dimanche 23 janvier 2011

"Après mûre réflexion, et non sous le coup de l'émotion..."

Les esprits simples ont cette formidable chance de ne pas se soucier de la nuance. Stéphane Hessel a voulu faire du prosélytisme propalestinien, un juif a grondé, on a donc annulé; la République française a voulu rendre hommage à Louis-Ferdinand Céline, un autre juif a froncé les sourcils, on a donc annulé; Leïla Chahid a voulu causer sur Jean Genet, l'administration a eu peur de cette Palestinienne, on a donc annulé. Avec ces prémisses, l'esprit simple tricote et tricote et "après mûre réflexion, et non sous le coup de l'émotion", il en conclut que les juifs contrôlent le pays. Qu'ils ont, en tout cas, l'oreille des hautes instances. Et l'esprit simple en sort indigné, en même temps qu'épaté : pourquoi une telle sollicitude à leur égard ! Finkielkraut l'a compris, lui, s'agissant de l'affaire Céline : "cela va accréditer l'idée que le "lobby juif" fait la pluie et le beau temps en France". Pour ma part, je n'en sais rien. Je ne suis pas un antisémite. Et je crois au hasard.


Le CRIF a beau crié sur tous les toits qu'il était lui-même à la manoeuvre pour amplifier l'agitation dans l'affaire Hessel, moi, je ne crois pas que la direction de l'ENS ait été influencée par lui. Non non, c'est un hasard. D'ailleurs, Raphaël Enthoven, l'ancien beau-fils de BHL et l'ex de Carla Bruni pour ceux qui ne connaîtraient pas cet illustre philosophe, dit vrai : "quand il s'agit des juifs, on ne croit plus au hasard. Les coïncidences sont toujours des collusions". J'y crois, moi, monsieur. Vallahi ve billahi. Et quand Serge Klarsfeld ordonne la censure de Céline et que la République obtempère dans les quelques heures qui suivent, je crois toujours au hasard. Oui Monsieur ! Le ministre de la culture, Monsieur Mitterrand, a décidé tout seul, comme un grand. C'est le hasard. Et ce qu'il arrive à Leïla Chahid n'a rien à voir avec une quelconque pression du lobby juif; au plus, un malentendu. Un fonctionnaire de la mairie de Marseille s'est hasardé à ne pas comprendre les instructions de ses supérieurs. "Examinez les mesures de sécurité" s'est, sans doute, transformé dans sa tête en "annulez la rencontre pour cause de sécurité". Encore le hasard, donc.


Non, c'est qu'il faut être sérieux. L'ENS l'a dit : question de sécurité. La mairie de Marseille, aussi : question de sécurité. On attend le motif du ministre; peut-être, question d'ordre public. La liberté d'expression n'est pas absolue, jeannot. On peut la restreindre. L'ENS et la mairie de Marseille n'ont pas les moyens d'assurer la sécurité de Monsieur Hessel et de Madame Chahid. Car ces deux personnalités sont menacées de mort par des organisations occultes, comme on le sait. Elles sont obligées de vivre cachées. Et on pousse le nonagénaire Hessel à changer de logement tous les deux jours; ah ouais, hein, ça rigole pas. Madame Chahid, elle, est certes ambassadrice, mais on ne sait pas comment faire pour la protéger. Car la France a beau proposer à la Tunisie le professionnalisme de ses forces de sécurité, elle est incapable de déployer ce professionnalisme en France. On ne sait pas, que veux-tu. C'est une question technique, rien d'autre. Que personne ne se mette à élaborer des théories de complot !


Voilà donc pour le discours officiel. Plus sérieusement, on parle de censure sous la pression du lobby pro-israélien. Ce qui, en soit, n'est pas absurde. Les lobbys existent et doivent exister. Ce sont les autorités qui ne doivent pas perdre la mesure dans l'appréciation. Dit en passant, Hessel, un juif, allait faire de l'anti-israélisme donc de l'antisémitisme. Chahid est une Palestinienne donc antisémite par essence. Céline, un antisémite notoire. Il faut donc interdire. Moi je préfère l'approche américaine. Interdire à quelqu'un d'exprimer une idée, une opinion, une bassesse, une bêtise, n'est pas une option, dans ma petite tête. Certes l'antisémitisme est une "passion" et non une "opinion" comme le disait Sartre, mais je pense qu'il doit également bénéficier de la liberté d'expression. On doit pouvoir dire à visage découvert qu'on n'apprécie pas forcément le juif, le musulman (affaire Redeker), le gay (affaire Vanneste), ou le Noir et l'Arabe (affaire Zemmour). Car celui qui a cette "passion" continue à l'avoir même si la société refuse de l'entendre ou le jette en prison pour l'avoir dit entre deux portes. Le meilleur moyen de traiter cette passion, c'est de la dégommer par l'argumentation contradictoire et non de laisser le type, dans son coin, la ruminer toute sa vie. C'est l'école américaine : tout peut être dit sauf l'injure, la diffamation ou l'incitation au crime. Et exprimer sa "pensée" est une chose, inciter à la haine ou à la discrimination, en est une autre. Nous avons cette manie de confondre les deux.


Tiens, par exemple, s'agissant des Assises internationales sur l'islamisation, la France avait décidé d'être sur le mode américain. A raison. Aucun directeur d'école, aucun ministre, aucun maire n'a, à ma connaissance, tenté d'interdire. Et ils ont eu raison; je suis un incorrigible "américain" : "La règle générale est que le citoyen dont la sensibilité est blessée par une expression politique (...), ou religieuse (...) voire raciste (...) n'a aucun droit à être protégé dans ses émotions (...); en matière de tort psychologique, c'est à lui de se protéger lui-même en n'y prêtant pas attention et en restant indifférent" (Elisabeth Zoller, "Les rapports entre les Églises et les États aux Etats-Unis : le modèle américain de pluralisme religieux égalitaire" in Laïcité, liberté de religion et Convention européenne des droits de l'homme, Gérard Gonzalez (dir.), p. 45).

Censure donc pour Hessel, Chahid et Céline. Il faut saluer Monsieur Redeker, ici. On ne l'entend plus mais lorsqu'il s'agissait de dire des choses sur les musulmans, il défendait vaillamment la liberté d'expression : "Les réactions suscitées par l’analyse de Benoît XVI sur l’islam et la violence s’inscrivent dans la tentative menée par cet islam d’étouffer ce que l’Occident a de plus précieux qui n’existe dans aucun pays musulman : la liberté de penser et de s’exprimer". Ah oui alors ! On l'avait remarqué... Monsieur Hessel n'est pas à sa première persécution. Ce grand Monsieur a été taxé de "provocation publique à la discrimination" ! Raison : défendre le mouvement boycott-désinvestissement-sanctions. Et aujourd'hui, Prasquier voit en lui un homme qui "a fait de la détestation d'Israël une véritable obsession". Quelle arrogance ! C'est la méthode classique : mobiliser de lourdes répliques pour pouvoir disqualifier son interlocuteur. Certains parlent de "justice", de "droit international", d'autres s'enlacent aux "détestation", "haine", "antisémite", "délégitimisation d'Israël". Des mots qui interrompent ipso facto le débat puisque l'interlocuteur est censé avoir peur d'être considéré comme antisémite, il va donc atténuer ses critiques voire s'excuser. Certains rêvent de détruire Israël comme d'autres rêvent de faire capoter le projet d'un État palestinien. Lieberman rêvait de bombarder Gaza. Un ancien premier ministre disait vouloir voir Gaza "sombrer dans la mer"...

Céline est un immense écrivain. Celui qui m'a "déniaisé" sur le plan du style littéraire. Et un antisémite entêté. Philippe Sollers l'a bien résumé : "il n'y a qu'à lui tirer dessus à boulets rouges, mais pas demander une censure au président de la République, enfin !" (le Sieur Klarsfeld ayant "menacé" de monter l'affaire à l'Elysée si le ministre de la culture n'obtempérait pas)... Que fait-on de Wagner, par exemple ? Un juif nous le dit : "Si les survivants de la Shoah refusent d'entendre une note de Wagner, je respecte ce refus absolument. Mais pourquoi ceux qui le haïssent devraient-ils l'interdire à ceux qui veulent l'entendre, et qui heureusement sont assez nombreux ?", "il avait professé un antisémitisme nauséabond mais, je regrette de devoir le rappeler, plutôt banal à l'époque", "lors du centenaire de la mort de Wagner en 1983, les principaux spectacles étaient dirigés par Solti, Levine et moi-même : tous juifs". Ainsi parlait Daniel Barenboim (Diapason, n° 577, février 2010, pp. 23-24; dit en passant, à ne pas manquer). Comme quoi l'antisémitisme ne disqualifie pas le talent et n'appelle pas automatiquement ostracisme...


Les gens ont le droit d'être propalestinien; le CRIF est pro-israélien, tant mieux pour lui. Organiser une rencontre qu'avec des "propalestiniens" n'a rien de choquant, en soi. Depuis quand, doit-on installer des "contradicteurs" dans toutes les réunions de France ? Comme s'il y avait des contradicteurs aux "Assises internationales sur l'islamisation"... C'est absurde comme réflexe. Raphaël Enthoven, dans l'espoir d'épauler les censeurs, déçoit, cette fois-ci : "Si censure il y a, elle est uniquement dans l'absence de contradiction à la tribune d'un "débat", dans l'absence d'altérité dans une "rencontre"". On aurait honte d'écrire un argument aussi boiteux; on sent bien qu'il est tiré par les cheveux. Comme s'il faut nommer, par décret du président de la République, pris en conseil des ministres s'il vous plaît, des "contradicteurs" à chaque rencontre-débat sur Israël. Monsieur Enthoven s'était-il ému de l'absence de contradicteurs aux Assises internationales sur l'islamisation ? S'il ne rugit que lorsque Israël est en cause, n'a-t-il pas honte ? Y a-t-il une hiérarchie dans l'indignation ?


Car on part de l'idée que ces "propalestiniens" vont sûrement répandre le venin anti-israélien et, corrélativement, antisémite. Il faudrait interdire la diffusion du journal Haaretz, tant qu'à faire. Un mandat d'arrêt contre Gideon Levy devrait être délivré. On rêve; la liberté de parole qui existe en Israël même est refusée en France !


Le véritable scandale se trouve ailleurs. Il se niche dans cette allusion subreptice du président du CRIF : "La résolution du Conseil de sécurité de novembre 1967, dans sa version anglaise de référence, autorise des modifications par rapport aux lignes de cessez-le-feu de 1948". Le vieil argument qu'on devrait avoir honte de sortir au XXIè siècle. "Dans sa version anglaise". Car comme on le sait, la résolution 242 de 1967 fait référence au retrait "from occupied territories" en anglais et "des territoires occupés" en français. Une subtilité pour les esprits malins. "From occupied territories" prend, pour eux, le sens "de territoires occupés", c'est-à-dire pas de tous les territoires occupés mais de certains... C'est avec des gens comme ça que le processus de paix fait semblant d'avancer. Car la sincérité n'y est pas. Le représentant des juifs de France le dit clairement. Et personne ne s'en indigne. Elle est là, la "délégitimisation de l'Etat palestinien". Un autre fléau qu'il faut combattre avec autant d'énergie que celui de la délégitimisation d'Israël. Quand le hasard se décidera à devenir équitable, un jour...

dimanche 16 janvier 2011

Men daqqa douqqa مَنْ دَقَّ دُقَّ


On l'avait croisé à Bodrum, le Raïs. En Turquie. L'été dernier. Avec sa légendaire femme. Un yacht loué à 20 000 dollars la journée. Ah oui, hein; puisqu'il faut dire du mal des sortants. Aujourd'hui, le clan a explosé, chacun essayant de trouver un point de chute. Les Tunisiens sont ingrats, mon cher. Ben Ali avait "déposé" Bourguiba, le "père de l'indépendance", pourtant. Le fameux article 57 de la Constitution. Celui qui a permis, avant-hier, au président de l'assemblée d'être "président par intérim". Le pauvre premier ministre n'a pu être président que pendant 24 heures. Il s'était rabattu sur l'article 56, lui. Moins massif. Ça ne fait rien, une petite place dans les livres d'histoire honorera son nom et sa famille. Il sera le "Abdülhalik Renda" de la Tunisie; ce dernier fut président de la République de Turquie par intérim, un jour durant, du 10 novembre au 11 novembre 1938, à la mort d'Atatürk.

Déposer le "père de la Tunisie", ç'aurait été comme chasser le "père des Turcs". Inimaginable. Astagfirullah, d'ailleurs. Que Dieu nous préserve d'avoir de telles pensées. Ils sont ingrats, on l'a dit. Alors que le père Bourguiba était celui qui avait interdit la polygamie et la répudiation. Bon, il était lui-même bigame un certain temps et avait répudié sa seconde épouse mais ça ne faisait rien, le peuple devait suivre ses réformes, pas sa "sunna". Dit en passant, la femme répudiée s'appelait Wassila Ben Ammar, arrière-grand-mère de Madame Besson. Bourguiba avait apporté la modernité; il buvait de l'eau en plein ramadan, il arrachait les voiles, il déconseillait le jeûne. Mais il se targuait en même temps de l'islamité de sa première femme, une française. Il l'avait récompensé pour "tout ce que tu as fait pour faire de mon fils un Tunisien et un musulman". Émotion...

Le père Ben Ali a fini comme le Chah d'Iran. Mais personne n'était là pour le supplier de rester. La figure du fameux pilote qui s'était jeté aux pieds du Chah a été supplantée, ici, par celle d'un pilote qui a refusé d'embarquer la famille Trabelsi qui s'affairait à s'enfuir. Les mauvaises langues disent, en effet, que Madame la Présidente et sa tribu, pompaient avec entrain, les ressources du pays.

Il avait parlé en dialectal, pourtant, Ben Ali. Histoire de communiquer avec son peuple. Après tout, il se devait de descendre à leur niveau; nécessairement bas. Car la masse ignore l'arabe littéraire. Elle l'écoute au journal télévisé et essaie de la lire dans la presse écrite. Mais ça serait tout. C'est bien pour ça qu'ils ne se comprennent pas. La faute au téléphone arabe. Le bouche-à-oreille. La phrase initiale n'a rien à voir avec la phrase d'arrivée. Et on appelle cela une nation. On a envie de hurler, évidemment. Le franco-arabe est devenu le dialecte tunisien. Encore un effet néfaste de la colonisation. N'a-t-on pas vu des pancartes en français ? Un peuple qui s'exprime dans une langue étrangère dans un moment si national, si historique, si mémorable, si intime...

On s'en souvient; en France, un député socialiste avait demandé au ministre de l'éducation de tout faire pour que le président Sarkozy ne parle plus en français "dialectal". "L'actuel président de la République française semble éprouver maintes difficultés à pratiquer la langue française. Il multiplie les fautes de langage, ignorant trop souvent la grammaire, malmenant le vocabulaire et la syntaxe, omettant les accords. Afin de remédier sans délai à ces atteintes à la culture de notre pays et à sa réputation dans le monde", M. le député demandait au ministre "de bien vouloir prendre toutes les dispositions nécessaires pour permettre au président de la République de s'exprimer au niveau de dignité et de correction qu'exige sa fonction".

Et Monsieur le ministre de l'éducation lui répondit en "français littéraire" : "En ces temps de complexité et de difficulté, le président de la République parle clair et vrai, refusant un style amphigourique et les circonvolutions syntaxiques qui perdent l'auditeur et le citoyen. Juger de son expression en puriste, c'est donc non seulement lui intenter un injuste procès, mais aussi ignorer son sens de la proximité. Ses paroles relèvent de la spontanéité et, au contraire d'un calcul, sont le signe d'une grande sincérité".

Eh ben dis-donc ! Merdoyer devient un mérite, maintenant. Car le peuple mériterait un tel langage; sincérité oblige. Et c'est spontané, coco. C'est un peu le Georges Marchais qui faisait sciemment des fautes de français pour exprimer sa "proximité" avec les Français. Merci pour nous... Même Chirac faisait exprès de parler correctement en public afin d'épater la masse. Et il réussissait. Laissons de côté de Gaulle et surtout Mitterrand, les dieux de la langue française. Et soyons juste : Jean-Marie Le Pen est le dernier dinosaure qui sait encore manier le bon français...

En réalité, Ben Ali souhaitait partir en 2014. Il l'avait dit, à son peuple : "je vous ai compris mais vous aussi, comprenez-moi !". Un rab de trois ans pour amasser plus, sans doute. Le temps idoine pour s'octroyer un article de la Constitution, peut-être. Ou le temps que sa promesse s'oublie. Eh non ! Une manoeuvre donc, il a déguerpi le jour d'après. Ultime paradoxe : le président du pays le plus sécularisé et le plus laïcisé du monde arabe a trouvé refuge en Arabie Saoudite... Un vendredi, en plus, un jour saint...

L'Arabie a l'honneur d'être un havre pour les dictateurs, comme on le sait. C'est commode : il n'y a pas de presse susceptible d'enquiquiner, ni une société civile qui appellerait à leur couper la main. Condamné à la prison à vie, Nawaz Sharif, était en exil en Arabie. Idi Amin Dada, dictateur ougandais, également. Khaleda Zia, la première ministre bangladaise, qui devait bien avoir quelque chose à se reprocher, de même. D'autres pays arabes démocratiques s'étaient également bousculés pour honorer le droit d'asile. Les Émirats arabes unis avaient accueilli Pervez Musharraf et Bénazir Bhutto en son temps, le Qatar, l'ancien putschiste mauritanien Ould Taya, le Sénégal, Hissène Habré, l'Egypte, Nimeiry (celui qui avait pendu le réformiste musulman Mahmoud Mouhammed Taha).

La France fait son coq, dorénavant. Elle a "lâché" Ben Ali; sa famille, en vacances à Paris, a été soigneusement expédiée. C'est pathétique; la France prend les mesures pour "bloquer les mouvements financiers suspects". Il y a encore un jour, la ministre des affaires étrangères insistait pour envoyer les forces françaises de sécurité dont le professionnalisme pouvait aider les forces de l'ordre tunisiennes à mater dans la dentelle...

Tous les exilés tunisiens se mettent à rêver sur le dos des "fauteurs de trouble", aussi. Les "opposants historiques" commencent à faire entendre leur programme politique et leurs recettes de là où ils sont. Les "nouveaux résistants" de l'intérieur se découvrent des c... . Les médias ne savent pas comment évoquer ce qui se passe; c'est qu'ils étaient habitués à faire des ronds de jambes. N'est pas résistant qui veut... On se souvient du fils du chah d'Iran lorsque les manifestations faisaient craindre une chute de la République islamique en 2009. Reza Pahlavi, pas l'autre, le cadet, celui qui s'est suicidé dernièrement. Reza espérait un retour. Il déclarait être en réserve; au cas où. Comme si le mot République était souillé pour un bon moment et qu'il fallait une monarchie. Cela dit, les Pahlavi ne sont qu'une dynastie toute récente. Et je pense que les Kadjars ou mieux, les Safavides ont beaucoup plus de légitimité pour monter sur le trône. "Un roi doit avoir les mêmes souvenirs que ses sujets" (Jean-Paul Sartre, Les Mouches). C'est mon côté royaliste qui s'agite...

Car vouloir la restauration de la monarchie n'a rien de répréhensible, c'est un régime politique. Et il n'a aucune raison de "puer". La famille ottomane, par exemple. Elle serait bien à la tête de la Turquie, non ? Quoique ses membres sont trop modernes pour la société qu'ils seront chargés de diriger. Tant pis; on préfèrerait la sultane Neslişah aux kémalistes complexés (un pléonasme, d'ailleurs)...

La Tunisie méritait ce changement; comme tout pays "occupé" par un autocrate, évidemment. J'avais eu quelques professeurs tunisiens à la fac. Et j'avais énormément lu la doctrine tunisienne. Ce qui m'a toujours frappé, c'est cette très belle écriture qui caractérise les francophones d'Afrique. Par exemple, lire le Sénégalais Kéba Mbaye (paix à son âme) est un vrai délice. Écouter un intellectuel africain est un des plus beaux exercices au monde. Mes professeurs parlaient peu de politique, évidemment. On les comprenait. Et on avait pitié pour eux; de si grands juristes, avait donné la Tunisie. Mais elle leur faisait peur. Il y a aussi, les Charfi, les Ben Achour, les Djaït; les grandes familles intellectuelles du pays. Yadh ben Achour, je l'ai déjà dit, est une sommité, pour moi.

Tous les dictateurs des pays arabes, qui ont tous, à y regarder de près, la même teinture de cheveux, ne pourront plus ronfler tranquillement, dorénavant. Ils ne dormaient déjà que d'un oeil. Dictature oblige : "la puissance qui s'acquiert par la violence n'est qu'une usurpation et ne dure qu'autant que la force de celui qui commande l'emporte sur celle de ceux qui obéissent" (Diderot, Encyclopédie, article "autorité publique"). C'est une jurisprudence quasi-constante : ça finit mal. Saddam, Ceaucescu, Ben Ali, Dadis Camara, Mengistu, Mobutu, etc. etc. Si bien que la seule question que tout le monde se pose quand un dictateur s'installe, c'est : "comment va-t-il finir ?". Hein Moubarak ? Hein Bachir ? Hein Khaddafi ? De son côté, le secrétaire général de l'OCI, qui doit sûrement siroter un diabolo fraise avec Ben Ali, à Djedda, affirme "sa solidarité avec le peuple tunisien". Merci bien.

Il faut avoir une pensée pour Mohammed Bouazizi qui, un beau jour, avec son étal, a renversé un régime qui a su tenir moins d'un mois. Il s'est sacrifié, que dire de plus. Ce n'est pas rien que de faire basculer tout un peuple du soliloque à la "causerie nationale". La Tunisie est malade. "Il y a plusieurs médecins à son chevet, modernes, traditionnels, chacun propose ses remèdes, l'avenir est à celui qui obtiendra la guérison. Si cette révolution triomphe, les mollahs devront se transformer en démocrates; si elle échoue, les démocrates devront se transformer en mollahs" (Amin Maalouf, Samarcande). Ce n'est peut-être pas si simple, si tranché. C'est pourquoi, ceux qui ont des entrailles pour la Tunisie n'ont qu'une simple prière à la bouche : bon courage.

mercredi 5 janvier 2011

A coquin honteux plate besace

Il fallait bien ouvrir ce chapitre. La Turquie se démocratise, comme on le sait. Non, dans les faits rien ne bouge. Les Kurdes grinchent toujours, les alévis pleurent toujours, les gays étouffent toujours, les orthodoxes et autres Arméniens s'écrasent toujours. Pas de panique, la Turquie kémaliste est droite dans ses bottes. La Turquie se démocratise, néanmoins. Si si. Car il est permis d'ouvrir la bouche et d'écrire, sur ces sujets. Une démocratie pour les bouches et les mains, donc. La troupe des mécontents ne dégraisse pas, c'est celle des démocrates qui gonfle. Le jour où elle dépassera la première, on pourra espérer un renversement. On dira alors, les islamistes grinchent, les nationalistes pleurent, les kémalistes étouffent, les laïcistes s'écrasent. Ça viendra, j'en suis convaincu. On s'éclatera.

Non, il faut oser, mon brave. Un nouveau chapitre, donc. Oui, celui de la liberté académique. C'est l'histoire de quelques coquins. Ou plus précisément d'un taquin. Car c'est bien, lui, l'instigateur. Lui, un étudiant. Deniz Özgün. Et il porte bien son nom, "özgün" signifiant "original". Eh bien, Deniz étudie au département de photographie et de vidéo à l'université Bilgi, à Istanbul. En dernière année. Il doit donc présenter une "thèse de fin d'études". Il est taquin, on l'a dit; il a proposé à son prof, de réaliser un film pornographique. Film porno, pour les intimes. Non non pas une vidéo de viol dans une cave sordide pour participer à je ne sais quel festival du court métrage, mais un projet académique en bonne et due forme.

"Pour tester la solidité de la liberté dans l'université", dit-il. Il a bien raison. Fallait prévoir une scène avec le doyen aussi, ç'aurait été plus drôle ou plus dégueulasse, c'est selon. C'est dommage, la langue turque n'a pas un subjonctif imparfait aussi sexy que celui du français; d'ailleurs, je ne sais même pas si elle a un subjonctif, mais bon. "Allô bonjour, je peux parler au doyen, c'est sur le projet académique et sa participation, il faudrait que nous le sussions le plus vite possible, ha ha ha"...

Le directeur de thèse fut un peu choqué, le pauvre, on le comprend. Un professeur de "design visuel". Il a d'abord refusé en bon "moraliste" mais il a dû céder. Il pleurait, le gosse. "Bon vas-y, fais ton film, mais attention mon petit, ça sera dur !". Mais bien sûr. Le fier-à-bras eut du mal. Ça rigole pas. Trouver des acteurs. Le scénario était prêt, lui : sa propre vie sexuelle depuis le lycée. Le lycée, donc. Il est venu sur le tard, mais on s'égare... Donc, à la recherche d'acteurs. Il le reconnaît, les filles étaient partantes, il a eu beaucoup de mal pour trouver les gonzes. Ah ils sont pudiques, les ténébreux Turcs, ablası !

Et faire ça en plein campus, ça aide pas. Car oui ! Il a insisté pour tourner le "film" dans l'espace public. Le doyen qui avait vu le rôle principal passé sous le nez, regardait du haut de son bureau, peut-être... Évidemment, il a fallu visionner l'oeuvre. Calme calme, heyecan yok. On a essayé d'abord le "jury ouvert à tous" mais en "screenshot". Car tout le monde avait peur de rougir. Mais du coup, personne n'a rien compris. Les trois professeurs ont alors imposé la "soutenance" en petit comité. Histoire de se concentrer. Et ils ont souverainement tranché; le projet mérite un D, soit la note la plus faible dans la notation universitaire turque.

Et comme il faut bien que la presse fasse son métier, la Turquie entière fut au courant de cet exercice universitaire. Et comme la Turquie entière était au courant, il fallait bien qu'il y eût des sanctions. Car le nom de l'université Bilgi fut souillé. Le conseil d'administration s'est donc immédiatement réuni et a pris la situation en main. Les "prof. dr." ont papoté et papoté, consulté sans doute la littérature internationale pour savoir si un projet semblable avait déjà été présenté ailleurs, compulsé les codes juridiques pour se préparer à un probable risque judiciaire et donnèrent enfin leur décision : les trois universitaires membres du jury sont virés...

Le directeur de thèse s'est justifié : "je ne suis pas la police des moeurs, moi. J'ai essayé de le raisonner mais chaque étudiant est libre de choisir son sujet dès lors qu'il est confiant. Le contenu du film ne nous intéresse pas, c'est la technique que nous notons". On apprend du coup qu'il y a bien une "technique" dans les films pornos. On est tellement habitué à regarder ailleurs...

L'actrice principale, elle aussi, veut dire des choses : "mon corps m'appartient, ça ne regarde personne !". Car mademoiselle se dit rebelle, "depuis mon enfance, je suis différente, moi. Regarde j'ai des tatouages !". Mais quand on lui demande si ses parents étaient au courant du film, elle devient plus terre-à-terre, la miss : "non, mes parents ne le savaient pas; c'est la première fois que j'ai fait quelque chose sans leur avis". Une "rebelle" de 23 ans qui défie pour la première fois ses parents, donc. "D'ailleurs, je suis sans religion et je ne me sens pas obligée de me conformer aux normes sociales de ce pays". C'est bien. L'épanouissement individuel, on appelle cela. Voilà une rebelle... Attention quand même à ne pas tuer le père ou la mère par une crise cardiaque, petite... Il faut s'attendre à un "janvier 2011", peut-être. Dany voulait des dortoirs mixtes, en son temps. Ce fut "mai 1968".

Adieu donc messieurs les professeurs. La Turquie, c'est un monde, faut-il le rappeler, où on s'émeut lorsqu'une série montre le sultan Soliman (le Magnifique) "faire usage" de son harem. Un sultan ne ferait pas ça. "Quoi, ça ?", "Bah ça !". Nous voulons le harem ! Nous voulons le harem ! ... C'est que le sexe, quoi qu'on en dise, attire et rebute dans les sociétés conservatrices. Ce fut toute la problématique d'Ask-i memnu. La plus grande audience et en même temps, un flot de plaintes au CSA. Soit dit en passant (ou plutôt pour augmenter le "rating"), la femme de l'émir du Qatar (une académicienne, s'il vous plaît !) qui passait ses vacances en Turquie a voulu prendre un thé avec Kivanç Tatlitug. Et elle a bien eu raison. Car son mari, sans vouloir dénigrer quiconque, euh... Le Blond était malheureusement trop occupé... Et une photo ancienne est sortie des cartons, qu'il était moche à 14 ans...

Ça s'est amélioré avec le temps...



Et on lit sur son bras gauche, "Only Allah can judge me". On sait qu'il se dit croyant. Mais qu'a-t-il fait de si répréhensible pour demander pardon à Dieu ? Personne ne le sait; et le jeune homme ne répond pas. Un secret, donc. Une déchirure, sans doute. Un traumatisme existentiel, peut-être. "Ah ouais ? Tu le sais hein dis-le, j't'en supplie !". J'ai une idée, on va dire...

Évidemment, jouer le défenseur des libertés en tournant un film porno qui, comme tout le monde le sait normalement, est fondé sur l'idée de la femme-objet sexuel, reste le paradoxe. Et quand on pense que le fondateur de cette université privée n'est personne d'autre qu' Oguz Özerden, un type qui a fait fortune dans les télécoms et qui a créé en Turquie les premières lignes 0800 si tu comprends ce que je veux dire... Son but, en créant Bilgi ? "Enseigner les sciences sociales en toute liberté". Ben voyons, un étudiant recalé, trois enseignants virés, une étudiante qui a disjoncté...

Détail que tout cela, évidemment. Banal. Ca s'est déjà vu, ailleurs, à quelques détails près. L'intérêt est autre, pour moi, un intellectuel. Jadis, j'avais pondu une grande pensée, moi; du genre aphoristique : je prétendais et je prétends toujours cela dit, que le métier le plus pénible au monde est cameraman de film porno. J'aurais bien voulu lui poser la question à ce Deniz : c'est vrai ou pas, au fait ? Ay heyecanlandim...

samedi 1 janvier 2011

"Les charlatans de la gravité"

Enfin. La Turquie et l'Azerbaïdjan vont recevoir leurs ambassadeurs américains. On les attendait depuis longtemps. Il faut bien correspondre avec l'Empereur. D'autant que ces deux pays turcophones croient avoir des relations "stratégiques" avec les Etats-Unis. Israël et le Royaume-Uni ont une "special relationship", c'est comme ça. Ça ne fait rien, ça viendra avec le temps. Peut-être. Les autres chefs de mission, aussi, s'impatientaient. Car l'ambassadeur du Vatican a beau être le doyen du corps diplomatique, celui des Etats-Unis est un peu le "primus inter pares". Dans les soirées mondaines, on se l'arrache. On déverse des choses; on en reçoit d'autres. Et on se croit important. C'est tout de même un bout d'Obama...


Le Sénat était en vacances, ça tombe bien; très bien. C'est que le veto de quelques obstinés bloquait tout. Et les Américains sont fute-fute; ils ont tout prévu : il faut l'accord du Congrès pour nommer les ambassadeurs. Si celui-ci rechigne, rien de plus simple : on attend les vacances parlementaires. Et on nomme par décret présidentiel, "ah mince alors, vous étiez en vac, vous n'allez pas pouvoir donner votre honorable avis, mince que mince, ça ne fait rien, à une autre fois hein, allez !"... Ça se fait en cachette, ces choses-là; la première puissance mondiale. Mais une démocratie, jeannot. On respecte le Sénat; le nom, je veux dire. Même Montesquieu en serait ébahi s'il revenait. Une séparation des pouvoirs "nickel". Sur le papier, je veux dire. Non c'est vrai, le Sénat doit quand même donner son avis, une fois réuni; mais il a un an pour ce faire. Le temps idoine pour faire des choses en coulisse; séduire ou réduire. On n'est pas élu à vie...

Le pauvre Larry Palmer a été nommé au Venezuela mais c'est le pays accréditaire qui refuse de le recevoir, cette fois-ci. Il "se la joue", le Vénézuélien; "qu'Obama rompe donc les relations diplomatiques" tempête-t-il. Larry Palmer aurait manqué de respect au Venezuela. Et l'ambassadeur vénézuélien aux Etats-Unis a vu son visa révoqué. Réciprocité oblige.


En tout cas, bonne nouvelle pour nous autres Turcs. Le brillant Matthew Bryza sera désormais en Azerbaïdjan. Avec son épouse turque; le meilleur pied de nez qu'on puisse faire à l'Arménie. Non, c'est vrai, Madame l'Ambassadrice, Zeyno Baran, est une Turque. Matthew est notre beau-frère national. Mariés en Turquie, aussi. Qu'ils sont gracieux ! Même le patriarche arménien, Mesrob II, était venu bénir le couple; allez comprendre pourquoi...



Et il aime son "second pays", Matthew. Car quand on est bien élevé, on aime sa femme et ses origines, c'est ainsi. Regarde Leonardo di Caprio; il s'est lancé dans un long marathon : devenir juif. Car ne devient pas juif qui veut. Il y a un protocole; des sueurs; des épuisements. Ah oui hein. Il faut avoir ce livre sous la main : Les nouveaux convertis de Pierre Assouline. Un peu ancien certes, mais toujours actuel. "Chez les juifs, on ne recrute pas" (p. 149). "Il arrive que le postulant jette l'éponge. Il abandonne. En cours de route. Ce qui lui fait parfois baisser les bras, c'est de constater l'énorme et flagrant contraste, pour ne pas dire déséquilibre, entre le haut niveau de connaissance et de pratique requis pour devenir juif et le bas niveau du juif moyen qui s'est uniquement donné la peine de naître d'une mère juive" (p. 153). Et bain rituel et surtout circoncision. Pour les beaux yeux de sa dulcinée.


Matthew, donc. Dans son "hearing", il en a avalé des couleuvres. Il est allé jusqu'à parler des cérémonies de mariage à Istanbul, c'est dire. C'est presque pathétique mais on appelle cela la transparence. Qui a des limites, évidemment. Car en bon diplomate, il n'a pas répondu précisément aux questions de Mrs. Boxer... Furieuse qu'elle était, elle a laissé tombé... Et il parle quelques langues, le Sieur; russe, polonais, allemand, espagnol. Madame, elle, se contente de l'anglais et du turc et avoue avoir oublié l'allemand, honte sur elle, évidemment. C'est qu'elle a étudié dans un lycée turc qui faisait cours en allemand... Et être spécialiste de l'Eurasie, du Sud-Caucase et des voies énergétiques sans maîtriser le russe, moi personnellement, je ne comprends pas. Ah oui, elle est également spécialiste de l'islam et de la démocratie, et elle ne maîtrise pas l'arabe, non plus... On appelle cela, être une grande chercheuse à la sauce américaine. En tout cas, elle est une des plus actives opposantes au projet de reconnaissance du "génocide arménien". D'où la fureur de Mrs. Boxer et Mr. Menendez.

Et voilà ce qu'en pensait le Washington Post, en septembre dernier : "Mr. Menendez, echoing ANCA's ugly propaganda, has questioned Mr. Bryza's "very close ties to Turkey"; the diplomat's wife, scholar Zeyno Baran, is Turkish-born. Yet Ms. Baran has been an outspoken critic of the current Turkish government; it is shameful that the ethnic origin of a U.S. diplomat's wife should be used against him. (After first telling us that Mr. Menendez was concerned about Mr. Bryza's wife, his office backpedaled, saying that what worried the senator was "ties to Turkish government officials." Our request for the names of those officials, and an explanation of why "ties to officials" of a major NATO ally would be of concern, went unanswered.)".


Le Sieur Menendez avait rétorqué en octobre, dans le même journal : "For the record, I stand by my position that Mr. Bryza is the wrong person for the job and have made public my hold in the U.S. Senate on his nomination. That position has absolutely nothing to do with the ethnic origin of his wife. It is based on information that I believe raises concerns about Mr. Bryza's ability to remain impartial toward Azerbaijan and Turkey, including his opposition to the recognition of the Armenian genocide by Turkey and his close ties to individuals in both governments. Perhaps it is not so unusual for a U.S. ambassador to have acquaintances in regional governments, but when those relationships affect the ability of the individual to represent the interests of the United States, it is my prerogative to withhold support of the nomination. Finally, at the core of my opposition to Mr. Bryza's nomination is respect for the Armenian people. The Armenian genocide was one of the great atrocities of modern history. We should not be sending a top diplomat to the region who does not support recognition of what is considered among historians to be the first modern genocide. Nor should The Post label the Armenian National Committee of America as "noxious" simply for demanding recognition of this historical fact".


Le parlementaire Menendez veut les voix des Arméniens, évidemment. C'est son droit. Il fait du lobbying pour faire passer la résolution. Et il sait très bien qu'une reconnaissance nuira, qu'on le veuille ou non, aux relations turco-américaines. Et personne ne lui rappelle les "interests of the Unites States", auxquels il tient tant. Ou alors, il "fait style". Car c'est une politique constante du Département d'Etat que de bloquer toute tentative de reconnaissance du "génocide arménien". Même Nancy Pelosi qui a tenté un baroud d'honneur avant de quitter le "perchoir", a dû battre en retraite. La plus grande défenseuse de la cause arménienne, pourtant. Et Matthew n'avait rien avoir dans cette nouvelle fin de non-recevoir, c'était juste Hillary Clinton en personne qui intervint. Une autre pro-arménienne. Mais ministre des affaires étrangères, surtout... Démocrate, qui plus est...


Le jeune Bryza a tellement accaparé le devant de la scène qu'on en oubliait Francis. Il sera en poste à Ankara, lui. Son Excellence Ricciardone. Et tu sais quoi, sa femme a étudié et enseigné dans les universités turques, une de ses filles est née en Turquie et ses deux filles ont fait trois ans de leurs études encore en Turquie, keh keh keh... Et tu sais quoi, le brave Menendez l'a aussi interrogé sur la question arménienne. Et il a enfin eu une réponse apaisante, ici. Mais il n'était pas convaincu, évidemment; alors, il a tenté : "quand vous étiez vice-ambassadeur en Turquie de 1995 à 1999, avez-vous déjà participé à une cérémonie sur le génocide arménien ?". Une question très pertinente, comme on l'aura compris : la Turquie regorge de monuments érigés en souvenir aux citoyens arméniens massacrés, en effet... Faire l'âne pour avoir du son, on disait, je crois...


Il faut le dire et le redire; c'est quand on écartera ces "péteurs d'église" qu'on retrouvera la sérénité indispensable au travail d'histoire. Une tragédie qui n'en finit pas d'être instrumentalisée. Un élu se démène pour arracher de la bouche d'un diplomate compatriote, des mots de peine. Ce diplomate fait le diplomate, à raison. L'élu fait le mômichon. Il veut absolument que son diplomate fasse repentance, presque. "Hep, on est du même bord !", "bah nan, t'es Turc maintenant, avoue le crime !". Car c'est ainsi qu'on va se croire heureux : on fouette les "para-Turcs" faute de pouvoir adoucir les Turcs. Tout ce qu'il faut pour les cabrer encore plus. On ira loin... Quand le désir de vengeance des vivants domine la quiétude due aux âmes, on ne parle plus de justice, on parle d'accoutumance; d'une maladie, en somme...