samedi 29 mars 2014

Artisanal

On savait déjà que l'Etat turc n'avait aucun "chic". Avec un palais présidentiel rose, perdu dans une forêt, euh... Un baraquement, ma parole. Mustafa Kemal ayant choisi ("chipé" disent les mauvaises langues) le lieu, personne n'ose avancer une proposition de changement. De Gaulle aussi s'ennuyait à l'Elysée, nous avec lui. "On ne fait pas l'Histoire dans le 8è arrondissement de Paris", dixit le grand. Un château de Vincennes ou un Hôtel des Invalides aurait fait l'affaire mais là, un "musée"...



Le siège du premier ministre est, révérence parler, une autre "horreur". Rose pâle. Avec des fenêtres d'établissement scolaire. Heureusement que l'actuel, Tayyip Erdogan, a décidé de bâtir une nouvelle résidence. C'est mieux mais voilà quoi, sans plus. Ce n'est pas un palais de Dolmabahçe bis avec du baroque, du néoclassicisme et du rococo. Et les gens de robe sont toujours là pour l'enquiquiner. Un juge administratif a bloqué le projet; raison : zone de protection ! Erdogan a annoncé la bonne nouvelle : "rien à foutre, on continue la construction" !

Quand j'y pense, la porte de la Cour de cassation (Yargıtay) reste la seule dorure de la capitale. Sur fond rose, encore. Avec les très esthétiques unités extérieures des climatiseurs. Et une belle statue de Mustafa Kemal à côté de celle de la Justice... Une porte. Il faut le faire, n'est-ce pas; le seul truc qui brille dans l'architecture ankarienne est une porte. "Mahkeme duvarı" disent les Turcs pour évoquer l'austérité, "le mur d'un tribunal", un peu notre "porte de prison". Vas-y pour un néologisme : "gai comme la porte de Cassation"...


Yeni Başbakanlık ”Selçuklu Misyonu” ile İnşaa Ediliyor




On apprend aujourd'hui que l'Etat turc est par-dessus le marché une "farce". On était presque habitué à entendre la voix des dirigeants papoter avec des membres de leurs familles sur les montagnes de billets à cacher sous le tapis. Et on se faisait à l'idée. Bon allez, ça peut arriver, les démons virevoltent si souvent dans les hautes sphères. Le Premier avait aussi parlé de probables écoutes des téléphones cryptés. Pour la, euh combien déjà, 17è puissance mondiale, ça la foutait mal, passez l'expression, mais c'était comme ça, des mafiosi avaient planté leurs oreilles quelque part là-haut. On le plaignait d'ailleurs; la masse le soutenait même dans sa croisade contre les forces du mal, il avait quadrillé le pays. Personne ne bougeait...

Et paf. Les espions ont divulgué le "brain storming" qui s'est déroulé dans le bureau même du ministre des affaires étrangères. Celui qui siège dans une autre "mocheté sans masque" comme dirait Jean Dutourd, un "paquebot" du type onusien. Ils sont franchement nuls, quand j'y repense... Bref, on écoute le bureau du ministre avec à sa droite, s'il vous plaît, le directeur du service des renseignements (MIT), et à sa gauche, le major général des armées (c'est-à-dire le numéro 2 de l'armée turque). On déroule des scénarios, on dit des âneries, on se coupe la parole et on se fait choper.



Et le major général, complètement à côté de la plaque. "Il faut adresser une note diplomatique à la Syrie, à mon avis", tente Monsieur le général que Monsieur le ministre rétorque, "on l'a déjà fait et plusieurs fois" ! Eh ben avec ça, on dirige un Etat ! L'armée ne sait pas ce que fait le ministère des affaires étrangères en Syrie ! Le directeur du cabinet du ministre se la joue autorité morale en donnant un cours de droit international et d'éthique politique alors que Monsieur le général, fort en gueule, coupe la parole à tout le monde. Et le ministre de parler théorie comme à son habitude...

Et le plus dramatique : le directeur du MIT, le bien dévoué Hakan Fidan, va jusqu'à proposer de faire envoyer des fusées sur le sol turc ou sur le mausolée de Suleyman Shah (enclave turque en Syrie) pour créer un casus belli avec la Syrie ! Un peu comme ces généraux qui avaient été embastillés dans l'affaire Balyoz. Ils avaient prévu de faire sauter deux mosquées. Ma pauvre abeille, le général Cetin Dogan, était devenu la "tête à claques".  Le Sieur Fidan, lui, ne sera pas inquiété. Une loi spéciale le protège. Et il a une "force d'attraction" auprès d'Erdogan qui défie tout entendement.

Et on devine les éclats de risée venant de là-bas, de la Syrie. Du palais de Damas. Des repaires des djihadistes. Mais aussi des capitales du monde entier. YouTube n'est interdit qu'en Turquie, après tout. Ah oui  alors, parce-que le Premier a immédiatement bloqué le site. Question de "sécurité nationale". Tout le monde le sait sauf les Turcs de la profonde Anatolie. Ces braves qui votent pour un charisme et non pour des ragots. Et d'autres nunuches en sont toujours à demander : "qui c'est ? qui c'est le traître ?" Bah, c'est Judas. Le "baiser de Judas", voilà la piste. Toujours dans l'entourage, les félons. Dans l'entourage et dans la garde rapprochée. Suivez le regard...

Mohsen Namjoo ((ey Sareban))

dimanche 9 mars 2014

Catharsis

On leur aurait donné le bon Dieu sans confession. Et c'était là précisément le drame. Car une implosion est toujours plus déroutante qu'une explosion, on n'arrive pas à comprendre. Des dirigeants conservateurs gouvernaient un peuple conservateur avec des cadres conservateurs. Le nec plus ultra, pour les concernés. Les kémalistes, eux, narguaient le peuple, ses valeurs, son orientation. Ilker Basbug, qui venait de se frayer un chemin au milieu de la pétaudière, n'avait pas dit autre chose : l'armée s'était trop préoccupée de la barbe et du voile de ceux et celles dont les fils allaient au feu. Pour la première fois donc que le pays réel et le pays légal concordèrent, ils attendirent autre chose que ce qu'il se passa. Un État au bord du détraquement, une nation coupée en deux, des vies brisées sans merci, une culture religieuse pervertie. Et des kémalistes pliés en quatre...

C'était l'euphorie, pourtant. On se partageait les tâches, on s'offrait des fonctions, des chapelets, des dithyrambes. Le dirigeant conservateur reconnut qu'il avait remis clefs en main la justice du pays à des fonctionnaires non moins conservateurs. L'exécutif donc, avoua se reposer sur le judiciaire pour... pour quoi d'ailleurs ? Faire des injustices ensemble ? Dévaliser coude à coude ? Gouverner de concert ? On distribuait et on acceptait des postes indûment, dans une "démocratie religieuse" ? Surtout dans un domaine régalien et "divin" comme celui de la Justice ? Leur religion leur interdisait les passe-droits, pourtant. Tant pis. En jetant toute vergogne à bas, ils installèrent une organisation. C'est ce que prétendait la rumeur publique. En tout cas, si l'on en croyait la fureur éruptive du "magnanime" et le silence gêné des "bénéficiaires"...

Mais une "main invisible" grippa le système. Ou le "doigt de Dieu". Le "très honorable Révérend" devint un félon, un faux prophète, un parrain et le "très respectable Premier" devint le démon, le corrompu, le dictateur. Conformément à la nouvelle mode, des vidéos accablaient le brailleur. Qui fouettait à son tour le taiseux. Et le plus dramatique fut que les volés s'en donnèrent à cœur joie pour défendre le voleur. La sociologie politique disait sans doute des choses sur le profil de ce citoyen atypique. Mais tout le monde s'en battait. Et la remise en cause, à quoi bon ? Tout était donc bobard. Les "grands procès" devinrent truqués du jour au lendemain, le souci des droits de l'Homme, de la poudre aux yeux. Le climat devint inquiétant : on bâillonnait l'opposition, on faisait pleurer des patrons de presse, on nommait à la tête du Conseil d'Etat, on annula des marchés publics. Heureusement qu'il y eut une déflagration, pensèrent les moins sentimentaux. L'abcès... 

Voilà donc à quoi ressemblait une guéguerre des conservateurs. Le niveau ? L'étiage. Car, comme disait l'autre, "pour penser, il faut être". Être. Savoir réfléchir. Savoir soupeser. Savoir trancher. Tout cela se faisait avec un cerveau, précisément. Leur livre sacré ne disait pas autre chose lorsqu'il en appelait, à maintes reprises, à la raison, "ne réfléchissez-vous donc pas !" Sous forme exclamative, en plus. L'islam s'appuyait sur la volition et le discernement. Il n'y avait pas et il ne saurait y avoir d'instinct grégaire, chacun allait avoir son procès, ses humiliations, ses peines. Pourquoi alors se ranger automatiquement derrière une opinion ? Parce-que le conservateur croyait ce que son gourou lui demandait de croire. C'est en cela que la bataille des dévots affola...  

Le Coran disait : "que l'aversion que vous ressentez pour un peuple ne vous incite pas à commettre des injustices" (5; 8). Que nenni ! avaient répondu en chœur les protagonistes. "Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges", n'est-ce pas... "Qu'ils aillent tous au diable", avaient fini par éructer certains. "Nous avons proclamé la démocratie, il nous reste à trouver des démocrates", pleuraient d'autres. Et puisque c'était la guerre des croyants, d'autres lançaient "tuez-vous, Dieu reconnaîtra les siens". Et les "islamistes" au pouvoir furent ainsi éprouvés. La conclusion coula de source : des gobeurs, on ne saurait faire des démocrates. Pour la simple raison que la Justice, qui tenait pourtant le haut du pavé dans l'échelle des valeurs islamiques, n'était et n'avait été, en réalité, une préoccupation pour personne...