mardi 5 avril 2016

Kémalisme à la française...

Le grand mufti de la République française l'a décrété. "Le voile représente l'asservissement de la femme". Un "fichu porté par les vieilles", ça passe encore, a-t-il concédé. Histoire de ne pas se mettre à dos les mamies de la "France profonde". Ou histoire d'enquiquiner encore plus les musulmans de son pays dont le Livre sacré dit le contraire : "Nul grief aux femmes atteintes par la ménopause et n'espèrant plus le mariage à déposer leurs voiles (...)" (24, 60). Voilà donc, pour nous autres Franco-Turcs, un retour aux temps des kémalistes qui pourchassaient les gueuses qui refusaient de se voiler comme "nos grands-mères"...

Babeth était encore dans les parages, évidemment. "En l’espace de dix ans, de nombreuses filles des quartiers se sont mises à porter le voile en France. Révélation divine  ? Non, montée de la pression islamique. Seule la loi peut protéger celles qui le portent sous cette pression. Or, lorsqu’on les soutient, on est considéré comme 'islamophobe'". Celle qui vit dans un quartier populaire connaît mieux que quiconque les détresses qui y sont attachées. Evidemment. "Un voile, c'est une prison", a renchéri l'uraniste du haut du balcon de son HLM. La féministe en chef, dans un enchantement rossignolesque, avait été plus savante, elle, à la Montesquieu : "Il y a des femmes qui choisissent, il y avait aussi des nègres américains qui étaient pour l'esclavage"...

Jadis, l'ancien cheikh al-islam de la République avait également émis une fatwa : "le problème de la burqa n'est pas un problème religieux, c'est un problème de liberté, de dignité de la femme. Ce n'est pas un signe religieux, c'est un signe d'asservissement, c'est un signe d'abaissement". Et on s'en souvient, l'an dernier, son successeur n'avait pas, non plus, hésité à déconner, révérence parler : les musulmans devaient se sentir "unis, protégés, respectés comme eux-mêmes [devaient] respecter la République". Comme eux-mêmes, les musulmans donc, devaient respecter la République ! Avaient-ils l'air de faire le contraire...

Son pote, Julien Dray, en rajouta une couche : "Quand une religion comme l'islam apparaît comme une composante majeure de la République, elle doit s'imprégner de la réalité de la société française". Et Rama Yade d'en profiter pour épater la galerie : "Il faut commencer par cesser de renoncer à la laïcité. Comment a-t-on pu autoriser le port du voile pour les accompagnatrices des sorties scolaires ?"... Entre-temps, la mère voilée d'un soldat mort pour la France, "martyr" dirait un barbu bienveillant, était honorée par John Kerry aux Etats-Unis, oui oui, celle qui avait été sifflée à l'Assemblée nationale...



Et puis, en France, on vit comme les Français, d'abord. Conformément à l'héritage judéo-chrétien. On ne va tout de même pas inventer à la Nation, une branche musulmane. Depuis le temps, on avait compris. D'accord, la "culture" islamique ne fait pas partie de l'identité profonde de notre pays. En France, effectivement, les femmes voilées restent cloîtrées, on les dénomme "sœurs" et on leur voue un très grand respect. Du coup, quand leurs "consœurs" musulmanes descendent dans les rues pour acheter du pain, les Français, les vrais, ceux de souche, de l'histoire longue et des sépultures, sont choqués...

Et surtout, les Français, les "idéaux-typiques", sont pour la plupart athées et agnostiques. Résultat : on vit sous l'empire de la loi de séparation de 1905 mais avec l'état d'esprit de 1904 (cf. Jean Baubérot, L'intégrisme républicain contre la laïcité, pp. 161-174). Car les Français de souche reprochent aux musulmans de croire dur comme fer à cette fameuse laïcité de 1905. Alors que celle de 1904, celle du père Combes, sied plus à l'air du temps... 

Et on en vient légitimement à s'interroger sur la place de l'islam dans cette configuration, une religion si éloignée des "mœurs républicaines", la fameuse "religion civile". Des gens se prosternent le fessier en l'air, jeûnent, vont se perdre dans les déserts en Arabie pour tourner autour d'un cube noir avec des millions de blancs, jaunes et noirs et en reviennent requinqués ! Quelle drôle de religion ! Alors que la Raison, fille des Lumières, mère de l'Idée-République, devrait suffire... 

Ces musulmans sont animés par l'instinct grégaire, par-dessus le marché. Les études ont beau démontré que les mariages mixtes explosent, que le nombre de lycées musulmans est inférieur à celui des lycées catholiques et juifs, que les parents fuient les banlieues pour assurer un meilleur avenir à leurs enfants et que les listes communautaires n'ont jamais percé lors des élections. Tronquées, assurément...

Et puis quand j'y pense, il faudrait également se pencher sur le voile des bonnes soeurs en leur rappelant que tout ça c'est de la farce, le turban des sikhs pour examiner ses répercussions sur l'hygiène publique (d'ailleurs il faudrait auditionner aussi l'ancien Premier ministre indien), le kesa des bouddhistes (le Dalaï lama est souvent en France, ça tombe bien), le kimono des japonaises, histoire de savoir si ce n'est pas difficile à porter et donc constitutif d'une discrimination. Ou encore demander aux Juifs de bien nous expliquer à quoi sert leurs papillotes et pourquoi les femmes portent des perruques. Il faudrait également incriminer le refus de transfusion sanguine, c'est pire que l'asservissement, c'est la mort assurée; atteinte à la dignité humaine. Et il faut s'interroger sur les boubous aussi, on s'y perd... 

Il y a quelques années, on demandait (et ordonnait, puisqu'une loi est passée) aux femmes niqabées de bien vouloir vivre leur religion, au rabais. Celles qui considéraient, à tort ou à raison, que le voile intégral était un commandement de leur croyance, devaient faire plaisir à leurs concitoyens, en disparaissant de la circulation. Car la théorie du visage de Lévinas, la fulgurance de Babeth, le bien de la société, la protection de l'ordre public, l'impératif du "vivre-ensemble" l'imposaient. Le Conseil constitutionnel, dans sa fameuse "décision" du 7 octobre 2010, prêtait son épaule au législateur qui avait estimé que de telles pratiques méconnaissaient "les exigences minimales de la vie en société". "En France, c'est comme ça !", version juridique. Évidemment, quand on voyait les noms des "juges" constitutionnels qui avaient pondu cela, on comprenait le pourquoi du comment; Jacques Chirac, Jean-Louis Debré, Jacques Barrot, Michel Charasse, Valéry Giscard d'Estaing, Claire Bazy Malaurie et Pierre Steinmetz étaient, comme on le devine, des constitutionnalistes de renommée internationale... 

Aujourd'hui, tout le monde use de sa liberté d'expression afin de blesser, spécifiquement ses concitoyens musulmans mais personne n'ose invoquer "les exigences minimales de la vie en société". L'impératif du "vivre-ensemble" passe à la trappe, tout naturellement. Dénigrer les croyances de ses "concitoyens" musulmans s'accommode alors très bien du "vivre-ensemble"; et ceux qui "vivent ensemble" ne condescendent même pas à écouter l'indignation des musulmans. La Nation française, c'est, au fond, "ceux qui vivent ensemble entre eux" moins les musulmans...

La République a tout fait pour interdire aux mères voilées de prendre part aux sorties scolaires (décidément, on ne les aime que cloîtrées, dans ce pays). Motif : elles deviennent fonctionnaires pour une poignée de minutes. Donc ? Bah il faut que Madame Al-Hasnaoui, par exemple, "se la joue" fonctionnaire neutre. Elle est sans doute la femme de l'épicier du coin, tout le monde la connaît, toutes les maîtresses, tous les parents d'élèves, toutes les associations de parents la connaissent. Mais le directeur va quand même lui dire, toute honte bue, qu'elle ne pourra plus être "des leurs"; qu'elle ne pourra plus distribuer des boissons et des gâteaux, tenir la main aux écoliers, dont elle a beau connaître les prénoms par cœur puisque du même quartier. Désormais, elle pue. Au nom de la laïcité nouvelle version...

Nous autres "Français musulmans" (et non "Franco-musulmans"), nous devrions présenter une adresse à l'assemblée nationale, copiée sur celle des Juifs du 31 août 1789 : "Messeigneurs, nous venons vous prier de mettre fin à la longue oppression d'un peuple entier, en le rappelant aux droits communs d'humanité et de cité (...). Nous vous supplions de nous maintenir dans le libre exercice de nos rites et usages et de conserver nos mosquées, nos imams et nos associations cultuelles"... Ou devrait-on peut-être réunir une convention islamique et lui poser ces fameuses 12 questions que Napoléon avait posées aux Juifs avant de les prendre pour des êtres humains :


1) Est-il licite aux juifs [musulmans] d'épouser plusieurs femmes ?


2) Le divorce est-il permis par la religion juive [musulmane] ? Le divorce est-il valable sans qu'il soit prononcé par les tribunaux, et en vertu de lois contradictoires à celles du Code français ?


3) Une Juive [musulmane] peut-elle se marier avec un Chrétien, et une Chrétienne avec un juif [musulman] ? Ou la loi veut-elle que les Juifs [musulmans] ne se marient qu'entre eux ?


4) Aux yeux des Juifs [musulmans], les Français sont-ils leurs frères, ou sont-ils des étrangers ?


5) Dans l'un et dans l'autre cas, quels sont les rapports que leur loi leur prescrit avec les Français qui ne sont pas de leur religion ?


6) Les Juifs [musulmans] nés en France et traités par la loi comme citoyens français, regardent-ils la France comme leur patrie ? Ont-ils l'obligation de la défendre ? Sont-ils obligés d'obéir aux lois et de suivre toutes les dispositions du Code civil ?


7) Qui nomme les Rabbins [imams] ?


8) Quelle juridiction de police exercent les Rabbins [imams] parmi les Juifs [musulmans] ? Quelle police judiciaire exercent-ils parmi eux ?


9) Ces formes d'élection, cette juridiction de police judiciaire, sont-elles voulues par leurs lois, ou seulement consacrées par l'usage ?


10) Est-il des professions que la loi des Juifs [musulmans] leur défende ?


11) La loi des Juifs [musulmans] leur défend-elle de faire l'usure [de prêter de l'argent] à leurs frères ?


12) Leur défend-elle ou leur permet-elle de faire l'usure aux étrangers [d'emprunter aux banques] ?


Madame le Président de la République Marine Le Pen devrait s'affairer à cette tâche dès les premiers jours de son mandat en 2017. C'est donc une manie de la "France éternelle" que de convoquer, une par une, à peu près tous les cent ans, les différentes communautés qui essaient de la composer, pour lui arracher des serments de fidélité, les protestants, les catholiques, les juifs. Aujourd'hui, ce sont les musulmans qui trinquent. En 2116, quand j'aurai très exactement 132 ans et serai un ambassadeur de France en retraite voire un ancien ministre des affaires étrangères, nous taquinerons les mormons. Moi, je ferai partie d'une religion respectable pour l'époque, keh keh keh... Ah j'oubliais, les Juifs de Paris avaient encore dit en 1789, "un objet unique domine et presse toutes nos âmes; le bien de la Patrie et le désir de lui consacrer toutes nos forces". Nous, musulmans de France, pensons la même chose. Wallâhi. Il suffit juste de nous en donner l'opportunité. Vive la France ! Vive la Démocratie ! ;)