dimanche 21 juin 2015

"Baba" et baba...

"Baba", aussi, s'est éteint. Süleyman Demirel. Le 9è président turc (1993-2000). 91 balais. Le mômichon que j'étais admirait ce gros Monsieur chauve au feutre vissé sur la tête et au bagou irrésistible. Sa femme, Nazmiye, une paysanne maquillée, était une autre légende. "Baba", c'est-à-dire papa. C'est que le couple n'avait pas d'enfant. Officiellement, en tout cas. Comme Bülent Ecevit. Comme Devlet Bahçeli. Pis (ou mieux), ce dernier n'a même pas une mie, dit en passant... Du coup, la nation turque l'avait honoré en l'appelant père. Il le lui rendit bien : "bon père de famille", il ne pilla pas les caisses de l'Etat...



Un ingénieur d'extraction modeste qui devient chef de l'Etat. La méritocratie républicaine à la turque. Et ça ne rigolait pas hein, imaginez-le gouverner un Etat dont les dirigeants restaient avant tout les descendants des grandes familles ottomanes. Le socialiste Bülent Ecevit (1925-2006) et l'islamiste Necmettin Erbakan (1926-2011), par exemple, deux autres dinosaures, étaient issus de la bourgeoisie. Lui, fils de paysans. Même le légendaire Turgut Özal (1927-1993) appartenait à la classe moyenne supérieure. 


Evidemment, il doit sa longue carrière ("parti 6 fois, revenu 7 fois") à son... "pragmatisme", restons poli. C'est une tradition en Turquie : celui qui vient des marges et se hisse au sommet de l'Etat se métamorphose en gardien sourcilleux de l'ordre établi. Ce que les politologues appellent "ankaralaşma", "ankaraïsation". C'est connu, quand on n'a plus de suffrages à solliciter, on commence à transpirer la sincérité. Alors, le Demirel du centre-droit (il est le premier dirigeant à mettre les pieds dans une mosquée) est devenu, en fin de carrière, celui qui invite les filles voilées, interdites d'université, à étudier en Arabie Saoudite si elles y tiennent beaucoup...



Oh que non, il n'est pas parti en odeur de sainteté, comme un Özal dont le cercueil glissait sur les épaules des citoyens. Mais le mômichon s'en fout, passez l'expression. Le dernier des Mohicans s'en est allé. Une page de l'histoire s'est tournée. N'a-t-on pas le droit de se désoler tout simplement, sans s'interroger sur le sort du défunt dans l'au-delà ? Entre lui et Lui. Que Dieu l'absolve.    


Les Turcs ont enterré deux présidents en moins d'un mois. La momie Kenan Evren, le putschiste de 1980, a été entombé comme un lépreux, en mai dernier. Celui qui avait, précisément, renversé le Premier ministre Demirel. Et "Sülü" a été porté par les militaires, ceux qui l'ont chassé par deux fois du pouvoir. Ironie de l'histoire, son successeur, Ahmet Necdet Sezer, faisait une crise cardiaque au même moment... "N'eût-il pas eu ce malaise, il ne se serait pas déplacé à la cérémonie, j'parie !". Effectivement. Il est bizarre ce Sezer quand j'y pense...



Et Demirel était aussi un grand expert des manœuvres politiques. Il a tout connu, la majorité absolue, les coalitions, le gouvernement minoritaire, l'opposition, la résidence surveillée, l'air libre, l'administration, le parlement et finalement, le palais présidentiel. Encore ironie de l'histoire, la Turquie d'aujourd'hui se cherche un gouvernement et assiste à des pourparlers, comme au bon vieux temps. Sauf que. Le nationaliste Bahçeli, le sans-enfant, n'a pas été tendre. "Tu me donnes ton fils Bilal, je te file le gouvernement !", a-t-il lancé à Erdogan. Bilal, accusé de corruption. Bilal, le fils à papa qui a échappé à la justice. Bilal, monnaie d'échange pour former une alliance. On se croirait dans un film de gangs. Erdogan père, un autre "baba". Ah oui, ce mot signifie aussi "parrain" en turc. Tomber à ce niveau...

dimanche 14 juin 2015

Le Siècle de DSK

Jadis, on avait la pétoche. Madame Bovary, par exemple. Elle trompait autant qu'elle pouvait un mari subjugué. Les gens pépères, ça allait un temps. Un époux bien rangé, trop bon, trop convenu, trop popote, ça tuait le désir, n'est-ce pas. La femme a besoin d'un vis-à-vis qui est toujours prêt à la tromper. Elle doit avoir cette impression, sinon, elle lâche l'affaire et largue le type. C'est contraire à sa nature. Eh bien, Emma allait bichonner des Léon et compagnie mais elle avait peur d'être prise la main dans le truc. Et quand elle fut coincée, elle se donna la mort. C'était comme ça, avant, l'indécence avait de l'allure...

Ou je ne sais pas, moi, Oscar Wilde. Condamné pour ce fameux "amour qui n'ose pas dire son nom". Le pauvre. On te traite de "sodomite", tu flanques un procès pour diffamation et au bout du compte, c'est toi qu'on embarque... C'est que le code pénal suivait le code moral, il fallait avoir honte de cet "acte outrageant les mœurs". Aujourd'hui, c'est de la rigolade, on ne comprend même plus. Les "mœurs", c'est quoi d'abord ? A l'ère du "dérèglement", les moraleries ne sont l'affaire que des envieux... 

Ca, c'est le XXIe siècle ! Au Japon, une dame accourt au tribunal parce que son mari l'a trompée avec une serveuse. C'est que l'adultère est, là-bas, une "cause péremptoire de divorce", comme dirait le juriste. Contrairement à la France post-1975. Ici, par exemple, l'adultère ne fait plus partie de la moralité publique, le juge ne prononce pas automatiquement la séparation, il va fouiller dans ta propre conception de la moralité et essayer de se demander si ça te gêne tant que ça ! Et comme..., bref. Ma biche, donc, crie au scandale. Et là, paf. "Allez, arrête tes conneries", lui a rétorqué le juge. "Il ne t'a pas trompée, il est allé voir une prostituée". Ouah ! Sentence : une relation tarifée n'est pas un cas d'adultère. C'est du commerce...

Et chez nous, les députés en sont toujours à essayer de "pénaliser le client". Nos élus veulent nous rendre bien élevés. "A une époque où tout priapise, où tout est lascif, on devrait interdire la conjonction tarifée des voluptés ? Non. Que celui qui souhaite maudire la prostitution et son client, le fasse. Que le législateur qui souhaite bannir la prostitution et blâmer son client, rengaine son sermon. En matière de mœurs, dès lors qu'il n'y a pas de tiers lésé, aucun principe juridique ne doit pouvoir interférer dans l'autonomie personnelle. Que celui qui s'entête à corriger un penchant laisse le droit à sa place", avais-je naguère éructé...

DSK, entre-temps, a été blanchi. On l'accusait de proxénétisme aggravé. Il n'en est rien. On a appris à l'occasion qu'il aimait les p..., les s..., etc. Comme vous et moi, quoi. Le problème, c'est que, quand on le voit dorénavant, on l'imagine dans l'une de ces scènes. Et on n'arrive plus à le prendre au sérieux. Un peu comme le vieux sage du quartier dont on apprend l'orientation sexuelle sur le tard. Le point d'honneur, euh... C'est la chute, même si on a nous-mêmes une conscience large comme la manche d'un cordelier. Wilde, encore. "Tout procès est celui de notre vie entière, de même que toutes les condamnations sont des condamnations à mort". Tout ce qui nous reste du XIXe siècle...