dimanche 15 juin 2014

Mort dans l'âme

Fallait voir le maelström à l'époque. Tayyip Erdogan était sur ses grands chevaux : "c'est une falsification de l'Histoire ! Nos ancêtres ne se sont pas enfermés dans le harem, Süleyman a guerroyé pendant des décennies !". Ouais ouais, avait répondu la scénariste Meral Okay. C'est que la série Muhtesem Yüzyil avait enragé les consciences conservatrices; faussement conservatrices. Comme si la marmaille qui gigotait au palais avait été pondue dans les tentes des champs de bataille. Et cette manie des conservateurs de sauver l'âme de leurs "héros" avait exaspéré d'autres. Comme cet amour pour la personne d'Adnan Menderes, premier ministre pendu en 1960, un homme qui avait fait tant de bien pour les dévots, à l'époque. Certes, mais de là à faire d'un fornicateur un saint...

Et voilà, la série que les Turcs adoraient détester est terminée. Trois ans à suivre la vie de Soliman le Magnifique, ses amours, ses guerres, ses funestes décisions. Cruel ? Point du tout; chef d'Etat. Qui condamne à mort deux de ses fils trublions. Un de ceux qui ont fait leur purgatoire en ce monde. Imaginez, un être humain qui règne pendant 46 ans; qui assure "l'ordre du monde" (nizam-i alem) comme le pensaient jadis les Ottomans; qui ordonne à tout va; qui se fait obéir en moins de deux; qui décide de la vie et de la mort; qui n'a aucune limite autre que celle que lui impose sa conscience. Bref, "l'ombre de Dieu" sur terre. Et cette "vile créature" s'en va rejoindre humblement son Créateur. Celui qui l'a choisi d'entre les hommes pour le "noyer" dans la munificence illimitée. Quelle responsabilité ! Quelle charge !













Les scènes de mort. Ces regards qui se perdent dans un vide qu'on devine pas très heureux. Après tout, tout le monde savonnait la planche à tout le monde. Un panier à crabes. Une obligation puisqu'on avait une peau et surtout une lignée à sauver. La Reine-Mère, sa servante Daye Hatun, le grand vizir Ibrahim, le prince Mehmed, le prince Mustafa, le prince Bayezid, le prince Cihangir, Hürrem et finalement le sultan Soliman. Et des morts, des vrais. A commencer par Meral Okay. Et le grandiose Tuncel Kurtiz qui campait le rôle d'Ebussuud Efendi, le cheikh ul islâm. Si bien qu'on s'était demandé si une malédiction était tombée d'en haut...

233 000 plaintes déposées au CSA turc ! Et voilà qu'une autre aventure commence, celle de Kösem Sultan. La mère terrible qui fait déposer son fou de fils pour le remplacer par son petit-fils. Kösem, la concubine d'Ahmed Ier, l'arrière-arrière-petit-fils de Hürrem. La production envisage de diffuser la série l'an prochain. Quoi qu'il en soit, le casting de Muhtesem Yüzyil était époustouflant, tous les grands noms de la télévision turque y ont fait un saut. Il ne manquait plus que Kivanç Tatlitug, pressenti un temps pour devenir Selim II dit le Blond. Tant pis, ça sera un 19/20...

C'était une fiction. Et la fin de chaque fiction ouvre au spectateur le droit de poursuivre l'histoire à sa guise. J'ai jeté mon dévolu sur Mahidevran, cette princesse qui a été la favorite du grand Soliman, la mère meurtrie de Mustafa, celle qui a été témoin de la mort de tout le monde. Elle a survécu à Hürrem, à Soliman, à Selim II pour mourir sous Murad III. Pauvre et quasi folle. Pourquoi on aime l'histoire, nous autres qui avons fait des études dans ce domaine. Pourquoi un adolescent s'entiche des figures et des récits du passé alors que ses camarades se la jouent "branchés" ? C'est simple, en réalité : on aime broder le vide et on aime prendre de l'élan. L'Histoire n'est rien d'autre en réalité que l'école de l'émerveillement face à la pourriture humaine. Une passion qui relève du divin, on se jette dans l'infini pour assister au cri et à la mort. Quoi de mieux pour bien finir son bout d'existence...

Muhteşem Yüzyıl Orijinal Dizi Müzikleri