 millions d'âme devenant 80 millions en moins de deux. Eh bien non. On se contenta du minimum tout en promettant monts et merveilles pour plus tard. Après les élections municipales et présidentielles de 2014, sans doute. Histoire de ne pas étourdir les électeurs, toujours ronchons. Le citoyen posa l'index sur sa joue et le pouce sur le menton et il demanda : "au fond, qu'y a-t-il de spectaculaire dans ce discours ?". Un autre gus répondit : "si j'ai bien compris, les Kurdes pourront porter le voile"... Keh keh keh... Cahin-caha, cahin-caha...

mardi 24 septembre 2013

"Et l'ange jeta sa faucille sur la terre et vendangea la vigne de la terre et il en jeta les grappes dans la grande cuve de la colère de Dieu" (Apocalypse 14, 19)

Naguère, lorsque nous étions à l'amphi de l'Inalco, un de nos professeurs avait l'habitude de ponctuer son cours de grammaire arabe de "yâ chabâb !". Le bien nommé Abdelghani Benali. Le mot, innocent dans sa pauvre existence lexicologique, signifie "les jeunes". Du "chabâb" par un "Benali", ça avait de l'allure, à n'en pas douter...

Personne ne sursautait, évidemment; même pas la doyenne, une septuagénaire qui compulsait les journaux tous les jours et qui aimait dire ses quatre vérités au musulman à bavette qui s'aventurait à la "raisonner" ab inconvenienti. Aujourd'hui, le terme fait partie des "mots bannis", de ceux qui puent le sang, qui suent le péché, comme la "Führung" des Allemands, la pestiférée...

Torches et glaives à la main, des musulmans, ici au Kenya, là au Nigéria, là-bas au Pakistan, ont encore massacré. Musulmans, oui; l'auto-définition est libre dans l'islam. Musulmans qui se repaissent de carnage. Une minorité qui éclabousse plus qu'elle ne définit, certes. Mais une minorité qui brise des existences au nom d'un prétendu dogme, une minorité qui force la majorité à tenir les lampes sépulcrales...

"Qu'Allah donne la victoire à Al-Qaïda partout où il se trouve, n'en déplaise aux hypocrites, aux défaitistes, aux efféminés, aux blâmeurs, aux complotistes, aux apostats, aux traîtres et aux mécréants en général" a bien pondu l'autre bâté, "l'émir" de je ne sais quel site odieux. Celui qui touche sans s'en formaliser le RSA, argent d'un État "mécréant". L'inauguration de la nouvelle loi contre "l'apologie d'actes de terrorisme" devait bien revenir à un musulman, n'est-ce pas...

Islamisme, islam rigoriste, islam radical. Ces verrues qui visent des innocents, qui abattent et qui jouissent. Camps d'entraînement, kamikazes, bombes, voitures piégées, le maximum de dommages humains. Le vocabulaire des Assassins imposé à la "religion de la paix" ! Les cris d'épouvante sont unanimes. Mais on entend surtout la tonitruance de ceux "qui ne croient en rien". Et ceux qui croient aux comptes d'outre-tombe croupissent sur place...

Maudire l'Etat qui lui permet de vivre avec madame. Il est tentant de penser que là où il y a musulman, il y a désir de vivre aux dépens de l'argent public. Des types qui obtiennent à l'usure des "droits" à la Sécu ou ailleurs, ça existe. Dans une religion qui impose dans l'au-delà la fameuse "quittance" (helallik en turc), c'est un contre-sens. Reverser ses quelques bonnes œuvres à 65 millions de Français en guise de "répétition de l'indu", ça devrait donner des frissons à un "émir"...

Tout cela pour la charia. Un droit pénal qui fouette, qui coupe, qui lapide; un droit familial qui distingue, qui cloisonne, qui inquiète. Et la morale ? Surtout pas. La formule que le Prophète avait délivré à un bédouin peu enclin au formalisme, par-dessus bord : "crois en un seul Dieu et sois le plus juste possible !". Une religion qui interdit, en cas de conflit armé, d'arracher les arbres, de détruire les moissons et le bétail, de tuer les civils et les prisonniers. Être le plus juste possible, pff...

Célèbre épisode : le Prophète envoya Khâlid ibn al Walîd auprès de la tribu des Bânu Jadhima en vue de leur conversion. Ce qu'ils firent mais le bouillant Khâlid, le "Glaive de Dieu", voulut venger la mort de l'oncle du Prophète due à cette tribu, il "les fit lier et les fit mettre à mort l'un après l'autre. Le Prophète, informé de l'action de Khâlid, fut très affligé; il se tourna vers la Ka'ba et s'écria : "Ô Dieu ! Je suis innocent de ce qu'a fait Khâlid !" (Tabari, Histoire des Prophètes et des rois, éditions de la Ruche, 2006, p. 569).

Dieu dit dans le Coran : "Que la haine pour un peuple ne vous incite pas à être injuste" (Sourate 5, verset 8). Et "n'injuriez pas ceux qu'ils invoquent en dehors d'Allah car par agressivité, ils injurieraient Allah dans leur ignorance" (sourate 6, verset 108). Une sourate qui résume bien l'erreur, la misère et la faute de ces va-t-en-guerre baveux car fielleux. Ah oui, et sourate qui porte bien son nom : "les bestiaux"...

vendredi 13 septembre 2013

De profundis...

Les foyers qui pleurent un mort se transforment toujours en charniers. L'occasion est unique : on accumule les morts. A tire-larigot. Car ceux qui ressentent le besoin de soutenir les proches du défunt déballent leurs propres nécrologies. Une transe collective, une élégie diffuse. L'affliction ne dure qu'un temps et l'affluence atténue volens nolens ce sentiment de vacuité qui se profile. Alors chacun y va de son expérience douloureuse. Le deuil se noie dans l'amertume des souvenirs. Et c'est tellement bien...

On pense aux morts; pas à la mort. Quoi qu'on dise, elle effraie le commun des mortels. Or, la mort, c'est le point de départ lorsqu'on veut se forger une conception de la vie. L'idée de finitude dessèche l'âme. Elle fait "rentrer dans le rang". Pour le croyant s'entend; l'autre pense qu'il n'a pas de compte à rendre, il n'a qu'une morale à satisfaire autant dire macache. Plus on avance dans l'âge, plus les démons s'ameutent, ils nous prêtent leurs pensées, on voyage dans leurs rêves. Et c'est tellement bon...

"Toucher le cadavre de son père est une véritable action purificatrice", m'a soufflé le cousin. "Je le sais", ai-je répondu. L'inhumer est une autre histoire. Déposer un linceul à même la terre, aux bras des fourmis, au sein des bestioles, des serpents peut-être, au bon plaisir des canidés et aller recueillir les condoléances comme si de rien n'allait se passer. Un monde s'écroule, un monde s'écoule. Deux mots de réconfort, une pensée passe-partout font l'affaire. Les larmes "publiques" sont déjà taries...

La religion islamique nous apprend qu'à peine enterré, le trépassé voit arriver deux anges soucieux d' "arracher" les bonnes réponses à leurs questions. La tradition veut que l'imam reste quelque temps pour les lui souffler. Le temps des soliloques. "Oh ! Untel, fils d'unetelle ! Dis qu'il n'y a de dieu qu'Allah, que Mouhammed est son Prophète, etc. etc.". Un pré-examen qui augure de la suite des événements; entre-temps, les proches serrent des mains et zyeutent les processionneurs. Un nid de bourdons...

Dans une maison endeuillée, la malséance n'est plus une singularité. L'instinct de vie reprend le dessus; seulement trois jours de peine sont demandés, c'est déjà trop. Les petits comités se forment, les recoins sont occupés. On cancane. On sourit. On s'esclaffe. Personne n'a l'idée d'allumer le téléviseur, heureusement. La dernière vergogne qui nous reste. Chaque convive entre l'air grave, se déride vite et s'en va naturel. Une voix rogue blâme parfois la "dégradation" des valeurs. On l'étouffe...

Inanité de la vie. Ah oui, c'est le dévot qui prend la parole. Un être humain, ce n'est qu'un cerveau de quelques cm² qui ne commence à se réveiller que quelques années après sa naissance et qui finit souvent par s'éteindre quelques années avant sa mort. Et il n'y a pas plus misérable qu'un tel cerveau qui se sente légitime pour lancer des sentences sur la Création, toujours là quand il sera poussière. Quelle prétention ! Quelle torpeur ! Quel flegme ! La gaieté, au fond, c'est une forme de vulgarité...

dimanche 1 septembre 2013

Malédiction urbi et orbi

Payé à réfléchir sur le monde dans un amphi quand il était professeur de relations internationales, le ministre turc des affaires étrangères, Ahmet Davutoğlu, fit rager de jalousie ses collègues universitaires lorsqu'il fut nommé chef de la diplomatie. Trilingue, il incarnait à merveille cette fonction. Et gentillet, gracieux, cultivé, il était, par-dessus le marché. Et surtout théoricien; il avait écrit un livre sur le redéploiement turc sur la scène internationale. Il comptait fermement sur son idéal et ses deux principes cardinaux : le "zéro problème" avec les voisins et la "réaction proactive" dans les affaires extérieures [si bien que des rieurs n'avaient pas manqué le jeu de mots en turc, "dışişleri" (affaires étrangères) et "düşişleri" (affaires chimériques)]. Le Premier ministre Erdoğan, qui ne baragouinait même pas l'anglais, pouvait donc moelleusement se reposer sur lui. Pouvait...

C'est que le Premier ministre qui avait le tempérament carabiné d'un sentimental et la délicatesse éprouvée d'un éléphant n'entendait pas demeurer coi. Il avait des électeurs à galvaniser et surtout une conscience à apaiser. Comme tout homme ordinaire. Mais voilà : ses conseillers oublièrent de lui "révéler" qu'il n'était pas un plébéien encore moins un charretier. Il était chef du gouvernement d'un État qui avait nécessairement des intérêts à sauvegarder. Certes, on ne lui demandait pas de se transformer en Kissinger qui trouvait conforme à ces mêmes intérêts, de penser que "if they put Jews into gas chambers in the Soviet Union, it is not an American concern. Maybe a humanitarian concern". C'était dégueulasse, assurément, et abject venant d'un juif... Il suffisait de savoir ajuster le profil comme il l'avait déjà fait quand il accueillit Omar al Bachir, 200 000 morts sur le dos...

Alors tout le monde en prit pour son grade. Alliés ou pas, les taiseux subirent ses foudres. A commencer par le grand-frère Obama. Lui qui périphrasait pour éviter "coup d'Etat" et coupes financières qui en découlaient fut une "déception" pour Erdoğan. D'autant plus qu'il soutenait Israël alors que le Turc savait que ce pays était derrière le putsch égyptien. "Savait ?" Oui oui, il avait entendu parler Bernard Henri Lévy lors d'un colloque. "Et alors ?" Bah, c'est que le philosophe bénissait une intervention militaire face à l'emprise islamiste. "Et alors ?" Bah, le Turc en concluait que... voilà quoi. Une autre dégueulasserie, chercher le juif là où il doit nécessairement se trouver, dans le complot. Notre BHL fut vif dans la réponse comme l'a été le porte-parole états-unien. Erdoğan ne manqua pas de taquiner son allié : "J'accuse Israël, c'est les États-Unis qui me répondent !". Bah bonjour...

Au suivant, donc. Ce fut le tour du secrétaire général de l'OCI (Organisation de la coopération islamique) d'être torturé. Ce Sieur, un Turc natif du Caire, le professeur Ekmeleddin Ihsanoğlu, un historien des sciences qui devait son siège précisément à l'activisme du gouvernement turc, avait dû avouer son incapacité à trouver un article idoine des statuts pour ouvrir la bouche. "Alors toi, là-bas, cornichon ! A quoi tu sers ?", avait à peu près lancé le bras droit du Premier ministre. "C'est qu' les statuts m'interdisent de parler !", "pouah ! en voilà un rigolo !", "bah, vous êtes membre de l'OCI, vous pouvez appeler à une réunion urgente", "laisse tomber, il n'y a que des corrompus !"... Le pauvre Turc, mis au pilori et appelé à la démission par les autorités turques. Ou comment montrer à la face du monde entier qu'un État qui prétend être une puissance régionale n'est même pas capable d'être, avant tout, futée...

Qui disait OCI, disait "oumma". Ou "le monde musulman". L'UE, on passait, le Turc avait déjà une dent contre elle; et il s'épata en lui hurlant, "relis tes critères de Maastricht et autres conneries ! et ne parle plus de démocratie et de droits de l'Homme, ok ? allez ciao !". La oumma, elle, avait le devoir de "commander le bien et d'interdire le mal" selon le Coran. Autrement dit, un devoir de défendre la justice. Erdoğan fustigea cet ensemble islamique qui n'avait fait qu'abandonner Mursi, le Joseph des temps modernes balancé dans le puits. Par qui ? Le Roi d'Arabie Saoudite, s'il vous plaît, gâteux certes mais "serviteur des deux lieux saints" (le fameux titre "khâdimu'l harameyn" chipé aux Ottomans). Le Président de l'Iran, chiite certes mais acteur incontournable. Et les cheikhs des Emirats Arabes Unis et du Koweït, bien conservateurs quand il faut certes mais bien riches quand il ne faut pas. Le Yémen était trop pauvre pour s'occuper de ces affaires et l'Oman n'avait pas voix au chapitre. Le Liban ne savait naturellement pas ce qu'il en pensait, etc. etc. 

Et concernant la Syrie, le Premier ministre n'avait pas oublié la Russie qui défendait ses intérêts si crânement. La Chine défendait les positions de la Russie comme à son habitude; les mauvaises langues disaient que ce pays de plus d'un milliard d'habitants n'avait pas de prétentions internationales alors elle suivait une autre autocratie, les intérêts devant bien être identiques... Silence radio, partout. Même le grand Imam d'Al Azhar fut blâmé. Même la presse allemande (sic !). Même le Comité Nobel. Même le Nobel Al Baradei. Même le Conseil de Sécurité. Et ce qui devait arriver arriva : un conseiller du Premier ministre inventa un nouveau concept; out le "zéro problème" avec les voisins puisqu'ils étaient tous salauds. Le Royaume-Uni avait eu jadis son "splendide isolement". Eh bien la Turquie aurait sa "précieuse solitude" ! Un oxymore objectif dans le nom, subjectif dans l'adjectif. Voilà où avait abouti cet effort de théorisation là où il fallait toujours un "dédoublement" au nom du principe d'utilité. Car "la véritable finesse est la vérité dite quelquefois avec force, et toujours avec grâce" (Choiseul). Histoire de rester dans le jeu. Défendre le juste a sa grandeur, oui. Mais nul besoin de se lancer dans les antonymes qui disqualifient...

jeudi 22 août 2013

Notule d'un "amicus regis"

Comme notre très européen Giorgio Napolitano, Robert Mugabe a été réélu à près de 90 ans. Pour le premier, c'est l'honneur dû à la sagesse, pour le second, c'est... euh... une longue histoire. Disons que les "pères de la Nation" ont souvent cet insigne privilège de diriger ad vitam aeternam l'appareil d'Etat qu'ils ont contribué à ériger. Le peuple étant théoriquement reconnaissant. Imaginez un Atatürk partir grossièrement après deux mandats. Bouh ! Heureusement qu'il mourut en pleine quinzième année de sa charge à seulement 57 ans. Ça lui valut d'être parti ad patres en odeur de sainteté et non en ex-président battu aux élections. Le pauvre de Gaulle, il en a fait tout un fromage de son obsession démocrate et de son référendum; voilà le résultat, mort dans un village...

Robert, lui, est de cet acabit. Le "bon père de famille". Qui reste coûte que coûte. A la limite, on comprend le désir de durer (surtout à un âge où ça sent le sapin) mais quand on se sait indéboulonnable, pourquoi s'asseoir sur une chaise et truquer sans cesse les élections alors qu'on peut se reposer à volonté sur un trône ? "Allez, ça recommence !". Bah quoi, c'est logique. Une monarchie authentique a plus de valeur qu'une république viciée. Pourquoi jouer la comédie et ne pas installer tout bonnement une monarchie ? L'envie est là, les structures sont là, le consentement est là. Car même l'Africain de base a bien noté que ses dirigeants ont la vilaine tendance à se maintenir à demeure. Pourquoi devenir autocrate alors qu'on peut être monarque, comprends pas...

D'autant que les roitelets de province ne manquent pas dans ce continent. Il existe même un "forum des rois, sultans, princes, cheikhs et chefs coutumiers d'Afrique". Si, si. "Même que" Khadafi s'était proclamé Roi des rois. Admirez-moi ça (pour le seul Nigeria), j'en passe et des meilleurs :

George Osodi








Et il y a Mswati III du Swaziland, Letsie III du Lesotho et Mohammed VI du Maroc. Ces derniers jouent naturellement dans la cour des grands. C'est la mode. Jadis, l'empereur Haïlé Sélassié Ier d'Ethiopie pouvait se targuer d'être le chef d'une des plus vieilles dynasties régnantes. L'empereur Bokassa Ier du Centrafrique faisait plus rire qu'autre chose. "Ouais, c'était n'importe nawak han !". Pourquoi donc ? Quand le noblaillon Bonaparte qui n'avait aucune raison de devenir empereur le devient, ça fait distingué et ses descendants portent fièrement les titres de princes et princesses. Idem pour les Pahlavis. Deux générations suffisent pour devenir respectable. Et une impératrice en exil, c'est toujours chic... Mais quand un gus africain ose la même chose, c'est évidemment une connerie et il ne viendra à l'idée de personne de considérer ses descendants comme "Ses Altesses Impériales"...

Robert, donc. Robert Ier du Zimbabwe. Et les élections d'abord, à quoi ça sert dans les pays africains et arabes ? Comme dirait Céline, "à s'engueuler et puis c'est tout". Le peuple vote nécessairement mal. Même s'il vote bien, la "communauté internationale" s'empresse de penser le contraire. Il fut un temps où les radicaux français refusaient le droit de vote aux femmes car sous influence du curé; même raisonnement pour les peuples arabo-musulmans et les peuples africains, les uns influencés par le Coran, les autres par les intérêts de leur clan. Il faut donc des hommes à poigne, des présidents mal élus mais bien serviles. Des remparts contre le "terrorisme". Car la sûreté de l'Occidental vaut bien plus que la dignité de l'Africain. D'accord. Ah oui, l'Occidental préfère tout de même un président qu'un monarque car même si, in fine, ils se confondent dans les faits, il y a au moins dans le premier cas de figure, des urnes à déplacer et des missions à expédier. Une ambiance, quoi...

Et c'est vulgaire d'élire un chef d'Etat au suffrage universel direct, non ? "Ah le fasciste !". Calme, calme. Une simple conjecture. Même les Roms ont un "roi international". Son décès lui vaut une nécrologie. Il faut des monarques, c'est sûr. La monarchie adoucie les mœurs. Ernest Renan écrivait je ne sais plus où que "la monarchie répond à des besoins profonds de la France. Notre amabilité seule suffit pour faire de nous de mauvais républicains. Les charmantes exagérations de la vieille politesse française, la courtoisie qui nous met aux pieds de ceux avec qui nous sommes en rapport, sont le contraire de cette raideur, de cette âpreté,  de cette sécheresse que donne au démocrate le sentiment perpétuel de son droit. La France n'excelle que dans l'exquis, elle n'aime que le distingué, elle ne sait faire que de l'aristocratique". Voilà un bon exemple d'universalisme des valeurs françaises à exporter d'urgence. Hein Robert ? Et quand on est monarque, il y a toujours quelqu'un qui finit par vous respecter...

dimanche 11 août 2013

"D'ailleurs, tant mieux si la loi n'était pas contente ! on verrait sa gueule" (Zola)

Comme l'univers le sait, la nation turque tient beaucoup à sa fiction historique qu'elle déteste le plus, Muhteşem Yüzyıl. Un peu pour les coucheries (congrues en comparaison à celles des séries Tudors et Spartacus), follement pour les beaux yeux des şeyhzâde (princes) et sultan (princesses) et beaucoup pour l'intrigue. Le "bas peuple" s'en enticha rapidement alors que les pontes de tous bords rectifièrent des données ou pleurèrent d'indignation. Les islamistes qui devraient avoir, comme dirait Stendhal, "une profonde incurie pour tout ce qui est vulgaire" n'en disposèrent pas moins des vues très nettes sur une série que, théoriquement, ils ne regardaient pas...

L'exécration fut si vive qu'on avait même failli croire que la Providence s'en était mêlée. Peindre "librement" la vie de palais devait bien indisposer les illustres morts; et les mânes, djinns, démons et autres sujets invisibles sont des éléments de la croyance. Alors vas-y pour les déclinaisons de la malédiction. Un figurant avait reçu un bloc de marbre sur la tête en marchant tranquillement dans la rue. L'acteur principal s'était cassé la jambe en s'entraînant au maniement de l'épée. Et le plus dramatique, la célébrissime scénariste mourut d'un cancer... 

"C'est tout ?", oh que non : l'actrice principale, Meryem Uzerli, le pivot de la série, la célèbre Roxelane, s'est réfugiée en Allemagne, patrie de sa mère, pour cause de... surmenage ! Sa remplaçante, une des plus belles femmes matures de Turquie, Vahide Gördüm (la mère qui jouait dans Adını Feriha koydum) n'enthousiasme pas les foules pour le moment. Autre tragédie : la sœur du producteur est morte alors qu'elle était enceinte de 6 mois. Même les deux frères réalisateurs ont jeté l'éponge et se sont installés aux Etats-Unis ! Et coup de grâce : le Conseil d'Etat a rejeté le recours du producteur qui contestait la sanction financière infligée par le CSA turc : la série a bel et bien porté atteinte aux "valeurs nationales et morales du peuple turc" et à la "structure familiale turque". Et toc !

Ces fameuses "valeurs". Un expert a "démontré" comment la scène qui montrait le "contrôle de virginité" des jeunes recrues au harem a traumatisé la jeunesse turque, prude, évidemment. Les parents, eux, ont été bouleversés à coup sûr, il ne viendrait à l'idée de personne de vérifier la virginité des filles, ça n'existe pas en Turquie, on ne sait même pas ce que c'est, n'est-ce pas. Le Sieur a également relevé que la scène où les Tatars kidnappent la jeune Roxelane dans une église pour l'envoyer au Palais contrevient à l'idée qu'on se fait du Turc, un guerrier certes mais respectueux "des lieux de culte". Ainsi, le Turc est dépeint comme un "barbare", oh là là... Et d'autres billevesées qui n'ont aucune qualification juridique comme la représentation erronée du harem ou la vêture des femmes qui ne correspondrait pas à la mode de l'époque. Comme si l'inexactitude historique est un moyen de droit pour sanctionner une fiction...

Voilà pour les grands principes de la justice. Le producteur paiera son amende et en gagnera 20 fois plus. C'est que les pays arabes, les pays des Balkans, les pays de l'Est en raffolent. Ores, un topo sur les "violateurs de la morale turque" qui les font et feront précisément fantasmer :

Gürbey Ileri est partant, le prince Mehmet étant décédé : 

ŞEHZADE MEHMET TWITTER'I SALLADI


Burak özçivit est également partant, son personnage, l'officier du Sultan Bali Bey, regagnant ses pénates dans les Balkans :



Pelin Karahan, alias la princesse Mihrimah, et Ozan Güven, son époux Rüstem Pacha, restent; ils auront un rôle prépondérant aux côtés de l'Empereur  :



Et que dire du sang neuf pour la nouvelle saison :

Le rôle du prince Selim dit le Blond ne revient pas à Kıvanç Tatlıtuğ comme tout le monde le désirait mais à Engin Öztürk, un des violeurs de Fatmagül dans la série Fatmagül'ün suçu ne ? :



Son frère avec qui il adore se chamailler, le prince Bayazit, sera Aras Bulut Iynemli (il jouait dans l'autre série-culte Öyle bir geçer zaman ki)

 Aras Bulut İynemli


Le rôle du prince bossu Cihangir revient à l'étoile montante Tolga Sarıtaş :



Merve Boluğur campera le rôle de la Vénitienne ou la juive Nurbanu, épouse de Selim (elle jouait dans Kuzey Güney avec Kıvanç Tatlıtuğ) :



"Dis-donc, c'est un pays de cocagne chez eux ?", bah oui. D'où la turcomanie, coco; le soft power. L'autorité judiciaire est contre. Le pouvoir exécutif est contre. Le pouvoir législatif est contre. Mais les audiences explosent. Même les diplomates bon chic bon genre sont obligés de suivre les séries, histoire de glisser un mot en claquant la bise. Ça aura de la gueule, assurément, de "belles gueules". Messieurs les censeurs, bonsoir...

jeudi 1 août 2013

Tours et retours

"Retournez dans votre pays !". Dixit celui qui avait torgnolé trois musulmanes à Orléans. Paf, 6 mois ferme... Il va réfléchir, en prison, le Sieur. Et le tribunal a enjoint une obligation de soins. Les psychiatres avaient dit qu'il n'était pas malade, pourtant. Tant pis. On lui fournira des soins. On le mettra avec les alcooliques et les violeurs. Une thérapie de groupe, par exemple, devrait faire l'affaire. Quand son tour viendra, il se lèvera et dira : "j'ai frappé des musulmanes; je ne comprends pas ce qu'elles font en France, elles ne servent à rien !", "avez-vous des remords ?", "non, au contraire, elles m'ont envoyé en prison !", "oui mais ce n'est pas bien de molester les autres hein !", "ta gueule, toi, pouffiasse ! Qu'est-ce tu connais..."

Non non, il faut être optimiste. Il effacera au bout de 6 mois ses réflexions de 39 ans d'existence. Et il est au chômage, le pauvre; il ne fait que mâcher une humiliation. On réécrit le scénario : "avez-vous des remords ?", "oh que oui, mon voisin de cellule était un barbu, je reconnais que j'étais dans l'erreur", "donc vous dites qu'en vous frottant à un musulman, vous avez recouvré un bon jugement ?", "non, madame, je ne me suis pas frotté à un homme, que Dieu tout Puissant m'en préserve !", "pardon !", "c'est comme un éblouissement, la foi m'a sauvé", "!!!", "oui oui, maintenant je vais buter les non voilées"... Un destin à la Arnoud Van Doorn, ça aurait de la gueule. Han han han...

Les prisons françaises, que veux-tu. Soit on se fait homo soit on se fait mollah. Jadis, quand j'étais petit, le coq du quartier avait dévalisé une boutique et blessé des personnes. Bel homme, il avait une "chambre" spéciale dans la cave; le pouce dans la bouche, on comptait les filles entrant cosmétiquées et sortant ébouriffées. Idem à la piscine; lorsque la cabine comptait quatre pieds enlacés, les blancs-becs tournaient autour. Époque où il n'y avait ni Internet ni portable; on s'ennuyait comme on pouvait... Et bien cet Apollon qui n'avait ni foi ni loi avait écopé de 20 ans de prison. A sa sortie, on le vit souillé de poils. Sa beauté n'avait pas perdu une miette. Mais il fut dit qu'il trimbalait à ses côtés une ombre noire; les mauvaises langues prétendirent que c'était son épouse...

Il aurait été tentant d'écrire un bouquin du genre Réflexion sur la question musulmane. Et de reprendre la thèse du père Sartre sur l'antisémitisme; la musulmanophobie est une passion chers amis, circulez, il n'y a rien à voir. Oui mais si seuls les insensés sont "phobiques", c'est qu'on est mal barrés, révérence parler. Car dans ce cas-là, le monde en grouille. La conception anglo-saxonne en fait une "opinion" pour mieux la combattre; la nôtre en fait une "passion" pour mieux la... la quoi ? Traiter ? En mobilisant psychiatres et thérapies ? Pff. Pourquoi ne pas laisser les gens oraliser des horreurs pour mieux déconstruire l'argumentaire qui est nécessairement bancal ? Pourquoi laisser fermenter des idées pernicieuses qui finissent par fouetter des passants

"Oulala, c'est trop sérieux tout ça, si t'es pas content, tu... euh, je veux dire, voilà quoi !". Comme me l'avez susurré un ami, "les musulmans n'ont pas l'équivalent de l'aliyah ?", "Bah si, c'est l"hégire, l'émigration au nom de la foi. Mais même les plus coincés n'y pensent pas". C'est sans doute "navrant" de le constater mais les musulmans-fils d'immigrés sont des Français. Fran-çais. Alors "retournez dans votre pays", "il doit faire beau chez vous" et autres platitudes ne sont que vaines articulations. Qui n'entend qu'une cloche n'entend qu'un son. Deux prières de plus pour la République, ça ne fait de mal à personne...

lundi 22 juillet 2013

Baiser de Judas

Le jour où Kemal Kiliçdaroglu atterrit au cœur de l'échiquier politique par la disgrâce de son prédécesseur, le flamboyant Deniz Baykal pris la main dans le sac, il souleva un vent d'espoir. Ancien directeur de la Sécurité sociale, il avait assurément la fibre sociale qui seyait parfaitement à un parti de gauche, le CHP, plutôt peuplé d'ambassadeurs et de hauts fonctionnaires en retraite. Sa démarche godiche le hissait au rang du Turc anatolien, marque d'authenticité et de popularité dans le contexte électoral national. Son air engageant lui avait même permis de se faire appeler "Gandhi". Bon, il s'était présenté à la mairie d'Istanbul en confondant à chaque fois les quartiers et les arrondissements mais c'était une parenthèse. Il n'était pas le premier à se faire parachuter dans une ville qu'il ne connaissait pas...

Humble, il ignorait porter des chemises à 200 euros. Ses assistants le bousculaient dans les boutiques, il payait mais ignorait le montant. Peu charismatique, il descendit les marches à l'envers. Inquisiteur, il dénicha des affaires de corruption qui, in fine, lui explosèrent à la figure et aboutirent à le faire condamner, lui, le "calomniateur". Harangueur, il parla d'abondance si bien qu'il bourda à volonté. Les médias qui craignaient Erdogan comme la peste s'en donnèrent à cœur joie. Une "tête à claques" qui n'avait pour habitude ni de rugir ni d'intimider comme l'autre. Si bien qu'une vidéo de 2011 ressortait tous les ans à la même époque : un Kiliçdaroglu qui boit de l'eau alors que le muezzin n'a pas encore entonné l'appel à la prière qui permet de rompre le jeûne. "Ah oui mais c'est un alévi, c'est vrai"...

Evidemment. Un alévi ne jeûne pas au mois de Ramadan mais au mois de Muharrem, celui qui vit le massacre de Hüseyin, petit-fils du Prophète. Quel prophète ? Bah, celui de l'islam. "Attends, j'comprends que dalle, un alévi respecte scrupuleusement la mémoire d'un descendant du prophète de l'islam mais rejette le jeûne imposé par le livre sacré de ce même prophète ?". "C'est que les "dissidents" alévis ont forgé leurs propres rites, jeannot, personne n'y comprend rien"... Le contexte turc crée ainsi des hypocrisies. Un politicien alévi doit faire semblant de jeûner car le pays qu'il se destine à gouverner est à majorité sunnite. Et la légende officielle a beau créer une symbiose entre sunnites et alévis, le vieux anatolien, lui, l'orthodoxe, n'en démord pas : "ce CHP est un monde interlope, petit, regarde son président, il ne jeûne même pas !".

Il concocte des repas de rupture, pourtant. Histoire de séduire l'électorat conservateur. Kiliçdaroglu en personne promet de tout faire pour obtenir la titularisation des imams vacataires et faire délivrer aux élèves des écoles coraniques des cartes de transport gratuites. Un mea culpa sur le voile enchante l'assistance.  Et, évidemment, la cerise sur le gâteau : le sermon aseptisé que tout responsable aime débiter : "les sunnites et les alévis croient au même Dieu, au même Prophète, au même Livre. Ils aiment avec la même ferveur Ali et sa famille". M'ouais. C'est ce discours "officiel" qui enfonce dans les épines la "question alévie". Croire en un Livre (le Coran) et rejeter le jeûne du mois de Ramadan, les cinq prières quotidiennes et le pèlerinage à La Mecque, quésaco ? Trois piliers sur cinq se sont écroulés mais l'antienne reste de rigueur : "Mais si mais si, vous êtes des frères de religion !"...

Le sunnite sait que pour lui, l'alévi n'est pas un musulman. L'alévi sait que pour lui, le sunnite n'est pas le bon musulman. Tant pis; une hypocrisie d'Etat les considère comme "deux interprètes de l'islam". Le premier ministre Erdogan va même jusqu'à se déclarer alévi "si l'alévisme, c'est aimer Ali !". Or ce raisonnement n'a aucune logique ; les musulmans ont beau aimer Moïse et Jésus, ils ne sont pas pour autant juifs ou chrétiens. Ce romantisme est le principal point d'achoppement. Car selon le point de vue religieux dominant, le "cemevi" n'est pas un lieu de culte; selon le point de vue laïque, c'en est un. Le problème est que l'Etat turc est laïque selon sa Constitution mais sunnite dans sa pratique politique. Les dirigeants sont sunnites et pour eux, un "cemevi" n'est pas un lieu de culte alternatif à la mosquée. Du coup, ils refusent d'avaliser une rupture religieuse en reconnaissant les "cemevi" comme des lieux de culte à part entière. 

Or, tout le monde connait les chuchotements dans les familles. Mezzo-voce, les deux groupes se lancent des anathèmes. Là est la clé du problème : qu'on le veuille ou non seule une discussion théologique peut faire avancer les choses. Cette tendance à intégrer les alévis dans l'islam malgré eux et malgré leurs pratiques leur fait le plus grand mal. Car leurs droits sont envisagés à l'aune d'un principe cardinal porté par l'Etat laïque lui-même : l'intangibilité de l'uniformité de l'islam. Les alévis sont otages de ce postulat. A chaque fois qu'ils s'adressent à l'Etat pour corriger une injustice, c'est le dirigeant sunnite qui leur répond. Il faut donc une fois pour toute séparer ces deux "religions". Revoir les définitions. Lancer des excommunications. Pour le bien de tous...

mardi 9 juillet 2013

Allez, bismillah...

En ce début de Ramadan, il eût été inélégant de ne pas saluer le pontife d'Al Azhar, "la plus grande autorité sunnite au monde" et le président du CFCM, "l'instance représentative des musulmans de France". Un peu notre "mufti" national. Pour être poli, ajoutons le Guide de la Révolution iranienne, la plus haute autorité chiite... en Iran. Le premier est un putschiste, le second un médecin et le troisième un despote mais ça ne fait rien. Ils sont bourrés de diplômes et de sagesse. "Donc" de sagesse, ai-je voulu écrire tant la religiosité moderne est fonction d'un bout de papier ou d'une nomination mais j'ai changé d'avis...

Dieu est, sans conteste, charmé, que dis-je, ébloui. Son Prophète doit d'autant plus être épaté que deux d'entre eux sont "officiellement" des chérifs, autrement dit, des nobles issus de sa semence. Tout cela est fort sympathique. Assurément. Avec ces figures tutélaires, on se sent une sérénité intérieure, une quiétude. D'autant plus que le jeûne a débuté. Ou presque. Le Ramadan a commencé un mardi pour des millions, un mercredi pour d'autres millions; les seconds pèchent tandis que les premiers jeûnent. Ou les premiers pèchent alors que les seconds mangent. C'est selon. Selon quoi ? Bah, selon les interprétations. Selon les "méthodes". Une histoire de nouvelle lune, déterminée par télescope pour les uns, constatée visuellement pour les autres. Trop compliqué...

Un "islamiste" se serait épanché sur la fin du Califat. Un "pape" musulman aurait eu de la gueule, quoi ! Il aurait tranché, lui. Il existe certes une Organisation de la coopération islamique, avec un Turc à sa tête, s'il-vous-plaît. Un Turc oui, comme au bon vieux temps... Mais cette organisation intergouvernementale n'est qu'au stade d'un "bidule". Le vieux qui sirote son thé à la menthe au coude d'une ruelle n'en a jamais entendu parler. Oui, Al-Jazeera en dit des choses parfois mais il ne comprend pas la langue de cette chaîne; c'est trop littéraire. Or il fut une époque où des centenaires arabes pouvaient encore apostropher un Turc passant par là, "oui oui ça va, elhamdulillah, laisse béton tout ça, dis-moi, il va bien le Calife ?"...

Et si un "musulman non islamiste" ou un "musulman modéré" pour faire plaisir à mon prochain faisait le même rêve ? Le Calife, je veux dire. Celui dont Mustafa Kemal, un visionnaire pourtant, avait aboli la charge en 1924. Depuis, qui dit quoi, on ne sait plus. Les Turcs avaient réussi à convaincre leurs coreligionnaires pour passer au télescope, par exemple. Ça faisait scientifique donc moderne. Tout le monde était tombé d'accord mais bon voilà quoi, il était absent, lui, l'Ombre de Dieu. Et quand le chat n'est pas là,... Dit en passant, il ne vient à l'idée de personne de suivre le cours du Soleil pour déterminer les cinq prières quotidiennes; ils consultent tous une fiche des horaires, établis conformément au calcul astronomique. Ça ne froisse aucune conscience...

L'islam est, sauf votre respect, une religion "unique". En ce sens que son Prophète mourant n'a jamais désigné un successeur ni jamais institué un clergé. Mais ses ouailles ont crânement fait l'inverse. Résultat : un groupe de dignitaires qu'on appelle "ceux qui lient et délient" et un abadis de crédules qu'on appelle "les gens du peuple". Évidemment, le Coran (la "dictée surnaturelle" selon l'expression de Massignon) et la Sounna du Prophète (ses discours et ses gestes) avaient besoin d'interprètes; et le Diable est attiré par le vide. Il a donc fallu inventer des autorités et une théorie : le commun des mortels doit se fier aux savants. C'était admissible jusqu'au jour où il apparut que les "jurisconsultes" aimaient réfléchir ad hoc et ad hac. Un illuminé de chaque génération se mettait à reprendre tout le corpus ab ovo. Un seul livre avait pondu des encyclopédies...

Et ça fait, sans rire, 1400 ans d'âge. Et un constat : une religion brouillonne. Incapable de déterminer le jour de commencement (et à coup sûr, le jour de clôture) du mois le plus sacré. C'est que le Coran dit clairement que ce mois renferme un jour des plus sacro-saints, un jour qui équivaut à 1000 mois soit 83 ans. Les savants, encore eux, l'ont fixé au 27è jour du Ramadan. Le hic, c'est que 27 pour le mardiste est 26 pour le mercrediste... Malheureusement, l'apriorité de la mort nous empêche de savoir ce qui se passe là-haut. Je l'ai dit, le commun des mortels n'a pas un grand souci à se faire. Et il sera aux premières loges le jour J pour participer aux "grands procès". Sur les os de mes ancêtres, il faut être particulièrement fat pour passer comme un chat sur la braise...