jeudi 23 décembre 2010

Monomanie

"Si vous considérez cela comme un soulèvement, oui, nous nous soulevons !". Il y est allé franco, Hasip Kaplan. On le sait, l'explosion vient toujours de loin. Un député du BDP, "parti de la paix et de la démocratie", alias le parti kurde. C'est qu'il venait de parler en kurde à la tribune du parlement. L'effroi avait encore une fois envahi les esprits.
On s'en souvenait; en 1991, c'était Leyla Zana qui présentait ses voeux de paix en kurde; résultat : déchéance et emprisonnement. L'époque de la brutalité. Cette fois-ci encore, les nationalistes guettaient, on s'attendait à une crise. Le vice-premier ministre, Bülent Arinç, un pilier de l'AKP, chipa le micro; l'homme le plus calme et le plus sensible du monde politique allait riposter. A sa manière, encore une fois : "Huda ji te razibe", "que Dieu vous bénisse"... Un ministre de la République si jacobine, si assimilatrice venait tout bonnement de parler en kurde, à son tour...

Ouah !, évidemment. Une espérance. Ni mort d'homme ni coup d'Etat militaire sur le champ. Du cathartique à forte dose. On s'est taquiné et la séance a été levée. Le président de l'assemblée a semblé s'énerver un instant, ça a été vite oublié... Ils en ont assez des promesses des uns, des menaces des autres, les Kurdes. Désormais, le droit devra suivre la pratique. C'est que, dorénavant dans le sud-est de la Turquie, la langue kurde "épaulera" le turc, la langue du seigneur. Pour les noms de villages et de rues, les panneaux, les menus, dans les administrations publiques et à l'école. Le slogan est bien prêt : l' "autonomie démocratique au Kurdistan". Des "communes" sont proposées; si si, comme celle de Paris, en son temps. A tous les niveaux : villages, arrondissements, villes, régions. Et elles auront compétence sur tout, évidemment, tant qu'à faire : social, économique, culturel, artistique, sportif, juridique, commercial, industriel, et même militaire et diplomatique. Eh ben dis donc... Un drapeau, aussi... Et tout cela, s'il vous plaît, pour conforter "le vivre-ensemble"... "Ah ça bourre, hein !"

C'est vrai qu'on ne voit pas pourquoi les Kurdes, qui ont autant de "parts sociales" que les Turcs, seraient obligés de vivre dans la langue des Turcs, penser en turc, déclamer tous les matins à l'école "Je suis Turc, je suis droit, je suis travailleur" ou "heureux qui se dit Turc". On a beau leur marteler qu'il ne s'agit pas d'une appartenance ethnique mais d'une affiliation citoyenne, ils ne veulent pas en entendre parler. A raison. Non, c'est non. Et ce "niet" sort de la bouche de près de 2 millions de personnes. C'est tout bonnement un désir de séparation qui ne s'assume pas; et 2 millions de citoyens de la Turquie croient à un tel projet. Ils sont mentalement disponibles pour une telle perspective. Perspective étouffe-turque, on l'a compris...

Tout le monde est contre. Les militaires ont évidemment réagi. "La langue de l'Etat, c'est le turc, que personne ne bronche ! L'Armée est le garant de l'Etat-nation, de l'Etat unitaire et de l'Etat laïque". Ce que fait la laïcité là-dedans, personne ne le sait. Mais c'est comme ça. Un tic. Il faut toujours la mentionner... Heureusement, ça n'a plus le poids de jadis. Le BDP a répondu au tac-au-tac : "d'accord, mais t'es qui toi !"... Chapeau. Et la contre-attaque a été féroce : "dites-nous d'abord à qui appartient les terrains sur lesquels sont bâtis le palais présidentiel et l'assemblée nationale ! Avouez !". Les mauvaises langues disent qu'ils appartenaient aux Arméniens déportés... Coup bas ou coalition des rescapés de la République...

Même les libéraux s'y opposent; car c'est certain, ce projet mènera au divorce. Et on ne voit aucune raison de laisser s'échapper un pan du territoire. Le CHP (un parti social-démocrate, pourtant) ne sait même pas encore prononcer le mot "kurde", c'est simple. D'ailleurs, Kiliçdaroglu promet des usines et une réforme agraire aux "citoyens du sud et du sud-est" (sic). Toujours la même cécité : le problème kurde n'a qu'un aspect économique. On installera quelques bâtiments et on plantera quelques arbres aussi pour faire beau et ça serait bon... Le nationaliste Bahçeli parlait, lui, de "tentative d'insurrection". Ca tombe bien, le procureur près la Cour de cassation a retroussé les manches pour "examiner" la situation.

Les pavés dans la mare se suivent et se ressemblent. Les mêmes craintes, les mêmes doléances, les mêmes syncopes. Évidemment, je n'ai rien contre tout cela, moi. Les débats, je veux dire. Qu'ils parlent le kurde. Qu'ils l'apprennent avant tout; même Öcalan n'en parle pas un mot. C'est dire l'urgence et la pertinence du besoin. Et les Lazes parleront leur langue, aussi. Les Ossètes, aussi, tant qu'à faire. Les quelques Arabes, les Arméniens. Et les juifs, il faudra prévoir un clavier hébreu. Les langues, ce n'est pas ce qu'il manque en Turquie. Les descendants du Caucase sont, à eux-seuls, un casse-tête.

Les rues d'Istanbul sont pleines de "café" et de "restaurant", par exemple; en français et en anglais. C'est chic, c'est branché, c'est "normal". Si bien que l'armée n'a jamais haussé le ton, à ma connaissance. Car chaque commerçant est maître de son enseigne; l'épicier et le restaurateur doivent pouvoir apposer des noms en kurde, rien de plus normal. Les panneaux, les menus, les villes en kurde, que c'est beau... Et on parlera en espéranto entre nous; une occasion d'apprendre une nouvelle langue. Un Ossète saluant son voisin kurde chez le médecin laze dans un quartier arménien. Oui oui, c'est bien ça; l'espéranto. Et quelques pieds de nez en direction du Turc qui passerait par-là... On s'éclatera. L'assemblée nationale ressemblera à l'assemblée générale des nations-unies; avec des casques sur la tête, on s'écoutera et on débattra de l'avenir d'un pays qu'on aura toujours en commun. Les traducteurs trouveront du travail. Et moi je me mettrais une fois pour toute à apprendre correctement l'ossète. Pourquoi pas, quand j'y pense. Au sud-est, par exemple, les instituteurs feront cours en kurde; les mathématiques en kurde, ça doit être un régal. Je choisirais l'option oubykh, moi, histoire d'emm..... tout le monde...

Kurde, langue officielle ? Aucune idée. Je ne suis pas un intellectuel moi, je n'ai pas à réfléchir sur de graves sujets. Certains craignent une franche babel qui mènera en dernière analyse à un éclatement du pays. Du si beau pays. D'autres fustigent les doléances kurdes pour une seule raison : une haine anti-kurde. Une aversion. Des "croquants", comme on le sait. "Kıro". Certes, leurs propositions peuvent irriter; c'est bien plus qu'un "food for thought" ou un "brainstorming". C'est une probable séparation territoriale. Mais c'est comme ça. Et ils ont le droit de l'exprimer. Sa mise en oeuvre est une autre question.

Ce qui me préoccupe moi, c'est le bonheur de l'individu. Les nations, les communautarismes, les groupes : des concepts et c'est tout. Mais je ne peux que m'interroger : et si ce Kurdistan "libéré" tombe dans le système archaïque des chefferies. Où l'on comprime l'individu avec autant d'entrain que dans un État jacobin. Et si les Kurdes échappant à Ankara, tombent dans les mains de quelques séides cruels. Faut-il le rappeler, l'organisation tribale existe dans cette zone. L'individu étouffe. Des mailles du jacobinisme aux griffes de la féodalité locale, ça serait dommage... Le bébé et l'eau du bain, toute une subtilité. A quoi aurait servi la "libération" ? A se soumettre à d'autres seigneurs ? La servitude peut-elle être un programme politique ? Une politique ciblée sur l'individu kurde et non le groupe ne serait-elle pas plus bénéfique quand on sait que seulement 2 des 15 millions de Kurdes votent pour le BDP ? Un Kurdistan sous la férule du PKK sera-t-il respectueux des droits de l'Homme ? Pourquoi, alors, avoir menacé le plus grand intellectuel kurde, Orhan Miroglu, pour avoir osé parler autrement ? Juste quelques interrogations sincères, c'est tout...

vendredi 17 décembre 2010

La France des musulmans...

Une cinquième mosquée à Moscou, nous a annoncée Vladimir Poutine. A "nous", les musulmans. Une identité au-dessus des nations. Car tout musulman, même tiède, se réjouit de l'érection d'une nouvelle mosquée dans un coin quelconque de la planète. Et les mosquées pullulent. Lâchons donc un provoquant "elhamdulillah", "Grâce au Seigneur". Provocation, oui. Car celle-ci est une déclinaison de la liberté d'expression. Célèbre arrêt Handyside : la liberté d'expression "vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'Etat ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture, sans lesquels il n'est pas de société démocratique".


Inquiéter les musulmans est devenu LE sport national, dans ce pays. A des lois faites sur mesure, à des stigmatisations incessantes, à des bouches copieusement baveuses, nous sommes confrontés. Ça tombe bien, on annonçait des "Assises internationales sur l'islamisation de nos pays", organisées par des extrémistes. Il faut en discuter, évidemment; pas de censure. Liberté d'expression. Islamisation, en effet; la charia s'est substituée au code civil, la messe de rentrée des parlementaires se fait désormais à la mosquée de Paris, les vacances scolaires sont calquées sur le calendrier islamique, les mosquées sont financées par les collectivités publiques, les filles croyantes sont libres de porter un voile au lycée, les appels à la prière font concurrence aux sons de cloche, les abattages rituels se font aisément à chaque coin de rue, et le meilleur pour la fin, la France a fait officiellement acte de candidature pour intégrer l'Organisation de la Conférence islamique. Une islamisation, en effet...

C'est comme un slogan : le père était antisémite, la fille est anti-musulmane. Un raccourci que nous imposent les cercles de la bien-pensance. Sans doute. La fille ratisse plus large, nous disent d'autres : le fond antisémite gonflé d'une aversion anti-musulmane (et non islamophobe, ce n'est pas du tout la même chose). C'est qu'elle brille, ces temps-ci : les musulmans occupent le territoire. Ils prient sur les trottoirs. Il faudrait mettre fin à cette scène, au nom de la laïcité. Encore celle-ci; encore une fois violée. La laïcité, nouvelle égérie des frontistes. Parmi lesquels on trouve également des intégristes chrétiens, va falloir m'expliquer...


Comme on nous demande de "dégager" des rues, à juste titre, on se met à rêver; elle ira au bout de son raisonnement et demandera plus de mosquées. Que nenni ! Alors c'est quoi la solution ? "Votre assimilation coco !"... Fabius disait que Jean-Marie posait les vrais questions mais apportait les mauvaises réponses; eh bien, la fille a bien repris le flambeau...


Robert Ménard le dit clairement, lui, sans se frotter à de grands principes; c'est ringard, terre-à-terre, limite fasciste mais c'est sincère : "je n'ai pas envie qu'il y ait un minaret dans tous les villages de France". Ça n'a pas à être sanctionné juridiquement, c'est une simple pathologie humaine. Le rejet de l'autre. Voir une église à chaque coin de rue ne me dérange pas moi, personnellement... Encore une fois, c'est la panique ; on entend PPDA conseiller aux musulmans de vivre leur religion dans leur for intérieur, "une religion se vit avec soi-même"... On a les mêmes dans tous les pays : en Turquie, ce sont les nationalistes qui avaient fait la moue lorsque l'église d'Akdamar et le monastère de Sumela furent rouverts; dans les pays arabes, c'est le même refrain. Le fond de la pensée est clair : ce n'est pas la laïcité qui est en cause; c'est la "tradition chrétienne de la France". Leurs amis turco-arabes ne disent pas autre chose : la construction d'églises et de synagogues est contraire à la "tradition islamique du pays". Les racistes n'ont pas de pays...

Évidemment CFCM, CRIF, PS, MODEM, PCF se sont indignés ou ont condamné. L'UMP ne savait pas encore comment réagir; la question est ardue, il s'agit de soutenir les musulmans... Le Premier ministre était un peu plus poétique, lui : "il ne faut pas tomber tête baissée dans toutes les provocations". Bien sûr. Mais quand c'était Georges Frêche qui disait des choses sur le "pas très catholique" Fabius, François Fillon épatait : "Il y a des mots qu'on ne veut plus entendre dans notre République, il y a des mots qui blessent, il y a des mots qui trahissent la vulgarité de la pensée, il y a des mots qui ne font pas partie du vocabulaire des républicains et des démocrates (...), le racisme est une menace permanente pour notre pacte républicain et les dérapages des responsables politiques quels qu'ils soient (...) doivent être combattus et ne peuvent pas être tolérés car ces dérapages font céder les digues que les républicains (...) ont construit pour lutter contre le racisme et l'antisémitisme, chacun doit nettoyer devant sa porte (...)". Un des plus beaux textes de la République. Franc et massif. Ça, c'était pour une attaque antisémite. Et pour une déclaration anti-musulmane, on a comme une évaporation; Monsieur le Premier ministre, donc : "Nous devons être fermes sur le fond et, en même temps, nous ne devons pas être dédaigneux à l'égard des Français qui cherchent dans des solutions radicales une issue aux problèmes qu'ils rencontrent". Merci quand même...

Qu'on le veuille ou non, des mosquées vont être érigées dans ce pays; elles vont essaimer dans tout le territoire. Car la France est un pays démocratique respectueux de la liberté religieuse. Et il s'avère que beaucoup de musulmans y vivent; rien de plus normal que de leur permettre de prier leur Dieu. Maurice Colrat avait osé en 1922 : "Quand s'érigera, au-dessus des toits de la ville, le minaret que vous allez construire, il montera vers le beau ciel de l'Ile de France qu'une prière de plus dont les tours catholiques de Notre-Dame ne seront point jalouses ". Applaudissements !


Même un professeur de droit comme Sami Aldeeb, ignorant le raisonnement juridique de base, peut lancer une initiative sur l'idée de réciprocité : "pas de mosquée en Occident tant qu'il n'y a pas d'église en Orient". Donc pour faire simple, un musulman parisien doit attendre que les restrictions que subissent les minorités chrétiennes dans la plupart des pays arabes soient levées pour pouvoir ériger son lieu de culte ! Et ça s'appelerait un raisonnement. Défendu par un professeur de droit... C'est vrai que M. Aldeeb est devenu "professeur des universités" à 60 ans sans passer par l'agrégation (mais par la petite porte, le Conseil national des universités), on peut comprendre que ses capacités ne sont pas formidablement élevées mais de là à ce qu'il agisse en militant chrétien intégriste avec une casquette de "professeur de droit", c'est une impudence. Le Sieur propose rien de moins qu'un chantage, une réciprocité dans la violation des droits de l'Homme; il va falloir rouvrir les livres de première année...


On ne nargue personne; on ne fait de pied de nez à personne; on ne dérange personne. Mais on reste déterminé : des mosquées seront construites; car c'est un droit. Et bonne nouvelle, les conversions se multiplient. A notre grande joie. Les extrémistes n'arrivent pas à comprendre une chose : les générations présentes n'ont plus la peur des primo-arrivants. Ils sont prêts à hausser le ton et revendiquer leurs droits. Des mosquées seront donc construites. Des mosquées-cathédrales, même. La pusillanimité, c'était pour les immigrés des années 50-60. La patience va changer de camp. C'est dans l'inquiétude qu'on va avancer. Handyside coco... On n'a pas oublié la sortie de Mélenchon en 2005 sur la loi sur le voile : "Écoutez ! Notre manière de vivre, à nous les Français, c'est qu'on ne met pas de voile à l'école !". Eh bien, on changera de manière de vivre car les musulmans sont là, dorénavant. Nous, des Français. Salâm Aleykoum...

samedi 11 décembre 2010

Démocratie aux oeufs...

Un sacré culot, il faut le reconnaître. Lancer des oeufs aux dirigeants n'est pas une tradition en Turquie. Il est déjà indécent de leur couper la parole. On n'arrive même pas à crier de loin, c'est dire. Une tarte en pleine tronche, jamais. Rien qui devrait fâcher. Pas de bousculade, non plus. Les Turcs ne savent pas manifester pour la bonne raison qu'ils ne savent pas se manifester. Défendre une cause, connaissent pas. Vaut toujours numéroter ses abattis. Ça dégénère à coup sûr; morts et blessés à profusion. Une turquerie. Le général Evren n'avait-il pas justifié son coup d'Etat de 1980 par l'anarchie ambiante et l'effroyable bain de sang qui en était résulté...

En 2001, en pleine crise économique, un commerçant en faillite avait jeté par terre, sa caisse enregistreuse et ce, à quelques mètres du Premier ministre de l'époque, Bülent Ecevit. Le tremblotant Ecevit s'était à peine tourné pour s'en rendre compte; ses gardes du corps étaient déjà à l'oeuvre, pas besoin d'un dessin... En 2006, on s'en souvient encore, les ministres AKPistes qui avaient osé participé aux funérailles du conseiller d'Etat tué par un soi-disant islamiste (aujourd'hui on sait que l'assassin présumé agissait au nom de l'Ergenekon) avaient dû cavaler. C'est que la foule kémaliste voyait dans leur arrivée, un ultime pied de nez; et en direct, les ministres hagards devant, les cameramen ravis à côté, les citoyens enragés derrière, on avait admiré l'état d'avancement de notre démocratie... Le ministre de la justice avait dû, tout bonnement, brûler la politesse...


Eh bien, dorénavant, nous sommes modernes. Des hommes politiques "oeuvés", il nous faut nous habituer à croiser. Pas d'omelette sans casser des oeufs. La démocratie, coco. C'est le président de la Cour constitutionnelle qui a ouvert le bal; un des plus grands démocrates de Turquie, pourtant. Tant pis. Lors d'une conférence, un étudiant dont on n'a toujours pas compris ce qu'il voulait, lui a gentiment lancé des oeufs. Monsieur le Président s'est tu un instant et s'est immobilisé jusqu'à ce que son garde du corps déplie un parapluie blindé.


Et le libéral Kiliç a tenu à détendre l'atmosphère une fois que le trublion fût débarqué, "notre ami a fait usage de sa liberté d'expression mais d'une manière un peu grossière". Et il avait raison; protester est un art. Combattre les idées d'une personne ne signifie et ne saurait signifier insulter cette personne ou le maltraiter physiquement. Encore moins le menacer. De jeunes kémalistes avaient lancé une corde en direction de deux journalistes libéraux qui discutaient dans un panel. Démocratie...


Et il ne manquait plus que les énarques aussi, "fassent l'oeuf". Une conférence est organisée à la faculté des sciences politiques d'Ankara, alias Mülkiye, l'ENA de la Turquie. C'est d'abord le secrétaire général du CHP, le professeur Süheyl Batum, qui tente de parler. Il doit discourir sur la Constitution; mais les escarmouches ne se font pas attendre. Le "social-démocrate" Batum se la joue démocrate un instant; les étudiants en profitent pour électriser encore plus l'ambiance. Le social-démocrate explose, que veux-tu : "Ce que vous faites c'est du fascisme, vous ne me laissez pas parler !". Notons-le, "c'est du fascisme".

Le professeur Batum est remercié et on introduit un autre conférencier, le professeur Burhan Kuzu, député de l'AKP, et président de la Commission des affaires constitutionnelles à l'assemblée; une des figures les plus mesurées et les plus drôles de Turquie. Tant pis. Le social-démocrate avait été simplement enquiquiné; le professeur Kuzu est criblé, bombardé, d'oeufs. Rebelote les parapluies...



Le Sieur Kuzu, fidèle à son tempérament, a préféré lancer :"espèce d'écervelés, si vous aviez mangé ces oeufs, vos cerveaux seraient plus développés !". Et il a appelé le doyen de la fac à la démission; motif : ne pas étouffer l'agitation dans l'oeuf... Le président de l'assemblée nationale s'en est ému, aussi : "quand je pense que ces types sont nos futurs préfets, diplomates et autres hauts fonctionnaires !".

Heureusement, une délégation d'étudiants a rendu visite à ces deux hommes politiques pour leur présenter leurs excuses. Et le Sieur Batum a profité de l'occasion pour virevolter : "je n'ai jamais dit fasciste"; c'est juste qu'on l'a vu prononcer ce mot en direct. Mais on ne s'énerve plus évidemment, les kémalistes sont ainsi. C'est la pratique inaugurée par le nouveau chef, Protée Kemal : il ne faut jamais prendre ses déclarations à chaud; il se rétracte toujours quelques jours plus tard...

En réalité, la colère vient de loin. La semaine dernière, le Premier ministre avait reçu tous les présidents d'université à l'occasion d'un séminaire de travail. Et les étudiants voulurent y participer. Des étudiants. Histoire de mettre de l'ambiance. Et ils avaient des doléances, c'est certain. Mais ils étaient jeunes, bouillants; criailler derrière des banderoles n'était pas triquant. Allez hop agitation et bastonnades des forces de l'ordre. Une jeune femme enceinte a fait une fausse couche. Et elle est devenue l'emblème de la contestation étudiante. En tout cas pour les soixante-huitards et les quelques consciencieux. Le Premier ministre a soutenu "ses" policiers et fustigé les étudiants, "ils ne savent même pas pourquoi ils protestent, la vérité est que ce sont des gauchistes !". Eh ben tant qu'à faire. D'autres en ont profité : "si elle est enceinte, elle n'a qu'à rester chez elle et toc !", "d'abord elle n'a pas à être enceinte à 19 ans !", "ouais, surtout si elle n'est pas mariée, bien fait !"...

On ne va sûrement pas refaire une théorie; la liberté d'expression et de réunion est sacrée; elle peut être limitée certes, mais pas à force de horions; j'eusse été freudien, j'aurais évidemment dit que les flics sont sexuellement frustrés et qu'ils essaient de corriger leur insatisfaction en se défoulant sur tout ce qui bouge; je le suis, évidemment. Freudien, je veux dire. Mais c'est surtout un juriste qu'on a besoin d'entendre : ça tombe bien, l'ancien juge turc à la Cour européenne a pris la peine d'énumérer les articles de la CEDH qui ont été violés : l'article 10 sur la liberté d'expression, 11 sur la liberté de réunion, 5 sur la sûreté et 3 sur la torture et les traitements inhumains ou dégradants. Des têtes tombent dans d'autres pays...

Les jeunes britanniques aussi, manifestent. Contre le triplement des droits universitaires. Ils ont bien raison; ils ont même "touché" la Rolls du prince Charles, occupé à se rendre au théâtre.


Et on a aperçu Camilla prête à jouer la Marie-Antoinette, "qu'est-ce qu'ils se passe ? Une révolution ?", "non poupée, une révolte !"... Personne n'a eu un membre cassé, à notre connaissance. Démocratie; la vraie...

Evidemment, la position personnelle peut être autre; ce n'est pas un mystère, je n'ai aucune sympathie pour les mouvements d'étudiants. Je suis de la génération du 21 avril 2002 et du CPE en 2007 et durant les troubles, "j'ai vécu" comme dirait Pompidou. Aucun engagement. Ni mon tempérament ni un passe-temps. C'est étrange mais les premiers qui mènent la fronde dans ces moments-là sont toujours les mêmes. Typologiquement, je veux dire. En 2002, tout le monde se demandait si la première de la classe qui était, en même temps, une grande humaniste, allait participer aux manifestations. Eh bien, non, présente. En 2007, on faisait cache-cache avec les perturbateurs qui interdisaient l'accès aux amphis; un jour, ils avaient tout bonnement attaqué la salle où notre prof tentait d'assurer son cours; les "manifestants" nous semblaient bien étranges; on les avait croisés certes mais quelque part au fond de la classe... Anecdote, c'est tout. Aucune insinuation...

Churchill aurait dit : "celui qui n'est pas socialiste à 20 ans n'a pas de coeur; celui qui est socialiste à 40 ans n'a pas de tête". C'est étrange mais la présidente du Medef turc vient de dire à peu près la même chose : "la jeunesse, c'est l'opposition". On appelle cela le "thought-terminating cliché". Les moins distingués préfèrent "connerie". Je m'inscrits évidemment en faux contre cette fadaise. Je me vante plutôt d'avoir eu la sagacité de ne pas rêver à 20 ans. Le "romantisme révolutionnaire", c'était à 14 ans. Et d'ailleurs, "vous n'avez pas le monopole du coeur"... Oups ! Pardon Mitterrand. Quoique socialiste, il ne l'a jamais été; ni à 20 ans, ni à 40 ans...

samedi 4 décembre 2010

Deux et deux font cinq

Les Suédois, toujours aussi polis. Si suaves, si sensés, si humanistes. L'Ombudsman des discriminations vient enfin de rendre sa "sentence"; nos "Gerin et autres" avaient parlé de l'affaire dans leur rapport (p. 71). Celle de l'étudiante qui voulait porter un voile intégral cependant qu'elle aspirait à poursuivre ses études. Elle rêvait. Évidemment, des bâtons dans les roues, elle dut affronter. Les laïcistes sont partout, mon petit. Les "sauveurs de femmes-qui-refusent-obstinément-les-lumières" faisaient encore les rabat-joie. Mais la liberté religieuse devait triompher. En Suède, surtout.

Lisons-la, Mme Katri Linna : « interdire à une élève (en l’occurrence d’une école de puéricultrice) l’accès aux cours pour la simple raison qu’elle porte un niqab en classe est contraire aux principes contenus dans la loi sur les discriminations, notamment en matière religieuse ». Et elle est taquine, Madame : « La protection des droits fondamentaux constitue l’une des valeurs fondamentale sur lesquelles est basée notre société. A la différence d’autres États qui, au moyen de règles ou d’interdictions, entendent guider la conduite de leurs citoyens en matière religieuse, la Suède a choisi de respecter le principe de libre expression, par ses ressortissants, de leurs convictions religieuses ». Guider la conduite de ses citoyens, voilà bien une pique lancée en direction de la "France de Gerin et autres"...

Mais le parti libéral suédois joue le rôle de l'UMP, là-bas; le ministre de l'intégration, Erik Ullenhag a fait l'intéressant : « Ma détermination en sort renforcée : nous devons revoir la réglementation en vigueur afin que les chefs d’établissements scolaires et les enseignants puissent décider en toute connaissance de cause quelle attitude adopter dans l’hypothèse où des élèves voilées sont présentes dans les classes ». Poupin qu'il est. Une loi sur la vêture, encore une fois. Celle des musulmanes, évidemment, inutile de préciser. C'est que, elles seules, enquiquinent le monde.


Et c'est avec tout le poids de la doctrine libérale que le Sieur Ullenhag pontifie. Le ministre de l'éducation, qui est en même temps le chef des libéraux, partageait déjà cette idée, ça tombe très bien. "Communication oblige", avait-il éructé. "Regarder son interlocuteur dans les yeux". Avec la belle dentition qu'il a, c'est comme une blague. "J'arrive pas à me concentrer quand il parle, mes yeux glissent vers ici, voilà, là, exactement". Un peu comme Louis de Funès en face du flic au poireau...


En France, il faut le noter, pour une fois que la laïcité est appliquée à bon escient, une enseignante voilée a été licenciée. En bon libéral que je suis mon cher Erik, je m'oppose à l'obligation de neutralité vestimentaire imposée aux agents publics, mais c'est une autre question. De lege ferenda. Or de lege lata, on ne peut que prendre acte de cette sanction. "Juste" sanction. Conforme au jus. Laïcité implique neutralité du service public et par ricochet, neutralité de ses agents. Malheureusement. La nouvelle secrétaire d'Etat chargée de la jeunesse et de la vie associative avait tenté un baroud d'honneur, on s'en souvient. C'était précisément sur cette histoire de neutralité. Elle présidait la HALDE. Depuis, elle est ministre de la République. Laïcité, une fois.


La transe continue. Il est de coutume, comme on l'a remarqué, d'extirper le mot "laïcité" à toute personnalité musulmane qui apparaît sur l'espace public. Nora Berra, celle qui avait vaillamment protesté contre un ancien garde des Sceaux quelque peu évaporé, était la suivante pour déclarer, devant la France entière, sa flamme à la laïcité républicaine (celle qui n'a rien à voir avec la laïcité juridique) : la laïcité devient "la garantie du bien-vivre ensemble", est placée "au sommet de toutes les valeurs", implique "une lecture des textes pour voir comment cette religion [l'islam] doit s'intégrer au sein de notre société". Le meilleur pour la fin : "ce qui m'a choqué ce n'est pas qu'il [Pascal Clément] dise qu'il ne faut pas de minarets, c'est qu'il compare les minarets et les tours de cathédrales"... Dire qu'il ne faut pas de minarets n'est donc pas, en soi, choquant; je note... Membre du gouvernement, elle est. Comme l'autre musulmane qui disait qu'il fallait non seulement bannir le voile intégral mais également le simple voile... Une République qui s'en prend, tous les quatre matins, aux musulmans de ce pays; et ce sont les membres musulmans du gouvernement qui sont les plus fervents; la coutume, encore une fois ou le zèle des nouveaux convertis... Laïcité, deux fois.

Il est si difficile de dire haut et fort que ce qu'a dit Clément l'an dernier et ce qu'avait dit de Gaulle en son temps ("Colombey-les-Deux-Mosquées") sont illégitimes dans une démocratie réellement laïque ? C'est tout simplement une pathologie : le "complexe du musulman parvenu". Toujours ce besoin d'être plus royaliste que le roi. De Gaulle avait dit une connerie, point.


Un sésame. Si bien qu'un esprit français se fanatise, à force. L'occurrence devient absurde. On s'en souvient : la loi sur le voile intégral prévoyait une médiation de quelques mois. La République voulait d'abord tenter le prosélytisme laïciste avant d'imposer sa solution. Car c'était pour le bien de ces petites demoiselles si promptes à se soumettre à une spiritualité aussi anti-républicaine. Le Gouvernement avait mûrement réfléchi; et s'était résolu à confier cette médiation à une association surreprésentée dans les banlieues, respectée par tous et assez impartiale pour convaincre dans la joie et la bonne humeur : Ni Putes Ni Soumises. Être futé, ça s'appelle... Et comment furent appelés ces "missi dominici", devine ? Stop, c'est bon : "Ambassadrices de la laïcité et de l'égalité hommes-femmes". Joli, non ? Hein ? Le "et" semble séparer la laïcité et l'égalité hommes-femmes mais c'est tout le contraire qu'il faut comprendre; c'est un "et" enveloppant. Laïcité devient libération de la femme. Du mâle et de Dieu. Je l'ai déjà dit, elle est jalouse, la République... Laïcité, trois fois.

Le glissement du sens s'opère sabre au clair, dorénavant. Les poids lourds du NPA n'avait-il pas banni la candidate voilée aux régionales au nom précisément de la laïcité et du féminisme ? Madame vient de claquer la porte, à son tour. Non, je comprends qu'une femme voilée, a priori soucieuse de son image auprès de son Seigneur, refuse d'adhérer à un parti qui prône l'athéisme; c'est logique. Moi-même, adolescent, avant d'être royaliste, je souhaitais devenir laguilleriste; je n'étais pas païen, non, j'étais adolescent. Je refaisais le monde. Seul, évidemment. Ma célèbre suffisance. "Non" avait dit je ne sais plus qui, il faut participer à la révolution. Ouaich ouaich. Avec ? Bah les trotskistes. Ah ouais ? J'avais lu quelques papiers sur eux et la réserve à l'égard de la religion avait attiré mon attention. Ah, j'y tenais à mon Dieu ! Et qu'est-ce que j'allais dire à mon père, ils étaient bien marrants, eux, les camarades ! Je suis Ossète moi, mon ami, la hiérarchie est sacrée chez nous, allez, bon courage, ciao...

Yok anacim, la laïcité dérègle les sens; en Turquie, par exemple. On savait que l'armée était prête à tout pour elle. Wikileaks nous l'apprend, nos vaillants généraux bombaient le torse devant le diplomate américain, "ah si on veut, on intervient, coco, si on reste dans nos casernes, c'est une faveur de notre part !". Bon, on a compris, eux, ils sont irrécupérables. Mais quand Jean-Paul Costa trébuche sur la question, on s'inquiète. Non non, pas Caroline Fourest, Monsieur Costa, le président de la Cour européenne des droits de l'Homme. On connaît la jurisprudence de la Cour sur la question du voile, elle a tort, au moins on le sait. Et ses arrêts ne contiennent aucun argument juridique robuste à se mettre sous la dent. Mais de là à ce que son président perd ses moyens lorsqu'il est interrogé sur la laïcité, il y a une grande différence. C'est un Français, on l'aura compris. Il a d'abord tremblé...

A une journaliste turque qui lui demandait si l'abrogation de l'interdiction du voile dans les universités était contraire à la Convention européenne, Costa répondit : "la laïcité fait obstacle à la levée de l'interdiction, il faut que vous changiez votre Constitution; si vous ne voulez plus de la laïcité, nous aviserons et changerons notre propre jurisprudence car nous envisageons les situations en fonction des pays". Voilà bien un scandale. Même le président de la Cour européenne n'a pas encore compris que les affaires sont traitées sous l'angle de la seule Convention européenne et non du droit national des pays ! A quoi ça sert d'aller à Strasbourg pour lire, in fine, sa propre Constitution...


La journaliste, qui a bien bossé son dossier, attire alors l'attention sur la laïcité française qui ne postule aucune interdiction au niveau des universités; Costa rétorque : "oui mais la laïcité française n'interdit pas les signes religieux à tous les échelons ! En réalité, ça semble confus ce que je dis mais nous ne faisons que raisonner sur la base de la conception nationale de la laïcité". Eh ben ! Il ne faut le dire à personne mais j'envisage de faire une thèse de droit l'an prochain; mon sujet porte précisément sur cela : "la Convention européenne des droits de l'Homme et le relativisme national" ou pour faire plus style, "Contribution à l'étude de la marge nationale d'appréciation". Un rêve pour l'instant. Késako ? La laïcité devient un principe supra-conventionnel pour on ne sait trop quelle raison et chaque État peut désormais violer la liberté religieuse en bonne conscience dès lors qu'il le fait en application de "sa" laïcité ! Depuis quand la marge nationale d'appréciation est-elle devenue un quitus pour violer un droit conventionnellement garanti ? On rêve encore une fois car celui qui parle raisonne en français. Il est en transe, vous l'avez compris, le mot laïcité a été prononcé... Un grand homme, certes. Il part en retraite, d'ailleurs. C'est bien dommage... Laïcité, quatre fois.


Il n'est pas difficile de le deviner; la juge turque Mme Işıl Karakaş ne partage pas le raisonnement juridique de la Cour; on sait que l'ex-juge, celui qui donne désormais des leçons de démocratie dans sa chronique dans Milliyet, était fermement attaché à la laïcité turque. Costa l'avoue : il y a une laïcité à la turque et une laïcité à la française. Danger, nous disons : le laïcisme a supplanté la laïcité. Pour un fervent défenseur de la laïcité comme moi, on se désole. On rage même. La juge turque a enfin redoré l'image de la laïcité, la vraie. Il ne reste plus qu'un autre bon juriste soit nommé à la place du partant français. Un "islamophobe" a estimé Taha Akyol, la figure du libéralisme en Turquie. En France, le professeur Gilles Lebreton n'y avait pas été de main morte, non plus : "la Cour se méfie de l'islam lui-même, qu'elle considère comme une religion intrinsèquement dangereuse". Au revoir Monsieur Costa, sans rancune... Laïcité, cinq fois.

lundi 29 novembre 2010

"Un tiercé de généraux en retraite..."

Les étudiants en droit le savent; un des cours de droit civil les plus barbants porte sur le "majeur protégé". Trop abstrus pour l'étudiant qui apprend, bien au chaud, la misère du monde le fessier posé sur un banc d'amphi et trop abstrait pour un prof de droit qui n'a jamais mis les pieds dans un palais de justice. Personnellement, je n'avais retenu que cet énoncé : tutelle = assistance et représentation; curatelle = assistance. Non, il y avait également sauvegarde de justice, mesure d'accompagnement et mesure d'accompagnement social personnalisé. Mais on s'en battait; c'est que ces mesures étaient définies dans le code de l'action sociale et des familles. Autant dire un code qu'aucun étudiant sérieux ne feuillette. Ni un professeur de droit civil, d'ailleurs. Ça ne tombera donc pas à l'examen...


Toute cette nostalgie pour commencer ma dissertation. L'accroche, j'y tiens. C'était la partie la plus réussie dans mes compositions. Eh bien voilà donc. Les généraux, encore une fois. La Turquie s'était libérée de la tutelle militaire en 1982, comme on le sait; et de la curatelle en 2007, lorsque le gouvernement avait envoyé un "c'est ça ouais !" à la face du chef d'état-major, occupé à décréter les critères que devait remplir le nouveau Président. Tutelle, curatelle. Et voilà qu'un dernier chapitre vient de clore, espérons une fois pour toute, le cours soporifique des "majeurs protégés"... "Capillotracté !", "ça va, ça va"...


Un journaliste qui avait eu la prétention de bien lire la Constitution avait écrit cette chose bizarre et scandaleuse : "le chef d'état-major est un fonctionnaire soumis au Premier ministre". Non non, attendez, ce n'était pas le morceau "soumis au Premier ministre" qui avait fait endêver le général en chef de l'époque, c'était la première partie : "le chef d'état-major est un fonctionnaire". Il avait immédiatement intenté une action en justice contre ce journaliste. Raison : outrage à agent public. Tiens tiens ! "T'es fonctionnaire !" serait devenu un outrage ? Oui en Turquie; car, il faut toujours l'avoir en tête, la Turquie est un pays "comique". Les Turcs le savent; c'est une expression, "ancak Türkiye'de olur", "on ne voit cela qu'en Turquie".


C'est que le chef d'état-major se considérait comme un "homme d'Etat", pas un "fonctionnaire". Il avouait en creux que l'armée s'intéressait de près au gouvernement de l'Etat. Un "homme d'Etat". C'est comique, ici; en France, l'amiral Edouard Guillaud aurait dit cela, on se serait frotté successivement la tête, le nez et le menton. "Qu'est-ce qu'i bave ?". C'est dire avec quel cerveau on est obligé de lutter pour installer la démocratie dans le pays... Ce n'est pas fini; le général-homme d'Etat avait également bataillé longtemps pour attaquer ce journaliste sous l'angle du fameux article 301 du code pénal; celui qui punit l'insulte à la turcité. "Outrage" et "insulte à la turcité". Fonctionnaire ! L'activation de cet article est heureusement liée à une autorisation du ministre de la justice. Car personne ne fait confiance aux procureurs; un cerveau brûlé nationaliste aurait pu faire de la Turquie la risée du monde entier... Le ministre AKPiste-fasciste-terroriste donc, avait évidemment refusé de donner suite. On avait soufflé...


Continuons à rire; deux généraux et un amiral viennent d'être relevés de leur fonction par le gouvernement. Ces trois mousquetaires ont illico saisi leurs juges administratifs. Ceux de la justice militaire. C'est leur droit. Là n'est pas le souci. C'est qu'on a scrupule à parler d'une cour de justice. On a affaire à une "juridiction administrative militaire", c'est-à-dire un "Conseil d'Etat militaire" en bonne et due forme. La Turquie, un État de droit exemplaire.


Quelques mois auparavant, le gouvernement avait refusé de signer les décrets de promotion de ces trois officiers; c'est qu'il ne voyait aucune raison de les "hisser". Et c'était le pouvoir civil, il faisait ce qu'il voulait. Il voulut même les expédier en retraite mais l'état-major fit de la résistance. Ces trois braves obtinrent néanmoins la promotion grâce au Conseil d'Etat militaire. On les appelle "les galonnés du Conseil d'Etat" depuis. Évidemment, à notre époque, obtenir des promotions n'est plus lié aux prouesses sur le terrain; c'est qu'il n'y a plus de "grande" guerre. Ça se fait donc par l'ancienneté. Réglé comme du papier à musique. En France, aussi. Qui avait déjà aperçu le général Georgelin sur un champ de bataille...


Et l'armée turque est comme "une armée mexicaine", beaucoup d'officiers et surtout trop de généraux qu'il faut évidemment caser. Plus de 300 généraux et amiraux pour une armée de 730 000 soldats. Ça s'appelle la deuxième plus grande armée de l'OTAN... Et si la justice se met à "créer" des généraux, on ne s'en sort plus. Ordre et discipline, mâchâllâh...


Qui sont donc ces ronchonneurs ? Des militaires exceptionnels ? Par ici, s'il vous plaît. Le général de division Halil Helvacioglu, le général de division Gürbüz Kaya et le contre-amiral Abdullah Gavremoglu. Ils sont soupçonnés de tentative de coup d'Etat. Le fameux "Balyoz". En réalité 22 officiers sont en cause mais seuls ces trois-là ont été relevés de leur fonction parce-que l'état-major a spécialement voulu les promouvoir. Non avait dit Erdogan, retraite plutôt. "Va te faire voir" avait répondu le Conseil d'Etat militaire. Eh bien si c'est comme ça, suspendu.

Le général Kaya est la "star" : non seulement accusé de tentative de putsch mais un incapable notoire par-dessus le marché. Dans un raid du PKK qui avait causé la mort de 11 soldats, le général avait avoué avoir pris les guérilleros pour des pâtres ! Il s'en était excusé auprès de ses supérieurs. Le raid d'Aktütün où 18 soldats sont tombés, encore lui. Raid de Hantepe et 7 morts, toujours lui. On se rappelle enfin l'explosion d'une mine à Cukurca (Hakkari) et 6 nouvelles âmes expédiées au paradis : les soldats avaient tout bonnement marché sur une mine qu'ils avaient eux-mêmes posée; l'état-major avait mécaniquement fustigé le PKK. Le général de la brigade de Hakkari, Zeki Es, avait alors appelé notre Gürbüz Kaya pour lui avouer que ce n'était pas le PKK qui avait posé cette mine mais sa propre brigade. Un cas de conscience, cela s'appelait. Mais notre Kaya avait été imperturbable, la conversation téléphonique diffusée sur internet avait glacé toute la Turquie : "ce n'est rien, il n'y a pas à se torturer. Nous faisons ce que nous pouvons. Il est probable qu'il y ait des erreurs mineures de commises". Et quand on pense que l'état-major a ferraillé dur pour le promouvoir... Dit en passant : le général Es a été arrêté trois semaines auparavant...

L'opposition politique était sur le mode du déjà-vu. Le CHP fut classique. Et c'est le plus postillonnant qui monta au créneau, Kemal Anadol : "un coup d'Etat civil", a-t-il fièrement lâché. On l'avait déjà croisé, ce déséquilibré. Dommage que Kemal Kiliçdaroglu qui a dépoussiéré le parti, ait oublié de liquider un des plus grands fascistes de Turquie... Au MHP, parti nationaliste, même timbre. Le gourou en personne, Devlet Bahçeli, a chipé le micro : "c'est une mesure qui vise à casser le moral de l'armée et sa discipline de travail ! Oyez oyez, l'unité nationale est en danger !". C'est bien. Le Sieur Bahçeli, connu pour sa courtoisie dans la vie privée et sa goujaterie dans la vie publique, n'a pas démérité : "à ceux qui enquiquinent l'armée, on va administrer une taloche". Très bien. Le feu président Özal avait eu la témérité de virer le chef d'état-major de l'armée de terre qui s'apprêtait à devenir chef d'état-major en l'annonçant directement dans une conférence de presse. Et malheureusement, sa témérité est restée en suspens jusqu'à aujourd'hui...

On apprend à l'occasion que le ministère de la défense dont personne n'a encore compris le motif d'existence sert à quelque chose. Pas le ministre non, le ministère. Le ministre est, lui, trop "influencé" par l'état-major. Trop timide. D'ailleurs, le gouvernement s'apprêterait à révolutionner l'organisation de la défense nationale; l'état-major qui a son propre bâtiment serait transporté au ministère de la défense. A la manière du Pentagon. Ou plus exactement à la Louis XIV, pour mieux surveiller les putschistes. Adieu au "genelkurmay başkanlığı", "présidence de l'état-major". Atatürk doit se retourner...


Le trio va semble-t-il être disqualifié. Erdogan est têtu, comme on le sait. A mon goût, il faut également mettre à la porte le ministre de la défense. Un véritable soliveau. Le ministre de l'intérieur qui a suspendu le général de gendarmerie l'a résumé on ne peut mieux : "quand je relève de leur fonction des policiers, la Sûreté nationale ne publie pas en catastrophe une déclaration" ! C'est que l'état-major a immédiatement pondu une déclaration donnant sa version sur ses trois "pachas"; et sait-on ce qu'en pense notre ministre de la défense, "la déclaration de l'état-major était excellente"... Une tête de plus, Monsieur le Premier ministre !

lundi 22 novembre 2010

"La chair plaidant son ordure"...

Ils sont tous pareils, en réalité, les hommes. Les "seigneurs" n'échappent en rien à la typologie. Qui dit aristocrate dit, pourtant, bienséant. Mais c'est un homme, au fond. Et personne ne peut me convaincre qu'un sieur puisse être autre chose qu'un prédateur. Car le mot siffle, sent, fouette, dévêt : mâle. Prononcez-le, il croque. "Ça va ?", "une amie un peu olé olé m'avait soufflé ces mots, je les ressors !"...

La science nous l'a démontré : un homme est un étalon. Même le Monsieur du coin, qui semble si raffiné, si loin de cette allure bestiale, est un coureur. Le désir sexuel, comme on le sait, perturbe le cerveau d'un homme. L'excitation le transforme; même le plus "anémique" ou le plus "bon chic bon genre" devient pour quelques secondes, un mâle. On se rappelle le prince Charles et ses "sérénades" à sa Camilla si fraîche et si affriolante : il voulait "live inside your trousers ... as a tampon". Si si. Il s'était excusé, d'ailleurs; il s'était égaré... Une âme bien née, ça s'appelle.

Et un mâle trompe à qui mieux mieux. Dans sa tête, souvent. Car l'imagination est ce divin bordel qui permet de s'en tirer sans répondre de ses incartades. D'autres passent à l'acte. Une seule, toute une vie ? "Ça serait faire injustice à Gonade !" m'avait dit un ami. Je rougissais, moi. "Bah j'sais pas moi, on dit que c'est odieux de tromper sa moitié, non ?", "pipeau ! Une femme se conjugue toujours au pluriel !". Ouah ! Quelle intelligence ! Quel aphorisme ! Amin Maalouf l'écrivait un peu mieux, lui : "une épouse sage cherche à être la première des femmes de son mari, car il est illusoire de vouloir être la seule" (Léon l'Africain).

Et quand je pense qu'on fantasme encore aujourd'hui sur le harem des sultans arabo-musulmans. Brunes, blondes, rousses. A volonté. Cocagne ! Et même des hommes; on s'en souvient, un prince saoudien avait tué son "esclave sexuel-petit ami" en plein Londres. Prince, arabe, homosexualité, odalisques.

En Occident, je l'ai toujours dit, on retrouve les mêmes pathologies universelles mais ça pue moins. Les cours regorgent de reines cocues. Le roi Charles XVI Gustave est le dernier à être pris la main dans le tamp... euh sac. Avec la tête figée qu'il a, on aurait dit un "bon père de famille" sans histoire, sans désir extraordinaire.



Et c'est un Suédois; les Suédois étant toujours parfaits, on est bien choqués. On a presque pitié pour lui. Car ses frasques à la Berlusconi doivent, évidemment, gêner sa femme et ses enfants. Sa fille vient de se marier, par-dessus le marché. Et Sa Majesté la Reine Silvia ferait la gueule, à ce qu'il paraît. "Moi franchement, je me suicide si j'entends que le prince Felipe a trompé Letizia !", "le couple le plus assorti, c'est vrai, ça serait dommage !".



On avait déjà croisé le roi des Belges en pleine tourmente. Un autre Albert, celui de Monaco, avait également eu un fils avec une Togolaise. Les rois français n'en parlons pas; ils avaient tout bonnement un harem rempli de maîtresses officielles. Comme le sultan ottoman. La protection juridique en moins.... Le despote de l'Est était donc un brin plus civilisé...

Ah ça jase chez les aristo. Les fiançailles du prince William, maintenant. Et on s'est demandé si la future reine était bien vierge. On se croirait en Arabie. Évidemment, concernant une jeune femme de 28 ans, c'est absurde d'attendre une réponse positive à cette question. Rupert Finch l'aurait déjà déniaisée. Ah l'hymen des femmes !, une préoccupation en Occident et en Orient...
Après tout, on parle du futur Roi du Royaume-Uni, du Canada et de l'Australie, entre autres. Et c'est William. On sait que son frère est plus terre-à-terre; il est connu pour sa tranquillité et son "naturalisme". William est beaucoup plus somptueux. C'est l'image qu'on avait de lui, en tout cas. Jusqu'à ce que les paparazzi immortalisassent une des scènes les plus intimes du prince; il lansquinait. Ca n'enlevait rien à son prestige, évidemment. "Au contraire" m'avait soufflé un ami gay... "ay sus ayol !"

C'est ainsi; l'amour, c'est un frétillement de quelques semaines. Ensuite, vitesse de croisière. Même lit, même tronche, même odeur. Burak Hakki, le "Kenan" de Dudaktan kalbe, vient de le dire : "l'amour est une maladie passagère; le couple ne survit qu'avec l'estime et l'habitude; l'amour, ça s'éteint toujours". Ouah le philosophe ! Dit en passant, on apprend que Kivanç Tatlitug et Kenan Imirzalioglu sont ses amis. "Arrête je suis en transe !", "nan j'arrête pas, d'ailleurs, on aurait croisé un de ces jours Kivanç dans un bar homosexuel...". Effondrement. "Oh oh !"... Nan, allez, il rejette ces insinuations. Qui d'ailleurs, l'accepte ?

En tout cas, les Turcs préfèrent le ténébreux Kenan. C'est ici. C'est que les Blonds n'ont pas la cote en Turquie. On les raille, presque. "Sarı". Le brun est un mâle, un homme, un Turc. Quoique Kivanç a su montrer dans son dernier rôle qu'il pouvait tenir une arme et jouer le mâle méchant. Mais il avait les cheveux ras, histoire de le brunir. Car un blond qui fronce les sourcils, c'est toujours risible. Ca ne colle pas.

Mais on a un nouveau Kivanç, chères amies ! Blondinet. Il joue avec Beren Saat. Engin Öztürk, un des violeurs de Fatmagül, précisément.


Un jour, une fille le lui a gentiment quémandé : "viole-moi !"; schocking, évidemment. Un traumatisme pour le gars. Même Beren Saat en est déprimée. Tout le monde veut la violer maintenant. Éreintée, elle est. Les obscénités fusent à chaque fois qu'elle passe à côté d'un groupe de mâles : "et nous alors ?", "tu peux nous dépanner ?", "fallait pas remuer ta queue !", etc. La pauvre. Mais elle doit continuer; c'est qu'elle empoche 20 000 euros pour chaque épisode...

Ça serait ainsi. L'homme aurait une nature polygynique. "Et ça épice la vie d'un couple, hein ?", "astagfiroullah !"... L'infidélité d'une femme semble toujours plus anormale, d'ailleurs. Il suffit de mettre les pieds au fin fond de l'anatolie, par exemple : l'homme peut manger à tous les râteliers; c'est le mâle. Il en a besoin. Le simple enlacement de la fille appelle, quant à lui, les résolutions les plus lugubres. Quelle mère n'a-t-elle pas absous les "prouesses" de son fils et fustigé les "saloperies" de sa fille ? Quelle épouse n'a-t-elle pas lutté pour arracher son mari aux chants de sirène d'une catin ? L'homme court, les femmes devant, sa femme derrière. "La mâlitude, mon cochon, la mâlitude !". Les Turcs le disent : "erkeğin elinin kiri"; "l'infidélité de l'homme, c'est comme la saleté de la main", sous-entendu, ça se nettoie... Les mères sont les plus ardentes défenseuses de cette expression, allez comprendre...

lundi 15 novembre 2010

Tourbillon chinois

On s'en souvient; Liu Xiaobo avait reçu le prix Nobel de la paix. Motif : il osait parler. Il affrontait la peur. Il défiait la "Chine légale". C'était un des rares types à pouvoir dire ses quatre vérités à un dirigeant chinois; d'autres, de grands hommes aussi, évidemment, préfèrent lécher la carpette. Car ils craignent que la "méga-puissance qui feint de s'ignorer" fronce les sourcils; des contrats en souffrance, des ronchonnements ici ou là, des entraves dans les enceintes internationales, quel pays sérieux pourrait s'aventurer ? C'est que la Chine est une bonne tapeuse...


On l'avait vu en France, le vénérable Hu Jintao. Avec le président Sarkozy. Ils exposèrent généreusement leurs râteliers. Nicolas Sarkozy n'avait pas caché son bonheur : "nous avons parlé de tout même des droits de l'Homme; j'te jure, wallâh !". La vice-ministre chinoise des affaires étrangères racla sa gorge, sur le coup : "Liu est un citoyen chinois condamné dans son pays, on ne voit pas en quoi cela concerne les relations franco-chinoises"...


On avait vu le ministre turc des affaires étrangères en Chine, aussi. Comme on le sait, les Turcs se désolidarisent des Ouïgours, contrat oblige. "Faux" avait éructé Davutoğlu. "J'en parle tout le temps, matin, midi, soir, nanik !". Et le ministère chinois des affaires étrangères avait confirmé Davutoğlu; un communiqué nous l'apprit : "nous remercions la Turquie pour son soutien permanent apporté contre les terroristes du Xinjiang"... Ah ouais ? Tiens donc, Rabia Kadir, une terroriste ! "Contrats, coco, contrats"...


Même l'empereur Obama doit faire les yeux doux à son créancier. C'est qu'ils ont de l'oseille, les Chinois. Et ils aiment prodiguer. On les avait croisés en Grèce, la dernière fois; quelques sous contre je ne sais quel produit financier du Trésor. Argent de poche à quelques potentats africains, aussi . "Ah ils sont malins !". Un sol de sympathie par-ci, un sol de gratitude par-là, qu'ils récoltent. Et ils sont toujours "pays émergent" soi-disant... Cerise sur le gâteau : Hu Jintao a été sacré "homme le plus influent du monde".


Il y a un véritable "foutage de gueule", en réalité. Une arrogance. Car quand on apprend que la Chine a critiqué les Etats-Unis au Conseil des droits de l'Homme, sur la liberté d'expression et l'accès à internet, on ne sait plus où mettre nos mains. Vraiment. Raclée au Japon, aussi. Comme on le sait, les deux pays se chamaillent sur la souveraineté de quelques îles. Mais c'est le Japon qui s'excuse en premier. Et le porte-parole du ministère des affaires étrangères arrive à déclarer le plus sérieusement du monde : "vous devez faire des efforts concrets pour créer une atmosphère favorable". "Vous devez faire"... Ou l'Inde, encore. Nos amis indiens voulaient absolument décrocher le rang de "partenaire stratégique" à Obama; "ok" dit ce dernier. Ils se serrèrent donc la main mais en regardant le Chinois qui les toisait du haut de son balcon; on l'entendait tousser...


"Elinde oynatmak" disent les Turcs. Le monde sous les doigts chinois. Nous nous sommes tous aplatis. Après tout, nos dirigeants sont des êtres humains. Et ils oeuvrent pour le bien de leurs peuples. Qui ne s'est-il pas rabiboché avec un type qu'il n'apprécie pas forcément lorsque son intérêt le commandait ? Hein ? Le petit employé avec son chef au bureau, un fils en mal d'argent avec son père, un homme en manque avec sa compagne, etc. etc. Et il s'avère que le monde entier a besoin du milliard chinois, de ses milliards. CQFD.


En réalité, deux Chinois se livrent bataille aujourd'hui. Liu Xiaobo et Hu Jintao. L'un nous a invités à Oslo, l'autre jure de nous "dresser" si on y dépose un doigt de pied. C'est comme ça. Le comité Nobel norvégien avait pu lancer un "oust !" à la Chine en sacrant Monsieur Liu. Et ce fut tout; les dirigeants des grands pays s'étaient presque excusés de devoir féliciter le lauréat... Le dalaï-lama, toujours "à portée de la main" pour faire la grosse voix, a encore rêvé : "les valeurs humaines ne doivent pas être sacrifiées au matérialisme". Trop spirituel, pour le coup. Autant dire une farce pour des communistes; ça ne fait rien, on s'en souviendra : en 2010, alors que tout le monde mettait son drapeau dans sa poche, une poignée d'audacieux ramassèrent le gant. On ne se bousculait pas et les capons se donnèrent tout de même le gant de passer pour vertueux. On rêva, on hallucina, on s'empourpra. Ainsi était le nouveau paradigme : caresser dans le sens du poil. Contrat oblige.

dimanche 7 novembre 2010

Gaguesque

Le pays est en crise, nous dit-on. Économiquement, financièrement, politiquement, socialement. Tout le monde rouspète comme il peut. On faisait grève encore hier. Des menaces terroristes planent sur notre pays. Les ministres ont déjà tout paqueté et attendent la marguerite en main. Bref, du gravissime à chaque coin de rue.

Le Sieur Copé, lui, s'amuse. On fait des blagues, maintenant, à l'assemblée nationale. Comme on le sait, c'est un cumulard. Futur président de la République, aussi. C'est comme ça. Il le veut. Il le sera. Entre-temps, il s'entraîne. Et quand Martin Hirsch a le cran de dénoncer des conflits d'intérêt, on le voit bondir. Député, maire, avocat, le père Copé. J'envie toujours les gens qui arrivent à éventrer le Temps. Et il maîtrise à merveille l'art de se montrer serein et taquin. Et il a des yeux bleus. Si si, je vote toujours pour un physique, je l'avoue. C'est grave, c'est pathologique mais c'est ainsi.


A l'assemblée donc, on s'éclate. Copé et sa troupe se sont amusés à asticoter Martin; le désormais président de l'Agence du service civique. Une coquette somme, ô chômeurs et RSAistes !, près de 9000 euros par mois. En son temps, Christine en avait bavé pour essayer de justifier cette même somme. Elle menait une mission, on s'en souvient. Quelques députés ont introduit un amendement pour diminuer le salaire de Hirsch. Mais ils l'avouent eux-mêmes, c'était juste pour tuer le temps. Même un homme sérieux comme Bernard Debré a disjoncté. Et le fils Giscard d'Estaing aussi s'est prêté à l'exercice, du haut de son château : "ah oui alors, il gagne plus qu'un député ! Scandaleux !"...


Voilà donc ce que nous confit le président Copé : "C'est un amendement d'appel destiné à attirer l'attention du gouvernement". Une nouvelle méthode donc. Non non, c'est bien un député qui dit cela. "Un amendement d'appel". On a envie d'être surréaliste à l'occasion, de chiper une darbouka et de se jeter dans l'hémicycle pour enclencher une danse du ventre et participer à la foire... Je n'ose ouvrir le Dalloz; les professeurs de droit et surtout les thésards en mal de thématiques à traiter (histoire de remplir le CV) palabreront et palabreront. "De la valeur juridique de l'amendement d'appel" ou "de l'influence des amendements d'appel sur l'inflation législative", etc. "Ça ne serait pas pour être voté hein, on joue, d'accord !", "ouais ok, vas-y balance l'amendement !"...

Évidemment, lorsqu'on parle d'argent et d'autorité administrative, mes yeux se tournent vers Mme Bougrab. Elle aurait voulu augmenter l'indemnité de misère qu'elle reçoit en tant que présidente de la Halde. 6000 euros. Elle avait des arguments, aussi : "Moi, parce que je suis une femme, parce que je suis jeune, cela paraît presque indécent que je sois payée". Présidente de la Halde qui dit cela. Oui celle-là même qui avait eu la malchance de vouloir établir une hiérarchie entre la laïcité et la liberté de religion. Tu sais l'affaire de la femme voilée qui travaillait dans une crèche (association type 1901). Son licenciement est une discrimination, avait tranché la Halde au temps de Schweitzer. Eh bien non ! avait crié la nouvelle présidente. Il faut la virer car elle est voilée... euh parce-que la crèche menait une mission de service public; elle devait donc être neutre comme une fonctionnaire. Et elle vient du Conseil d'Etat. Une comédie.


Évidemment quand l'exemple vient d'en-haut, la masse passe à l'acte : une enseignante en retraite avait tout bonnement déchiré le voile d'une touriste émiratie. Elle vient d'être condamnée à un mois de prison avec sursis et 200 euros d'amende. Et c'est tout. Une agression anti-musulmane assumée, résultat : sursis et des centimes. Elle n'avait pas eu honte, cette ex-enseignante : l'agression n'était pour elle qu'un "droit à la dispute". Dans un pays où montrer du doigt un juif est un scandale national (heureusement), infliger des baffes à une musulmane n'émeut personne...

Le président s'amuse, dans son coin. Il pousse Fillon, loue Baroin, caresse Borloo. Et nous, nous sommes là; on regarde, on essaie de suivre. D'ailleurs, on s'en fout, passez l'expression, car c'est son gouvernement. Puisqu'on a élu un Président et un programme, le reste ne devrait pas nous intéresser. C'est une affaire de calculs politiques, de chapelles qui nous dépassent, simples citoyens. Tiens, allez, réponds en cinq secondes, comment s'appelle le secrétaire d'Etat aux anciens combattants ? et le Premier ministre précédent ? et le pénultième ? qui est Benoist Apparu ? Nora Berra ? et Bockel où il était déjà ? et Marleix ? "ça va, ça va".

La vérité est que les noms, peu nous en chaut. Puisque le programme est le même. Le reste n'est que pure politique politicienne. Fillon aurait l'étoffe d'un homme d'Etat. Borloo serait trop décontracté, trop normal, trop ordinaire. A chaque fois que Monsieur le Premier ministre parle, j'ai l'impression d'écouter une machine. Pas d'accent, pas de "euh...", pas de mimiques. Il avait inauguré son mandat par ce retentissant "je suis à la tête d'un État en faillite". Aujourd'hui, c'est toujours le même refrain, "redressement", "politique réformiste". Aux Etats-Unis, c'est devenu une expression : "on fait campagne en poésie mais on gouverne en prose". Fillon et poésie, euh... A-t-il un verbe à transporter les foules ? "Étoffe d'un homme d'Etat", pourtant. Ou alors de Gaulle et Mitterrand n'étaient que des avortons...

Non, on rigole, c'est vrai. Qu'avait-il dit d'ailleurs Hirsch à ses détracteurs : "Ils essaient de frapper à l'argent parce qu'ils sont gouvernés par l'argent". Ah ça plombe, hein ? Tout le monde est gouverné par l'argent, cela dit. On respire, on dépense : la famille, les loisirs, le luxe. Des pépètes. D'ailleurs, nos élus viennent de mettre fin à leur régime de retraite d'exception pour montrer qu'ils ne pensaient pas qu'au blé. On les croit. Mais on les envie toujours, c'est bizarre, non ? Et on n'arrive pas à les croire, j'ai changé d'avis. Évidemment quand le député Copé, président du groupe UMP, avocat, maire, cousu d'or qu'il est, s'en prend à un autre renté qui a osé toucher à sa bourse, il ne faut pas s'étonner que le menu citoyen assume de son côté un certain poujadisme... "Le nerf de la guerre", quelle sublime expression...

dimanche 31 octobre 2010

Sexologique

Je me demande parfois ce que doit bien ressentir Sa Sainteté Benoît XVI lorsque Berlusconi lui baise la main. Deux hommes de droite, pourtant. L'un est conservateur, l'autre est "réactionnaire", fonction oblige. Mais c'est que l'un est un "dépravé" notoire, et l'autre, pardon, le Saint-Père, est à la tête d'une Église qui compte pas mal de types qui, comme le dirait Prosper Mérimée, ne hantent "les églises que pour y chercher des occasions de péché". C'est à pouffer. Il doit être immunisé, l'évêque de Rome, cela dit. Mithridatisé. C'est qu'au fil du temps, il a lui-même compris que ceux qui s'empressent d'emboucher sa main souillent plus qu'ils honorent l'anneau papal...


On s'en souvient. Notre Président avait dû se rendre seul au Vatican. Car le Pape ne voulait pas d'une femme qui passe pour dévergondée. C'était une manière, en réalité, de s'aligner sur ce qu'avait écrit le journal iranien Kayhan. Mais là, ça ne choque pas. Personne n'a pensé à hausser le ton, évidemment. Car c'est le Souverain Pontife qui le dit. En son temps, les officiels saoudiens avaient également opposé un veto à son arrivée au royaume. C'est qu'elle n'était alors que la "maîtresse" du Président. Dommage d'ailleurs, on aurait eu l'occasion de voir la First Lady saoudienne, peut-être...


Berlusconi, donc. On sait que la bouche du sexagénaire sécrète un filet de bave lorsqu'il voit une chèvre coiffée. D'ailleurs, il vient de le reconnaître : "j'aime la vie, j'aime les femmes". C'est un homme, nom de Dieu. Il désire. Même à 74 ans. Faire des galipettes à cet âge-là n'est pas aisé, à coup sûr. Lui, il exulte. Et le leader du parti démocrate, un homme de gauche, demande sa démission alors qu'il devrait l'envier. "Pourquoi ?", "Parce-que ça serait indigne ce qu'il fait", "au XXIè siècle ?"... Je ne sais pourquoi mais lorsque les termes gauche et morale ont l'occasion de se frôler, j'ai envie d'éclater de rire. C'est bête; c'est injuste. Mais c'est comme ça.


Berlusconi, un pédophile de plus. Ou éphébophile pour être précis. Sa minette avait 17 ans, cette fois-ci. Évidemment au XXIè siècle, coucher avec un "mineur-majeur sexuel" consentant n'est pas répréhensible, Dieu merci. Car comme on le sait, nos hauts fonctionnaires ont pris soin, un de ces jours, de distinguer majorité civile et majorité sexuelle. Et comme on s'y attendait, c'est la seconde qui s'atteint le plus vite; en France, pour voir la feuille à l'envers, il faut avoir 15 ans et pour voter 18 ans. Pourquoi ? Personne ne le comprend. Dans les religions, c'est simple : le jour où des cartes de géographie ornent les draps, on est majeur dans tous les sens du terme. Car quand on se confronte à un liquide qui vient de soi à l'impromptu, on grandit. La panique, les cachotteries entraînent attention, délicatesse, vigilance et finalement conscience. La fertilité rend mature. C'est "l'irruption de l'esprit", pour reprendre un concept cioranien.


A 15 ans donc, on peut mettre en pratique ce qu'on apprend dans les cours de biologie. Les films pornographiques restent cependant interdits aux moins de 18 ans et les films érotiques aux moins de 16 ans. Incohérent, non ? Le boutonneux de 15 ans peut avoir goûté à toutes les expériences sexuelles qu'impose l'air du temps, il n'aura pas le droit de regarder un "simple" film érotique. Larry Clark, par exemple, expose ses photographies relatives justement aux "dérives de l'adolescence" mais la ville de Paris interdit l'accès aux mineurs. Car le code pénal veille. Le problème n'est pas l'interdiction; c'est ce dont on doit entendre par la minorité.


A une époque où l'âge de "la première fois" baisse, il faut un changement de paradigme, évidemment. Rien de nouveau. Les pétitions des années 70 sont connues. Un mineur est civilement responsable à 13 ans; une mineure peut obtenir la pilule à 13 ans. Où est la logique ? Pourquoi ne peuvent-ils pas s'enlacer et "plus si affinités" ? Ce n'est pas moi qui le dis, non, c'était Aragon, Barthes, Beauvoir, Deleuze, Glucksmann, Kouchner, Lang, Sartre ou Sollers entre autres...


En réalité, le fond du problème est clair : l'Etat fixe une norme de pudeur. Pas de sexe avant 15 ans. Pourquoi ? Parce-que. Voilà où nous en sommes. Ce qui relève de la morale a un appui législatif. C'est cela qui est illégitime. L'argument qui est souvent invoqué est tout sauf pertinent : le mineur de moins de 15 ans ne saurait discerner ce qui est convenable et ce qui est redoutable pour sa vie. Il faut le protéger des prédateurs; au besoin, malgré lui. Or, personne ne peut me convaincre qu'un pubère à qui on apprend des sujets aussi graves dans les programmes scolaires est intellectuellement immature. On comprend donc qu'il s'agit tout bonnement d'une lubie de l'Etat de définir la moralité. Or, les enfants sont sous la verge de leurs parents, pas de l'Etat. La sexualité des citoyens n'est pas une affaire de l'Etat et la Nature humaine n'a sûrement pas à être rajustée par lui...

dimanche 17 octobre 2010

Eristique

Rougir. Cramoisir même. L'on devrait. Etre écoeuré; foudroyé. On tressait des couronnes au CHP parce-qu'il avait adopté une nouvelle rhétorique. Il l'avait juré, il n'allait plus s'en prendre aux voilées. Dans les yeux. La démocratie turque allait enfin se normaliser. On allait enfin mettre fin à la plus vile violation d'un droit humain. Celle qui semblait, pour certains écervelés, légitime, justifiée, existentielle. Le voile allait être respecté car le CHP parlait de liberté religieuse. On allait cesser de les brimer, de les prendre pour des réactionnaires. Les conservateurs en tête du cortège, tout le monde galochait; l'euphorie généralisée noyait les frêles contestations des fascistes. Respect et voile, deux mots auxquels on permettait désormais de s'approcher. "On a l'impression que tu nous contes en direct la libération de Mandela, calme calme, c'est si important ?", "oui, hiç sorma, on allait étreindre la vraie laïcité !"...


Et paff ! On a vite déchanté. Car quand on chasse le naturel, il revient au galop. Déception totale. Encore une fois... "Comment ont-ils renié cette fois-ci ?". C'est que le Président de la République, le mari de la voilée comme on sait, a invité la classe politique à la réception du 29 octobre, date anniversaire de la proclamation de la République en 1923. Le nouveau CHP refuse d'y mettre les pieds. L'ancien CHP, celui de Baykal, protestait aussi car Madame le Président était voilée. Les militaires aussi, boudaient. Du coup, le Président, très conciliant à mon goût, avait organisé deux réceptions : le matin sans les épouses pour les hauts fonctionnaires et le soir avec les épouses pour la société civile. Le Président des Deux Turquie... Ainsi les fonctionnaires du ministère des affaires étrangères venaient le matin mais les diplomates étrangers n'étaient là que le soir... La laïcité tenait ferme...


Eh bien voilà que l'islamiste Gül a décidé, cette année, de faire le service minimum; désormais, un seul banquet. Avec épouses. Et le Président a envoyé des cartes "tronqués". Il aurait omis de qualifier le régime qu'il est censé présider; un signe, évidemment. "Président de la Turquie", il aurait fait sciemment écrire. Et non "Président de la République de Turquie". Car c'est un chariatiste, il déteste la République, surtout la sienne, celle de Mustafa Kemal. Il le prouve tous les jours : sa femme est une voilée rémanente, ses filles et brus également; et il ne boit pas d'alcool dans le palais de Mustafa Kemal (oh la la !). Heureusement que la Présidence a rappelé que les anciens Présidents Demirel et Sezer utilisaient aussi cette même expression...




Qui sait que le Président de la Turquie ne vit pas au Palais présidentiel mais à la résidence du ministère des affaires étrangères ? Qui s'intéresse à cette femme qui se fait en permanence humilier ? Cette femme pue. Elle pue au nom de la République. Les militaires se détournent d'elle, l'opposition la prend pour une sorcière.


Le porte-parole du CHP qui a annoncé ce boycottage au nom, évidemment, des valeurs de la République, demande, en réalité, qu'on en revienne au système de la double réception; il veut une restauration de l'apartheid, en somme. On a honte de ces gens, de leur turcité, de leur humanité. Et il n'en démord pas, le Sieur : "ces temps-ci, nous sommes restés silencieux sur la question du voile; c'était pour voir jusqu'où l'AKP allait s'aventurer, eh bien, on vient de le voir, ils veulent en réalité une liberté pour le voile partout, dans le primaire, le secondaire, l'administration ! On les a eus !".


Dans ma pige, je m'interrogeais, "métamorphose ou tactique ?"; j'ai eu ma réponse, je crois. Il est content d'avoir préparé un guet-apens pour voir à peu près jusqu'où l'AKP voulait promouvoir les droits de l'Homme. C'est un cerveau... Le "leader" du CHP, lui, jure ne pas être au courant de cette décision. "Nous n'avons encore rien décidé, le porte-parole a donc exprimé une opinion personnelle". L'excuse est encore plus misérable; le président ne préside rien. Et comme s'il y avait quelque chose à décider. "Oui nous allons y aller, fort heureusement, nous sommes le parti de Mustafa Kemal, nous avons fondé la République, nous serons honorés de fêter cela". Voilà ce qu'on aurait voulu entendre. Nerdeee...


Soi-disant, ils défendent la laïcité. C'est faux, évidemment. La laïcité n'a rien à voir avec cette pathologie. Ils brandissent la laïcité non pas pour elle-même en réalité, mais en réaction à la religion. Car ceux qui "adorent" la laïcité n'ont jamais ouvert la bouche pour les droits des orthodoxes, par exemple. Au contraire, ils aboient à chaque fois que le gouvernement essaie de leur "restituer" leurs droits. Enrobée dans le nationalisme le plus affreux, la laïcité s'apparente alors à du fascisme. "Il faut les interner, hein, dis-le !". Ils ont hypothéqué l'avenir des gens, leur sourire, leur insouciance, leur normalité. Quoi de plus psychopathologique ?


Les "écrasés" contre les "psychopathes". Voilà, en réalité, la cartographie politique actuelle. Des psychopathes en sont toujours à seigneuriser leurs plastrons. Des souffre-douleur, ce que la République turque a engendré de mieux. Une tragédie. Et nous, nous parlons d'argumentation, de droits. C'est une éristique. Ils discutent pour le plaisir de créer des controverses.


Et quelle serait l'explication rationnelle d'interdire le voile dans l'administration ? Dans un pays où 70 % des femmes portent tant bien que mal un foulard, comment peut-on leur défendre l'accès aux emplois publics ? On se souvient de la professeur d'histoire en France. Celle qui enseignait "trop" la Shoah; "surinvestissement dans l'enseignement de la Shoah"; "approche trop mémorielle". L'enseignante juive n'avait pas besoin de porter une étoile de David pour "influencer" ses élèves; Madame faisait cours, les larmes aux yeux. Non ce n'était pas la conférence d'une rescapée, mais un cours d'histoire. Les juifs ont immédiatement protesté. Même s'ils sont pour la neutralité du service public. Le CRIF était évidemment "en action".


Cela montre bien qu'on n'a pas besoin de porter un signe religieux pour perdre son impartialité. La neutralité du service public concerne la prestation, non l'agent. La magistrate voilée va juger en fonction du droit et non de son codex religieux (la garantie étant la voie de recours), l'enseignant va donner des leçons en fonction d'un programme et non raconter sa mémoire familiale (la garantie étant la suspension), un agent de la CPAM va remplir le dossier de CMU en fonction des critères fixés par décret et non en fonction des orientations sociales de sa religion, idem pour la dame du conseil général qui va étudier le dossier de RSA. Et dans le domaine médical, ce n'est pas d'aujourd'hui que date l'existence des clauses de conscience.


La théorie de l'apparence n'a aucune pertinence puisque comme son nom l'indique, il s'agit d'une simple apparence. Et j'ai la faiblesse de penser que la liberté de religion des uns est beaucoup plus importante que la crainte hypothétique des autres. "C'est trop théorique tout ça ! Il y a des pressions dans la pratique !". Sans doute. Un père qui force sa fille à porter le voile n'est pas un cas singulier, oui. Un fiancé qui presse sa dulcinée à s'enturbanner, non plus. Mais la réponse ne peut être que : la fille doit faire preuve de personnalité. Elle doit porter plainte. "Contre son père ?". Oui. Car l'Etat n'est pas là pour lui tenir la main, ad vitam aeternam.


L'autonomie des personnes dépend d'elles-mêmes, pas de la caution étatique. Une société libérale ne saurait voir le jour sans qu'il y ait des déchirures intra-familiales. Si on s'adosse sur la "garantie préventive" de l'Etat, on n'éradiquerait jamais le paternalisme. Une vie de tension permanente entre les exigences rétrogrades du père et les exigences libératrices de l'Etat. Cette présence étatique ne fait que pousser à la passivité. Or, si les filles se libèrent elles-mêmes de la "contrainte morale" du père ou du frère, là on pourrait espérer un processus irréversible, à cliquet. L'Etat ne sera là que pour sanctionner ceux qui enfreignent la liberté individuelle, pas pour "geler" la tension. S'il doit y avoir émancipation, elle doit résulter d'une dynamique interne. D'une explosion interne. Des larmes et des drames. Les petites pierres qui pavent le chemin de la liberté...