dimanche 6 mars 2016

"Etre roi est idiot; ce qui compte, c'est de faire un royaume"

C'était une drôle d'époque. Celle où un homme avait hypnotisé tout un pays. Il était si beau, si grand, si fin qu'il avait réussi un tour de force : faire d'une nation, une armée de fanatiques. Des gens doués de raison s'étaient épris de sa fragrance et, par nuées, adoptèrent la nouvelle religion d'antan, le séidisme. Ses sermons valaient leur pesant d'or et ses cauchemars équivalaient à des contes de fées. Eût-il décrété un pillage généralisé contre ses ennemis que les foules s'en seraient mises en branle, sans le moindre scrupule... 

Oh, chacun avait bien son gourou, chacun menait bien sa pauvre existence, le nez dans le guidon, les oreilles hermétiquement rabattues et méthodiquement rebattues, mais la différence résidait dans l'idéal. L'un promettait de dévaster, de dégommer, de déboulonner, l'autre d'édifier, d'ériger, d'élever. Et, comme dirait Dostoïevski, quand "vous êtes un monstre, tout en vous doit être monstrueux, vos rêves et vos espoirs". C'était là le drame, les sombres rêveries des uns foudroyaient les paisibles existences des autres...

Le pays était un énorme chantier, la nation une énorme mosquée. Il construisait des ponts, des routes, des chaussées et, en échange, s'était octroyé un droit : celui de parler à tort et à travers et de régir les âmes. L'admiration gonflait à mesure qu'il déblatérait. C'est que, celui qui avait longtemps pâli sur la démocratisation de son pays, avait tout renié. Tout ruiné. Il lança une guerre herculéenne d'Indépendance contre des fantômes. Il les avait appelés "sorcières". Des zigotos brevetés avaient immédiatement joui...

"Rien n'est plus grave, au fond, qu'une pensée qui n'embraye plus sur l'événement lorsque l'événement, lui, se déroule en dehors de la pensée", avait écrit je ne sais plus qui. Sans coup férir, il confisquait et accaparait. Mais il avait toujours raison. Un jour, il conspuait un "Etat terroriste", le lendemain, il avait "besoin" de lui. Un jour, il se dressait contre les putschs, le lendemain, il invoquait un "complot contre l'armée". Un jour, il louait un "savant", le lendemain, il dénigrait un "brouillon". Ainsi en allait-il...

Et un jour, ses sbires avaient allongé des torgnoles à des femmes voilées. Cette espèce de citoyennes qui lui avait, pourtant, tenu particulièrement à cœur lorsque des gauchistes leur pissaient dessus. Et les doigts de pied en éventail, des nunuches détournaient le regard. "Salağa yatmak", comme nous l'enseigne l'expression turque. "Faire le dos rond". Les batteurs de pavé avaient leur excuse, ils s'ennuyaient et n'avaient aucunement l'intention de penser. Ils étaient musulmans pourtant, mais la justice ne leur évoquait rien...



Le chef, lui, avait affirmé, toute honte bue, que son pays était un parangon de démocratie. Ça méritait une dissertation mais bon, personne n'eut le temps de réfléchir, à l'époque. Il fallait impérieusement s'insulter et se disqualifier. Il avait eu l'insigne honneur d'entrer ainsi dans les livres d'histoire, discipline qui nous apprend que "la vertu rencontre toujours des écueils sur le très dur chemin de la perfection, mais le péché et le vice sont choyés par la fortune" (Saramago, L'aveuglement). Au royaume des aveugles, le borgne était donc bel et bien...