dimanche 26 septembre 2010

Mort en Occident, mort en Orient...

C'est tout lui, que voulez-vous. Mahmoud. Toujours aussi benoît. Il criait encore du haut de la tribune de l'ONU. Le président islamiste qui a volé les élections. Cohérent n'est-ce pas ! Islam et vol ! Islam et violence ! Islam et sang ! C'est qu'il y avait eu des protestations à l'époque. Des tabassages, des gourdins par-ci, des gaz lacrymogènes par-là. D'ailleurs, Mehdi Karoubi reçoit toujours de temps à autre, quelques menaces, fait l'objet de bousculades ici ou là.


Il faut au moins lui rendre l'hommage d'avoir "mis à sa place" le journal ultra-conservateur qui s'en prenait aux moeurs de notre chère First Lady. Faut-il le rappeler, dans l'islam, le fait d'attenter à la pudeur d'une femme sans preuve mérite quelques coups de fouet. Pas de bol, le journal en question est une antenne du Guide suprême. La charia ne s'applique pas dans ce cas. Car quand le Guide se mêle de quelque chose, la Loi de Dieu saute... Dit en passant, Sa Majesté le Guide parle très bien le turc; c'est un Azéri. "C'est quoi le rapport ?", "aucun, c'est pour meubler"...


Il est sensé parfois; la question a l'air pertinente : "pourquoi tant de pleurs pour Sakinah et rien pour Teresa ?". Bonne question. Teresa, cette femme qui serait mentalement peu développée mais suffisamment alerte pour vouloir la mort de son mari et de son beau-fils; histoire d'empocher les assurances-vies. Sakinah, elle, était moins diabolique : faire tuer son mari par son amant. Ça défouraille mieux lorsque l'amant n'a plus le souffle du mari sur le dos, c'est connu. Histoire d'amour. L'autre, histoire de fric. Plus crapuleux...


Mais non, en réalité. Teresa était hébétée par ses substances, elle n'avait pas pu planifier tout cela; c'était son amant qui avait tout concocté. Celui qui devait éliminer les deux hommes. Et ce sicaire a profité charnellement de Teresa, aussi. Teresa est devenue une Sakinah. Un amant qui tue, un mari qui dérange, un avenir meilleur. Et il l'a avoué au tribunal, le salaud. Dit en passant, c'est un assassin qui garde quand même un peu de conscience car beaucoup, à sa place, se seraient déchargés sur Teresa. Mais l'assassin était son amant. Du Sakinah pur jus.


Évidemment, dénoncer une lapidation, c'est toujours plus bandant que dénoncer une mort "par injection létale". Non c'est gentil de leur part. Mille mercis. Car il faut être sec comme une tripe pour passer à côté. Mais on ne peut pas faire comme s'il n'y avait pas de double standard. Pas pour les beaux yeux de Sakinah, non. Pour ceux de Teresa. Ne méritait-elle pas non plus les évanouissements d'usage des "humanistes" ? Une résolution du Parlement européen ? Des protestations de Kouchner ? de Madame le Président ? N'était-elle pas assez orientale pour mériter le regard de ces bonnes âmes ? Les condamnés à mort de l'Occident ne rehausseraient-ils pas le prestige de celui qui les défend ?


Teresa a été tuée par la justice. Il faut bien faire pleurer les chaumières : on lit : "Au cours de la journée, la condamnée à mort, installée dans une cellule sans fenêtre, avait reçu la visite de son fils, de son avocat et d'un prêtre. Peu de temps avant l'injection, elle a pris une douche, puis son dernier repas : «poulet, haricots verts, gâteau au chocolat et tarte aux pommes»" . Telle est cette "justice" : paradoxalement, on a pitié pour l'assassine.


Il nous reste plus qu'à admirer l'objectivité des médias occidentaux. En Occident, on tue dans une salle perdue d'une prison. Avec un liquide. Devant un dernier témoin obstiné. En Orient, on lapide à force de pierres "ni trop grandes ni trop petites". Devant une foule baveuse. C'est donc juste le degré de raffinement de la scène qui change. Teresa est morte. Passed away. Sakinah a grappillé, semble-t-il, quelques mois voire obtenu une commutation. Victor Hugo, aboulez-vous très cher ! Donnez donc cette leçon d'humanité : "Se sont-ils jamais seulement arrêtés à cette idée poignante que dans l'homme qu'ils retranchent il y a une intelligence; une intelligence qui avait compté sur la vie, une âme qui ne s'est point disposée pour la mort ?" (Le dernier jour d'un condamné). Bon pour l'Orient et l'Occident...

mardi 21 septembre 2010

La quille-3

Alors que Kivanç Tatlitug vient de se séparer de sa "poupée" Idil Firat et de trouver refuge dans les bras d'un chien, Beren Saat, sa tante-maîtresse dans l'autre série, s'est lancée dans un nouveau projet. Et toute la Turquie a attendu avec impatience la nouvelle aventure. Car, il faut le dire, on nous avait susurré une "très belle" scène de viol qui prouverait qu'une actrice est vraiment une actrice et que la société turque n'est plus aussi ringarde qu'avant.


Eh bien, pied de nez au RTÜK, le CSA turc. Beren Saat, Fatmagül dans son nouveau rôle, s'est fait violer en grande pompe, si l'on peut dire. Les journaux ont immédiatement préparé des florilèges de "scènes chaudes" pour bien montrer que la Turquie moderne n'était pas en reste quant aux standards internationaux... La quille, encore une fois. Les bienfaits de la sécularisation.


Et la réalisatrice de la série a su aguicher, aussi; ne vient-elle pas de mettre l'eau à la bouche en déclarant qu'ils avaient travaillé jusqu'au petit matin pour cette scène ! Chacun, dans sa bulle, s'est concocté un scénario. Les acteurs ont-ils fait exprès d'échouer à chaque fois pour rester coller à Beren ? "T'es vraiment un cochon, ce sont des professionnels pfff ! ". En tout cas, pour les coucheries de Tatlitug (Behlül) et de Saat (Bihter), la Turquie entière avait jasé; y avait-il un coussin entre eux ? Saat avait-elle été contrariée par l'haleine tabagique de Tatlitug ? Son petit ami de l'époque l'avait-il plaquée à cause de ces "pétasseries" ? Ah les méninges ! A plein régime...


Cette série est, en réalité, une reprise d'un film des années 80. Hülya Avsar campait le rôle de Fatmagül. On lui a naturellement demandé son avis; "franchement, mon viol était meilleur". Tout Hülya Avsar. La femme la plus olé olé de Turquie. Évidemment tout le monde s'est précipité pour voir "sa" scène; elle avait raison...


Ça désaxe, ça désaxe. Autre "révolution" :

Ne te frotte pas les yeux, jeannot. Si si. En Turquie. Une série en "prime time", mon cher. Certes une scène perdue dans un série qui a une autre thématique, mais quand même. Bizarre mais presque pas de protestations. Seul le réalisateur, en guise de prophylaxie, a dû préciser les choses : "nous ne provoquons pas; pour montrer la bonté dans toute sa splendeur, on doit d'abord montrer les ténèbres dans leur nudité; nous avons montré l'immoralité de ces gens en restant dans un cadre très soft" ! Eh ben ! L'on croyait à une ouverture; non non, c'est plutôt pour les dégrader encore plus ! Encore du chemin à faire...


Tout ça avec un gouvernement islamo-terroriste. Viols, homosexualité, nudité à longueur d'émissions. La Turquie, très chers. Huzurlarınızda... Je n'y suis absolument pas contre. C'est juste pour "démontrer" que les laïcistes qui disent avoir peur exagèrent ou sont aveugles. L'islamisation, le pipeau du siècle. La Turquie papillonne... Pır pır pır...

vendredi 17 septembre 2010

Vous avez dit nauséeux ? Pécaïre !

Évidemment avoir un ministre de l'Intérieur qui a été condamné pour "injures raciales" n'arrange pas les choses. On se croirait dans un État moyennement démocratique : on expulse des Roms parce-qu'ils sont précisément Roms (le ministère de l'Intérieur prend le plus sérieusement du monde une circulaire dans ce sens), l'exécutif s'en prend aux journalistes et n'en démord pas, le Parlement lèse la liberté de religion de certaines musulmanes et avoue éhontément qu'il s'aventure, les gouvernants se vautrent dans une frénésie de passe-droits alors que l'affiche "République irréprochable" n'a pas encore eu le temps de jaunir, etc. Ce n'est pas la Turquie non, la France. FRANCE.

C'est vrai qu'être tancé à la fois par le Saint-Père, l'ONU, le Conseil de l'Europe et l'Union européenne demande un effort singulier. Surtout quand il s'agit de "la patrie des droits de l'Homme". Même le Lider Maximo fait partie du chorus. Il faut dire que plus la fin approche plus il découvre Jésus, Fidel. Du coup, les sorties de bon sens s'accélèrent. N'a-t-on pas recueilli récemment son mea culpa sur la persécution des homosexuels... Aujourd'hui, il dénonce un "holocauste racial" qui se serait abattu sur les Roms.

Ayant fini de rédiger un mémoire sur l'Organisation de la Conférence islamique et les droits de l'Homme, ça me fait évidemment quelque chose de voir confirmer ce que je déclarais dans mon introduction : "Il n’y a ni Occident ni Orient en matière d’atteintes aux droits fondamentaux de l’Homme. Nul espace géographique ne saurait être accablé plus que les autres ; il existe certes, des différences quant à l’inclination ou à la bonne foi mais nul lieu ne saurait être érigé en modèle dans ce domaine. Les rapports des organisations telles qu’Amnesty International ou Human Rights Watch le montrent très clairement". Un talent fou, il faut, n'est-ce pas, pour rendre ce mémoire au moment où le pays des droits de l'Homme est condamné par une foultitude d'organes ?

De son côté, la Belgique, qui essaie de coller les morceaux, se démène comme un diable dans un bénitier, si l'on peut se permettre; un problème qui n'en est presque plus un : la pédophilie en plein coeur de l'Europe, tue par une Église "humaniste, fraternelle, qui prône l'Amour et blabla". Le pape d'une Église qui a pour "mère de Dieu" une vierge et pour "Fils de Dieu" un célibataire, n'en finit pas de se dire "choqué" par la concupiscence de ses troupes. Le stupre dégouline de partout...


Les musulmans continuent à déranger aussi. Aux Etats-Unis, on veut brûler leur livre sacré; en Allemagne, un Sarrazin (comme une blague !) s'en prend aux musulmans et au "gène juif"; en Autriche, un autre propose un référendum sur les minarets, etc. Si si, c'est de l'Occident dont nous parlons, pas d'un Orient déjà brumeux, évidemment. Là-bas, c'est la routine. N'a-t-on pas assisté au mitraillage d'un bateau de pêche italien par des reîtres libyens; ils les auraient pris pour des migrants. Voilà bien une excuse encore plus écoeurante : mitrailler des migrants ! Il faut vraiment avoir une cervelle "inachevée" pour avancer une telle excuse ! "P'tain, on a pas de bol, Arkoun vient de mourir en plus, on est orphelin dans ces contrées"...

C'est un pays étrange, la France. Ses dirigeants sont tellement obsédés par l'opinion publique, craignent tellement ce peuple régicide qu'ils radotent à qui mieux mieux. Quand Eric Raoult avait avoué que pour lui, Israël, c'était plus important que les retraites, personne ne se fâcha. Un ancien ministre de cette République d'ordinaire si jalouse, déclara sa flamme pour un pays étranger, "voyou" par-dessus le marché. Le rapport Goldstone disait la même chose mais en termes plus feutrés... Mais il s'agissait d'obtenir les voix des juifs. Aujourd'hui, c'est le Président Sarkozy qui reconnaît qu'il s'aligne sur les sentiments du peuple et qu'il n'est pas là pour les corriger. Il dit, en somme, qu'il n'a nullement envie de devenir un homme d'Etat. Il s'agit d'obtenir les voix des racistes. C'est drôle mais son Premier ministre a aussi reconnu que la stature d'homme d'Etat n'était pas ce qu'il désirait le plus; la République se devait de violer la liberté de religion car la société l'exigeait. Il s'agit d'obtenir les voix des intolérants.


Évidemment il ne faut pas confondre le désir de servir son pays et le désir de se maintenir au pouvoir; quand le second devient aiguillon, les politiciens battent la breloque. Ils disent n'importe quoi, pour rester trivial. En matière de droits de l'Homme, quand des "faits de société" contestables trouvent écho dans la législation, eh bien, il nous reste plus qu'une chose à faire : avoir peur... Occident ou Orient, il est sain d'avoir peur.

lundi 13 septembre 2010

Charroi et balayure

Un référendum, c'est toujours risqué comme on le sait; car le peuple, empêtré dans ses misères, court exprimer son mécontentement et non se prononcer sur le texte qu'on lui tend. Car le texte est assez épais, aussi. Et technique. Juridique. Comme quand on nous avait envoyé le traité établissant une Constitution pour l'Europe. Personne n'avait rien compris; et lorsque le Président Chirac s'était présenté devant les jeunes Français pour répondre à leurs questions, on croyait regarder une comédie. Un agriculteur, une caissière, une infirmière puéricultrice, etc. avaient questionné le Président sur leurs avenirs respectifs. Et M. Chirac avait passé la soirée à être "étonné de ce sentiment de peur" et à répéter "ça n'a rien à voir avec la Constitution". On avait même décelé un "foutage de gueule présidentiel" lorsqu'il avait répondu à une avocate qui demandait la reconnaissance de son diplôme à l'étranger : "Je vais tout vous avouer, je ne connais pas exactement le système de reconnaissance européenne concernant les certificats d'aptitude à la profession d'avocat. Je le regrette, mais je ne le connais pas"...

La même attitude a prévalu en Turquie. Un référendum constitutionnel a été organisé. Grâce au CHP, parti kémaliste, on a appris qu'on pouvait basculer vers un régime dictatorial parce-que le ministre de la justice préside le Haut Conseil des juges et des procureurs (HSYK). Il fallait affoler. Qui, d'ailleurs, a déjà vu le CHP respirer l'optimisme ? Il y a toujours une catastrophe en vue, selon eux. Depuis 1950, année où le parti a quitté définitivement le pouvoir, la Turquie empirerait, suffoquerait, dépérirait. Et depuis 2002, année où l'AKP a pris les commandes, on aurait dû basculer vers un régime type iranien ou indonésien ou saoudien ou encore vénézuélien. Les kémalistes aiment vivre avec des conditionnels. L'AKP aurait un "agenda caché" qu'il va bientôt mettre en oeuvre. Sauf que ce bientôt, personne ne le voit arriver; l'AKP ne sera plus au pouvoir qu'ils continueront, mécaniquement, de clamer que ce parti veut instaurer la charia. Dit en passant, depuis huit ans déjà, le ministre de la justice préside le HYSK...

C'est clair, pourtant; translucide : le HSYK sera dorénavant composé de 22 membres : 4 nommés directement par le Président de la République, 3 par la Cour de cassation, 2 par le Conseil d'Etat, 1 par l'Académie de la Justice et 10 par les magistrats des cours inférieures de tout le pays. Le ministre et son directeur de cabinet seront membres de droit. Le hic : le HSYK se libère de la tutelle des juges des cours suprêmes; 5 sur 22 alors qu'actuellement ils sont 5 sur 7. C'est tout simple. "J'te jure que c'est pour ça !"... Une peur "adamantine"; le mot-clé de la vie politique turque est celui-ci : peur d'un basculement. Mais les nonistes sont malins, aussi; ils étouffent un détail primordial : le projet constitutionnel a été avalisé par la Cour constitutionnelle elle-même, organe kémaliste s'il en est. Elle aurait donc ouvert la voie au sabotage de la République. Suicide, donc.

On a, malheureusement, été témoin d'une immaturité démocratique sans pareil, durant le processus : le Premier ministre a tout bonnement menacé de ne plus recevoir les organisations civiles qui refuseraient de se prononcer sur la révision constitutionnelle ! L'organisation patronale qui, d'ordinaire, aime publier des déclarations sur tout et n'importe quoi, avait décidé de ne pas appeler à voter dans un sens ou un autre. Et Erdogan a explosé : "celui qui reste neutre sera anéanti". Voilà une culture démocratique... Le petit père Kiliçdaroglu n'était pas en reste, évidemment : il s'en est pris de son côté aux artistes qui avaient décidé de voter oui; "dégage de là, pauv' con, un artiste, c'est un dissident, tu peux pas dire oui ! Conteste !", "bah depuis quand un artiste est celui qui dit toujours non !", "chut ! Dis non j'te dis !"...

Évidemment quand on voue des noms à la vindicte populaire, eh bien ces "noms" reçoivent ensuite des oeufs, crachats et insultes... Le Nobel Orhan Pamuk a été conspué en maintes occasions. La chanteuse Sezen Aksu a été rebaptisée "sazan" (= carpe). C'est tendre, tout cela, évidemment. Et quand on pense que les nonistes se plaignent d'être réduits au silence par ce gouvernement fasciste-terroriste-chaveziste... Les journalistes plutôt critiques à l'égard de l'AKP aussi, se sont excusés d'avoir dit oui, c'est incroyable : Balçiçek Pamir, Yigit Bulut, Okay Gönensin. Même Toktamis Ates a dit oui !

On nous a bourrés d'articles de Constitution, d'analyses ardues; certains ont ouvertement menti sur les propositions afin de les discréditer, d'autres étaient dans le cosmétique : "le gouvernement n'a pas sollicité l'avis de toutes les institutions nationales !", "on s'en fout, dites-nous ce que vous pensez du contenu", "bah nan, le gouvernement n'a pas séparé les articles soumis au vote !", "mais on s'en bat, le contenu ?", "oust ! Le gouvernement ne peut pas rédiger une nouvelle Constitution, il est fasciste !", "et le contenu ?"... On note également un scandale autour de la question du voile, encore : une affiche du CHP demandait de voter non pour ne pas voir augmenter les "femmes voilées comme des bonnes soeurs" ! Le dédain, encore et toujours ! Le bon Kiliçdaroglu a immédiatement accusé le gouvernement d'avoir placardé ces affiches et a appelé le ministre de l'Intérieur à faire toute la lumière sur cet épisode; celui-ci a illico acquiescé; résultat : c'est le président d'une section locale d'Istanbul du CHP qui les a placardées. Comme à son habitude, le président du CHP s'est platement excusé...

Résultat : on a déshabillé la République-missionnaire pour habiller la démocratie et on a bien fait. Les Turcs ont récupéré la houlette. 58 % des Turcs ont dit oui. L'essentiel, dans la vie, c'est d'être couvert d'une noble poussière; les nonistes atterriront dans les poubelles de l'histoire, les ouistes pourront se targuer d'avoir apporter ce qui manquait cruellement à cette république béquillante : une pincée de démocratie. Car le chemin est encore long...

jeudi 9 septembre 2010

Joyeuse Fête

Voilà. Terminé. Fin du Ramadan. On est bien contents. Ou déçus. Ou même indifférents. Certains pleurent. "Arrête de déconner !". Si si. Les exaltés. Ceux qui aimeraient bien jeûner tout le temps. Ils ressentent des choses profondes et désirent naturellement faire du rabiot. Un droit, cela dit. D'autres sont soulagés de finir un jeûne dont ils n'ont jamais essayé de comprendre le sens, le ramadan étant perçu plus comme une "coutume" qu'un acte réfléchi de dévotion.

La mère demandait gentiment à son enfant, envahi par une courtepointe censée faire office d'isolant phonique, de se lever pour le repas du matin alors que le père en était déjà au pincement. "Höst, hadi lan...". Ah ces pères, qu'ils peuvent être brutaux; n'est-ce pas ? Les yeux bouffis, la tête brinqueballante, l'estomac déjà rempli, chacun essayait de bâiller comme il pouvait. Le moment idéal pour choper les fameuses "faces de carême". Le plus pieux était déjà en train de moudre, dans son coin, l' "intention" d'usage par laquelle le jeûneur prévient Dieu qu'il va bien jeûner et non entamer une grève de la faim : "Niyet ettim Allah rizasi için bugünki orucu tutmaya". Et tous, en cohue, se dirigeaient vers la salle de bain pour se brosser les dents; une bousculade due au temps. Car à 5 h 34 pétantes, on devait avoir scellé notre bouche jusqu'au coucher du soleil. Plus d'eau, plus de chewing-gum, plus de dentifrice.



Le but, comme on le sait, est de ressentir la détresse du pauvre et de mortifier ses sens. Pas de nourriture, pas de sexe, pas de cigarette. Et donc beaucoup de nervosité. A Yozgat précisément, on avait appris qu'un procureur avait été tabassé par la population affamée parce-qu'il avait osé allumé une cigarette en public. Il "a affiché ostensiblement ses croyances religieuses dans l'espace public", il a donc eu droit à une volée de bois vert. Scandale, évidemment. Comme le Lyonnais roué de coups par d'autres guignols zélés. Voilà à quoi on aboutit quand on vit son islam...


Les discussions théologiques sont allées bon train, aussi. On a appris par exemple que l'heure à laquelle on arrête de manger avait fait l'objet d'un mauvais calcul. Par exemple, hier à Paris, on devait avoir terminé de manger, de boire et de se tripoter à 5h34 selon la Direction turque des affaires religieuses et à 5h37 pour la Mosquée de Paris. Non, nous a dit un théologien turc, Abdulaziz Bayındır. Selon lui, le monde islamique s'est trompé dans le calcul du "fajr"; fajr c'est-à-dire "l'aube naissante", le point de départ du jeûne. En effet, nous a-t-il dit, on prend classiquement pour base le fait que le soleil doit former un angle de 18 ° au-dessous du soleil. Or le fajr, c'est ça :


Et ça, c'est quand on prend pour base 10 ° et non 18 °. Le verbe "fajara" en arabe signifie faire jaillir l'eau; par extension, "fajr" signifie aube, point du jour (donc ni aurore ni lever du soleil). Or à 5h34, rien ne point. Et c'est vrai d'ailleurs. Je me suis "amusé" à le constater de mes propres yeux. Tenez-vous bien : le fajr n'est intervenu qu'à 6h15 ! Soit 45 minutes de jeûne en plus... Elhamdulillah...


Ce même théologien nous a également enseigné qu'il n'y avait pas, dans l'islam, la prière de "tarâwîh". Que ce n'était en réalité que la "prière de nuit" que le Prophète avait l'habitude d'accomplir et non une prière spécifique au Ramadan. Ou encore que les femmes en règle devaient quand même jeûner alors que la jurisprudence classique les en défendait. "J'ai rien bitté, notre jeûne a été accepté ou pas, du coup ?", "oui selon la moitié des théologiens, non selon l'autre moitié; pour Dieu, il faut attendre coco"...

Et aujourd'hui, nous "fêtons" la fin du Ramadan. Les Arabes, c'est demain, eux. Encore une histoire de nouvelle lune mal perçue... Les Turcs se fondent sur la sourate 10, verset 5 : "C'est Lui qui a fait du soleil une lumière et de la lune une clarté. C'est Lui qui a déterminé les phases de celle-ci, afin que vous puissiez dénombrer les années et calculer la durée du temps. Ce n'est pas sans but sérieux que Dieu a créé tout cela. C'est ainsi qu'Il expose Ses signes pour ceux qui comprennent". Les Turcs en déduisent qu'il faut se fier aux scientifiques ("ceux qui comprennent") qui peuvent déterminer exactement le moment de l'apparition de la nouvelle lune ("Il a déterminé les phases de la lune"). Pas donc besoin de voir à l'oeil nu la nouvelle lune puisque Dieu reconnaît que c'est une mécanique. Certes le Prophète a demandé aux musulmans de guetter la nouvelle lune mais à son époque il n'y avait pas encore "ceux qui comprennent"; ce qui, évidemment, n'est plus le cas, aujourd'hui. Voilà bien une explication convaincante.


On va bombancer, donc. On va s'étreindre. On va se réconcilier. Entre Turcs. Car quand nous ferons tout cela, nos voisins arabes, nos frères musulmans, seront en train de jeûner un dernier jour. Bonne fête à toutes les oummas ethniques qui composent la oumma islamique. Car nous sommes musulmans, à la base, donc fièrement divisés. Comme d'habitude...

vendredi 3 septembre 2010

Guingois

Ca commence bien. Quatre morts, deux blessés et un appel à l'extermination. Tout ça pour accompagner le "processus de paix". L'énième. Des papotages sont organisés à Washington. Car c'est une coutume, les dirigeants israéliens et palestiniens ont besoin de l'étreinte américaine. Ils ont besoin de traverser mille terres pour s'adresser la parole. Un arbitre qui ne cache pas, cependant, sa "passion" pour Israël. Tant pis; c'est le seul saint auquel on doit se vouer. Les négociations durent depuis des décennies, tout le monde se connaît, tout le monde a appris par coeur les doléances des uns et des autres, seul le Président des Etats-Unis change de temps en temps mais il reste quand même la seule personne capable de faire avancer le schmilblick. Etrange, quand même. Les peuples concernés, les croyants concernés, les humanistes de tous bords n'ont d'yeux que pour lui, l'Empereur.


Appel à l'extermination, donc. Ou plutôt au génocide divin. C'est l'éminent théologien ultra-orthodoxe juif qui priait ainsi. Le petit père Ovadia Yosef. Avec ses lunettes roses. Abdullah Youssef pour ses compatriotes iraquiens. Un "rabbi". Un maître, quoi. "Heureusement que tu précises, je faisais une crise cardiaque !", "calme calme, rabbi en hébreu voudrait dire mon maître, rien d'autre". C'est que chez nous, musulmans, rabbi signifie littéralement "mon dieu". "Yâ Rabbi" dit-on à longueur de journée. Tiens, prenons le chapelet en ce jour de ramadan : Mon Dieu, my God, mein Gott, Allah'ım ou Tanrım en turc ou мае хчыцау en ossète. Il faut savoir empocher les مثوبة "mathwaba" (sg. ثواب "thawâb"), les "récompenses divines", keh keh keh...

Abdullah donc. Il envoyait au diable Mahmoud Abbas et son peuple. L'anathème, ce que sait faire le mieux un théologien. Le curé lillois, par exemple, qui priait Dieu de foudroyer le président Sarkozy. Une crise cardiaque, par exemple, serait tombée à propos. Khamenei, aussi, aime rappeler son souhait le plus tendre : la destruction d'Israël. Seul le Saint-Père sait faire des louanges, on dirait... Abdullah, "le serviteur d'Allah", a préféré pointé les habitants, les Palestiniens. Car, il faut le dire, ces derniers sont grossiers : ils occupent une terre que la Bible a donné aux juifs; ils refusent de disparaître de la circulation; ils enquiquinent sans arrêt les maîtres. Ils parlent de droits, par-dessus le marché, allez comprendre. On est en 2010 et ils n'ont toujours pas vidé les lieux. "Scandalistique", vraiment...

Et quand on pense que certains se fatiguent les méninges pour le disculper. "Ah oui, regarde, il a dit 'ces' palestiniens, en hébreu ça donne ça : האלה . Ils parlaient donc que de ceux qui haïssent les juifs et toc !" Une analyse grammaticale, donc. Pourquoi pas; tant mieux, d'ailleurs, si Abdullah n'est pas un boutefeu. On s'en réjouirait. On a juste l'impression de l'avoir déjà entendu, cet "esprit élevé". Il parlait d' "anéantir les Arabes", la dernière fois... Et quand on pense que Lieberman s'était dit intéressé par cette rhétorique; le ministre des affaires étrangères, censé être la colombe par excellence de tout gouvernement, avait pris possession de son ministère après avoir déroulé des plans sur la table pour fixer les points de largage de la bombe atomique... "Mais c'est un taré, il faut pas'l prendre au sérieux, pfff, on peut plus rien dire !". Taré ou pas, ministre chargé de la diplomatie; analyse du vocabulaire : diplomatie = habileté à mener avec tact une affaire délicate. CQFD...


C'est que les discussions ont repris. "Directes", cette fois-ci. Les subtilités du monde diplomatique. C'est le "président" déconsidéré d'un "Etat" occupé, assiégé et amputé qui va serrer des mains. Une table a été posée : Hussein Obama va s'y asseoir de "tout son poids", Moubarak va y être installé (c'est qu'il est souffrant), Sa Majesté Abdallah va également chiper une chaise. Et Nétanyahou, évidemment. Le chef d'un gouvernement rempli de ministres bien intentionnés, comme on le sait. Et Abbas a été convoqué pour l'occasion. Et tout commença très bien : à peine, Abbas dit "réfug..." que le Président Obama enchaîna : "Israël est un Etat juif"... C'est comme dire "la Turquie appartient aux Turcs" en ignorant les Kurdes; un responsable turc aurait dit cela, les plus grands défenseurs des droits de l'Homme seraient tombés sur lui. Mais l'Israélien a ce privilège : il peut associer un qualificatif discriminant à son Etat. Et c'est le Président des Etats-Unis d'Amérique en personne qui le proclame; celui-là même qui, en présentant ses voeux, évoque un Etat palestinien "indépendant, démocratique et viable". Démocratique, surtout, lorsqu'il s'agit de qualifier l'Etat des Palestiniens. Et si Abbas insistait pour qu'il soit plutôt un "Etat islamique" ? "Allez allez, si c'est comme ça, rentre chez toi, exile-toi à Gaza, tiens !"... "Etat islamique" déplaît, "Etat juif" séduit. C'est comme ça, jeannot.


Négociation, donc. Sans débarrer porte ni fenêtre. C'est une plaisanterie, en réalité; Abbas crie du seuil de la porte tout comme Nétanyahou. Les extrémistes d'Abbas le poussent, histoire de mieux le qualifier de "traître", les extrémistes de Nétanyahou le retiennent, eux. Abdullah, par exemple. Ou celui qui occupe le ministère des affaires étrangères mais qui aime parler comme un ministre de la défense. Ironie du sort, le ministre de la défense en titre parle, lui, d'une possible division de Jérusalem au profit du futur Etat palestinien ! En même temps, le vice-ministre des affaires étrangères Ayalon (celui qui avait humilié l'ambassadeur turc) dit des choses qu'on a du mal à saisir : il n'y aurait pas que les réfugiés palestiniens dont il faudrait parler mais également des réfugiés juifs qui ont été éjectés des pays arabes où ils résidaient depuis des siècles. Il a raison. On pleurera pour eux aussi, d'accord. Promis. Mais pourquoi ce sont les Palestiniens qui répondent de la bêtise des régimes arabes d'antan ? Mélanger les deux questions, voilà une épine de plus savamment posée sur le chemin de la paix... Monsieur le Vice-ministre, en direct : "It is vital that this issue return to the international agenda, so we don’t once again see an asymmetrical and distorted treatment of Arabs and Jews in the Israeli-Arab conflict". C'est qu'il n'a rien compris au processus, le Sieur : "Israeli-Arab conflict" ! No my dear ! Israeli-Palestinian conflict ! "Ah ouais tiens, tu peux ajouter le conflit turco-chypriote aussi et les masses de réfugiés qu'il a générées", "c'est quoi le rapport ?", "bah j'sais pas, j'tente"...


Les négociations dans les têtes n'ayant pas encore débutées, toutes ces gesticulations n'ont aucun sens. Même si elles prospèrent, l'essentiel reste à faire : faire germer la non-violence et le respect de l'autre. Sarcler la haine. Or, chacun attend vitriol en main. Les colons ont déjà commencé à endosser les sacs de ciment. Les extrémistes palestiniens font tout pour gâter le terrain. C'est quand les musulmans ne se rangeront plus mécaniquement derrière les Palestiniens et les juifs derrière les Israéliens qu'on aura le droit d'espérer. Car l'étalon sera alors la Justice. Le mot est là, prêt : la convivance. Inchallah.