vendredi 30 octobre 2009

Epilogue ?

"Un bout de papier" avait juré le Général Başbuğ; la Turquie entière était accrochée à ses lèvres; il était question d'un document supposé préparé par un officier de la marine et destiné à enflammer la Turquie. Le but était clair : affaiblir le Gouvernement et finalement le démissionner. Mettre fin à la "dictature" du "régime AKP", nécessairement fasciste-islamiste-terroriste-despotique. L'Armée. Sa messianité est clairement admise par certains kémalistes...


C'est rassurant, cela dit. Les militaires veillent; la République ne saurait somnoler. La démocratie, peu importe; un parent pauvre; on l'aime bien mais elle est mineure, seconde par rapport à la République. Ca tombe bien, la soldatesque ne cache pas sa "naturelle stature" dans son activité de patronage. Elle a déjà un "casier judiciaire" assez gribouillé dans ce domaine, elhamdulillah.


L'on était à la recherche de ce document; c'est que l'on avait déjà une photocopie mais le droit est ce qu'il est, il fallait prouver l'authenticité de la signature. Personne n'avait réussi à le faire; le Général s'était donc crispé devant les journalistes : "je vous l'ai dit, bande de contre-révolutionnaires, l'Armée ne fomente plus des troubles, c'est un bout de papier sans valeur, regarde caaaart...". Malgré toute leur bonne volonté, les experts n'avaient rien trouvé : la véracité de la signature de l'officier-zoro n'a pu être attestée. Pas de flagrance.


Or désormais, on sait que ce document n'est pas un faux; un vaillant soldat, une taupe disent déjà les kémalistes, a "balancé"; l'honneur, cela s'appelle; et l'amour de la Patrie. La loyauté au gouvernement démocratiquement élu. "Arrête de dire des bobards, c'est les Américains qui les ont placés ici, tu le sais !", "moi je dirais même les Juifs", "ouais c'est ça, les Fethullahçi aussi j'pense"...


Les soldats ont donc rechuté dans ce qu'ils savent faire le mieux : chasser des gouvernements. Par la stratégie de la tension, quelques assassinats de chefs alévites, quelques pisse-copie sommés de déblatérer autant que faire se peut contre le gouvernement, quelques munitions placées dans les établissements des "Fethullahçi", etc. Une bonne stratégie. Perspicacité d'un militaire. Rappelons que cet officier zélé est un "docteur", il a écrit une thèse de doctorat. Un homme intelligent, en somme. Quoique. L'on sait comment les universités turques distribuent les titres de "docteur" aux militaires, il suffit de frapper à la porte pour qu'un professeur les accueille les bras ouverts; "je suis à vos ordres mon caporal !"...


Pourtant les services de l'Armée auraient fait des heures supplémentaires pour "nettoyer" les archives. Des autodafés. Des sacs de documents auraient ainsi été détruits pour ne pas qu'ils passent aux mains de l'ennemi, la justice turque. D'ailleurs, sa première réaction a été révélatrice, "p'tain, comment vous avez fait pour trouver ?"... Grâce à une taupe. Le tragi-comique dans cette affaire, c'est que certains journalistes entichés de l'ordre militaire ne cachent plus leur déshonneur : "euh... ben... et tiens d'abord, pourquoi la taupe en question parle maintenant ? Hein ? Dites-le ? Quel est son but ? Qui le pousse ? Pourquoi était-il resté silencieux pendant tout ce temps ?", "mais c'est un détail ça, et sur le fond alors ?","nan, bah nan, moi je suis procédurier...". D'accord. Noyer le scandale dans le superfétatoire. "Détailliser" le schproum. Comme pour l'affaire de l'Ergenekon. Des journalistes.


C'est que les lumières de l'état-major restent allumées jusqu'à tard dans la nuit, nous dit-on. Les généraux sont en conclave, "bon alors, qu'est-ce qu'on fait ?", "on a qu'à faire un coup d'état !", "nan nan, c'est démodé, proposez autre chose","euh, on fait sauter l'état-major", "mais arrête de déconner vieux, qui va mourir pour ces cons","bon bah, on trouve un lampiste et on ferme le dossier", "génial !". On a donc trouvé l'annonce officielle : "j'te jure, le chef d'état-major, lui, ne savait pas","c'est ça ouais !", "bah nan hein, c'est vrai, pfff", "la preuve ?", "ma parole", "et ben on n'est pas sorti de l'auberge"... La parole du militaire ne vaut plus un kopeck, malheureux.


Il est sans doute bon de rappeler qu'un militaire ne sert qu'à une chose dans un pays, garder les frontières. Faire la guerre quand on lui demande, faire la paix quand on lui ordonne. En Turquie, il sert surtout à donner les grandes orientations de la politique. C'est comme ça. Toujours le même refrain, "s'il vous plaît, ne critiquez pas l'armée, sinon les souris dansent". Il faut aimer l'armée. Sinon, tout saute. "La bonne piété, à l'ancienne, solidement assise sur la terreur" (Jean-Paul Sartre).


Evidemment, les politiciens font semblant de s'indigner; le très kémaliste Baykal, un homme de gauche comme on le sait, est de ceux qui pinaillent sur l'identité, la motivation de la taupe; les ministres en général jettent le manche après la cognée, "encore !"; le Premier ministre dit des choses classiques qui commencent par des louanges aux militaires et qui se terminent par la même détermination à lutter contre ceux qui veulent s'en prendre à l'ordre démocratique. Fait remarquable, certains demandent la démission du Général en chef; une option, effectivement. Soit il était au courant et c'est une infraction, soit il ne l'était pas et c'est une faute. Il avait promis d'en tirer toutes les conséquences; espérons que ça ne va pas se résumer à briser la vie de la seule taupe...

samedi 24 octobre 2009

Ritournelle

Vendredi 23 octobre. 9h30. CNRS. Journée d'étude du Groupe d'étudiants et de jeunes chercheurs sur la laïcité, la liberté de religion et le droit des minorités. J'en suis un des membres. Un groupe créé en 2008 sous la direction de Mme Valentine ZUBER, enseignante à l'EPHE.


Encore et toujours, la laïcité. Nous, les "jeunes", qui présentions nos travaux et deux sommités, Jean Baubérot et Pierre-Jean Luizard. M. Baubérot était arrivé assez remonté; c'est que son audition à la "mission d'information sur le voile intégral", l'avant-veille, s'était mal passée. En visionnant la séance, on comprend. Certains députés sont mal à l'aise face au spécialiste de la laïcité; d'autres ont l'air très ignares sur les faits historiques relatifs à la naissance de la laïcité en France. Dommage pour la Nation que d'avoir de tels représentants. Evidemment "Monsieur le Président" n'a rien perdu de sa verve; le très laïque André Gérin. Et l'on note au passage que les spécialistes de la langue de bois que sont les députés face aux caméras, ont en réalité des difficultés à parler correctement la langue française. Certains sont franchement lourds; l'on croirait des maquignons en train de débattre entre eux ou des charretiers réunis dans un bistrot...


Le "Président" Gérin était sur la défensive; tellement que finalement on a rien compris de l'audition. "Je pense que vous devez élargir le champ de votre analyse aux discriminations qui alimentent les replis communautaires" a voulu signifier l' "intellectuel Baubérot", forcément déconnecté de la réalité. Et de s'entendre dire, "oh mais toi de toute façon, t'es un universitaire, tu ne comprends rien à la réalité des faits, allez..." Et j'ai eu presque honte d'entendre dire à un sociologue qu'il était déconnecté des réalités et qu'il versait dans le phébus. C'est comme dire à un professeur de droit qu'il ne lit pas les arrêts qu'il est censé commenter !


La proposition était censée, pourtant. Mais la réponse a giclé, "bon ça va hein, on sait ce qu'on fait !" On se demande si les députés n'ont pas formé cette "mission" non pas pour s'informer mais pour entendre des cris, compter les larmes, écouter des plaintes capables d'étayer leur "naturelle orientation" vers une loi d'interdiction. 367 cas, avaient dit les services de l'Etat. On a l'impression en écoutant certains des membres yeux écarquillés, joues en feu, que la "barbarie" a investi notre pays. On se souvient de l'attitude fort gauche de certains qui forcaient la main au "représentant" des musulmans de France; ça avait tourné au ridicule, "allez dites-le, c'est de l'intégrisme", "je dirais que c'est une lecture très contestée et minoritaire","on s'en fout, dis-nous que c'est l'étendard des intégristes", "je dis, Messieurs, que c'est une lecture qui doit être combattue mais sur un strict plan théologique, alors permettez-nous...", "ouais mais regarde coco, Tantawi est clair, lui !", "d'accord, mais le principe, c'est la liberté, donc on n'impose rien sur le plan théologique", "ouais mais bon, pfff, tu nous aides pas mon brave, dis ce qu'on veut entendre, regarde, franchement les jeunes filles qui sont harnachées dès l'enfance"...


En effet, l'islam l'impose : à l'échelle individuelle, les versets ne tombent réellement du Ciel qu'une fois que l'on jouit de la raison. L'ode à la raison. Mais les parents n'ont-ils plus le droit d'éduquer leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques ?


Une députée s'acharnait à faire croire à l'assistance que voir le visage de son interlocuteur dans la rue, le métro et sur la place du marché était une "liberté"... Une autre voulait absolument entendre l'expression "manipulation de l'esprit" pour qualifier la situation dans laquelle se trouvent les femmes en niqab. Et rappelait-elle, la France a une loi contre les sectes; une législatrice soit dit en passant. Une loi sur les sectes ! Elle a voulu sans doute dire contre les "dérives sectaires" ce qui, juridiquement, n'est pas exactement la même chose. Et très chère n'a toujours pas saisi que toute religion est une manipulation, une "illusion" disait Freud... Ce sont des députés qui parlent, ce n'est pas un sketch. Voilà le niveau.


Bref, la République est jalouse de l'islam; car il est plus attirant qu'elle. Et elle n'arrive pas à comprendre. Comment peut-on préférer la soumission, la privation, le formalisme à la liberté, l'émancipation, l'égalité ? A la fin de ma communication, un "juriste" m'a reproché de considérer le droit comme étant essentiellement "utilitariste". Mon tort était d'avoir dit : "la laïcité juridique, ce n'est ni l'émancipation des esprits ni l'égalité des sexes". Un philosophe, un historien, un sociologue, j'aurais compris; un juriste. Le droit devrait donc postuler des modes de vie, défendre des idéologies. Ce n'est pas ma conception du droit et encore moins de la laïcité juridique.


La laïcité est un principe juridique, c'est tout. L'islam, c'est un principe de vie. Le choix est vite fait. Ca serait dommage de provoquer un bras de fer. Le "vivre-ensemble" est une exigence et un concept religieux; toutes les religions condamnent les vies solitaires pour les laïcs (dans le sens premier du terme). Paradoxalement, la République a repris ce terme; serait-elle devenue religion ? Ce n'est pas anodin si de nos jours, on essaie de réhabiliter la Fraternité. Et moi je suis libéral, je suis individualiste et la marginalité des uns ne me préoccupe pas le moins du monde. Je suis même un "fondamentaliste de la laïcité", partisan du retour aux fondements de la laïcité juridique libérale, c'est dire...

Je t'aime, moi non plus...

Les Azéris font la moue. Ils sont mécontents. Fielleux. Ils en veulent aux Turcs, les soi-disant frères. "Allez, déchirez les protocoles, ne rigolez pas, revenez pleurer avec nous, on est seuls, vous êtes nos frères !". Les Turcs de leur côté en étaient déjà à la danse du ventre, "oh oh yandan, çalkala ayol"...


Les Azéris ont donc mûrement réfléchi pour les mesures de rétorsion; alors, des drapeaux ont été baissés ici ou là, le Bien-Aimé Aliev s'est rappelé brusquement qu'il accordait du gaz à ses frères turcs à prix cassé et qu'il fallait, évidemment, y mettre fin...


La Turquie, héritière de l'Empire ottoman, aime à être magnanime de temps en temps. Alors, lorsque l'Arménie gesticula trop en 1993, la Turquie soutint moralement l'Azarbaïdjan en fermant sa frontière et en rompant ses relations diplomatiques avec l'Arménie. Les Azéris, des "oghouzes"; rien à voir avec les Kazakhs. Bref, de la solidarité, cela s'appelait. Une faveur. "Fermez les frontières, on va étouffer les Arméniens, haha"... Le très génial Demirel avait pris cette décision; celui qui, aujourd'hui, n'arrive toujours pas à prendre sa retraite. "Allez pose-moi des questions, j'ai envie de parler !"," mais Monsieur le Président, vous commencez franchement à dire n'importe quoi, vous vous êtes éloigné de la ligne Menderes, on n'arrive plus à vous prendre au sérieux", "hier c'était hier, aujourd'hui, c'est aujourd'hui"...


En réalité, il ne faut jamais accorder de faveur. On se rappelle les sultans ottomans et les capitulations. Le Grand Ottoman, le Seigneur de l'époque, jetait à la figure de ses voisins européens des "capitulations". "Pleure pas, tiens, je t'aime bien". Et après, l'empire vieillissant, ces privilèges firent office de baïonnettes dans la main de ces ingrats. La nature humaine.


D'ailleurs, les Azéris ne bronchent que contre les Turcs; car, faut-il le rappeler, Russie et Iran qui sont comme culs et chemises avec l'Arménie, n'attirent aucunement les foudres du régime azéri. "Eux, c'est pas pareille, vous, vous êtes de la famille". Bon. Il faut les comprendre, cela dit. L'obstination des Turcs permettait aux Azéris d'avoir des arguments. Un aveu, en réalité. L'on aura compris que les autocrates père et fils sont incompétents pour régler leur problème. Ils comptent sur la Turquie. Qui, elle, n'est pas l'ONU et qui a également des intérêts nationaux à privilégier; Davutoğlu ahane, Monsieur n'est pas content. D'ailleurs, les Turcs ont eux-mêmes demandé à leur cousin Kazakh, "mais comment oses-tu devenir un partenaire stratégique de la France, t'as pas honte de nous narguer ?,", "euh... bah... c'est que... c'est pour votre bien frérot, je t'expliquerai, hadi canım"...


"Que l'on peut s'en battre", aurait dit un homme forcément mal éduqué. Les diplomates sont polis, eux. Ils essaient donc de chercher des mots moins brutaux. Ils veulent la réconciliation. Ils ont raison, faut-il se détacher d'un frère si important, si fidèle, si cohérent; un frangin qui, faut-il le rappeler, n'a toujours pas reconnu Chypre... La Turquie continue à être magnanime, en dépit des lâchetés. Tout à son honneur.

vendredi 16 octobre 2009

Grouilleuse diplomatie

Nous voilà enfin comblés ! Pas de goujateries, pas d'insultes, pas de blessés ni de morts. C'est que l'on avait l'impression que le match turco-arménien était une simulation de combat : les policiers, les tireurs d'élite, les agents secrets fourmillaient. "Nan nan, c'est rien, c'est un match", "Hay Allah..."


Les Turcs, comme on le sait, ont radicalement changé de diplomatie. Les Français, eux, ressortent les anciennes recettes, la fameuse Françafrique : "alors, ce type, il est plutôt France ou pas ?", "Non Monsieur, il pourrait mettre à mal nos intérêts", "Hmm, bon, remplaçons-le". Il fut un temps où le jeune Bongo, Albert à l'époque, se faisait adouber par de Gaulle en personne et son "secrétaire", Jacques Foccart. L'ère où la France était, dans ses anciennes colonies, le Maître malgré lui. D'ailleurs, le nouveau "secrétaire", Claude Guéant, aurait les mêmes passions; quand il s'ennuie, il regarde la carte de l'Afrique; ça déride, paraît-il...


Cette fois-ci l'Arménien gondolait; on se souvient de la bouille du ministre des affaires étrangères, Edouard Nalbandyan (ça vient sans doute du turc "nalbant", un maréchal-ferrant). Le sourcil froncé et les lèvres indécollables. Sans doute constipé. Evidemment, signer de la paperasse, c'est une chose; l'appliquer en est une autre. Tellement de pages à signer. Et à chaque page, il se rembrunissait davantage; c'est que son "maître" Lavrov lui avait "ordonné" de ne pas faire le rabat-joie. "Il est hors de question que la délégation arménienne ne fasse pas de déclaration, nous allons dire que... !", "Chut ! Ou j't'en colle une". Et il ne fallait pas non plus que tout ce beau panel fût convoqué pour rien : Lavrov bombant le torse comme un soviétique, Clinton toujours aussi souriante et se léchant déjà les babines à l'idée de pouvoir torpiller "ses" Arméniens toujours aussi nombreux dans les couloirs du Sénat, Kouchner bougeant sans arrêt comme son Chef, Solana toujours aussi maniaque avec ses mains qui se baladaient sur les épaules des uns et sur le dos des autres, Calmy-Rey qui n'avait d'autre mérite que d'être affable et, s'il vous plaît, Son Excellence Charles Aznavourian, ambassadeur de l'Arménie en Suisse. Du gratin.


Le Président Sarkissian, lui, a décidé d'être joyeux; trop, peut-être; si bien que sa joie augmentait à mesure que son équipe engrangeait les buts...


Les Turcs et les Arméniens, naguère chiens de faïence, devenus des amis comme cochons ? C'est que le ministre des affaires étrangères, le Professeur Ahmet Davutoğlu, a quelque peu du mérite; il applique, pour ainsi dire, "sa" politique; celle qu'il a mis tant de temps à forger dans les universités. Une théorie qui marche. En somme, des fleurs à la place des verges. Et le réchauffement des relations avec la Syrie, l'Iraq du Nord, la Grèce, le rapprochement avec la Russie, la Géorgie, l'Iran, le renforcement du lien européen sortent de ce cerveau. Les Azéris font semblant de rouspéter; ils ont été impliqués dans toutes les phases du processus mais l'autocrate a toujours besoin de la peur de ses sujets; la peur, comme on le sait, pousse l'enfant à se cramponner sur la jambe de papa. En théorie, en tout cas; Khamenei n'a toujours pas compris pour sa part, pourquoi les Iraniens sont aux trousses d'Ahmadinejad alors qu'il espérait que sa stratégie de tension les pousserait dans ses bras...
Les relations avec Israël s'enveniment certes, mais il fallait bien s'indigner concrètement; la Turquie a donc annulé un exercice militaire conjoint qui devait se faire à Konya. Le Premier ministre en a profité pour jeter la responsabilité sur son peuple, "tu sais mon frère, les Turcs ne vous aiment pas alors...". Le ministre Davutoğlu a été obligé de fournir une raison un peu plus sérieuse : "comment voulez-vous que l'on entraîne sur notre sol des avions israéliens qui vont bombarder ensuite Gaza !". C'est bizarre mais ça ne sonne pas trop Davutoğlu. Mais bon. Et comme Erdoğan a beaucoup de chance, le Conseil des droits de l'Homme vient d'adopter le rapport Goldstone... "Cuk". Israël est bousculé. Il cherche donc des têtes à claques, rien d'anormal.


Evidemment, les aboiements ne se sont pas fait attendre. Les partis d'opposition ne savent plus où donner la tête; les "ouvertures" se succèdent. Or il faut dénoncer, critiquer voire menacer de trahison. Ce qui est sans doute le plus piteux dans cette comédie, c'est que les plus inflexibles sont en général des kémalistes; Mustafa Kemal, celui qui avait dit : "Paix dans la patrie, paix dans le monde"... N'a-t-il pas raison le Président Gül quand il dit : "excusez-nous mais nous, en cet instant, nous écrivons l'Histoire". Honni soit qui mal y pense, que dire...

samedi 10 octobre 2009

Benoîte Paix

Voilà donc une bonne nouvelle : Barack Obama a reçu le prix Nobel de la paix. Le Président américain. "Eh ben, ils ont mûrement réfléchi, les gens de là-haut" aurait dit un paysan. Quelques guerres, du sang qui coule à flots, des larmes qui ne tarissent plus, des violences attestées dans les prisons ici ou là. Prix Nobel. Après tout on connaît tous l'activité du Sieur Nobel.


Evidemment, l'on a bien compris que si Obama a été couronné pour son soutien à la diplomatie, c'est que l'autre était plutôt va-t-en guerre. Obama est, comme on le sait, un bon discoureur. A Prague, au Caire, à l'assemblée générale des Nations-Unies. Ses mots apaisent. On a donc décerné un Nobel à un idéal, la paix et à une méthode, le multilatéralisme. En somme, parce-qu'il sait rêver, au sens positif du terme; sinon, un Nobel au leader d'un pays armé jusqu'aux dents et en guerres, euh... D'ailleurs, il était assez occupé : "Alors, on envoie combien de soldats ? Hein ? Combien il en veut encore McCrystal ?", "Monsieur le Président, vous venez de recevoir le prix Nobel de la paix, qu'est-ce qu'on fait ? On bloque tout ?", "mais non malheureux, on continue les guerres, je cherche la paix, le Nobel m'y encourage"... Le Nobel donne des coups de pouce, désormais. Ca serait "rigolo" de voir un Obama nobélisé autoriser des frappes sur l'Iran. Après tout Shimon Peres est également un Nobel...


D'ailleurs, les spécialistes américains ne comprennent pas toujours ce que leur Président a pu faire d'estimable. Même David Ignatus, que les Turcs connaissent bien, étant celui que Tayyip Erdogan avait sermonné à Davos, ne semble pas très convaincu : "The Nobel committee is expressing a collective sigh of relief that America has rejoined the global consensus. They’re right. It’s a good thing. It’s just a little weird that they gave him a prize for it". Les Républicains, eux au moins, savent ce qu'ils en pensent : Obama ne mérite pas ce prix. Une droite plutôt nationaliste qui rejette cet honneur fait (un peu quand même) à leur pays. Un peu comme pour Orhan Pamuk; le Président de la République, le très kémaliste Ahmet Necdet Sezer, ne l'avait même pas félicité. Car trop "bavard" sur la question des Kurdes et des Arméniens. Le nationalisme pris entre le marteau et l'enclume, ça s'appelle.


Il l'aurait sans doute mérité quelques années plus tard, son Nobel. Après tout, d'autres étaient plus légitimes à le recevoir; je ne sais pas moi, par exemple, l'ONG Memorial qui connaît des travers depuis quelque temps; il était peut-être temps de l'épauler.


En tout cas, l'on sait une chose : il suffit de respirer l'optimisme pour recevoir un Nobel. On aurait pu penser au Roi d'Arabie Saoudite aussi; il veut sortir son pays de la férule wahhabite conservatrice. Ou au président syrien, son sourire poupin étant, à lui seul, un art. Peut-être au président français, aussi : c'est lui qui courait mettre fin à la guerre Russie-Géorgie; encore lui qui se démène pour le soldat israélien mais néanmoins de nationalité française, Gilad Shalit. Bon, il avait l'air de menacer l'Iran de bombardement mais ça ne casse pas trois pattes à un canard. Tout le monde s'est agité comme il pouvait et c'est un parleur qui triomphe. Un coup de pouce. "P'tain, j'ai transpiré pour rien en courant à droite à gauche"...


Tayyip Erdoğan aurait été aussi un bon choix. Ca l'aurait conforté dans sa politique d'apaisement à l'égard des minorités, des Arméniens et des Arabes. D'ailleurs, il s'en passe des choses du côté de la paix avec les Arméniens. Bien sûr, les gens de la diaspora matamorisent à qui mieux mieux. C'est leur devoir, cela dit. Diaspora arménienne mais également diaspora turque; c'est-à-dire celle formée des Turcs de l'intérieur qui ne vivent plus en phase avec les aspirations du peuple : Baykal et autres. "Nan, nan, nan et nan ! M'sieur veut faire la paix avec les Kurdes, serrer la main aux Arméniens, où va-t-on ? Vers plus de démocratie, nous dit-on, oust !". Toujours la commination. Un fonds de commerce. D'ailleurs, le Premier ministre avait invité le "social-démocrate" Baykal et le nationaliste Bahçeli à une rencontre. Le nationaliste a, évidemment, rejeté la demande : "espèce de malfrat, tu crois vraiment que je vais m'associer à ton entreprise interlope, dégage, ne reviens jamais, ne me parle pas de dialogue, notre jargon ne connaît pas ce terme !". Le "social-démocrate" a préféré temporiser : "on verra". Le Premier ministre a donc réitéré son invitation par une lettre; comme si il écrivait à un dirigeant étranger. Quoique. Baykal, fidèle au parallélisme des formes, pense lui répondre par courrier également. L'on attend sa réponse : "M. le Premier ministre veut parler avec moi sur l'ouverture, qu'il me dise d'abord de quoi il veut précisément me convaincre et après j'irais papoter". Commence à raconter de loin, si ça m'intéresse, je tendrais l'oreille... Un dialogue, ça s'appelerait. Personne n'a pu comprendre le sens de cette approche. Cela dit, faut-il essayer de comprendre Baykal ? C'est une autre question.


Tout le monde est content. "Ca y est, on va créer une commission, les Turcs vont enfin apprendre leur effroyable faute, youppi !", "ah enfin, şükür, on va pouvoir jeter nos liasses d'archives à la face des Arméniens, ces traîtres !"... Ca serait donc un "pas". Chacun refusant d'ailleurs, quelque soit le mérite des historiens qui plancheront sur la question, de reculer. Destruction voulue ou mauvais traitements justifiés par les circonstances ? Les historiens nous le diront. Lorsque la mémoire se croit histoire, on n'avance pas. Moi, en tout cas, je n'en sais rien. Je suis toujours l'avis d'Ilber Ortaylı sur ces questions...

Je me demande si l'on devrait pas créer plutôt un "prix de la zizanie". Car les rapports ni même d'ailleurs les actions en justice devant la Cour pénale internationale ne servent à rien. Un prix qui appelera le monde entier à lancer des imprécations sur le malheureux élu. Celui qui le recevra sera stigmatisé et sera contraint de faire des efforts pour effacer cette honte. Imaginons un Poutine, un Netanyahou, un Bachir, montré du doigt par un cénacle d'honnêtes gens. On évitera les hypocrisies; on n'aura pas, ainsi, à décerner un prix à quelqu'un pour signifier en fait qu'il s'inscrit contre un autre... On félicite Obama; pour être le contre-exemple de Bush. On aurait pu directement blâmer ce dernier, et épargner quelques vies...

vendredi 2 octobre 2009

Bıdı bıdı... (Babillage)

Et voilà; comme je ne suis pas Parisien, je me perds sans arrêt; non pas dans les métros ou RER mais à leur sortie. Je me trompe toujours de sortie. Et une fois sorti, je perds encore plus l'orientation. Le repère géographique n'a jamais été mon truc; jadis, en course d'orientation, mon professeur de sport me montrait presque la balise avec le doigt, j'étais incapable de trouver. La boussole, tout un art; ou moi, trop bête.


Fidèle à la tradition, je me suis embrouillé en recherchant le centre de l'INALCO à Asnières. Heureusement que ça papote dans les coins; ayant apercu un groupe de jeunes filles voilées de la tête aux pieds, je leur ai demandé secours. Gentillement, elles m'ont demandé de les suivre, elles y allaient également. C'est que l'on veut apprendre l'arabe. Elles, devant en hijab, moi, derrière avec ma barbe à la Tariq Ramadan. Voilà la scène. Heureusement que le secteur est déjà assez "orienté", on se croirait au Maghreb. Mais de là, à voir des filles dans cette tenue qui n'est, à proprement parler, ni une burqa ni un niqab puisqu'on voyait leur visage ni un hijab puisque leur voile descendait de la tête aux pieds, c'était plutôt nouveau pour moi. Burqa, niqab, hijab, un vocabulaire que tout Français est désormais appelé à maîtriser.

Escorté par des ombres, donc. Quelques regards se sont, évidemment, portés sur notre petite troupe; des personnes âgées qui perdaient du temps à nous suivre des yeux. J'étais un peu comme Meursault dans l'Etranger, celui qui se sent gêné de demander un congé à son patron parce-que sa mère vient de mourir. Un cornichon. Tellement écrasé qu'il commence par un : "ce n'est pas de ma faute"... Je me suis demandé un instant si je devais retenir les passants par le bras et leur dire : "ce n'est pas de ma faute" ou "attention, ne croyez pas que c'est mon harem". Un bon musulman dans ce pays étant, comme on le sait, celui qui se justifie le plus possible.


Chacun son mode de vie, me disais-je, pendant tout le trajet. Malgré tout le dédain et presque la haine que certains peuvent nourrir à leur égard, moi, je respecte leur conviction. Pour tout dire, la vie des autres, peu m'en chaut. Tout le monde cherche le bonheur. Certains exclusivement ici, d'autres dans un au-delà. Et la plupart dans les deux. Il y a des personnes qui vivent concentrées sur leurs devoirs religieux. Les Etats-Unis l'ont tellement bien compris que la Cour suprême avait estimé que l'on ne pouvait pas forcer les enfants Amish à aller à l'école après la 8è année (Wisconsin v. Yoder, 1972). Un "droit préféré" disent les Américains. Cela dit, la Cour européenne aussi s'était lancée : la liberté de religion figure parmi "les éléments les plus essentiels de l'identité des croyants et de leur conception de la vie" (Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993). Mais quand il s'agit de ces femmes, les Européens oublient les principes. Car ces femmes ont décidé, que ça plaise ou non à un esprit cartésien, de vivre en fonction de cet absolu. "Mais nan, elles sont endoctrinées, soumises, meurtries, arrête de faire l'ingénu, tu le sais !" Toute religion endoctrine, ce n'est pas d'aujourd'hui que cette vérité date. Les premiers chrétiens vivaient dans des catacombes; les premiers musulmans délaissaient tous leurs biens pour suivre quelqu'un qui se prétendait prophète. La conviction, ça s'appelle.


Certaines personnes s'énervent à la vue d'une femme en burqa, "elle me nargue ou quoi !", "mais nan, elle veut renverser le régime !"; d'autres en font une cause personnelle : "qu'est-ce qu'elle veut dire cette pouffiasse, qu'elle est plus musulmane que moi !", "ouais, j'crois, toi t'es moderne, tu portes une mini-jupe, elle veut signifier par son costume que toi, t'es une pute". En réalité, ce n'est pas la burqa qu'il faut interdire; mais le Coran. Puisque ces femmes croient, à tort ou à raison (débat strictement théologique) que c'est ce qu'ordonne le Coran. Et le Coran dit des choses, en effet, sur ce sujet. Saint Paul aussi, cela dit. Un misogyne patenté. Il faudrait interdire la Bible, aussi. Il faudrait même que l'islam change de nom, à mon sens; "islam" signifie littéralement "soumission", comme on le sait. Une insulte à la République... Après tout, la République déteste que ses "sujets" soient englués dans les tentacules d'une quelconque idéologie. Elle veut l'exclusivité.


Ca tombe bien, la République a décidé d'interdire le voile intégral; elle a donc créé une commission pour bien mesurer l'ampleur du phénomène. Auditions, discussions, rédactions, recommandations, conférences. Et la République va mieux se porter, nous dit-on. Pourquoi pas. Etre français et musulman, tout un programme. Naguère, Yaşar Büyükanıt, quand il était chef d'état-major de l'armée de terre, avait rouspété devant le Premier ministre musulman-démocrate : "comment se fait-il que 44 % des Turcs se disent d'abord musulmans ?". "Ca n'est pas de ma faute" avait dû penser le Premier ministre...


Certains ne comprennent toujours pas pourquoi les étrangers ne vivent pas comme eux; il faut dire que l'histoire de France n'a connu le concept de tolérance qu'assez tardivement. Mentalement, le Français de base a hérité de cet handicap : il pense que son regard est le plus pur. D'ailleurs, les députés en sont toujours aux consultations : "alors, allez-y Madame Badinter, dites-nous ce que vous en pensez", "il faut respecter les us et coutumes du pays qui vous accueille, moi si je vais en Arabie, je me voile". Tout en rappelant que la France ce n'est pas l'Arabie... C'est une personne qui pense, officiellement. Elle déteste capituler sur les questions d'égalité et de dignité et elle a raison. "Ils" doivent s'adapter. "Ils". Du relativisme à l'envers. En 1989 lors du premier épisode de l'odyssée des filles voilées, cette dame publiait avec d'autres "républicains" un texte vénéneux : "Profs, ne capitulons pas !". Contre qui ? Les filles voilées; le simple foulard, à l'époque. Pourquoi ? Elles narguent la République. Comment le sait-on ? Elles portent un voile. Elles portent un voile donc elles "testent" la République donc elles portent un voile. Ca s'appelle un raisonnement. Ces jeunes trublions ne connaissaient, je parie, ni Khomeiny ni les Frères musulmans ni Ben Laden ni tout autre islamiste. Peu importe, c'était la stratégie : affoler. Ca n'a pas changer. Après, le musulman est appelé à la barre; "allez dévoile tes plans, tu allais commencer par où ?", "mais non, vraiment, je ne fais que me plier à l'ordre de Dieu, c'est tout !", "arrête de mentir, aliéné, tu veux nous subjuguer ah ouais ?", "qu'est-ce que ça veut dire ?"...

Il faut savoir être poli dans la vie. Je n'arrive pas à comprendre non plus ceux qui disent : "moi, je suis contre la loi mais je dois dire que la burqa, c'est le symbole de la soumission". De la goujaterie. On peut penser cela mais pourquoi l'oraliser ? Tout le monde pense des choses sur les autres mais la simple urbanité nous oblige à ne rien dire. A-t-on déjà entendu quelqu'un dire à son interlocuteur, "vous avez mauvaise haleine" même si c'est vrai ? ou "la couleur de vos chaussettes ne correspond pas à celle de vos chaussures" ? Est-ce que l'on peut avoir une légitimité de dire, "je suis contre ce symbole religieux" ? Je n'ai toujours pas compris l'état d'esprit qui peut pousser quelqu'un à fourrer son nez dans le mode de vie d'autrui. "Moi, je suis contre les voiles des bonnes soeurs mais je suis contre une éventuelle loi", "t'inquiètes, coco, en France, les lois de sauvetage ne concernent en général que les musulmanes..."


D'autres disent sincèrement vouloir libérer ces femmes. D'accord. Essayons donc. D'une manière cohérente. Il y a toujours une chose que je n'ai pas comprise : si la lutte contre la burqa est une politique défendue par la France au nom de la dignité de la femme, pourquoi, elle ne tente pas d'alarmer la communauté internationale. Une règle très simple dans le domaine des droits de l'Homme : la défense des droits de l'Homme ne se fait jamais dans un seul cadre national, elle se fait au niveau international. Puisque théoriquement, l'Homme a une égale dignité partout. Que la France soumette donc une proposition de déclaration à l'assemblée générale des Nations-Unies, comme elle l'a fait pour la dépénalisation de l'homosexualité. L'on verra s'il s'agit d'une véritable susceptibilité. Lorsqu'une injustice vous tracasse et perturbe vos nuits, il faut agir. Et comme il n'y a plus Rama Yade, on enverra Bernard Kouchner. Et on sera la risée du monde entier : "Mesdames, Messieurs, la France propose d'adopter une déclaration prohibant le port du voile intégral car contraire à l'égalité et à la dignité de l'être humain". Et d'autres en profiteront : "Esselamoualeykoum, l'Arabie Saoudite propose de rédiger une convention internationale sur l'interdiction de la prostitution car contraire à la dignité de l'être humain"; et l'Afghanistan de se lancer : "Bismillahirrahmanirrahim, notre Gouvernement propose d'interdire la commercialisation de l'image dénudée de la femme car contraire à la dignité de l'être humain". Ou l'Iran, qui ne saurait être en reste : "Bismihi teala behsende e mehribân, notre Guide conseille à la communauté internationale de se pencher sur la question de l'industrie cosmétique puisqu'elle postule que la femme est une créature qui, par nature, aguiche; or c'est contraire à sa dignité"; la dignité de la femme est une préoccupation pour tout le monde, du républicain au conservateur; seul l'angle d'attaque change...


Autre travers : le voile intégral serait irrespectueux envers l'autre ! Il ne faudrait plus qu'une loi interdise l'anthropophobie, la dépression, la phobie sociale, la réclusion voulue ! A-t-on déjà eu un argument aussi absurde : personne n'a le droit de bouder la vie sociale ! Est-on obligé de se mêler à la masse ? Ne peut-on pas vivre d'une manière misanthrope ? Pourquoi laisse-t-on alors mourir les clochards au nom de la liberté individuelle ? Dounia Bouzar qui se fatigue beaucoup les méninges sur ces questions et qui, du coup, a droit à toutes les auditions dans les différentes commissions qui se créent, peut écrire : "le niqab ne cache pas sa fonction : il construit une frontière infranchissable entre l'adepte et le reste du monde !". Et alors ? devrait-on lui demander. Est-ce que nous sommes obligés de nous aimer les uns les autres, de nous tenir la main dans la main, d'être absolument conformistes ? Et que fait-on de ceux qui glissent vers le satanisme, qui veulent vivre hors de la société ? A bas les congrégations et monastères alors ! Mais bien sûr, les bonnes soeurs qui, à y regarder de plus près, portent un accoutrement presque semblable, ne seront jamais décriées. On en fait des saintes, c'est dire... La Bienheureuse Mère Teresa empoigne toujours.

Alors que la question peut être réglée sur un strict plan sécuritaire, certains en profitent pour déballer leur théorie, leur pathologie. Et ils appellent cela les valeurs de la République. Cela dit, il faut avoir du talent et de l'imagination pour disserter sur un sujet que l'on ignore complètement. A force, je me demande si ces gens qui réfléchissent sur les musulmans et sur l'islam (tout en commencant leur intervention par le classique : "je ne suis pas spécialiste de l'islam mais...") ont plus de mérite que moi, musulman parmi d'autres dans ce pays, pour analyser mes coreligionnaires. Certains n'ont sans doute jamais mis les pieds dans une famille musulmane. Peu importe, encore une fois : on stigmatise. On cabre. Et on crée de nouvelles catégories comme dirait Marc Blondel : des "catégories juridiques aussi fumeuses qu'inexistantes. Ainsi, certains tentent de remplacer les notions de « sphère publique » et de « sphère privée » – définies par les lois de 1901 et de 1905 – par la notion d’« espace public » et d’ « espace privé ». Cette tentative de substitution lexicale n'est pas neutre : le terme de « sphère » désigne une surface fermée, une étendue restreinte, alors que l’espace est par nature indéfini. En inventant la notion d'espace public, lieu où devrait s'appliquer la laïcité – uniquement pour les musulmanes –, on élargit tellement le principe de laïcité qu'on le rend inopérant. En étant partout, la laïcité ne serait plus nulle part. La laïcité est une frontière, garante de la liberté de conscience pour tous, qu’il ne faut pas abolir. (...) La laïcité n'est ni une philosophie ni un art de vivre – elle s'apparenterait alors à une religion – mais un mode d'organisation politique des institutions. Elle vise, par la séparation des Églises et de l'État, à distinguer institutionnellement le domaine de l'administration et des services publics de celui de la vie privée des citoyens". Ou encore : "Allez-vous interdire le baptême, marque de soumission d’un individu ?"


Quand je croise une femme en burqa, le démocrate que j'essaie d'être ne ressent rien du tout; le musulman que je suis également, se désole car cette vêture n'a, dans ma lecture du texte coranique, aucune valeur religieuse. Enfin, le droit de l'hommiste que je tente d'être en plus, est prêt à lui montrer le code pénal pour bien lui rappeler que si elle est y forcée, il y a les juridictions répressives qui peuvent l'aider. Mais j'attends, évidemment, qu'elle crie au secours. Dans le cas inverse, ça serait une atteinte à la vie privée. "Mais elle n'arrive même pas à sortir de chez elle pour acheter du pain, tu crois qu'elle va venir au commissariat, pfff !" Oui.


Maître Eolas disait que faire peur "ne prend que quelques minutes, rassurer prend des heures"... Il a raison. Mais il incombe à tous les démocrates de ne pas perdre de temps et de se dresser contre ce penchant de stigmatisation des musulmans. Ceux-là même qui font dorénavant partie du décor. Eh bien que tout le monde le sache, nous sommes venus, nous y restons ! Le poète turc Ismet özel l'aurait mieux dit : "toparlanın, kalıyoruz", "préparez-vous, on reste"...