vendredi 25 juin 2010

Récréation...

Voilà. C'est fini. Deux ans. On a passé deux ans de notre vie à suivre cette histoire. Quand je termine un bon roman, un bon film ou une bonne série, j'en suis toujours affecté, moi. J'ai passé du temps avec l'oeuvre, j'ai eu l'occasion de rêver, de pleurer, de me détacher, de m'égayer, de muser et aussi, de me débaucher. Il faut tout connaître, c'est le slogan de ma vie. Tous les sentiments, tous les goûts, toutes les pensées.


Voilà donc. Bihter s'est suicidée, Behlül a pris la fuite, Beşir est mort, Nihal est devenue quasi-folle et la majestueuse Firdevs Hanım est paralysée. Tous dévastés. Adieu la joie, la beauté, le sybaritisme, le luxe, le raffinement, bref la vie. On avait espéré un coup de théâtre jusqu'au dernier moment. Moi, en tout cas. En règle générale, je préfère les histoires où tout se termine mal, nature pessimiste oblige. Une fois, j'avais lu le Nom de la rose, le Crime du Padre Amaro et la Faute de l'abbé Mouret à l'affilée. Que du noir, des dévastations, des vies brisées, des morts.


Dudaktan kalbe aussi s'était terminée ainsi. Un suicide. Là aussi, ça m'avait occupé un instant. J'en faisais encore l'analyse dans le train. Une réussite, assurément. Car réaliste. Ca ne finit pas en beauté où tout le monde se réenchante, s'aime, oublie tout. Les séries-éponges, ce n'est pas mon truc. Il faut des larmes. Des larmes. Mais là, j'aurais voulu une autre fin. La bassesse jusqu'au bout, en somme; la fuite de Bihter et de Behlül pour vivre leur "amour interdit".


Il faut l'avouer, tout de même. L'histoire d' Aşk-ı Memnu était un sujet très grave; dramatique, rare. Un cran en-dessous de la relation incestueuse. La relation incestueuse, par exemple, on ne peut pas la montrer à l'écran en Turquie. Eh bien, on croyait la même chose pour ce genre de relation. Un neveu qui couche (entre autres) avec la femme de son oncle. Ce n'est pas tant cette idée qui dérange puisque cette série avait déjà été adaptée dans les années 1970; c'était le fait de voir des scènes chaudes entre ces deux corps "indignes", "ignobles", "nauséeux". Mais bon, on a tous regardé. Comme quoi...


On ne saura pas ce qui adviendra de la famille Ziyagil après cette tragédie. "Matmazel" (Mademoiselle, la gouvernante) pétillait. Son tour était arrivé, sans doute. On est libre d'imaginer, désormais. C'est Nihal qui me préoccupe le plus, moi. Elle était amoureuse de son cousin (Behlül) depuis sa plus tendre enfance. Celui-ci était un bourreau des coeurs, pourtant. Il multipliait les conquêtes. "Helal olsun, valla". Elle avait patienté. Et elle l'avait obtenu, d'accord grâce aux coups de boutoir de Firdevs Hanım mais au final, elle l'avait; pour elle toute seule. Et patatras ! Après tant d'années passées en cousins, tant de jours en amoureux, paff, le vide. Il faut tout oublier car le dégoût est passé par là. Mais si elle le revoyait des années après, ce serait peut-être négociable, non ? Et Behlül, qu'est-ce qu'il pourrait bien devenir ? Déconsidéré, banni de la haute société, sans un sou. D'ailleurs, il ressemblait à un clochard dans la dernière scène. "Je suis un assassin", il a lâché. Oui, un assassin. Un "briseur" plus exactement. Tant de vies... On peut imaginer, j'avais dit : moi, je le vois comme prostitué aux Etats-Unis, par exemple. Il a le corps pour ça, le désir pour ça, l'absence de repères et surtout le déshonneur pour ce faire. L'homme de la souillure et de l'opprobre jusqu'au bout...


Il ne nous reste plus qu'à prendre position; Behlül a aimé Bihter. On le sentait tout au long de l'histoire. Sur sa tombe, il l'a avoué. Il lui a offert une rose. Il a pleuré, oh que oui, la ménagère et les âmes sensibles avec lui. Il voulait se la jouer résipiscent en épousant sa cousine Nihal. Mais il aimait Bihter. La bouche disait non, le corps brûlait. Ca se voyait tellement; quand un homme ferme les yeux à moitié, colle fermement les lèvres, lève le menton et inhale le parfum de la femme qui se tient près de lui, il ne faut surtout pas le déranger; il est en extase. Or à chaque fois que Bihter se cramponnait à lui, il prenait cette posture. Et sa bouche disait non... On avait compris. Il se nettoyait en épousant Nihal.



Il faut donc prendre position. "Behlüliste-Bihteriste" ou "Nihaliste-Adnaniste". Je suis "behlüliste", pour ma part; on n'arrive pas à lui en vouloir. Il a aimé, au fond. Un lâche, d'accord. Mais il a tellement bien interprété l'amour; et respect pour Bihter. Une "pouffiasse" qu'on a envie de respecter, étrangement. On est dérouté. Tout le monde a ses raisons. Dans l'absolu, on est tous "nihaliste-adnaniste"; mais dans l'absolu. C'est la force de l'art, il nous permet d'être dégueulasse sans mouiller la chemise. On s'est défoulé dans la fiction, la pratique d'une telle relation semble encore plus abjecte. "Tu vois au fond, c'est une oeuvre de salut public et quand j'pense que tout le monde appelait le CSA pour interdire la série, pfff"... Alors ? Nihal toujours amoureuse de Behlül ? Elle aussi, ses yeux disent non... Moi je me suis déjà projeté dans cinq ans dans ma p'tite tête et les scénarios se bousculent... "J'imagine, coco, j'imagine, t'énerve pas"...

dimanche 20 juin 2010

"La jungle dans la villa" ou le philistinisme chez les Elus

On est bien au XXI è siècle. Pas de doute. Les juifs, eux, sont en 5770. Au LVIII è siècle. Mais le nombre des années n'est pas en soi, comme on le sait, un étalon. Au LVIII è siècle donc, en Israël, parce-que la Cour suprême a décidé d'abolir une ségrégation, 100 000 personnes ont halené dans la rue pour exprimer leur colère. On croit rêver. Quand on dégomme une discrimination, rognonner ouvertement est déjà, en soi, scandaleux; de là, à croiser des rouspéteurs fiers de l'être, on se frotte les yeux.

C'est que 100 000 Askhénazes sont mécontents; la Cour suprême a mis fin à la ségrégation qui existe dans une école religieuse pour filles entre les élèves askhénazes et les élèves séfarades. Car les Askhénazes, les arrogants d'entre les arrogants, ne voulaient pas que leur pure filiation frayât avec les Séfarades, des ploucs, comme on le devine. Culturellement et religieusement inférieurs, apprend-on. Mais quand même éléments du "peuple élu", évidemment. "Élus" face aux goyims, "béotiens" dans la communauté, sont donc les Séfarades. Osons le jeu de mots : les philistins de la judéité...

"A blatant ultra-Orthodox racism", "the racist social norms (...) characterize the entire ultra-Orthodox worldview" dit Haaretz. Quand on critique des juifs, il faut toujours citer un autre juif car personne ne veut perdre sa réputation en courant le risque de se faire taxer d'antisémite. Saramago qui vient de rendre l'âme en savait quelque chose...


"There is no greater consensus in secular Israeli society than hatred for them" nous apprend Gideon Levy. Soit dit en passant, il se demande pourquoi les politiques, la société et les juges ne sont pas aussi audacieux pour s'en prendre aux colons. Encore plus "racistes", "violents", "violateurs du droit", "plus coûteux". C'est lui qui le dit, toujours aussi percutant (mais c'est moi qui souligne) : "The Ashkenazi Haredim treat the Mizrahim abominably. It is racism. But at least it is not violent, like the racism of the settlers toward Palestinians. The Haredim put their women at the back of the bus; the settlers not only bar Palestinians from their buses, but from the entire road at times. The Haredim erect barriers between Ashkenazim and Mizrahim in their schools; the settlers carry out ethnic cleansing under the state's aegis, like that of 25,000 residents of Hebron. So who's the real racist here? Compared to the settlers' hilltop youth, the yeshiva boys are models of morality. But who gets castigated? The Haredi of course. When will the courts come out against settler racism as they have against Haredi racism? They themselves maintain different systems for penalizing Jews and Arabs. When will we hear about the thousands of fictitious civil service positions held by settlers - a salaried security official in every mobile home - in the same way that we hear about the Haredi parasites? And what about the thousands of soldiers who have to guard the settlers, the superfluous roads that have been built to serve them, the electricity and water supplies laid for illegal outposts? All of it, everything, paid by us, more than we pay for Torah study as a Haredi occupation".


"Nothing else can explain the phenomenon of tens of thousands of religious zealots, dressed in black hats and coats, congregating under the glaring midday sun to fight for the right to discriminate against their fellow Jews" dit le Jerusalem Post. Même son de cloche dans Yediot Aharonot : "The haredim may think that the law isn’t fair, but if they go down this path, they will be hurt more than anyone else. After all, unfair laws safeguard their ability to make a living without working, unfair laws enable them to study at yeshivas while our children join the army, and unfair laws safeguard the outrageous possibility to open education networks that put up a wall in the face of a girl whose only sin is being the wrong color".


Certains sont donc plus élus que d'autres. Comble du comble, lorsqu'on visite les forums des juifs de France par exemple, certains ne se focalisent même pas sur l'événement, on trouve des commentaires du type : "ça profite aux antisémites", "c'est une manipulation", "on est la risée du monde", "nos divisions profitent à nos ennemis", etc. On aurait voulu voir : "droits de l'Homme", "dévoiement du judaïsme", ou si on a quelque scrupule, au moins un truc du type "bêtise".... C'est la pathologie universelle, en réalité : sauvegarder l'apparence face aux autres. Des autres qui sont nécessairement des ennemis qui font feu de tout bois. L'individu est noyé dans le vernis du collectif. L'eau dort, l'ennemi ne dort jamais, comme on le sait.


100 000 personnes sont descendues dans les rues pour réclamer la discrimination, en somme. On est en 5770, pourtant. Aux Etats-Unis, ce fut en 1954 que le pas fut franchi. En France, comme on le sait, les écoles privées ne peuvent discriminer à l'entrée. Les Haredims, eux, vivent dans leur bulle. Ils méprisent d'autres êtres humains, en bon français. Des juifs, pourtant. Les filles séfarades rabaisseraient le niveau. Elles sont là, en réalité. Il y a un quota pour elles. La Cour suprême a tout bonnement brisé le raisonnement qui était à la base de ce quota. Des hommes de religion s'en sont émus. Car leur lecture imposait une hiérarchisation. Tout saute; tant d'années, tant de constructions intellectuelles, tant de fatigue, tant d'énergies. Des hommes de religion mais entre guillemets. Car il est difficile d'y voir ne serait-ce qu'un hochement de tête de Dieu à pareille forfaiture.


C'est l'arrogance, encore une fois. L'histoire du judaïsme est présentée dans le Coran comme l'histoire de l'arrogance. La sourate que tout musulman connaît par coeur, c'est la Fâtiha; tous les jours, cette sourate est récitée une trentaine de fois au cours des cinq prières : les musulmans demandent à Dieu de les guider dans le droit chemin et non pas dans le chemin de ceux qui "ont encouru Ta colère (...)"; c'est-à-dire les juifs. Le peuple juif est, comme on le sait, le "premier amour" de Dieu. Il lui a promis des choses; et les juifs ont débarqué après 1800 ans d'absence pour récupérer leur terre promise. Personne n'a bronché à l'époque, sauf les propriétaires de céans. D'ailleurs, ils rouspètent toujours. Comme si c'était un drame. Un imam doit leur rappeler que cette terre est "promise". C'est écrit dans le Coran, voyons...


Les Haredim profitaient de l'argent public pour étudier la Torah et prier pour l'âme d'Israël; les "oratores", en somme. Or, nous disent les spécialistes, Maïmonide disait clairement que celui qui se consacre à l'étude de la Torah en comptant sur la charité, c'est comme s'il profanait le nom du Tout-Puissant et donc se privait de l'au-delà. Voilà qui est dit. On sort souvent des passages du Coran pour "démontrer" à quel point Mahomet détestait les juifs. Sa pratique ne l'aurait-elle pas montré, d'ailleurs. On sait que les chrétiens ont vécu des siècles durant en se forgeant un ennemi; de l'intérieur, de l'extérieur ou même existentiel comme les juifs, les "déicides". On apprend que les écoles religieuses d'Israël apprennent à leur petit la philosophie de Rabbi Kook; celle qui dit que "la différence entre les juifs et les gentils est incommensurablement plus grande que celle entre un gentil et un animal". Merci pour nous. Le Coran est plus "soft", lui : "Ne discute avec les gens du Livre que de la manière la plus courtoise (...). Dites : nous croyons à ce qui est descendu vers nous et à ce qui est descendu vers vous. Notre Dieu qui est votre Dieu est unique et nous lui sommes soumis" (29 : 46).


On doit s'éclater dans les cieux, c'est certain. Les religions célestes sont éclaboussées à qui mieux mieux; salies par les extrémistes. C'est le sort de l'extrémiste : à force de promettre l'enfer aux autres, il finit par bousculer tout le monde et par prendre la tête du cortège. Braise et extase ont partie liée comme on le sait mais, le plus souvent, le ravissement qu'on croit ressentir n'est rien d'autre que les chatouillements du Déchu. Il faut le savoir, chers novices, les "fous de Dieu" forment souvent l'état-major de Satan. "Satanocratique, mon cher, satanocratique..."

dimanche 13 juin 2010

Emancipation

Les kémalistes ont peur. Leurs copains américains prétendent que la Turquie, sous la direction de son gouvernement fasciste-islamiste-terroriste-obscurantiste-hamasiste-ahmadinejadiste-dictatoriste, va changer de camp et se réfugier dans les bras soyeux de l'islam. Qu'elle va, en somme, se détourner de l'Occident et de ses hautes valeurs. Celles qui existent sur le papier. Une occasion pour féruler les opposants "républicains" et en découdre avec la République laïque. Bref, un glacement en perspective. Nos kémalistes tremblotent. A croire qu'ils n'aiment que cela.


Car les kémalistes ont toujours peur. Il fut un temps où ils aimaient répéter que la Turquie s'"iranise" ou se "malaisise". Tout le monde était mis à contribution. On s'en souvient : les pontes du pouvoir judiciaire refusaient la réforme de la justice parce-qu'ils craignaient une justice "influencée", "sous les ordres", "dépendante" et donc sharaïque. Dieu est grand, vraiment : l'interception illégale de télécommunications entre le vice-président du HSYK (CSM turc) et un ancien ministre de la justice a mis au jour tout un système : Monsieur le ministre donnait des noms à Monsieur le vice-président pour les nominations à la Cour de cassation. Des noms alévis majoritairement puisque tous ces personnages sont des alévis. Ils remplissaient donc la Cour de cassation de "fidèles". Or, c'est ce même vice-président qui, il y a quelques jours, courait dans tous les sens pour alerter la Nation de la perte d'indépendance de la justice à cause du gouvernement AKP...


Il s'avère que c'est celui-là même qui est le premier fossoyeur de cette indépendance. Il prenait directement ses ordres d'un ancien ministre qui partageait sa "conception de la vie". Mais comme avoir honte, c'est quelque chose de naturel, monsieur le vice-président a précisé aux journalistes qui l'interrogeaient : "mais c'est rien, je connais monsieur le ministre depuis longtemps, il n' y a pas mort d'homme s'il m'a soufflé quelques noms, oh, vous en faîtes un plat, allez allez...".


"Il faut les pendre ces gens-là, qu'est-ce t'en penses ?", "arrête de dire ça, c'est un grand homme, un immense juriste, il s'est égaré, c'est tout", "mais alors pourquoi on l'entendait aboyer il y a quelques jours, hein ? Ce sont des menteurs, des malhonnêtes, il faut leur couper la langue !", "oldu ! T'es chariatiste ou quoi !"... Cela dit, on se demande s'il ne faut pas "légaliser les écoutes illégales", on y apprend des choses; car juridiquement ce ne sont pas des preuves. Des "commencements de preuve". Et lorsqu'il n'y a pas d'autres indices, eh bien, elles sautent. Donc on fait comme si on n'avait pas entendu cet échange, une comédie...

Pour être kémaliste, il y a des conditions : être insane, malin, bêcheur, complexé, bilingue. La seconde langue, ici, c'est l'anglais ou le français, évidemment. C'est moderne. Il faut savoir lire son pays de l'extérieur. Murat Bardakçi, un journaliste de renom et un homme très cultivé, avait lancé : "celui qui ne lit pas l'ottoman ne peut pas être considéré comme un intellectuel dans ce pays !". Bronca, évidemment, car les kémalistes détestent l'ottoman. L'alphabet arabe, une horreur. La culture arabe, un drame. L'arabe, une détestation. C'est rétrograde, ça pue, ça ne pense pas. Un jour que je regardais la télévision, un général en retraite papotait avec le correspondant d'un journal arabe à Istanbul : le journaliste critiquait la nature des régimes arabes; notre général bouillonnait : il lui lança : "acceptez la laïcité mon p'tit, vous verrez, vous serez tellement bien !". Le pauvre journaliste ne savait plus où il était. Car, je l'ai oublié, pour être kémaliste, il faut être laïciste. Adorer la raison, le modernisme. Rien de grave, a priori. Mais il faut surtout aimer l'imposer au peuple. Ignare, par définition. Un journaliste turc (Yagmur Atsiz, le fils du très controversé turcologue Nihal Atsiz) avait pu provoquer, une fois : "les kémalistes sont cons, ça c'est sûr, mais je ne sais pas s'il faut être con pour être kémaliste ou s'il faut être d'abord kémaliste pour finir con". C'est lui qui l'a dit, hmm hmm...


Un kémaliste, c'est un homme qui aime l'opéra, la poésie, la littérature modernes mais qui a horreur du classique. Ca tombe bien il ne sait pas lire l'ottoman; la poésie classique, par exemple, demande un investissement singulier : chercher chaque mot dans le dictionnaire, comprendre la forme particulière. Un vieux monsieur qui était l'ami de mon père et qui composait de temps à autre m'avait filer un livre sur la poésie. Je n'y comprends pas grand chose à vrai dire; mais il faut bien avoir un avis sur tout. Je m'y suis donc mis; j'en souffre. Fâilâtün fâilâtün fâilâtün fâilün... Mefâilün mefâilün mefâilün mefâilün... Müfteilün müfteilün fâilün... Le fameux "aruz". Un travail d'orfèvre. La musique classique ottomane, par exemple, me semble être plus adaptée pour les vieux que pour les jeunes. Quoique j'ai un faible pour le "yaylı tanbur". Bref, l'enseignement de cette musique avait été interdit de 1926 à 1976; en 1934, il avait même été interdit, pendant huit mois, de la diffuser à la radio. On voulait être moderne...


Le basculement de la Turquie, donc. N'a-t-on pas vu le ministre des affaires étrangères être comme cul et chemise avec les représentants des pays arabes; il rêve encore une fois : créer une zone de libre circulation des personnes et des biens. Les kémalistes ont eu peur, encore une fois. C'est qu'ils ont lu la presse étrangère. Ils connaissent l'histoire qu'à partir de 1919. Avant, c'est un trou. Noir de préférence. "T'as d'jà vu un trou rose toi ?"... Et voilà que le Premier ministre Erdogan vient de déclarer sa flamme aux Arabes; par un poème (en le lisant maladroitement) de Mehmet Akif Ersoy : "un Turc ne vit pas sans l'Arabe. Celui qui le prétend est fou. De l'Arabe, le Turc est l'oeil droit et la main droite".


Aimer ses voisins, c'est devenu un drame. La Turquie ne peut tourner le dos à l'Iran. C'est impossible. Historiquement, culturellement, politiquement. Tout comme les Turcs ne peuvent être antisémites. Leur histoire, leur religion et leur intérêt leur interdisent de l'être. Qui se souvient des Khazars ? La treizième tribu; des Turcs juifs...

Le ministre des affaires étrangères, un professeur de relations internationales, l'a dit, pourtant; la Turquie a un axe mouvant, elle ne change pas d'axe, elle bouge dans l'axe. La Turquie reste donc impériale. Fidèle à l'Ouest et à l'Est. C'est la profondeur historique. Le tombeur de Constantinople, Mehmed II, n'était-il pas un empereur de la Renaissance ?

Le monde change. The "Post American world", nous dit-on. La Turquie se défait de ses haillons. Le larbinisme prend fin. Mais les kémalistes ont peur; le CHP ne vient-il pas d'exprimer ses craintes. Or, quel est le mot le plus topique de Mustafa Kemal sinon l'indépendance ? Les prêtres du Temple sont, comme toujours, les premiers infidèles...

jeudi 10 juin 2010

Les mains dans le sac...

Non, non, on ne rêve pas. Le ministre de l'Intérieur veut sanctionner les "polygames de fait" qui arnaquent la CAF et empochent des prestations familiales indues. Il fait cette proposition au Président de la République, évidemment. Pas au Parlement. Ca sera après, quand le Président aura donné son accord. Le vote au Parlement, c'est connu, n'étant qu'une formalité... Détourner des fonds, voler l'argent des autres, dépouiller les caisses de l'Etat et donc du peuple, méritent, évidemment, sanctions. Les plus graves, d'ailleurs, car s'il y a bien une "corruption de l'âme", c'est bien celle-ci : profiter des deniers publics.


On le sait tellement bien en France que les hommes politiques en sont, en général, les premiers accusés. Ils voleraient subrepticement. Indemnités par-ci, traitements par-là, logements et voitures de fonction, cuisiniers, etc. Tout cela pour nos dirigeants. C'est qu'ils représentent la grandeur française. Et surtout, il faut les tenir éloignés de toute sollicitation mercantile; il faut donc qu'ils vivent plantureusement. Il nous faut les soigner comme la prunelle de nos yeux. A-t-on déjà entendu un tel argument : "on s'octroie de hauts salaires parce-qu'on a peur de se faire acheter" ! C'est donc pour le bien public, on a compris. Et ils travaillent beaucoup, aussi. C'est vrai qu'être ministre et, en parallèle, maire, conseiller régional, général, municipal, président d'agglomération, etc., ça prend du temps. L'agenda doit exploser, à coup sûr. "Arrête de faire le savantasse, tu n'y connais rien !"...


La moralité publique, disent certains. Des populistes, assurément. Des démagogues. Quoi alors, un conseiller d'Etat peut-il gagner plus qu'un ministre ! Le Président de la République française pouvait-il gagner moins que son Premier ministre ! ou moins que ses homologues ! Notre leader avec des chaussettes trouées, des chemises achetées à Noz dans un sommet international, t'imagines frérot ! Même les dirigeants communistes de la planète s'habillent coquettement. Il faut donc du pognon pour tenir son rang. Quoique notre Président avait avoué avoir honte de sa montre devant DSK. Comme un "pasteur méthodiste", s'était-il senti. Avec un salaire de 20 000 euros. Chapeau. Qu'est-ce qu'on peut bien faire avec tant d'argent ? "Arrête de faire le bouffon"...


En général, on croit savoir que les hommes de gauche sont moins consciencieux que les conservateurs; c'est qu'ils ne croient pas à une puissance supérieure, regardante. Des matérialistes dans tous les sens du terme. Pas de comptes à rendre sinon à sa propre conscience autant dire une farce. Tout est donc permis. C'est juste une croyance, évidemment. Mendès-France, Jospin ne sont-ils pas des hommes de gauches ? Et Christine Boutin croit en Dieu, elle. En tout cas, c'est ce que j'ai crû comprendre. Il griffonne des choses dans ses carnets, le Très-Haut, elle doit le savoir. Tu vas me dire, avec un pape qui vit dans des palais en fonction des saisons de l'année, on ne doit pas s'attendre à croiser des ouailles qui vivent sous des tentes. Victor Hugo aussi était démagogue, n'est-ce pas : "Qui êtes-vous ? Vous êtes un évêque, un prince de l’Eglise, un de ces hommes dorés, armoriés… et qui roulent en carrosse au nom de Jésus-Christ qui allait pieds nus !".


Madame s'occupait donc d'une mission. Elle devait réfléchir sur les "effets de la mondialisation". Avec quatre collaborateurs, un chauffeur, un bureau et un salaire de 9 500 euros. On croit à sa mission, évidemment. Là n'est pas le problème. On se demande juste pourquoi elle l'a acceptée. Car c'est un sujet technique et on a, dans ce pays, des universitaires, des chercheurs, des hauts fonctionnaires, des énarques, une Cour des comptes, un Conseil économique et social et toute une ribambelle de spécialistes qui vivent déjà aux crochets de l'Etat pour mener de telles études. Pourquoi Christine Boutin ? A-t-elle un diplôme dans ce domaine ? Une expérience particulière ? Si oui, pourquoi a-t-elle des collaborateurs pour ce faire ? Pourquoi Madame, pourquoi ? Surtout vous. Pourquoi ne peut-on pas compter sur un politique dans ce pays ? Pourquoi faut-il toujours que l'on découvre qu'il est aussi compromis sinon pourri que les autres ? Je ne la plains pas parce-qu'elle a volé l'argent public, non; mais parce-qu'elle pouvait, et c'était le moment idoine, donner des leçons de moralité à celui qui lui a proposé cette mission. Elle aurait pu faire économiser de l'argent. Une goutte, je le sais bien mais il reste qu'en matière de dépenses publiques, les bouts de chandelle sont des bouts de chandelle ! Rédemption disent les chrétiens, je crois... L'Etat tente, entre-temps, de déchoir de leur nationalité, les nouveaux Français qui volent. Et les "anciens" ? "Ah ouais alors, il faudrait envoyer celle-là en exil au Vatican", "t'as raison, le palais apostolique est immense"...


Vraiment pathétique : l'une nomme son fils à la tête d'une institution qui dépend de son ministère, l'un pleurt parce-qu'il en a marre d'être trop Francilien en perdant du temps dans les embouteillages, une autre déclare avoir honte d'ouvrir les portes de son logement aux préfets et sous-préfets qui, eux, comme on le devine, sont mieux logés, une autre prête son logement de fonction à sa parentaille, etc. etc.


Même débat en Turquie : le nouveau chef du parti kémaliste, Kemal Kiliçdaroglu, s'en prend lui aussi, à l'enrichissement spectaculaire du Premier ministre Erdogan. Un millionnaire, il serait devenu. Autrefois, c'était le Président de la République Süleyman Demirel (1993-2000) qui était fustigé; sa famille était devenue une famille d'industriels alors que personne n'en voyait la raison objective. Aujourd'hui, le Sieur Demirel dont le propre neveu était en prison pour s'être trop rapidement enrichi, est considéré comme la Voix de la Raison face aux obscurantistes de l'AKP. Ironie du sort...


Kiliçdaroglu a promis d'avance, lui : "je le jure, je ne vais pas m'enrichir; je ne vais pas habiter dans des villas avec piscine, je ne vais jamais mettre les pieds dans les hôtels 5 étoiles !". Voilà donc pour un candidat; un futur Premier ministre. Il promet le dépouillement. A peine avait-il lâché le micro qu'un flash parut : Monsieur portait une chemise qui coûte 200 euros. "Je ne savais pas" a immédiatement répondu Kiliçdaroglu. On le croit. Mais... Voilà quoi... La population turque veut rêver; une mère et un père n'ont d'autre objectif dans la vie que de voir leur progéniture vivre dignement sinon richement; qu'il vive dans une villa, qu'il voyage, qu'il s'habille bien. Mais le leader du CHP promet un nivellement par le bas : "on va tous être pauvres, je vous le garantis !". Soyons juste : il est sincère mais sa formulation et sa méthode sont par trop rebutantes. C'est tout.


Personne ne s'indigne de voir un homme politique mener grand train s'il en a les moyens personnels; l'ancien Premier ministre "islamiste", Necmettin Erbakan, avait une fortune colossale et vivait cossument mais même son adversaire politique, le très social-démocrate Bülent Ecevit, avait coupé court aux soupçons de corruption en lançant : "comment voulez-vous qu'il ait amassé cette fortune grâce à la soi-disante corruption, en 40 ans de carrière, il n'a occupé des fonctions ministérielles que pendant trois et demi !". Et c'est son lieutenant Hikmet Sami Türk qui avait porté sa voix à l'assemblée...


L'angle d'attaque est donc mauvais. Si demander des comptes sur l'origine de la fortune d'Erdogan est légitime, critiquer son mode de vie dans les palais, les hôtels de luxe, les duplex, est de la basse politique. La rhétorique de la pauvreté n'émerveillera pas, à mon humble avis, la population. Il faut bien distinguer la lutte contre la corruption du dédain contre la richesse. Car le but de la justice sociale n'est pas d'écorcher tout le monde mais de rehausser le confort. Le président du CHP attaque la fortune du Premier ministre en soi, ce qui est dérangeant sinon dangereux. Il essaie de "se la jouer" populaire mais tombe dans le populisme. Pourquoi mettre la prévarication et le mode de vie dans le même panier ?


On dérobe comme on peut. D'ailleurs les Turcs ont inventé un aphorisme : "devletin mali deniz, yemeyen keriz" (du genre, l'Etat est une vache à lait, celui qui n'en profite pas est sot). Les citoyens travaillent au noir et perçoivent le RSA, ils font tout pour échapper au fisc, les hommes politiques confondent un certain nombre de poches; on ne s'est pas approprié l'Etat, en réalité. L'Etat c'est un autre qu'il faut pincer, pressurer. On est ainsi. On a toujours, comme le disait Tocqueville, "le souci de se mettre à l'aise aux dépens du Trésor public". Il est entouré de véreux; et lorsqu'ils se font attrapper, certains sont placés en garde à vue alors que d'autres continuent à péter dans la soie. C'est si simple; mais ça demande de l'art. Les gros poissons ont toujours une immunité de fait.
"T'as remarqué ?", "quoi ?", "Ilyès, Christine et Erdogan", "bah alors ?", "ce sont des punaises de sacristie, soi-disant, keh keh keh...", "hahaha, bien vu, satan n'était-il pas un ange (ou un djinn dans la version islamique)!"

samedi 5 juin 2010

Wanted

On savait déjà qu'il était indomptable. Autant Chirac était un professionnel du guindage, autant Erdogan est un adepte de l'authenticité. Surtout lorsqu'on retire le "prompter". Il dit, alors, ce qu'il pense. Or, il est de complexion à taper sur Israël, souvent. La crise diplomatique assurée, en général. Ca s'appelle un "leader". Un "populiste" disent certains. Je ne crois pas car un populiste ne croit pas aux choses qu'il débite. Erdogan y croit. Trop, d'ailleurs, et là est le problème. Il vient encore de fustiger Israël; il croit attendrir ses interlocuteurs en lisant la Bible. En turc : "öldürmeyeceksin"; en anglais ensuite, au cas où ils n'auraient pas compris : "you shall not kill". Il a terminé sa comédie en hébreu, enfin : "Lo Tir'tsach".


Colère écrue. Normal. 9 morts. Tous, des Turcs. Tous les coins de la Turquie ont été touchés. Les "prières mortuaires par défaut" (giyabi cenaze namazi) se sont multipliées dans les mosquées turques du monde entier. Même dans les nôtres, en France. Il s'agit d'accomplir une prière pour un mort absent c'est-à-dire distant de là où se fait la prière. Comme quand le Prophète avait dirigé une telle prière lorsque le Négus d'Abyssinie était mort.


On parle de "basculement". Comme on le sait, l'alliance israélo-turque était en fait un mariage blanc. Sans profondeur. Imposée par les militaires turcs au gouvernement "islamiste" d'Erbakan. Car, au fond, il n'y avait aucune raison de tomber amoureux l'un de l'autre. La Turquie voulait se rapprocher des Etats-Unis, Israël voulait se faire un ami musulman. Et le temps passait comme il se doit avec des exercices militaires communs, des ventes d'armes, etc. Et patatras ! L'alliance s'était déjà fissurée avec les coups de colère d'Erdogan, le Défenseur des Palestiniens. Shimon Peres avait été insulté de dirigeant d'un Etat qui "sait bien tuer". En direct. Devant tout le monde. Devant le secrétaire de la Ligue arabe qui n'en revenait toujours pas; il avait même bondi de son fauteuil pour saluer Erdogan avant que Ban Ki-Moon lui "ordonne" de se rasseoir... On avait alors compris "la marge de manoeuvre" du monde arabe.


Les Turcs attendent des excuses. Tout naturellement. Ils réussissent toujours à les arracher, cela dit. Après le "one minute", Peres avait regretté avoir haussé le ton; après "l'incident du fauteuil trop bas" provoqué par Ayalon, l'Etat israélien s'était excusé en bonne et due forme. Il faut savoir diriger un Etat quand on a la chance d'en avoir un. C'est évident.


Erdogan a poursuivi les salves. Il l'a dit; on ne peut plus clair : "je ne considère pas le Hamas comme un mouvement terroriste, c'est un mouvement de résistance". Hayda... Choquant, a priori. Inacceptable. Mais il faut connaître l'histoire pour amortir le "choc". Dans cette contrée, tout le monde est criminel; le sang dégouline de partout. Arafat était un terroriste; Menahem Begin, aussi; Yitzhak Shamir, aussi; Tzipi Livni l'était aussi, en famille en plus. En Palestine, on ne passe pas par l'ENA pour entrer dans la vie politique, ce sont les dépouilles qui vous exhaussent... Il est donc pour le moins naïf de taxer les uns de terroristes et les autres de héros. Car ces deux postures ont partie liée. C'est comme ça. Bernard Kouchner n'avait-il pas avoué que l'Etat français avait des contacts avec le Hamas ? Un ancien Premier ministre français ne reconnait-il pas qu'il faut impliquer le Hamas ? Depuis quand a-t-on des contacts avec des terroristes ?


Le Premier ministre turc est allé encore plus loin : "le sort de Jérusalem n'est pas différent du sort d'Istanbul; le sort de Gaza est le sort d'Ankara". Hoppala... Autrefois, le célèbre Théodore Herzl "agressait" le sultan ottoman pour qu'il ouvre les portes de la Palestine aux juifs. L'historien turc Vahdettin Engin vient de publier un livre sur la base de nouveaux documents qu'il a trouvés dans les archives ottomanes. L'historiographie turque classique nous apprenait que le sultan panislamiste Abdulhamid II avait immédiatement rembarré Herzl car cette proposition l'avait hérissé. Pas tant que cela nous dit le Professeur Engin : le titre de son livre révèle tout : "Marchandage" (Pazarlik). Sa thèse est la suivante : le sultan a voulu profiter de Herzl et de ses fonds pour éponger les dettes de l'empire et pour faire la propagande ottomane en Europe. Sa contrepartie ? La Mésopotamie. Oui, le nord de l'Iraq. Abdulhamid II, le héros des islamistes, des conservateurs, des dévots, des nationalistes, a tout bonnement proposé une installation dispersée des juifs en Iraq contre des sous ! La fin de l'histoire : Herzl a refusé, Abdulhamid II a quand même réussi à éponger ses dettes mais grâce à ses mérites personnels...


Les israéliens ont déjà commencé les contre-attaques; la propagande va s'amplifier : "la Turquie bascule dans le camp des islamistes, oyez oyez !". Lieberman parle déjà d'iranisation de la Turquie. Même le nonagénaire Bernard Lewis qui tirait la sonnette d'alarme il y a quelques jours, est mis à contribution. Les laïcistes de Turquie ont encore plus peur dans ces cas-là. C'est qu'ils ne connaissent leur propre pays que par le biais des analyses de la presse étrangère... Même notre BHL "national" (quoique) s'est lancé; comme à son habitude, il joue l'autorité morale dont l'objectivité émerveille tout le monde : "la branche turque des Frères musulmans, voire tel parti de gouvernement en Turquie, à l’origine de cette provocation". Il suffisait juste de consulter la liste des passagers et de constater qu'il y avait même un rescapé de l'Holocauste... Au moins lui, on sait; il se renseigne comme-ci comme-ça avant d'émettre un avis. C'est prouvé.


D'autres en sont aux comparaisons : "et si d'autres activistes faisaient la même chose pour les Kurdes !". Le sort des Kurdes n'est certes pas reluisant. Beaucoup de crimes ont été commis. C'est la raison pour laquelle la justice s'occupe de ce réseau appelé Ergenekon. Mais de là à comparer les Kurdes et les Gazaouis, il faut être sacrément malin et surtout largement inculte. Le jour où le Président d'Israël, le ministre de l'Intérieur d'Israël, un quart des députés seront des Arabes, on en rediscutera. Car celui qui a dirigé la Turquie pendant dix ans en tant que Premier ministre et Président de la République (Turgut Özal), celui qui était à la tête des services secrets turcs en tant que ministre de l'Intérieur pendant plus de sept ans (Abdulkadir Aksu), le premier vice-président du parti gouvernemental AKP (Demir Mir Mehmet Firat) ne sont autres que des Kurdes... La réflexion, ça ne s'improvise pas, assurément.


Comme on l'a remarqué, le monde arabe est atone. Les dictateurs lâchent la bride pour laisser leurs peuples clabauder contre Israël certes, mais ça ne mange pas de pain. Les institutions arabes sont largement inertes. Les bourrades des ONG sont largement ignorées. Les coups de semonce turcs ont au moins eu le mérite d'étendre le doute quant à l'efficacité du blocus. Qui sait, peut-être qu'ils démissionneront aussi le gouvernement Nétanyahou...



Il suffit d'avoir une intelligence moyenne pour comprendre que la Turquie ne sera jamais un "ennemi juré" d'Israël. Personne n'est "taré" en Turquie. Elle veut juste réparation. Aujourd'hui, on apprend que la justice turque a lancé des enquêtes. On se souvient, Tzipi Livni n'avait pas pu se rendre au Royaume-Uni à cause du risque d'être arrêtée. A force, les dirigeants israéliens demandent des garanties avant de poser le pied dans un autre pays. Ils finiront bien par se demander ce qu'ils peuvent faire pour empêcher le harcèlement judiciaire. Car on ne dirige pas un Etat du haut de sa résidence officielle; il faut bouger dans les autres pays. Ce que la diplomatie n'a pas réussi, la justice est-elle en train de le faire ? "Bah oui coco, c'est bien pour ça que les Etats européens s'échignent, un par un, à adoucir la justice universelle, i faut pas trop déranger tu sais, les Grands ont un privilège de juridiction, seul Dieu s'en chargera..."

mardi 1 juin 2010

Fusillade

Ca y est. Enfin. J'ai passé le dernier examen de ma vie d'étudiant. L'examen commençait à 10h. On était tous fatigués, évidemment : depuis une semaine, révision, nervosité, veille. Le sujet de droit international des pays arabes qu'a concocté notre professeur (M. Slim Laghmani) s'intitulait : "quels sont les effets de la question palestinienne sur le système institutionnel des Etats arabes et sur leurs engagements en matière de droits de l'Homme ?"... Le chagrin a augmenté d'un cran.

On ne pouvait pas tomber mieux pour déverser notre colère. Mais du droit et des relations internationales, il fallait parler, pas de notre humeur. Et des "effets", pas des "causes de la question palestinienne". C'est qu'on avait appris le matin, le massacre israélien. Une sorte d'intifada en mer : les billes contre les armes... On s'attendait à une réplique, évidemment. Un arraisonnement. Il a eu lieu, d'ailleurs. Mais le sang a coulé aussi. Les militants jetaient des billes, pourtant. Tant pis, la soldatesque israélienne préféra mettre la matraque. On est bien obligé de dire "israélien" mais on se comprend : les dirigeants israéliens. Les fous. Netanyahou, Lieberman et autres.

L'armée israélienne a fini par diffuser ses propres images pour montrer à quel point ses reîtres furent harcelés par les passagers. Un peu comme si un cambrioleur diffusait, comme pièce à conviction, une vidéo qui montre comment le maître de maison l'a gourdiné et comment il a donc été obligé de le tuer ! Evidemment, la première réaction du juge serait : "vous vous foutez de moi ?". Car c'est le simple bon sens; "on a frappé mes soldats" a voulu se justifier Bibi. "Mais que faisaient vos soldats dans un bateau qui naviguait dans les eaux internationales, Monsieur ? Vous vous foutez de nous ?"

Les morts sont pour la plupart des humanitaires turcs. "Non non des terroristes" veulent nous faire gober les autorités israéliennes. La Turquie a naturellement remué le monde entier. On peut le dire, elle a rugi. Le ministre turc des affaires étrangères était furieux au conseil de sécurité; "allez c'est bien, tu peux rentrer chez toi", lui a gentiment dit la communauté internationale; c'est-à-dire les Etats-Unis. Toujours aussi disponibles. D'autres, aussi, vont se réunir : OTAN, UE, LEA, OCI. La paperasse sera abondante, assurément.

En réalité, les mots ont perdu leur sens depuis déjà belle lurette. On le croyait, en tout cas. Le discours du Premier ministre turc était enflammé : "terrorisme d'Etat", "inhumanité", "massacre", "piraterie", "bassesse"; ses sentences étaient crues : "même les voyous ont une morale, il serait donc élogieux de les qualifier de 'voyous', ils sont plus bas", "nous en avons marre de vos mensonges", "ils ont perdu toute humanité", "une politique d'Etat fondée sur le mensonge et l'effronterie", "si l'amitié de la Turquie est précieuse, son inimitié est d'autant plus véhémente; perdre l'amitié de la Turquie est en soi un tribut", "ils doivent arrêter cette insolence qui vise à noyer les critiques légitimes en invoquant l'argument de la sécurité et en soulevant immédiatement le risque de l'antisémitisme", "ça suffit maintenant !", "j'avais dit autrefois qu'ils savaient bien tuer [à Davos], eh bien ils nous l'ont encore une fois prouvé", "chaque erreur entraîne un prix à payer", "je le dis haut et fort aux gouvernants israéliens et à ceux qui les soutiennent subrepticement que la Turquie ne va pas se laisser faire", "comment croire qu'ils sont pour la paix, ils ne respectent même pas la dignité humaine", "ils attisent la haine et la rancune", "nous n'avons pas besoin de rappeler que nous distinguons bien les dirigeants de leur peuple, les juifs en général et les responsables de ce massacre car notre histoire a sur ce point aucune tache", "ils ont choisi l'isolement", "je le dis encore une fois, si tout le monde se tait, si tout le monde ferme les yeux et tourne le dos, eh bien, nous, la Turquie, nous continuerons à soutenir la Palestine, Gaza et à tonner ce soutien partout"...


Il y a une cassure. C'est normal, des citoyens turcs ont été tués. Ce n'est pas d'une protestation d'usage dont il s'agit; c'est la chair turque qui est touchée. L'Etat turc hausse le ton pour ses propres citoyens. Et nous savons que le colmatage ne joue jamais dans ce cas de figure. En tout cas, la confiance ne reviendra pas de sitôt. Il y a à peine un siècle Théodore Herzl quémandait au sultan ottoman, quelques morceaux de terre en palestine; aujourd'hui, Israël joue le coq.


L'horreur, l'indifférence, la braverie se nichent à chaque déclaration gouvernementale. D'ailleurs, ils n'ont jamais tort, eux. Tout le monde est évidemment contre eux. Le monde entier veut la perte d'Israël. La communauté internationale est obtuse, elle ne comprend rien; leurs bains de sang sont si légitimes... Mais quelle prétention ! Quel égo ! Nous sommes face à un pays qui n'hésite jamais à manigancer sur le dos de ses alliés : l'incident du USS Liberty en 1967, les attentats de Beyrouth en 1983, l'incident des passeports falsifiés. Le délire obsidional.

Heureusement, en Israël, les commentaires sont mitigés; la conscience existe toujours : alors que Jerusalem Post pouvait écrire ceci : "Although so much remained to be clarified, there could be no doubt that the injury and loss of life were a premeditated act not by Israeli armed forces, who had been repeatedly told to exercise restraint, but by those on the Mavi Marmara", Haaretz osait : "The decision makers' negligence is threatening the security of Israelis, and Israel's global status. Someone must be held responsible for this disgraceful failure".

On pouvait sans doute faire une ouverture à la fin de notre dissertation : la question palestinienne profite, en réalité, aux extrémistes de tous bords : un alibi pour l'immobilisme dans les pays arabes, mais également un motif d'inaction pour les fanatiques israéliens. Chacun se cramponne comme il peut à l'attentisme; en règle générale, et c'est une expérience humaine, quand quelqu'un crie au secours, on ne l'accable pas, on essaie de faire quelque chose; mais voilà : le cri, la plainte, l'appel n'entraînent plus compassion; le cérébralisme prime : on fait les colonnes du pour et du contre, ensuite on avise, enfin on négocie. Et en général, quand on s'apprête à intervenir, on n'est plus utile : ceux qui hurlaient ont succombé depuis bien longtemps. Nous sommes donc des êtres humains ? "Sensiblerie que tout cela, allez allez..."