samedi 31 janvier 2009

Oignez vilain, il vous poindra; poignez vilain, il vous oindra

Que dire ? Le coeur dit bravo, la raison dit mince. Alors que tout le monde suppliait le Roi d'Arabie Saoudite de hausser le ton en qualité de "primat" d'honneur du monde musulman, c'est le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdoğan qui éclata. Une déflagration de colère. Un "coup de gueule" mémorable.

Double "scandale" : l'un formel en quittant la séance, l'autre fondamental en lançant à la tête de Shimon Pérès, "vous, vous savez bien tuer !". Ban Ki Moon, un diplomate de formation, a gardé son sang froid, l'air un peu hagard. Et que dire de Amr Moussa, le secrétaire général d'une Ligue arabe qui ne connait pas encore sa position exacte sur le conflit : "ah bah voilà un homme d'Etat !". D'ailleurs, on l'a vu saluer in extremis Erdoğan, "tu es la lumière de mes yeux". Les peuples arabes se sont également exaltés : "le nouvel Abdulhamid, nous te saluons".

Shimon l'aurait appelé après l'incident : "mais nan mon brave, j't'ai pas crié d'ssus, je suis sourd, c'est pour l'assistance, j'ai eu peur d'être inaudible, tu comprends, allez ne boude pas". C'est un vieux lion; un "prix Nobel" par-dessus le marché. Lui, il a le droit de brailler en le désignant de l'index : "écoute petit, si on bombardait Istanbul, qu'aurais-tu fait ? Réponds, pantin !". Le Turc a donc rugi. Que personne ne s'en excuse. Le Lobby juif américain a immédiatement qualifié ce geste de provocant et de dangereux; attention à la multiplication des actes antisémites. Toujours la même stratégie : "oh vraiment, tu as mal fait, arrête de tuer des civils", "dis pas ça, les actes antisémites vont se multiplier, sinon..."

Bien sûr, chacun son opinion : "helal olsun" (bravo !) a-t-on pu lire sur la une de certains journaux; le CHP, fidèle opposant, est perplexe : "t'es bête ou quoi, c'est quoi ce geste de malappris ? Tu nous fait honte !". Du classique CHP. La Nation salue un homme d'Etat, le CHP tremble pour les élections locales : "d'accord, c'est bien mais ne parle pas de ça pendant les meetings, d'accord, jure-le !". Le Premier ministre aurait foulé aux pieds le strict minimum de contenance qu'imposent les convenances diplomatiques. D'accord. L'on préfère, cependant, avoir des dirigeants grossiers que des gouvernants impudemment menteurs (Bush) ou rondement criminels (une page ne suffirait à les citer).

Et les Israéliens ne sont pas bien placés pour assener des leçons de bienséance; Ehud Olmert se targuait d'avoir ordonné au Président Bush de tout faire pour que Rice ne vote pas la résolution au Conseil de sécurité; leur roideur à l'égard des diplomates qui visitent Gaza est déjà proverbiale; le ministère français des affaires étrangères a dû convoquer, pour la première fois, l'ambassadeur d'Israël pour protester contre la rétention pendant six heures du Consul général de France à Eretz.

Quant au fond : la Turquie serait devenue le porte-parole du Hamas, à rebours de la tendance qu'impose le paradigme international. Cela tombe bien, la France aussi fait des clins d'oeil au Hamas : Bernard Kouchner parle de "partenaire" pour un groupement qui figure sur la liste européenne des organisations terroristes. Et chacun sait qu'il n'est pas possible de l'éviter. Tiens, même Tony Blair se met à signaler la nécessité de sa participation.

Mais évidence diplomatique : être poli en toute occasion; un acte qui grandit le dirigeant n'est pas toujours bon pour son pays. Ses conseillers lui ont sans doute chuchoté des choses sensées, quand il était calme. C'est un "Kasımpaşalı", une manière d'être. Qui a su donner des leçons à Churchill, l'un des plus formidables "mal embouchés" que l'histoire ait connus ? Il en faut des gens de cet acabit...

D'ailleurs, à son retour triomphal au pays, il a rétorqué : "moi, je ne suis pas un "mon cher" (allusion à quelques diplomates turcs retraités qui se sont indignés de son attitude), je viens de la politique, pas des enceintes ouatées". Etre fier de sa rusticité, un critère pour bien réussir en politique. Les Turcs chérissent les dirigeants qui viennent de l'indigence. Un type normal, comme tout le monde... Il fallait sans doute éviter de jeter en pâture une question aussi explosive à une table ronde dont on savait qu'elle serait formelle, épidermique et hasardeuse. Tayyip Erdoğan, Shimon Pérès, Ban Ki-Moon, Amr Moussa, excusez du peu ! La faute aux diplomates, ils n'ont pas su prévoir la très probable effervescence entre un Turc qui n'a jamais caché son désir de demander des comptes et un Israélien qui s'est toujours gardé d'exprimer une goutte de désolation pour les victimes civiles. Les mêmes sont appelés à la rescousse, sans tirer des soupirs de leurs talons, cette fois-ci... C'est aux souffleurs d'éteindre.

jeudi 29 janvier 2009

Leçons de détricotage

"Toute réforme portant atteinte à la foi, aux traditions et aux valeurs est appelée hérésie". Leçon inaugurale du nouveau patriarche de "toutes les Russies", Kirill. Effondrement des masses. Comme si tout le monde attendait un hérésiarque à la tête de l'Eglise orthodoxe. Surtout après Alexis II, celui dont la carrure faisait presque fuir.


Pas de modération donc dans la lutte contre "l'état d'esprit permissif". A bon entendeur, salut ! "Arrêtez de bougonner, bande d'ingrats, vous jouissez des délices de la chair, que voulez-vous encore ?" C'est vrai que les popes orthodoxes ont l'essentiel par rapport aux prêtres catholiques, affamés dans ce domaine. Toujours le même passage qui me revient à l'esprit, la complainte du Padre Amaro (Eça de Queiroz) : "pourquoi l'Eglise interdisait-elle à ses prêtres, à des hommes qui vivent parmi les hommes, les joies les plus naturelles, auxquelles même les animaux ont droit ? Comment concevoir qu'il suffise à un vieil évêque de dire à un homme jeune et fort : "tu seras chaste" pour qu'à l'instant son sang se glace dans ses veines, pour qu'un seul mot latin, accedo, prononcé en tremblant par un séminariste apeuré éteigne à tout jamais la formidable rébellion de sa chair ? Et qui a inventé cela ? Un concile d'évêques décrépits, venus du fond de leurs croîtres, de la paix de leurs écoles, racornis comme du parchemin, impuissants comme des eunuques !" Citation.


Le Pape n'est pas très tendre non plus dans ce domaine. Un dur; mais capable de souplesse quand il le faut. Ainsi, les excommunications contre les dissidents intégristes ont été levées; les suiveurs de Mgr Lefebvre. "Allez revenez mes petits, j'éponge tout, Dieu suivra". Des ultras du catholicisme, nous disent les spécialistes : messe en latin, dos tourné aux fidèles, déni de la liberté religieuse, etc. Les "nouveautés destructrices de l'Eglise". Le Britannique nouvellement absous était tellement content qu'il en perdit son latin : "ouais, et en plus, les chambres à gaz, c'est du pipo, alors qu'est-ce que t'en penses ?". Les journalistes se sont donc tournés vers le Vatican : "bah, il commence déjà à divaguer, qu'est-ce que vous allez faire ?", "C'est contraire à l'enseignement de l'Eglise hein, mais on ne va pas le sanctionner pour cette fois-ci, ça devient du pataugis après". Comme une comédie.


L'Eglise de Suède est dans une autre planète, aussi. Elle se demande s'il ne faudrait pas autoriser les mariages homosexuels à l'Eglise. L'on avait déjà aperçu la cléricaille luthérienne défiler à la Gay Pride en 2007 au nom de "l'amour". Les "bénédictions" des couples homosexuels étaient déjà courantes; maintenant, l'on passe à la vitesse supérieure : "tu jures de lui être fidèle toute ta vie ?", "Mais non, mon Père, la fidélité ne fait pas partie des devoirs du mariage chez les homosexuels, il ne manquait plus que ça !"... Les Anglicans étaient au bord de l'éclatement l'été dernier : les évêques africains avaient même refusé de participer à la conférence de Lambeth; "vous êtes des apostats" avait même lancé Peter Akinola, archevêque du Nigéria, figure de proue du courant conservateur. "Mais c'est rien, même Jésus était homo; sans doute; enfin, peut-être; après tout, il ne s'est jamais marié et il se trimbalait avec une horde d'hommes", dixit Gene Robinson, évêque homosexuel américain. Jadis, Desmond Tutu, celui de l'Afrique du Sud, avait lancé un ultimatum à son Dieu : "oh tu sais, moi de toute façon, je ne peux pas croire à un Dieu homophobe", "tais-toi, hérétique chevronné !" a dû rouspéter Peter Akinola.


Tellement de divergences fondamentales que l'on se demande toujours si c'est bien le seul Christ et le même Saint-Esprit qui ont été à l'oeuvre. Avant, on se contentait de dépiauter les textes; maintenant, on s'efforce de les dénoyauter. Je l'ai toujours pensé : en matière de religion révélée ou inspirée, il n'y a pas de table de négociation sur les fondements; un principe juridique : interpretatio cessat in claris. Mais il y a la liberté de pécher. Et personne n'a à s'en offusquer. Arrête de faire le Zoïle, viens, on va narguer Dieu, tu viens ? Vade Retro !

dimanche 25 janvier 2009

Chien hargneux a toujours l'oreille déchirée

On lui recherchait une porte de sortie depuis un certain temps. On allait presque remercier son engrosseur qu'elle s'est précipitée à la Cour de cassation pour assister à sa "rentrée solennelle". "Bon, Rachida, on va supprimer le juge d'instruction, fais comme si tu le savais !", "oui, chef !". Ségolène Royal n'a pas tardé : "harcèlement moral, Sarkozy la pousse au stakhanovisme ! Vas-y Rachida, reste à la maison, allaite, ma soeur !". Même Fadela qui n'avait pas apprécié l'attitude de sa collègue, en reste pantoise : "Oh tu m'énerves Ségolène, arrête d'ouvrir la bouche, qu'est-ce qu'elle raconte encore...".


C'est vrai que passer du statut de "ministre" à celui de "député", qui plus est européen, n'est pas une promotion au sens classique du terme. Mais avec le Président Sarkozy, le classique fait sa mue; "va prendre de l'air, ensuite tu reviendras en force dans mon nouveau gouvernement, d'accord ?", "oui, chef ! Donne-moi du pouvoir, des logements de fonction, des chauffeurs, ça me suffit; il faut que je fasse l'exemple pour la canaille banlieusarde : regardez, j'ai réussi; mon Dieu, que je suis belle !". Il faut lui donner l'haleine, elle a mené moult réformes.


Mais Rachida Dati préfère demeurer au Ministère pendant la campagne; elle est éligible, elle est le symbole de l'ouverture à la diversité, elle est donc dégagée de toute compétition suante... Un peu comme de Gaulle : "que voulez-vous que je dise ? Moi, le Général de Gaulle, sauveur de la Nation, je demande vos suffrages...". Il faut qu'elle demeure en politique, elle vient de la zone. Tout un symbole. Indéboulonnable. Et Raffarin n'en finit plus de l'encenser, à sa manière : "Quand vous êtes le soleil, c'est bien d'avoir des étoiles qui expriment la diversité. Et puis l'étoile doit devenir soleil, et à ce moment là il faut l'aider". D'accord. Her star is shining, si j'ai bien compris. Mais Mevlana le disait d'une autre manière : "quand le soleil se lève, les étoiles disparaissent". Quand les compétents arrivent, les autres dégagent...


Michel Barnier a accepté, sans état d'âme, d'être la "locomotive" pour l'Ile-de-France. Pas pour être un vulgaire député européen, bien sûr; il rêve d'un poste à la Commission, comme avant. Les élus français ne sont pas, comme on le sait, très enthousiastes à l'idée d'être à Strasbourg. Rama Yade l'avait exprimé sincèrement; depuis, elle est en sursis. Et ceux qui y sont brillent par leur absentéisme. Les Le Pen, de Villiers et autres. C'est difficile d'être à la fois eurodéputé et porte-parole d'un parti politique français aussi, par exemple...


Ce qui reste frappant, c'est ce dévouement des politiciens français. Ainsi, l'on voit Roger Karoutchi et Valérie Pécresse, deux ministres, se donner des coups de coude pour les régionales en Ile-de-France. Toujours ce besoin d'avoir un ancrage local. Et que dire de Xavier Bertrand ? Quitter un ministère pour devenir "secrétaire général"; l'avenir vient de loin disent certains... En Turquie, quitter la députation pour la mairie sonne comme une plaisanterie. On vient de la mairie à la députation. A Ankara; la capitale, les honneurs, les privilèges.


De toute manière, la politique se fait autrement ici : comment imaginer une seule seconde qu'une ministre, en Turquie, accouche en pleine fonction et, comble de "l'indécence", sans être mariée ou pis encore, en dissimulant l'identité de son compagnon. Un "veled-i zina". Un enfant adultérin. Impossible. Ou comment assister sereinement à la révélation, par un ministre, de son homosexualité ? Insensé. Lourdise.


On a compris : donne un oeuf pour avoir un boeuf. Mais la question demeure : pourquoi la débarquer au Parlement européen ? On avait crû comprendre que le Président honoraire du Conseil européen avait une haute idée de "l'organe législatif" de l'UE; or, on le remplit de non-initiés. Soit dit sans offense, Rachida n'est pas très compétente en la matière. D'ailleurs, elle a l'air de ne pas s'y attarder, toujours la même phrase à la bouche : "si le parti en a décidé ainsi, je fonce !". Heureusement, personne ne se met martel en tête; les youyous des magistrats commencent à se faire entendre; même les procureurs doivent être ravis : la plume reste serve mais la parole redevient libre. Les traumatismes sont finis. Au revoir Madame. Comme un couperet.

samedi 17 janvier 2009

Indivisibilité...

Voilà bien une scène de bravoure républicaine : les juifs et les musulmans s'invitent à ne pas "importer" la problématique de Gaza en France. Mais du haut de leurs tours. De l'hypocrisie. L'on se demande toujours pourquoi le CRIF et l'Union des étudiants juifs de France se préoccupent tant de ce qui se passe en Israël alors qu'ils sont Français et qu'ils nous prient de croire, à longueur de discours, que la guerre Israël-Hamas n'a qu'une dimension politique. Ils ont tout de même pris part à des manifestations "pro-Israël". Avec des drapeaux israéliens, par dessus le marché. Personne ne s'en est offusqué. Evidemment. Alors que juif et Israélien, ce n'est pas tout à fait la même chose, à ma connaissance.

"Cohésion nationale", "vivre ensemble", toujours cette manie de dépouiller les citoyens de leurs attributs religieux. "Je sais que tu me détestes mais viens, embrasse-moi quand même, on n'est ni juif ni musulman, on est Français". Ultime paradoxe : on fait appel aux religieux des deux bords pour contenir les exaltations : "allez, interviens, dis-leur, cessez d'être musulmans, cessez d'être juifs quelques instants, nous sommes tous Français, pas de communautarisation".

Bien sûr, on se force à croire que l'affaire n'a qu'un versant "politique", ni "religieux" ni "ethnique". Ca tombe bien, la Constitution française nous invite à ne pas nous attarder sur ces questions. Allez dire à un géronte musulman qu'il pleure pour rien, puisque c'est une question politique d'un pays lointain, "allez, birbe, mouche-toi, viens, arrête de réciter des prières, t'es Français". Mais le Président, expert en sérénade, préfère tout de même commencer son communiqué pour les voeux aux autorités religieuses de cette manière : "En cette période de tension internationale au Proche-Orient, le président de la République a une nouvelle fois remercié et félicité tous les représentants des grandes religions de France, dont il a salué le rôle modérateur, pacificateur et rassembleur"; tout en citant au paragraphe suivant le "principe fondamental d'indivisibilité de la République française". Allez comprendre.

Les conservateurs aiment citer le hadith "vous êtes comme un corps, dès que l'un de ses membres se plaint de quelque mal, tout le corps en souffre". C'est vrai que l'Organisation de la Conférence islamique, créée, jadis, tout spécialement pour cette affaire, reste inaudible. C'est un problème politique, pas religieux.

En Turquie, le Premier ministre n'a pas trouvé d'autre solution que de parler en hébreu : "hein, ouvre la Torah, qu'est-ce c'est marqué : "tu ne tueras point", allez répète : "Lo tir Tsakh". Et son épouse avait invité les "first ladies" de quelques Etats arabes à Istanbul pour pleurer ensemble. L'épouse de Hosni n'était pas venue, bien sûr, son mari lui interdisant de pleurer.


Les ottomanistes turcs nous ont fait une surprise à l'occasion : "tu sais quoi ?", "quoi ?", "Gaza, c'était la propriété privée du sultan Abdulhamid, dis-leur de nous la rétrocéder", "ah ouais ! Ca nous fait une belle jambe, ça, comment on fait alors pour reprendre la terre de notre ancêtre ?", "j'sais pas..."

Une discrimination dans la peine; voilà ce qui irrite les théoriciens. BHL le dit mieux : "Il y a des gens, apparemment, pour qui il n'y a de bon musulman qu'en guerre contre Israël". Bien vu. Mais la nature de l'homme continue à faire épancher plus de fiel pour ses coreligionnaires. "Dans mon coeur et dans mon âme, est la joie de la certitude". Malheureusement. Beugle toujours.

samedi 10 janvier 2009

République munitionnée

Le balayage a repris; la justice turque s'acharne sur les nervis de haute volée qui avaient juré de restaurer l'ordre républicain par la force. Encore des bureaucrates, des généraux, des intellectuels en partance pour la détention provisoire (cf : http://sami-kilic.blogspot.com/2008/07/nettoyage.html).

Deniz Baykal, président viager du CHP (parti républicain du peuple, fausse gauche), qui s'était, jadis, proclamé "l'avocat de l'Ergenekon" (nom donné à cette organisation séditieuse animée par la "stratégie de la tension"), refait le boute-feu de service : "vous mentez ! On se dirige vers un Etat policier, où tous les opposants sont brimés, où les problèmes économiques et sociaux sont noyés dans ce tapage factice !" Or, il le sait mieux que quiconque, c'est un professeur de droit : le Parquet ne dépend pas du ministère de la Justice, en Turquie. Mais il faut crier; une exigence. Pour avoir l'air de faire son boulot, le seul qu'il assume depuis qu'il est en politique : l'opposition.

Bien sûr, on ne peut que s'étonner de la position de certains : la police a ainsi fouillé le domicile de l'ancien Procureur général près la Cour de cassation, Sabih Kanadoğlu, celui dont personne n'a encore pu admirer le sourire.




Ce haut magistrat qui avait obtenu l'interdiction du Parti de la Vertu et qui avait été à l'origine du blocage institutionnel au moment de l'élection présidentielle (affaire dite du "367"), s'est immédiatement précipité vers les microphones : "Attention, vous dis-je, on se dirige vers un Etat sharaïque, l'AKP entame la République laïque ! Allons citoyens, ne restez pas les bras ballants, protestez, on bascule !". Encore cette idée de "basculement". Depuis 2002, on bascule, soit dit en passant.

L'ampleur de l'affaire est évidente, pourtant : des armes, des bombes et autres explosifs ont été trouvés dans des caches, découvertes grâce aux croquis retrouvés chez un ancien des Renseignements. Mais certains persistent à s'attendrir : "on n'embarque pas le gratin comme ça voyons ! Comme des malandrins; un peu de décence !" D'autres sont fermes : "c'est un coup monté, j'parie; comment mettre dans le même sac un agent des services secrets visiblement mauvais garçon et un ancien président d'université ? Hein !" Comme si la propension à commettre des infractions dépendait du niveau intellectuel. Il est respectable, comment se fait-ce ! Bah, ça se fait.

Toujours les tranchées, toujours les mêmes pions, les mêmes indignations et, au fond, ce sentiment absolutoire de penser que cette engeance agissait "pour le bien" de la République laïque : la débarrasser des scories AKPistes. Sans délégation démocratique, évidemment. Par les armes. Les tentatives de coups d'Etat en 2003-2004, l'assassinat de Hrant Dink, l'attentat du Conseil d'Etat, des troubles par-ci, des manifestations par-là... Toute cette folie au nom d'un principe supérieur : la sauvegarde de la laïcité et de l'unité du pays. Un pays où l'on ambitionne de protéger le fondement idéologique par les armes; une République qui avance bardée d'explosifs, "au cas où". Et certains ne trouvent rien à redire. C'est normal. La fleur au fusil. Au nom de la laïcité et du patriotisme. Insanie, que dire ? De quoi se flinguer, vraiment...

dimanche 4 janvier 2009

Rêver le réalisme

La saison des anathèmes, des remontrances, des serments de toutes sortes est ouverte : Israël veut en découdre, les "durs" de l'autre bord en sont aux "ALLAH ekber" (ALLAH est grand), les désolations se compartimentent, les chagrins sont divisibles : les uns pleurent les Israëliens victimes du Hamas, d'autres, plus nombreux, gémissent pour les Palestiniens morts. Même en France, où l'on persiste à se considérer comme une nation une et indivisible, les clans pleurent les leurs sans se soucier, du moins en apparence, de la peine des autres.
Dans ces contrées, la mort d'un membre de la famille suscite ni interrogation ni attardement. La Patrie est tout; tout enfant, un martyr en devenir. La structure mentale et la représentation sociétale sont ainsi, la vie n'a point d'existence propre, elle est l'accessoire d'un idéal.
La tempète était prévisible, l'entêtement et l'aveuglement ont fait le reste. Mais l'injustice à l'égard des Palestiniens civils, tués lors des bombardements, est tenaillante; on est humain, au fond, il faut bien ressentir des choses. On se désole tout autant pour les Israéliens innocents, victimes de roquettes. D'ailleurs, dépouillé de toute affiliation religieuse, la simple logique nous impose cette posture; même Tayyip Erdogan, qui a ouvert la bouche sans réfléchir, en aurait été convaincu. Que fait la Turquie en Iraq du Nord, de temps en temps ? Eh bien, elle lutte contre des terroristes. Que dit Israël ? "Je lutte contre des terroristes". A tort ou à raison, c'est sa position officielle; on se retrouve dans une configuration semblable.
Evidemment, personne n'a raison, et malheureusement personne n'a tort. Que des convaincus. Mais faire comme si Israël avait systématiquement raison devient, à la fin, une pathologie. Le réalisme impose une chose très claire : bannir le terme de "résistance". Qu'on le veuille ou non, l'Etat est là; pour l'éternité, puissant. Injustement, peut-être. Mais quand la "cause" des uns devient théorique, il vaut mieux s'investir à fond dans les négociations. Embarqué sur le même navire, il est temps de rêver au même rivage. La normalité, coûte que coûte.