jeudi 30 avril 2009

Bave du crapaud et blanche colombe

L'on vient d'apprendre que le ministère turc de l'éducation nationale a modifié son règlement sur les collèges et lycées; en réformant notamment une disposition sur la vie sentimentale des élèves. "Quoi ? Qu'est-ce que tu racontes ?" L'ancienne version leur interdisait, en effet, de se fiancer et de se marier. Des fautes disciplinaires. Le gouvernement a décidé d'interdire seulement le mariage (l'âge nubile étant, en Turquie, fixé à 17 ans avec possibilité de se marier dès 16 ans en cas de circonstances exceptionnelles). Voilà donc une bonne nouvelle : collégiens et lycéens ont le droit de se fiancer. Cela dit, je n'arrive pas à comprendre en quoi c'est un changement puisque les fiançailles ne relèvent pas de l'univers juridique et prendre une mesure d'exclusion à l'encontre d'un lycéen fiancé aurait déjà dû être considéré comme une atteinte à sa vie privée...
Mais bon, voilà donc que nos blancs-becs et minettes vont pouvoir ostensiblement se fiancer. Sans encourir l'ire du directeur toujours aussi baroque et excessivement grave. "C'est quoi ça ?", "ma bague de fiançaille, M'sieur", "comment tu oses de te souiller le doigt et la cervelle ! Enlève moi ça !", "bah nan, hein, bana ne ! Vermem, hoşşşşik"... Il fallait bien que ce "geste" du gouvernement déplût à certains; sinon, il n'y a plus de jeu. Ruhat Mengi, une "journaliste" qui passe son temps à remplir ses chroniques et meubler ses émissions, sur la laïcité (un peu notre Caroline Fourest) a réagi : "on bascule, ils veulent cloîtrer les femmes ! Ils veulent des femmes passives, soumises, pot-au-feu, engrossés et voilées par-dessus le marché !". "Aucune explication en termes conventionnels n'est possible" disent les diplomates dans ces cas-là...
Bien sûr, le Français le plus pur ne comprend pas immédiatement la controverse. Lui, il ne se fiance pas à cet âge. Il a un partenaire et c'est tout. Pas de formalités à cet âge-là. C'est que chez les Turcs, avoir un(e) petit(e)-ami(e) n'est pas un "acte de la vie courante". Il faut avoir un(e) fiancé(e). Un(e) promis(e). C'est une affaire de famille; une problématique qui nécessite résolution, discussion, approbation. Trop important pour que l'amour ne soit laissé qu'aux seuls tourtereaux. Il faut donc un cadre. Et alors, on commence à plancher en famille sur les modalités de la cérémonie, le père commençant par se gratter le front et réfléchissant sur les ressources possibles et la mère, concentrée sur la ventilation des dépenses. Une véritable procédure; du type bureaucratique : la demande en mariage, les achats, les fiançailles, derechef les achats, la nuit du henné, le mariage civil, le mariage religieux, le mariage dans une salle des fêtes, la première nuit, la lune de miel et enfin la tournée des vieux pour le baise-main. Il faut toujours que le sérieux pointe son nez dans une sphère qui ne demande qu'à y échapper; surtout à cet âge.
L'on a le droit d'aimer mais pas de toucher. Et ceux qui veulent se toucher, on les engouffre dans une longue aventure. "Se toucher, dis-tu ?" Oui. A la turque, disons. Bécotages permis et c'est tout. Le mariage est considéré comme l'unique structure qui légitime les relations sexuelles. L'on arrive vierge, c'est comme ça. Il faut savoir attendre; en France, à partir de 15 ans, il faut commencer et avant 20 ans, il faut "l'avoir fait". Un "bon" musulman est toujours frustré, de ce point de vue. Docte leçon. "Tu me coupes le sifflet, je rougis !", "il faut te déniaiser, mon p'tit ! Un coeur lacéré, c'est l'enfer"...

jeudi 23 avril 2009

Zigoto, totos, numéro à la noix de coco

L'on attendait avec impatience la conférence dite "Durban II" sur le racisme. L'on mourait d'impatience. Pas pour connaître les avancées faites en la matière, évidemment; mais pour écouter Ahmadinejad. Pour savoir comment on allait s'indigner. Certains avaient choisi le boycott, d'autres venaient du bout des dents et la majorité, dans le sérieux qui caractérise les esprits simples, venait sincèrement discuter du racisme et des moyens de l'éradiquer.


Les règles du protocole ont, étrangement, mis à l'honneur le Président iranien. L'honneur dû à un Président de la République. Mais l'horreur dû à ses fâcheuses idées restait là, dans l'ombre, prêt à gicler. Il avait bien commencé, pourtant : « Que Dieu salue tous les prophètes que sont Jésus-Christ, Abraham, Moïse, Mahomet, ces avocats de l’amour, de la dignité et de la justice. » Amen. Et il avait rencontré le Secrétaire Ban quelques minutes plus tôt : "écoute, mon grand, arrête de débiter tes conneries ici, d'accord, allez, s'te plaît !", "ok ok je ferai de mon mieux", "merci, t'es un vrai pote". Le discours, dans sa forme écrite, donnait cela : « Après la Deuxième Guerre mondiale, sous prétexte des souffrances des juifs et de la question ambiguë et douteuse de l’holocauste, un groupe de pays puissants a eu recours à l’agression militaire pour faire d’une nation entière une population sans abri ; ils ont envoyé des migrants d’Europe, des États-Unis et d’ailleurs pour établir un gouvernement totalement raciste en Palestine occupée ».


Bien sûr, les Européens, qui ont bataillé dur pour que la liberté d'expression ne subisse aucune érosion dans le texte final, ont été les premiers à décamper. Au nez et à la barbe du Président iranien. Et les chancelleries ont immédiatement publié les textes déjà bien ficelés, criant au scandale et à l'abjection. Non aux propos anti-Israël, donc. La trame commune à ces déclarations. D'accord. Mais personne n'a été capable de présenter clairement ce que Ahmadinejad avait dit. "On s'en fout, il a voulu le dire !" Véridique, personne n'était capable, sur le coup, de savoir ce qui l'indignait. L'on a donc eu droit à des rectifications de la part du service de communication de l'ONU. Un texte écrit ne signifiant pas qu'il soit exprimé tel quel...


Première version : « la question ambiguë et douteuse de l’Holocauste »; deuxième version un jour plus tard : « des abus sur la question de l’Holocauste ». Evidemment, les deux versions sont injustes et reflètent un état d'esprit maladif. Un Ahmadinejad obsédé par cette question. Un grand nombre d'hommes obsédés par cette seule question. Pourquoi diable, ces bouches généreuses restent bées pour les autres souffrances, à commencer par celles qu'elles provoquent elles-mêmes dans leurs propres pays ! Marre qu'une cause juste soit galvaudée et réduite à une revendication revancharde et insincère !

Un "gouvernement raciste" aussi a déplu; jadis, le Turc Tayyip Erdoğan avait été on ne peut plus abrupt : "vous, vous savez très bien, comment on tue des enfants !" Une charge isolée. Alors que celle de l'Iranien est récurrente et probablement pas très pure. "Vas-y sur le fond, il est raciste ou pas du coup, ce gouvernement ?" Euh... Disons que certains israéliens vont jusqu'à qualifier Lieberman de "fasciste"... D'ailleurs, nous disent les spécialistes, le sort des Arabes israéliens n'est pas très reluisant : un Lieberman qui veut les bouter hors d'Israël, un Netanyahou qui les presse de reconnaître qu'Israël est un "Etat juif", des discriminations dans les salaires, les logements, les expropriations, etc. "Mais ce n'est pas moi qui le dis, hein, c'est leur propre Cour suprême, ne croyez pas que je suis antisémite ni antisioniste ni anti-Israël".


Tout est mal qui finit bien. La Déclaration finale a été adoptée par consensus, a-t-on appris. "C'est une grosse claque à la fasse d'Ahmadinejad" s'est réjouie la Haute Commissaire aux droits de l'Homme. L'on est d'autant plus ravi qu'il n'y a plus aucune référence à la diffamation des religions demandée à cor et à cri (et à tort) par l'OCI, ni aux actes répréhensibles d'Israël, ni aux réparations relatives au colonialisme, ni aux homosexuels, ni à l'égalité entre les sexes. En somme, on a fait du surplace, ce qui est déjà considéré comme une grande avancée. Au moins, on n'a pas régressé. Comme le disait je ne sais plus qui, "dorénavant, on fera comme d'habitude"...

lundi 20 avril 2009

Flétrissure

La conscience est un véritable fouet, en réalité. Elle stimule le don Quichotte qui est en nous; le côté sain et sincère qui anime chaque être humain. L'on essaie toujours de cacher les choses dérangeantes dans un coin de notre cerveau et on reprend avec encore plus d'énergie, le murmure de notre petite musique défraîchie; alors que l'on est au courant de notre propre bassesse. On se dédouble. L'un reste humain, l'autre "malin". Et la conscience nous ramène à notre quintessence; doit nous ramener, en tout cas. Il suffit de se taire une minute et d'ajuster son "fléau" interne. La justice est passée par là. Il ne reste plus qu' à déduire.


Depuis une semaine, l'actualité turque se résume à l'arrestation de plusieurs personnalités dans le cadre de l'affaire Ergenekon. Le même scénario : arrestations, protestations de l'opposition, neutralité suspecte du gouvernement. La crème se retrouve ainsi en prison; cette fois-ci, ce sont les universitaires que l'on a embarqués. Des présidents d'universités qui, il faut le reconnaître, se manifestaient plus pour des giries contre le Gouvernement que des recherches ou des inventions éminentes. Contre le Gouvernement mais pas n'importe comment : en invitant, sans la moindre honte du monde, les militaires à hausser le ton. Des universitaires; des savants qui guident des esprits en formation... L'on apprend même que les médecins de l'Université de Başkent à la tête duquel se trouve le Professeur Haberal, chirurgien reconnu mis en examen, avaient voulu flanquer en l'air le Premier ministre Bülent Ecevit en lui prescrivant une incapacité de travail. Ce dernier avait dû quitter l'hôpital à la sauvette sur les conseils de sa fidèle épouse, au courant du "complot"...


Mais, un "faux pas" a "enfin" été commis; les incrédules et sceptiques n'attendaient que cette bévue pour discréditer toute l'enquête : Türkan Saylan, la "mère" des étudiants pauvres a également été mise en cause. La police a fouillé sa maison. Un vent d'indignation s'est levé; une universitaire qui a passé sa vie à lutter contre le "fanatisme religieux" en distribuant des bourses aux étudiants les plus nécessiteux afin de les arracher aux tentacules des confréries religieuses, nécessairement obscurantistes. Celle qui est également connue pour sa position du "ni ni" : ni putsch providentiel ni charia enténébrée.


Et surtout celle qui est considérablement diminuée du fait de son cancer. Voilà la corde sensible. L'image de cette femme souffreteuse en train de fustiger, du haut de son balcon, la procédure inique qui l'a atteinte est assurément insupportable. Les juristes le jurent, la procédure est désormais compromise : "nan nan je m'en fous, dorénavant toute la procédure est faisandée, fallait pas toucher à cette grande âme, allez, sortez les autres des cachots !".


Double aspect : l'humain et le juridique. Les critiques sont fondées à en croire les spécialistes : les investigations se font sans savoir ce que l'on recherche; un peu sur le tas. Si l'on trouve quelque chose à se mettre sous la dent, c'est formidable, sinon, on aurait au moins tenté. Scandale, évidemment. L'on y souscrit à deux mains. Le sac sur le dos, les policiers prennent tout ce qui peut éventuellement servir. Ca s'appelle une perquisition. Un Etat de droit. Mais comme l'enjeu est critique, personne n'ose remettre en cause ce procédé; or, la procédure est le "canevas" du fond.


En réalité, le problème vient de ce que deux clans se sont emparés du procès et refusent de reconnaître les dérapages afin d'éviter de fournir à l'autre une occasion d'avoir raison. Les phrases toutes faites agaçent, aussi : "si la justice turque soupçonne Türkan Saylan, c'est que la justice s'est compromise !" ou "c'est le camp laïque que le gouvernement veut décimer !" Alors que l'on a plus besoin de bride que d'éperon dans un tel contexte. Au nom de quoi doit-on la considérer intouchable ou insoupçonnable ? Se documenter sur l'opération Gladio en Italie aurait aisément permis de comprendre que les personnalités les plus respectables peuvent frayer avec l'engeance des mafiosi. S'émouvoir est humain mais "profiter" du pataquès pour détourner l'attention, c'est une perfidie.


Une femme qui se débat contre un cancer. C'est triste de la voir bousculée mentalement. Une maladie qui demande attention, repos et tranquilité. Le journal ultra-conservateur, Vakit, en a profité pour lancer : "celle qui luttait contre le foulard est contraint d'en porter un pour cacher sa tête pelée". Vulgaire. Et ceux qui s'émeuvent du traitement catapultueux auquel elle a eu droit étaient les premiers à critiquer la décision du Président de la République de gracier l'ancien Premier ministre "islamiste" Erbakan pour longue maladie. "Eh ben, on avait bien raison, regarde il remarche ! Allez, foutons-le en tôle !"...


Ca tourne à l'amour-propre et à la revanche. L'esprit de chapelle. L'on ne biaise pas avec sa conscience, tôt ou tard, on s'en rend compte. Mais la crânerie est ainsi faite : elle est melliflue; elle freine la recherche de la sincérité. Et tout le monde croit avoir raison; or, l'autre partie de la cervelle lui dit qu'il a tort. En vain. Vérité, pourquoi es-tu si répugnante ?

jeudi 16 avril 2009

Oracle

Le chef d'état-major Ilker Başbuğ a enfin parlé; une homélie annuelle. Le discours du Trône en version turque. Le discours du Prône. En duplex sur la plupart des chaînes généralistes et d'information. C'est une tradition propre à la Turquie. Une démocratie, comme on le sait. "Qu'est-ce qu'il se passe ? Un coup d'Etat ?" s'est demandé un touriste épeuré; "chut! tais-toi; ressaisis-toi, c'est le Chef qui parle".


C'était presque la réconciliation : les journalistes bannis étaient invités; et lesquels ! les plus acerbes. Première "ouverture". Et chacun a raconté sa pâmoison à sa manière dans sa chronique; l'un qui découvre les lieux, l'autre qui feint d'y être habitué, un autre qui l'est vraiment tant il s'inspire des militaires, un autre encore qui se rabougrit mielleusement devant l'ambiance hiératisée. Un décor de plomb. D'ailleurs, le malaise s'est rapidement fait sentir; à l'arrivée du Général, les militaires se sont levés comme un seul homme. Les journalistes ont hésité et finalement suivi l'assemblée. Il n'est pas de bon ton de lever la crête dans cette enceinte. Seulement deux journalistes se sont contentés d'un lèvement d'yeux. "Moi, très cher, je ne suis pas son inférieur !" C'est bien. Même cette formalité suffit à faire couler un flot d'encre.


De l'avis général, le Général a abreuvé les coeurs de sincérité et de délicatesse. Avec un discours truffé d'ouvertures :
Primo, la démocratie : le général Başbuğ a inondé littéralement son allocution de références intellectuelles : Weber par-ci, Montesquieu par-là; il a même "avoué" que l'autorité civile devait, évidemment, avoir une prééminence dans une démocratie mais qu'il faut également que l'armée ait une autonomie : "alors, chers auditeurs, cette idée vient de Huntington qui l'a formulée il y a près de cinquante ans, je suis moderne hein, allez reconnaissez-le !". Mais il a bien rappelé le principe général : démocratie. Un général qui assure la Nation entière que l'armée est respectueuse de la démocratie est une anomalie en soi mais bon. Et des andouilles applaudissent, comme si le respect de la démocratie était une faveur de sa part ! Pas de merci, c'est une obligation.


Secundo, l'ouverture destinée aux Kurdes. A une époque où les macabres aventures de la "succursale" de la gendarmerie nationale, le JITEM, qui fomentait assassinats et tortures contre les Kurdes, font surface, le Général a usé d'une expression qui irrite fortement les nationalistes, le "peuple de Turquie". Une consécration indirecte du mot, ô combien sensible, "Türkiyeli" (= de Turquie) utilisé par certains à la place de "Türk" (=turc). Pour bien dissocier ethnicité et nationalité. Et il a presque fait pleurer les chaumières, aussi : "le terroriste aussi est un être humain" a-t-il lâché. "Qu'est-ce qu'il lui arrive nom d'une pipe !" Il a demandé des politiques de prévention pour empêcher le recrutement du PKK. Il était temps... 25 ans après !


Tertio, la religion, sujet de prédilection des militaires : "l'armée n'est pas contre la religion mais contre l'utilisation de la religion à des fins politiques" a-t-il répété. La raison est double, car d'une part l'armée vient de la société et la religion est un phénomène social et d'autre part, le grand Atatürk a dit qu'un peuple sans religion est un peuple en ruine. Atatürk l'a dit donc on s'exécute. Heureusement qu'il n'a pas dit le contraire, soit dit en passant... Ca s'appelle un raisonnement. Une armée respectueuse de la religion; et si c'était vrai. Appeler le "mort pour la patrie", "martyr" ("şehit", c'est-à-dire celui qui a témoigné de sa foi), "visiter" les séances de prières dédiées à ces soldats n'expliquent rien. Tant que les officiers quitteront les cérémonies officielles au motif que des femmes voilées se trouvent dans l'estrade, les propos de Başbuğ resteront fallacieux.


Chassez le naturel, il revient au galop, dit-on. L'on a bien raison. Le Général a déblatéré contre les "cemaatler", les groupements religieux. Toute l'assistance a immédiatement pensé aux "Fethullahçı", les suiveurs de Fethullah Gülen, l'imam le plus craint et en même temps le plus influent de Turquie (qui vit en exil aux Etats-Unis). Celui dont le mouvement a ouvert des écoles turques dans le monde entier et qui est, à la base, très respecté. Mais l'élite ne l'aime pas, évidemment. Il menace l'ordre laïque. Alors qu'il a l'air très accommodant; physiquement, presque. Il y a des gens dont le physique trahissent leur caractère; on sent qu'ils ne sont pas à craindre; pour moi, il figure parmi ces gens-là. "Bah tant mieux, qu'il reste avec vous votre fakir, on n'en veut pas !"


Les confréries et les communautés sont interdites; officiellement. La célèbre loi de 1925. J'ai toujours pensé qu'elle était en infraction avec la jurisprudence de la Cour européenne : "l'autonomie des communautés religieuses est indispensable au pluralisme dans une société démocratique (...)" (Hassan et Tchaouch c. Bulgarie, 26/10/2000); "la Cour reconnaît certes que des tensions risquent d'apparaître lorsqu'une communauté, religieuse ou autre, se divise, mais c'est là l'une des conséquences inévitables du pluralisme. Le rôle des autorités en pareilles circonstances ne consiste pas à éliminer la cause des tensions en supprimant le pluralisme mais à veiller à ce que les groupes concurrents se tolèrent les uns les autres" (Sérif c. Grèce, 14/12/1999, § 53). Quand on pense que la CIMADE et le Secours catholique sont devenus en France des prestataires de service public... Les communautés religieuses n'ont pas leur place dans un système laïque, voilà un autre sophisme.


Tout de même bizarre : tous les sondages montrent que seulement 2 % des interrogés veulent l'instauration de la charia mais on a quand même peur. "Avouez-le, franchement vous êtes malades, parano ?", "bah nan hein, attends à moi de citer la Cour européenne, qu'est-ce qu'elle dit : 'il existe des mouvements politiques extrémistes qui s'efforcent d'imposer à la société tout entière leurs symboles religieux et leur conception de la société, fondée sur des règles religieuses dans un pays où la majorité de la population, manifestant un attachement profond aux droits des femmes et à un mode de vie laïque, adhère à la religion musulmane' (Leyla Sahin c. Turquie, 10/11/2005, § 114); t'as vu même elle, elle a compris le danger". Ouais. Même les juges n'ont pas vraiment compris ce qu'ils disent, je crois : la majorité de la population qui manifeste un attachement profond à un mode de vie laïque et en même temps, le risque de tomber dans la charia !


Bref, encore cette idée qu'il y a des esprits à sauver... Il ferait un bon politicien, le Général. D'ailleurs la principale interrogation demeure : au nom de quoi ces thématiques sont de la compétence du chef d'état-major dans une démocratie normalement constituée ? "Oh, vous n'êtes jamais contents !" L'on passe, pour reprendre l'expression d'une journaliste (Mehveş Evin, Akşam), à un régime de "tutelle militaire modérée". Voilà l'item.

samedi 11 avril 2009

Poncivité

Le Président Obama a bien fait de passer en Turquie; il a replongé la Nation turque dans les débats interminables sur la laïcité. Un sujet que tout Turc doit maîtriser. Sa déclaration était laudative, pourtant : "la Turquie est un modèle car elle se trouve au confluent de l'Est et de l'Ouest". "Turkey is in the middle of everything". Applaudissements. "Et oui, vous avez ce formidable sésame : la laïcité". L'on a bien compris qu'il n'a pas suffisamment planché sur la question avant d'atterrir en Turquie; ou plutôt, comme personne ne comprend rien au système laïque "à la turque", il ne fait que répéter un cliché. Comme une épithète homérique : la République turque laïque. A tout bout de champ.


Les laïcistes sont heureux, évidemment : "t'as vu, il n'a pas dit 'pays musulman' et en plus il a fait une référence appuyée à la laïcité"; déclamer son respect pour Atatürk signifiant mécaniquement "référence appuyée" à la laïcité. Un journaliste s'est mis à compter le nombre de fois où le mot "secular" a été débité par Obama; résultat : une seule fois... Donc "référence appuyée". Ces jours-ci, les néo-conservateurs, constatant que décidément islam et démocratie ne font pas bon ménage au Pakistan et en Afghanistan, ont repris leurs vieux habits de boute-feux. "Bon, c'est terminé, chers amis, chers ennemis, on oublie l'islam modéré; on ne veut plus d'islam tout court !". Ils inondent donc les "papers" de leurs profondes réflexions en fustigeant, cette fois-ci, le risque réel de voir la Turquie basculer; et le "tordant" dans tout cela, c'est que certains journalistes turcs s'appuient sur ces "analyses" pour nous demander de bien croire que vraiment, on bascule vers un régime sharaïque. "Arrête de nous railler, c'est les Américains qui le disent !", "Oui mais leur Président vient de dire que la Turquie était un modèle et vous l'avez applaudi !", "Allez, allez, arrête de dire la vérité !". Des humoristes. "C'est incroyable, cette faculté déconcertante qu'ont les faits à s'aligner dans le même sens pourvu qu'on les éclaire d'un seul côté à la fois" disait André Leroy-Gourhan...



Personne n'a encore osé se désoler publiquement du rôle que joue la Turquie dans l'Alliance des civilisations; la Turquie se fait le porte-voix des pays musulmans; tentation ottomaniste. Cauchemar pour certains; "mais euh, nous ne sommes pas un pays musulman, à la fin ! Tiens, il faudrait que l'on sorte de l'OCI aussi, ça'l fait pas". D'accord.


Et d'ailleurs, ont relevé les spécialistes, Obama a dit "démocratie laïque" et non "république laïque". "Eh ben, vas-y balance, qu'est-ce que tu veux dire ?" Enorme différence : c'est la guéguerre des mots dans l'apparence mais qui cache, en réalité, une très importante dispute conceptuelle en Turquie. La laïcité est perçue comme le principe "biotique" de la République. Les "Républicains" sont donc ceux qui hypertrophient cette seule dimension. Les "démocrates", eux, estiment qu'une seule République laïque ne fait pas l'affaire; il faut une guirlande de plus : la démocratie. On les appelle donc les "ikinci cumhuriyetçiler" ("les partisans de la Seconde République", autrement dit, une République avant tout démocratique et libérale). Et ils ont le soutien du Président Obama. Jadis, Barroso avait parlé d'une "laïcité démocratique" et les "Républicains" avaient mêmement gémi...


Voilà donc une révélation, en tout cas : la Turquie est un modèle. Une frange de la population n'en croit pas une miette : "nous, un modèle ? tu rigoles ! T'as pas vu notre First Lady voilée, un Premier ministre qui est issu d'un lycée religieux pfff!". Les étrangers "arriérés" attendaient ce feu vert; ils se mettent donc à éplucher le système démocratique et laïque turc : "alors, voyons ce que nous allons copié, allez ouvez les livres : alors, interdiction des confréries; interdiction d'apprendre le Coran avant douze ans; tiens, dernière perle en date : interdiction pour une femme voilée d'être la déléguée d'un parti politique pour surveiller les urnes; interdiction pour les voilées de fréquenter l'université; interdiction pour une conseillère municipale de sièger avec son voile, voilà pour les soucis des majoritaires; pour les minoritaires, interdictions et brimades tous azimuts pour les Alévis; interdiction pour les orthodoxes d'ouvrir leur école de formation des popes à Heybeliada; interdiction pour le Patriarche de Constantinople d'accoler à son titre le qualificatif "oecuménique"; interdiction pour les chrétiens d'évangéliser, etc.



Voilà donc pour le modèle. Un modèle que Pakistanais, Afghans et Arabes s'empresseront d'adopter... Et voilà que Kouchner aussi, s'y met; le dernier des pro-Turcs s'en est expliqué : "franchement, après l'épisode de Rasmussen et les critères religieux sur lesquels le choix de la Turquie a reposé, je dois dire que la laïcité recule en Turquie, c'est la raison pour laquelle je ne suis plus favorable à la Turquie dans l'UE". Sage décision. Mais mauvais raisonnement. C'est qu'il n'a pas trop planché non plus sur la question. La Turquie où même les majoritaires sont levraudés, se désengageraient de la laïcité ! Effectivement, mais pas pour glisser vers le "régime craint" mais plutôt vers un régime liberticide sui generis. "Tu mens, regarde le gourou Fethullah Gülen commence à se mêler de politique et le vieil islamiste Erbakan redescend dans l'arène, t'as vu, c'est un projet !"



Un modèle. L'on aimerait bien que ce soit un modèle; mieux, un phare. Mais la Turquie n'est pas elle-même apaisée; comment exporter son système démocratique et laïque inachevé ? Et au nom de quoi exporter ? Le simple respect des droits de l'Homme suffit amplement; ce que la laïcité (au sens "brut" du terme) postule, la démocratie le contient; les nôtres veulent absolument voir le mot "laïcité". Car ils sont républicains et donc porteurs d'une mission; celle de se débarrasser de l'influence religieuse... Légitime comme combat. Mais mené en tapinois. Sinon, ils l'auraient su : un partisan de la laïcité, c'est celui qui défend la cause des voilées vilipendées, des orthodoxes spoliés et privés de théologiens, des Alévis ignorés et proscrits. Ils sont "républicains"; et la démocratie ne ferait que renforcer la "véritable laïcité". Voilà toute leur peur...

mercredi 8 avril 2009

Sombreur

Il faut faire dans la dentelle, nous dit-on; des critiques feutrées. C'est connu, critiquer Israël équivaut à de l'antisémitisme dans la petite tête de pas mal de gens. Mais il faut bien dénoncer l'injustice. Le nouveau gouvernement Netanyahou s'en prend allègrement aux quelques "efforts formels" acquis. "C'est fini, le cirque est terminé" nous a appris le nouveau ministre des affaires étrangères, Lieberman; tu sais, celui qui fait de la politique entre deux interrogatoires de police. Et on le prend au sérieux. "Arrête de dire ça, présomption d'innocence". D'accord.


Moshe Katsav poursuivit pour viol, Ehud Olmert pour fraude, abus de confiance et conflit d'intérêts, eh ben. Et qu'il est inhumain, le Procureur général Mazouz ! Olmert a un cancer de la prostate et il le convoque quand même ! Pas bien.


"Pas d'Etat palestinien". Voilà donc le nouveau paradigme. Lieberman le dit : "nous, chers amis, les Palestiniens et leur Etat, on s'en fout, notre souci, c'est le bouffon Ahmadinejad et toc !" Jadis, l'Europe s'était engouffrée dans les sanctions; motif : le Hamas refuse de reconnaître l'Etat d'Israël. Au tour des Israéliens, "nous ne reconnaissons pas la légitimité et la nécessité d'un Etat palestinien". On n'attend aucune sanction, évidemment. "Arrête de délirer ! Quel est le rapport ? Hein ? Des terroristes d'un côté, un Etat menacé de l'autre ! Allez dis-le, t'es antisémite ! Antisémite !"


Même le président des Etats-Unis n'arrive plus à se faire respecter. "Personne ne nous donne des ordres, coco" a lâché Lieberman. Et certains analystes de divaguer : "ouais, ça y est, les Etats-Uniens vont rompre le cordon ombilical, youppi, on va pouvoir critiquer Israël". Critiquer Israël; le sport favori du Conseil des droits de l'Homme. L'important n'est pas de critiquer les politiques de cet Etat, c'est d'être crédible et audible en le faisant. Enquêtes, missions, bons offices, rien n'y fait; l'archevêque Desmond Tutu n'avait pu, jadis, mettre les pieds en Israël, pays dans lequel il était censé enquêter... Souhaitons bonne chance à Richard Goldstone; un Juif aura sans doute plus de succès pour apprivoiser ses interlocuteurs tristement farouches. Et Ban Ki-Moon, toujours à l'affût de son "enquête approfondie" sur les bombardements de l'agence onusienne Unrwa. Même la Cour pénale internationale a été saisie par l'Autorité palestinienne. Pourquoi pas. Je ne sais pourquoi mais on a l'impression que, au final, rien ne va se passer. Pessimisme ou réalisme ?


Et la colonisation de la Cisjordanie continue; le Conseil des droits de l'Homme répète la même chose, prend une résolution pour dire et redire d'arrêter; et voilà. Et les "grands" pays continuent de se dire "préoccupés par ce phénomène" tout en s'abstenant lorsqu'il s'agit de voter. Il ne faut surtout pas avoir l'air de voter avec les pays islamiques et les non-alignés. Connivence insoutenable. Israël ressort, évidemment, la même rengaine : "Dans un rituel qui prend des proportions véritablement infernales, la démocratie israélienne, la réalisation du droit à l'autodétermination du peuple israélien, continue d'être la cible d'une campagne venimeuse".


D'ailleurs, le "procureur général de l'armée israélienne" a clos l'enquête sur les meurtres de civils perpétrés par les vaillants soldats israéliens : "rumeurs" a-t-il tranché, "et en plus, pas de témoins". Effectivement, plus de témoins... Tout de même bizarre : des soldats de Tsahal avouent qu'ils ont tiré sur des civils mais leur hiérarchie ne les croit pas; "mais ce n'est qu'une bavette entre potes venus du front, allez, circulez !" Olmert renchérit : " Je ne connais aucun militaire qui soit plus moral, plus régulier et plus sensible à la vie des civils que ceux des forces armées israéliennes. " Olmert, celui que Mazouz convoque sans arrêt. Et on le prend au sérieux.


Obama a eu une bonne idée pour aplanir la "sainte et antique discorde" : laisser les mères gouverner; la bonne mère de famille. Voilà bien de quoi contenter tout le monde et son père. Un rêve, une illusion. L'espoir s'est déjà évanoui, l'espérance se meurt à petit feu; "je suis au beau milieu de l'océan et je cherche une cruche d'eau !" (Rûmi)...

dimanche 5 avril 2009

Cantique des cantiques

On était dans le qui mieux mieux : les cardinaux de l'OTAN ont pu, enfin, "toucher" le pape Obama. "Viens qu'j't'embrasse, mon grand", "il m'a souri, t'as vu !", "il m'a parlé en premier s'te plaît, nanik !". Merkel la jouait "nickelée" alors que le nôtre n'avait d'yeux que pour le grand hôte; mal à l'aise à côté du Chinois, toujours prêt à le sermonner. Le Britannique, paradoxalement, était chaleureux et s'est prévalu, à raison, de son "special relationship". Le plus heureux était sans doute le roi d'Arabie, Sa Majesté Abdallah : lors du G-20, "salam aleykoum" a-t-il lancé à son Barack Hussein, son éventuel sujet honoris causa. C'est connu, il est le Serviteur des Lieux Saints. Il réclame, de ce fait, le plus grand respect. "Ve aleykoum salam ve rahmetoullahi ve berekatou" lui a répondu Obama. Et à l'occasion, il n'a pas manqué de se courber; ou de se plier en deux, plutôt...



Ca ne fait pas pouffer, assurément. La Reine d'Angleterre, la première, a dû se désoler : la pauvre, elle a eu droit à des privautés qu'elle n'a jamais goûtées de sa vie : la main de Michelle sur son dos, geste que même Sarkozy n'avait pas osé. Pas de révérence, par-dessus le marché. Nos Premières Dames aiment bien cette manière : la République montre sa déférence à la Souveraine. Bernadette parce-qu'elle est aristocrate et Bruni pour le "fun". Mais les Etats-Uniens sont trop imbus d'eux-mêmes pour courber l'échine. Attrappé ! Et le Président en personne ! Et devant qui ! "Il est vraiment musulman, hein, ce type, allez dites-le, on va le destituer..."


Ca part dans tous les sens : Sarkozy et son "retour" à l'OTAN passe au second rang; "il est beau, hein ?", "allez viens en Normandie, s'te plait !", "après, après". Platitude. Chacun s'invente un entretien "fécond" avec le Président Obama; et reprend haleine devant les micros : "oui, je l'ai touché, il est flamboyant".


Les Turcs sont les grands gagnants : le nouveau secrétaire général de l'OTAN a dû passer un grand oral devant Erdoğan et Gül. Rasmussen. Le Danois. Il rêvait de ce poste. La Turquie ne l'apprécie pas, ce n'est pas un mystère : il faut dire qu'il a tellement mal géré la crise des caricatures que l'on se demande si ça ne tourne pas à un nouveau pied de nez. "L'OTAN doit lutter contre le terrorisme d'al-qaida en Afghanistan et au Pakistan, et l'homme idéal, c'est Rasmussen, point !". Ah ouais ? Un Sieur qui répond liberté d'expression quand le gouvernement turc lui demande de bien vouloir collaborer dans la lutte contre le terrorisme du PKK en interdisant la chaine Roj Tv basée au Danemark; un Sieur qui répète le même refrain quand le monde musulman lui demande de bien vouloir s'impliquer pour calmer sa légitime colère. Le voilà à la tête d'une organisation qui lutte contre le terrorisme et qui a besoin du soutien et du respect des musulmans. Mal parti. "Il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark"...


Les Turcs ont fait montre de magnanimité : "allez va, arrête de pleurer, tu seras le prochain secrétaire mais...". Evidemment, en posant des conditions; comme une grande puissance : on a besoin des Turcs partout : énergie, Caucase, Afghanistan, Proche-Orient, Iran. Le Grand Turc a donc reçu des assurances : fermeture de Roj Tv, geste pour le monde musulman, un poste de secrétaire-adjoint. Un langage dru fait des merveilles... Et chacun ses critères : les Français veulent toujours que les secrétaires généraux de l'ONU et de l'OTAN maîtrisent le français; et ça marche. Quoique avec Ban Ki-Moon; le pauvre avait dû affronter Elkabach et sa gouaille usuelle "alors vous parlez français, allez allez dites-le, parlez, allez !", "j'apprends petit à petit..."


G-20 et réunion de l'OTAN, deux succès nous disent les spécialistes : DSK a rempli sa bourse, Obama a ébloui tout le monde. Même les Russes se dérident un peu, c'est dire. Des Alliés sur leurs quilles, réconfortant; paradoxalement, on a plus peur : quand l'Alliance reprend du poil de la bête, elle fulgure en même temps, ça tape sur les nerfs de certains. Des ennemis. Et on a peur : ils le disent bien les Anciens : il n'y en a pas de plus empêché que celui qui tient la queue de la poêle. On est déterminés à lutter contre nos ennemis; et en même temps, on les galvanise davantage en les pointant. On ne vit qu'entre deux conflits. "Arrête de laïusser, j'te dis, la solution militaire, mon coco, la panacée, on va les destroy !". Discours à la serpe, encore et toujours. On ne se refait pas...