lundi 4 avril 2011

Arrêt provisoire; peut-être définitif...

Lorsqu'on me demande d'intervenir auprès des "plus" jeunes pour leur conter mes aventures universitaires, je n'hésite pas un instant. Telle association organise une "journée d'orientation", et moi, chômeur parmi d'autres, je prends place dans la case "droit". Une fois, "monsieur le directeur d'une école de soutien scolaire" m'avait demandé ce qu'il fallait écrire sur le badge de présentation : "chômeur", avais-je dit. On a tout juste éclaté de rire avant de tomber d'accord sur une formulation moins prosaïque : "diplômé en droit".




Le but est de pousser les "fils d'immigrés" à envisager des études longues. Le message est clair : "n'ayez pas froid aux yeux, voilà ceux qui ont réussi". Parmi les Turcs, il y a très peu d'étudiants en droit. On les trouve en finance, en ingénierie, en économie mais rarement en histoire, en droit, en philosophie ou encore sociologie. Lorsque j'étais "petit", les premières semaines en droit, j'avais connu de loin, un Français d'origine turque qui s'essayait dans une faculté de philosophie (il est aujourd'hui doctorant), et j'avais un cousin étudiant en sociologie (également doctorant). Ils m'épataient car je vais faire une confidence, je n'ai jamais "adoré" le droit. Je rêvais d'être professeur d'histoire. Au collège, d'abord; au lycée, ensuite; à l'université, enfin. Mais je ne sais pourquoi, en terminale, j'ai formulé mes options dans cet ordre : 1-droit, 2-histoire, 3-philosophie.




Oui philosophie. Car comme le disait Cioran (qui a fini par dédaigner la philosophie), "le jargon philosophique flattait ma vanité et me faisait mépriser quiconque usait du langage normal". Être abscons, pensif, omniscient, donc bêcheur donc envié. D'ailleurs, lorsque je voyais la soeur de ce Turc-philosophe (lui, je ne le connaissais pas encore), je lui demandais tout bêtement, "c'est bien de vivre avec un philosophe ?", "ouais ! C'est comme un psy, il écoute, analyse et t'apaise". Ouah, le trip ! Je n'ai jamais franchi le pas, je ne me suis jamais inscrit en philo mais j'en ai gardé une complexion d'esprit. En histoire, je l'ai fait.




Puisqu'il faut être sincère, je peux l'avouer, maintenant. En septembre 2002, ma première rentrée universitaire, j'ai donc commencé mes études de droit. Mais comme on le sait, le système universitaire permet de se réorienter à la fin du premier semestre c'est-à-dire en janvier. Eh bien, je le dis : en janvier 2003, après avoir débité avec mes condisciples, des discours d'adieu vantant nos mérites réciproques, j'ai quitté le droit pour rejoindre la fac d'histoire ! Mais j'ai eu la sage attitude de valider mon premier semestre en droit. Et j'ai terminé l'année 2002-2003 en histoire.




Mais voilà. Ma mère voulait absolument que je devinsse avocat. Non pas qu'elle soit elle-même fille d'une dynastie de juristes, mais pour le prestige. Elle boudait, la miss. En bon stakhanoviste que j'étais à l'époque (aujourd'hui, je suis tout au plus studieux), je me suis réinscrit en première année de droit en septembre 2003, tout en poursuivant ma deuxième année d'histoire. Et l'aventure continua en septembre 2004, avec une deuxième année de droit et une troisième année d'histoire. En septembre 2005, ma licence d'histoire en poche, je n'ai continué qu'en licence de droit et pas du tout lorgné une maîtrise d'histoire, j'étais épuisé...




Au final donc, licence de droit à Orléans, maîtrise à Nanterre, un master recherche (ex-DEA) à Paris-II et un autre master recherche à Paris-I. Comblé, je le suis, pas de doute. C'est donc tout naturellement que les organisateurs se sont tournés vers moi pour la promotion du cursus de droit. Les lycéens m'ont posé des questions, donc. "Combien d'années d'études pour devenir avocat ?", "4", "comment se déroule un procès ?", "aucune idée, je n'ai jamais mis les pieds dans un palais de justice !", "pour être juge, il faut connaître toutes les branches du droit privé ?", "bah logiquement oui". Des questions très pertinentes, très sages. Un moment, j'ai eu l'audace d'avancer la "philosophie du droit" et "l'anthropologie juridique". Des yeux en boules de loto, j'ai remarqués. Une question m'a rapidement calmé : "on gagne combien là-dedans ?"...




Bon d'accord, j'avais travaillé la question avant le grand oral. Mais je me suis rendu compte que je n'avais qu'un lien très ténu avec le droit ou plutôt l'environnement judiciaire. Car j'ai toujours voulu enseigner le droit, jamais l'appliquer. Et quand on se fixe un but aussi catégoriquement, on perd la sagacité de se ménager une porte de sortie, en cas d'échec. Il faut toujours diversifier sa curiosité.




Plus je déclamais les branches du droit, plus j'avais mal à la tête. "Alors mes petits, on parle de summa divisio, c'est-à-dire la distinction fondamentale droit public/droit privé. Ensuite le droit public, c'est le droit constitutionnel, le droit administratif, le droit fiscal, les finances publiques (un délire), le droit international public. Le droit privé, c'est pis : droit de la famille, droit des obligations, droit des biens, droit du travail, droit des sûretés (une horreur), droit des affaires, droit commercial, droit international privé, droit pénal, etc. etc.". Et j'en suis arrivé à plaindre ceux qui voulaient entamer des études de droit...




Mais je me suis rattrapé : "faites du droit mes amis, car vous apprenez à raisonner, à écrire et à parler. Et surtout, vous devenez "conseil" pour vos proches, du moins pour ceux que ça intéresse". Moi, personnellement, j'ai toujours été un mauvais juriste. Un bon étudiant en droit certes (Assas et Sorbonne, s'il-vous-plaît) mais un mauvais juriste. Bon en dissertation et commentaire d'arrêt, nul en cas pratique. J'aurais perdu tous mes procès, j'aurais donné l'enfant au père après le divorce, condamné un voleur à des stages de citoyenneté à côté des femmes en niqab, je me serais trompé dans le calcul de l'impôt sur les sociétés, et je n'ai jamais rien compris au droit pénal. Et avec tout cela, j'avais "osé" préparer le concours de l'École nationale de la magistrature, moi un "publiciste". Je pleurais dans l'amphi, ah oui hein. "La solidarité dans le contrat", "l'impérialisme du droit pénal français", "les salaires dans les régimes matrimoniaux", "l'équité en droit civil". Depuis, j'ai un immense respect pour les avocats et les magistrats. J'admire toujours ceux qui s'occupent de choses qui dépassent mon entendement...




Heureusement, me suis-je dit, que personne ne s'est aventuré à me demander ce que je faisais aujourd'hui. D'ailleurs, on avait trouvé la parade avec le directeur, j'allais dire "je me prépare aux concours". Et s'il disait "lesquels ?", "tu diras diplomatie", "ok". Abdülhak Şinasi Hisar, dans son roman "Fahim Bey ve Biz", racontait l'histoire d'un monsieur très urbain et très cultivé, qui sortait tous les matins pour aller travailler. Il avait un bureau. Mais personne n'avait encore vu entrer un seul client. Et il donnait des conseils d'investissement très juteux à ses proches. On le remerciait, car il participait à leur essor. Il se terrait sous une pile de dossiers, créait des entreprises, tenait des conseils d'administration, écrivait les procès-verbaux, etc. Il travaillait dans sa tête, dans ses rêves. Il vivait par procuration. Il ne gagnait rien mais il louait des locaux, ajustait la production, empruntait aux banques. Tout cela dans son cerveau. Dernier conseil que j'avais donné aux lycéens : "ne naviguez jamais à vue, ayez rapidement un but professionnel, faites des stages, apprenez des langues, participez à des procès, à des concours de plaidoiries !". Une mère turque m'avait lancé : "teşekkürler Sami Bey !", "merci Monsieur Sami" (en turc, avant le nom appellatif "bey", on place le prénom et non le nom). J'ai ressenti un pincement; "Sami Bey"... Le syndrome "Fahim Bey"...




Et mon cousin sociologue m'a gentiment rappelé à l'ordre : "il faut se bouger pour trouver un travail, maintenant; et attention à ne pas trop t'exposer sur un blog, ça peut rebuter un employeur !". Il m'a énervé, évidemment. Je lui en veux de m'avoir réveillé. Mais il a raison. Voilà donc. Je le déclare solennellement : j'abjure toutes les idées que j'ai pu exposer dans cet espace dès lors qu'elles sont de nature à entraver ma future carrière. La "vraie" vie serait ainsi; et je m'y plie. En faisant patte de velours. Merci à toutes à tous, à bientôt, au revoir, à un de ces jours, adieu...