jeudi 27 avril 2017

Minorité silencieuse...

140 000 enfants de la patrie ont été radiés de la fonction publique, 40 000 ont été jetés aux fers et 10 000 ont été suspendus. Disons, pour faire simple, dans un pays du Moyen-Orient. Cette région du monde choyée par le Très Miséricordieux et honorée de la naissance du Très Honnête. Et, cependant, terre des cimetières bossus, des injustices criardes et des tempéraments brutaux...

Chaque jour ressemble, dans ce pays, à une page d'ogrerie, on éreinte par-ci, on enquiquine par-là. Un ogre a été établi sur un piédestal et la plus grande aspiration de ses disciples est d'en devenir des marche-pieds. Les autres ont le choix entre lécher la carpette ou marcher à quatre pattes. La justice, vassalisée, expédie tout ce qu'elle peut, la presse, étranglée, cèle tout ce qu'elle peut.

Les "citoyens", eux, ravis de ce "coup d'Etat permanent", donnent des leçons de majesté et de libertés aux Croisés de l'Occident. La contre-révolution ayant triomphé, les Anatoliens pauvres d'esprit et riches de fiel ont chipé le knout et assouvissent avec délice une rancune qu'ils n'arrivaient plus à ravaler. Car, faut-il le rappeler, pour la première fois de leur histoire millénaire, les masses ont pris le pouvoir...

De drôles de gus qui sont comme tombés du ciel alors qu'en réalité, ils germaient au fin fond de la brousse. De ceux qui ne trouvent plaisir à la vie que dans la démonstration de force et l'étalage de leur vulgarité. De ceux qui évitent la mosquée et le Coran mais sont prêts au martyre. De ceux qui sont de zélés nationalistes mais profitent de la vie à l'étranger. Bref, de ceux qui se contentent d'assouvir leurs besoins primaires mais veulent absolument avoir une cause à défendre...

La mère au foyer bigle les émissions de mariage décérébrantes et se prépare à aller au pèlerinage comme si de rien n'était. L'imam prépare soigneusement le sermon du vendredi et fait l'impasse sur les cris de douleur et les foyers d'incendie qui ravagent le pays. L'intellectuel élabore de formidables principes mais refuse de croire aux drames qui secouent des millions d'existences. On abolit la réalité et on vit tellement mieux...

Un référendum a été organisé. Celui qui a posé la question l'a lui-même transformé en plébiscite. On aurait pu s'attendre alors à un sursaut de la conscience. La capitale de la République, Ankara, a dit "non", la capitale de l'Empire, Istanbul, a dit "non", la ville où habite le chef, Üsküdar, a dit "non", la ville où il a proclamé sa victoire, Sarıyer, a dit "non", la ville où il est allé prier le lendemain, Eyüp, a dit "non". Mais les masses ont béni les injustices...

La majorité peut-elle s'égarer à ce point ? Oui, dit la science politique. Bah bonjour, dit le Livre sacré. "Comment l'erreur se propage-t-elle et s'accrédite-t-elle ? Ce mystère s'accomplit sous nos yeux sans que nous nous en apercevions", affirmait Balzac. Un mystère. Passons les principes démocratiques, peu leur en chaut, mais où est passée la morale islamique, cette petite voix qui vient de l'au-delà et qui tonne tel le père Paneloux, "Mes frères, l'instant est venu. Il faut tout croire ou tout nier. Et qui donc, parmi vous, oserait tout nier ?"...

C'est connu, un pays ne sort du Moyen-Orient que dès lors qu'il commence à compter non pas sur les bouffées délirantes de la majorité enfiévrée mais sur la sagacité de la minorité silencieuse. Car le tout, c'est qu'au final, la Terreur soit abolie par les victimes et non leurs bourreaux. Et que l'une d'entre elles sorte du lot et lance à la figure de ces derniers, comme l'avait jadis fait Jean-Joseph Dusaulx, "Abjurons les fâcheux souvenirs. Loin de nous toutes ces sortes de ressentiments, nous les avons laissés au fond de nos cachots"...