jeudi 26 mai 2011

"Polythéisme des valeurs"

Les coquineries des députés turcs continuent de provoquer des dégâts. On croit vraiment rêver. L'an dernier, c'était Deniz Baykal, la figure de proue des kémalistes, qui disparaissait du devant de la scène politique. Aujourd'hui, ce sont les caciques du parti nationaliste, le MHP, qui démissionnent à tour de bras. Le secrétaire général Cihan Paçacı (un des rares nationalistes qui trouvaient grâce à mes yeux); Mehmet Ekici, le député de Yozgat (ma circonscription en Turquie) et le retors en chef du parti, l'ex-diplomate Deniz Bölükbaşı (et surtout fils d'Osman Bölükbaşı, une légende du nationalisme turc).

"L'immoralité" des uns se mêle à la mesquinerie d'autres. Une "cassette" est diffusée sur internet par on ne sait trop qui, l'Autorité des télécommunications bloque immédiatement l'accès, des zigotos affirment avoir contourné l'interdiction et visionné les vidéos et les députés concernés dénient les accusations d'adultère en même temps qu'ils démissionnent. Tintamarresque. Le journaliste Oray Eğin, un gay qui aurait lui-même fait l'objet d'un chantage pour une cassette compromettante, a même poussé l'exercice jusqu'à faire une analyse sociologique de la sexualité de nos élus. Ainsi, ils ne seraient pas très performants, ne sachant ni caresser ni rouler des pelles ni "consommer". Ce qui, selon lui, serait très dommageable pour l'avenir de notre pays.

Eh bien, il faut le reconnaître, il a bien raison. Il est bon de le savoir, les décideurs de demain, les jeunes d'aujourd'hui, sont tellement cernés par des interdictions et des tabous qu'ils en oublient l'essence même de la sexualité : l'épanouissement. Celle-ci devient alors un accouplement mécanique à remplir dans les bras de l'autre certes, mais si possible chacun dans son coin... Une jeunesse qui ne sait pas faire l'amour, disent les spécialistes, est une génération perdue dans le gouvernement d'un pays. Frustration entraîne renfermement qui cause lui-même irritation, éruption et finalement violence. Le romantisme, chers amis, une panacée tangible ! Merci Messieurs les députés d'avoir donné l'occasion de dispenser la leçon...

Le député Ekici (dont le nom signifie, ironie de l'histoire, "planteur", "semeur" !) a adopté une autre ligne de défense; "c'est ma seconde femme", a-t-il tout bonnement lâché ! Eh oui, une spécialité turque. Un mariage civil avec l'une, un mariage religieux avec une ou plusieurs autres (quatre, au plus). Un argument qui, ipso facto, l'absout. Car la "population profonde" tolère la polygynie mais pas l'adultère ! Ça ne rigole pas... Or quelle est la différence entre ces deux états ? Rien, si ce n'est la prière sacramentelle devant un imam. C'est bien la raison pour laquelle Sibel Üresin, une conseillère conjugale et familiale d'un quartier d'Istanbul qui a profité de l'occasion pour demander la légalisation de la polygynie, a raison. "C'est le meilleur moyen de protéger les coépouses et les maîtresses", a-t-elle dit. Ou éructé, pour certains. Ceux qui s'entêtent à ne voir dans cette proposition qu'une "résurgence chariatiste".

On s'en souvient, dans une affaire portée devant la Cour européenne, une femme turque qui invoquait son mariage religieux pour obtenir les droits sociaux (pension de réversion et sécurité sociale) de son "mari" défunt avait été déboutée (affaire Şerife Yiğit, 12/11/2010). Elle avait pourtant six enfants avec cet homme, devenu juridiquement un étranger du jour au lendemain. La Cour européenne avait donné raison au gouvernement qui invoquait, dans sa défense, le principe de laïcité et la protection de la femme. Le gouvernement avait attiré l’attention sur le contexte turc : « Si le mariage religieux devait être considéré comme légal, il faudrait en reconnaître toutes les conséquences religieuses, par exemple le fait qu'un homme peut épouser quatre femmes. Le seul moyen d'éviter cela est de promouvoir le mariage civil et de ne pas attacher de droits au statut du mariage religieux » (§ 62). La Cour s'était laissé convaincre et avait présenté le mariage religieux comme « une tradition du mariage qui place la femme dans une situation nettement désavantageuse, voire dans une situation de dépendance et d'infériorité, par rapport à l'homme » (§ 81).

La décision avait été rendue à l’unanimité des 17 juges mais deux juges avaient émis une opinion concordante pour préciser leurs points de vue. Ainsi, le juge grec Rozakis releva que « (…) compte tenu des nouvelles réalités sociales qui se dessinent peu à peu dans l'Europe d'aujourd'hui, se manifestant par un accroissement progressif du nombre de relations stables hors mariage et remplaçant l'institution traditionnelle du mariage sans nécessairement saper la structure de la vie familiale, je me demande si la Cour ne devrait pas commencer à revoir sa position quant à la distinction justifiable qu'elle admet dans certains domaines entre le mariage, d'un côté, et d'autres formes de vie familiale, de l'autre, même lorsqu'il s'agit de droits de sécurité sociale et de droits analogues ». Le juge russe Kovler se montra, quant à lui, particulièrement critique : « ce que je ne peux pas accepter dans le texte de l'arrêt, ce sont les jugements de la Cour sur le mariage en vertu du droit islamique. Je pense qu'il aurait été plus sage de s'abstenir de toute appréciation de la complexité des normes du mariage islamique, plutôt que d'en donner une image réductrice et par excellence subjective (…) Le langage des politiciens et des ONG n'est pas toujours approprié pour des textes adoptés par une instance judiciaire internationale »...

Pour ceux qui savent encore réfléchir sereinement, le paradoxe apparaît comme le nez au milieu de la figure : l’imam réputé Ali Riza Demircan avait déclaré à la suite de cet arrêt : « cette décision viserait à protéger les femmes ; il faudrait m’expliquer comment on protège Şerife Yiğit en lui refusant le droit à la pension et le droit à la sécurité sociale ! ». Dans un pays où le mariage religieux est une réalité dans certaines régions, il est légitime de s’interroger sur la pertinence d’une telle politique. Au nom, précisément, de la protection des femmes.

Il faut surtout se débarrasser de cette manie qu'a l'Etat de vouloir définir l'ordre familial qui doit s'imposer à tous. A partir du moment où tous les protagonistes sont d'accord, la polygamie est légitime. Aussi bien la polyandrie que la polygynie. Et je ne dis pas cela en guise d'expédient pour faire mieux passer la pilule de la polygynie au nom de l'islam (je suis de ceux qui pensent que le verset sur la polygynie est, aujourd'hui, abrogé puisque sa raison d'être n'existe plus) mais parce-que je le pense profondément. Il ne faut pas avoir peur du dérèglement moral pour la simple et bonne raison que le concept même de morale est caduc à mes yeux. La polygamie n'est pas une question qui concerne la société ou l'Etat mais seulement le couple. L'Etat n'a pas à promouvoir un modèle familial, il doit s'adapter aux différents modes de vie et envisager juridiquement toutes les situations possibles. Car c'est l'individu qui prime; l'Etat n'est qu'un instrument de satisfaction des orientations du peuple, rien d'autre.

Le penchant polygamique n'ayant pas vocation à disparaître, il est tout bonnement démagogique (et comique) de vouloir lutter contre. C'est bien la raison pour laquelle l'adultère n'est plus, en France, un délit et n'est même plus une cause péremptoire de divorce. Il faut en prendre acte et agencer le droit. C'est simple : pourquoi l'Etat se mêle du choix des individus ? Le libéralisme nous l'apprend : les histoires en dessous de la ceinture des uns, les chaînes de mariages des autres, peu nous en chaut. Il suffit seulement de se débarrasser des habitudes de pensée et des pesanteurs culturelles et morales. A chacun son système de valeurs et son éthique. Amoralisme, dit-on, je crois. Une bonne philosophie, quand j'y pense...

mercredi 18 mai 2011

Trou de la serrure

Il l'avait annoncé, pourtant : "femme, argent, judéité". Les trois lances que ses adversaires pourraient pointer en sa direction. Il n'avait sans doute pas imaginé que les agaceries seraient couplées aux deux autres. La totale. Une chambre à 3 000 dollars la nuit et une femme "musulmane pratiquante". Le seigneur contre la domestique, le prédateur contre la gazelle et le juif contre la musulmane. Il ne manquerait plus qu'al-Qaida prît la défense de la "soeur musulmane" comme elle aime le faire pour les "soeurs coptes converties" mais séquestrées dans des monastères. Malheureusement, on veut en faire un événement religieux, les insinuations se font de plus en plus libres : les juifs derrière lui, les musulmans derrière elle...


La justice nous apprendra la vérité ou plus précisément la version définitive qui fera autorité. On sait seulement que là-bas, on parle d' "auteur présumé" (d'où le "perp walk") et ici, d' "innocent présumé". Et on admire au passage le politiquement correct des déclarations du genre "on respecte la présomption d'innocence de DSK mais également la victime présumée". Personne ne relevant que la deuxième partie de la phrase est en totale contradiction avec la première... Il faut sans doute le rappeler : à ce stade, il y a une accusatrice et un accusé, lui, présumé innocent ! C'est la procédure judiciaire qui confirmera ou renversera la donne et non la légende polissonne de l'un ni le portrait poignant de l'autre.


Nous voilà en tout cas, nous Français, accusés d'un penchant cryptique. Admirez la critique : "pourquoi vous ne déballez pas la vie privée des hommes politiques ?", "pourquoi les journalistes ne lancent-ils pas des manchettes enflammées ?", "pourquoi vous ne révélez rien ?", "pourquoi vous ne cassez pas du politique ?", "pourquoi ceci ?", "pourquoi cela ?". On a envie de répondre, "mais parce-qu'on est bien élevés, ma pauvre biche" ! En France, nous sommes plus sereins, car comme le dit Madame Strauss-Kahn, "ces choses peuvent arriver dans la vie de tous les couples" (avec mention spéciale pour les hommes)... Chez nous, heureusement, les galipettes des hommes connus n'est pas un "débat d'intérêt général". On dit, pardon, "vie privée"...


Certains s'évertuent à présenter le peuple français comme un peuple dépravé qui accepte toutes sortes de coucheries et d'infidélités. Du jour au lendemain, la France qui a offert à la littérature mondiale le "french kiss" et le romantisme à la française devient l'incarnation du stupre ! D'ailleurs, ne dirait-on pas "relation non exclusive" pour la bonne vieille "aventure extraconjugale" ! Et vas-y pour passer d'une susceptibilité strictement juridique à une question largement morale. Il n'y a qu'à lire les journaux, on ne parle plus que de cela. Notre "présumé innocent" fait jaser sur nos moeurs; le bras de fer juridique est devenu un crêpage de chignons...


Et si seulement ils étaient vraiment ce qu'ils essaient de nous vendre, les Américains ! Des puritains, soi-disant. Avec un président et ses séances de fellation, un juge à la Cour suprême et son passé de harceleur, on devrait déjà commencer à gerber. Mais on ne voudrait surtout pas oublier le brave Bob Livingston qui fut un des fervents pourchasseurs de Bill avant de démissionner pour, précisément, adultère, ou le dégueulasse John Edwards qui trompait sa femme qui, elle, ferraillait contre un cancer, ou encore Eliot Spitzer, le grand Monsieur qui était célèbre pour sa lutte sans merci contre la prostitution jusqu'à ce qu'un jour on apprenne que..., vous m'avez compris. Ils sont puritains, donc. C'est bien. En France, on préfère rester olé olé si c'est cela le puritanisme.


Même par rapport à la Malaisie, on fait pâle figure, c'est dire. On s'en souvient; on avait déballé la vie privée d'Anwar Ibrahim. Une fois, il était condamné pour sodomie, une autre fois, on le chopait dans les bras d'une prostituée. Tout cela en Malaisie, s'il-vous-plaît. En France, nous eûmes au plus, une histoire de viol mais dans les marges. Chez Phillipe de Villiers. Un de ses fils accusait son frère de viol. Le père soutenait, si j'ai bien compris, l'accusé; histoire sans doute d'étouffer et de ne pas embraser. Depuis, il a disparu du paysage... En Turquie aussi, le canonique Deniz Baykal, l'éternel chef des kémalistes avait été mis hors jeu par une cassette. Depuis, il a démissionné et fait profil bas.


Certes, on s'intéresse tous au nid des autres. La presse "people" vend bien. Les femmes veulent connaître leurs possibles concurrentes, les mâles veulent savoir les femmes que leurs pairs sexuels ont "serrées". Mais on a, au moins, la décence de considérer que tout cela fait partie de la vie privée. Et nous avons l'heureuse surprise de constater que notre libéralisme social n'est pas que théorique. L'indignation ne relève pas d'un quelconque ordre moral mais de la conscience de chacun. Qui sont les véritables individualistes dans cette affaire ? Cocorico...

jeudi 12 mai 2011

Parangon

"Gavés, m'a dit un ami, nous sommes gavés de ce type !". Et moi de ronchonner, en turc évidemment : "hop dedik !". Un coup de boule ou une volée de gnons, me demandais-je. Être "gavé" de François Mitterrand ! Quelle ineptie ! Quelle nigauderie ! Quelle ânerie, au fond ! D'accord France 2 avait commencé à 20h40 pour finir vers 1 heure du matin et d'autres chaînes s'étaient également attardées, les gazettes avaient rappelé des choses, les chroniqueurs avaient rabâché d'autres choses. Mais de là à être "gavé". Comment un cerveau peut-il se lasser de Mitterrand, un des plus beaux romans de la littérature mondiale ? Je ne saisis point...


Les âmes éthérées le savent, la République encorsète, la Monarchie enversaille. Tout compte fait, je crois qu'il faudrait que je m'installe au Royaume-Uni. Car apporter la monarchie en France, c'est impossible. Mieux vaut aller là où il y a déjà une Reine, des princes, des ducs, des comtes, des barons, des palais, des carrosses et des laquais. Tout cela nous permet, à nous, "vile multitude", de rêver. En France, chômage, laïcité, islam, immigration, Guéant, football, Noirs, Rebeus, etc., ça insupporte. Toujours les mêmes concepts, les mêmes déchirements. Nous sommes un pays coincé. Là-bas, une roturière s'encaprice d'un noble et le tour est joué. Ah oui alors ! Dans la vie, il faut être Roi ou Pape. Plus on restreint le collège électoral, plus le prétendant a de la magie. A côté de ces deux souverains, un président de la République élu par le peuple sonne trop ringard.


Mais. On connaît l'exception; la seule : François Mitterrand. Le dernier Roi de France. Homme de gauche, sans doute. En tout cas, statue de marbre; l'incarnation même de celui qui peut et qui doit être le "leader" d'un pays comme la France. Charisme, stature, visage. Distant, imposant, magistral, impérial. On ne devient pas chef par hasard. L'expression du visage, l'allure du corps et la dignité de l'âme sont innées. Marguerite Duras le disait si bien : "Je crois qu'on est pauvre de naissance. Même si je suis riche un jour je resterais avec une sale mentalité de pauvre, un corps, un visage de pauvre, toute ma vie j'aurais l'air comme ça" (L'Amant de la Chine du Nord).





Avoir un physique de chef, c'est sûrement cela. Et c'est ce qui manque en France. Aujourd'hui, il faut faire jeune, gigoter, rire à gorge déployée, étaler son intimité, tutoyer, tapoter des épaules. L'actuel, par exemple. "Il restait secoué en continu par des nervosités. Qui l'a vu fixe et arrêté ? Il ne bougeait que par ressorts (...). Il marchait des épaules, avec une façon personnelle de se dévisser le cou" (Patrick Rambaud, Chronique du règne de Nicolas Ier)... On avait même eu droit à un ministre de l'éducation qui vantait le langage mal ficelé du Président; ça faisait "peuple" !


Alors que lui ! Il écrivait et surtout parlait un français exceptionnel. Or les deux registres ne se charpentent si bien que très rarement. Un bon écrivain n'est pas forcément un bon orateur. Et un bon parleur n'est pas naturellement un bon gendelettre. Lui l'était. Comme de Gaulle, cela dit. Deux des pontes de la langue française. Admirez la réponse que doit lâcher la réalisatrice embêtée par un Mitterrand qui veut savoir pourquoi elle emploie le mot anglais "ok" : "parce-que j'ai tort monsieur le Président"...



Tout le monde lui courut sus, évidemment. C'est qu'il avait une personnalité assez "spé" comme dirait un potache. On lit : "Il a toujours compartimenté son entourage pour ne pas en dépendre. Aucun de ses collaborateurs n'a jamais eu la certitude d'être le seul à traiter une question" (Pierre Péan, Dernières volontés, derniers combats, dernières souffrances, p. 181). "Il y avait chez François Mitterrand une disposition plus affirmée que chez d'autres à adapter les moyens aux fins" (Claude Gubler, Le grand secret, p. 115); "avec François Mitterrand, on ne peut avoir de certitudes. Il pouvait confier à une lointaine relation ce qu'il cachait à ses proches" (p. 167); "la gratitude, un sentiment qu'il éprouva rarement et qu'il n'exprima jamais" (p. 185). "Il était d'un commerce difficile. Dans certaines circonstances, je n'ai jamais vu plus casse-pieds. Le pouvoir absolu doit faire tourner la tête. Outre le mystère qu'il cultivait autour de sa personne, cette façon de brouiller les pistes, ses réactions imprévisibles qui y contribuaient, la part mystérieuse de l'être humain, autrement mystérieuse que le trouble voulu, était chez lui beaucoup plus présente et palpable que chez d'autres" (Daniel Gamba, Interlocuteur privilégié, pp. 154-155). "Mitterrand est passé maître dans l'utilisation des structures pour conquérir le pouvoir réel" (Pierre Péan, Une jeunesse française, François Mitterrand 1934-1947, p. 411).



Eh bien oui ! Les naïfs croient que le peuple veut un Président qui lui ressemble. Archi-faux. Il faut un piédestal. Une physionomie. Le PS en est toujours au stade des éléphants, lions, rossards, caméléons. L'UMP essaie de nous vendre un Président proche des gens. D'autres font je ne sais trop quoi. Et au final, aucun "pharaon" n'émerge. Alors, on en profite pour reglisser : "Mitterrand, Mitterrand, Mitterrand, Mitterrand, connaissez-vous plus bel alexandrin de la poésie politique française ?".

mercredi 4 mai 2011

Goutte de sang dans la mer...

Voilà que le "monde entier" cavalait derrière lui dans les montagnes et les grottes; eh bien, on l'a trouvé dans une villa. Saddam Hussein émergea d'un trou, lui; barbe broussailleuse, tignasse ébouriffée et mine déconfite. On s'en souvient, il n'avait même pas eu l'audace de se suicider. Soi-disant, Osama aurait ordonné à ses gardes de le tuer en cas de pépin. Même lui donc, n'avait pas "osé" faire hara-kiri. Et ses gorilles ont, semble-t-il, rendu l'âme avant de le "saborder"... Résultat : il a été liquidé. Oui c'est bien ça; liquidé. Les Américains, dans un étrange moment de vérité, l'ont concédé : il ne portait pas d'arme. Et vas-y pour un instant d'attendrissement...

Le Président Obama a tenu à rappeler (aux musulmans, sans doute) que le "terroriste en chef" n'était pas "un dirigeant musulman". Un dirigeant, c'est sûr. Musulman, seul Dieu le sait. En islam, la règle est simple : il n'y a pas d'excommunication. Et, a-t-il continué, "sa mort devrait être bien accueillie par tous ceux qui croient en la paix et la dignité humaine". Certes. Mais de là à se réjouir de la mort d'un être humain, il y a un fossé. Il s'avère que je suis opposé à la peine de mort et comme l'a dit Jospin, "je ne suis pas dans la logique du Talion".

"Justice est rendue" nous apprennent les Américains. Sans doute. Nous autres Français et hommes civilisés, n'approuvons pas la méthode; nous avons une conception plus procédurale de la justice. "Les droits de la défense" dit-on, par ici. Là-bas, c'est plus simple : on noie des accusés, on extorque des noms (en l'occurrence le nom du coursier de Ben Laden) et on se réjouit de l'efficacité de la torture... Ça reste donc une "exécution extrajudiciaire" pour un juriste...

Des théories ont immédiatement été mises sur la table : il n'aurait jamais existé (!), il n'aurait pas été tué pardon assassiné, les Américains n'auraient jamais envisagé de lui faire un procès, etc. etc. Comme l'a même écrit un malin, "Ben Laden ne pourra plus nier son implication dans le 11-Septembre". Ouaaawww ! Évidemment, un être simple d'esprit comme moi, benêt, quoi ? d'accord idiot si tu veux, ne hume aucune saveur particulière en lisant ce genre d' "analyses". Il note seulement qu'il y a une "ambivalence musulmane".
On se le rappelle; le Premier ministre turc, Erdogan, avait pondu, dans un de ses moments d'égarement, la sentence que voici : "un musulman ne saurait commettre un génocide". Ah ouais ? Il répondait ainsi à ceux qui dénonçaient le voyage de Bachir en Turquie. Chose étrange, c'est ce même Erdogan qui a sermonné le Raïs égyptien en lui rappelant le Jugement dernier; comme quoi les musulmans pouvaient également être cruels... L'amaurose, dit-on. La cécité mentale. Le défilé : "Il l'a pas fait !", "il n'a pas pu le faire !", "c'est pas lui !", "oui mais il a ses raisons !", "c'est un complot sioniste !", etc.

Comme il fallait bien que les musulmans eussent quelque chose à reprocher aux méchants Américains, la Providence a fait trébucher les grands cerveaux de la Maison Blanche sur un point : l' immersion (ou l'"emmerrissement" ?) du corps. Ces malappris ont tout bonnement jeté le cercueil au fin fond de la mer. "Après avoir respecté les exigences du rite musulman", s'il vous plaît. Mais en bravant la première d'entre elles, le droit à une sépulture... On le sait, en Turquie, le cadavre du plus grand théologien du XXè siècle, Said-i Nursî (le leader spirituel de Fethullah Gülen, imam le plus adulé en même temps que le plus craint de Turquie), avait été balancé d'un hélicoptère, de peur qu'une nouvelle "Kaaba" se constitue autour de son tombeau...

L'article 25 de la Déclaration des droits de l'Homme de l'Organisation de la Conférence islamique, qui est en soi un texte très pauvre, apporte ici une touche particulière : "Dans le cas de guerre, il n’est pas permis de tuer les femmes, les enfants et les vieillards parmi ceux qui ne participent pas à la guerre. Il n’est également pas permis de couper les arbres ou de détruire les bâtiments civils de l’ennemi. Le blessé a droit à la nourriture et à l’asile. Le corps du mort doit être sauvegardé". Osama donc, avec son linceul immaculé, gît quelque part en mer d'Oman. Et si la mer rejetait son corps tel celui de Pharaon (Coran 10 : 92) ?

Certains chroniqueurs turcs prient pour son âme, non pas par sympathie mais par réflexe islamique : "Allah Teala ecrini arttırsın ve taksiratını affeylesin"; en clair que Dieu l'absolve. C'est facile à dire, ça prend quelques secondes, ça n'enlève rien au priant. Mais ça écorche certaines bouches sensibles car viennent à l'esprit, des milliers de victimes (dont des musulmans) et un verset : "quiconque tue un innocent est considéré avoir tué l'humanité tout entière" (5 : 32). Un De Profundis ? Je ne crois pas, non...