samedi 30 mai 2009

Crânerie

Le Premier ministre turc ressemble au Président Sarkozy; à chacun de ses discours, on en est arrivé à attendre soit une perle soit une nouvelle orientation qui va faire sensation. Il faut dire qu'ils sont assez impulsifs, l'un allant même jusqu'à vibrer corporellement tandis que l'autre séduit par sa carrure imposante.


Le Sieur Erdoğan a déclaré cette fois-ci : "dans le passé, nous avons maltraité nos minorités ethniques si bien qu'elles ont fui leur propre terre, je le dis haut et fort, c'était une orientation fascisante". Et hop, l'odeur de la poudre se répand. Un Premier ministre qui mérite statue pour certains, corde pour d'autres : "allez prépare-toi, tu vas finir comme Menderes, haha"... Comment a-t-il pu dire la vérité !


Un pavé dans la mare, assurément. Il faut dire qu'il fait toujours ça; des messages importants distillés à l'occasion de vulgaires "meetings" de parti. Un Premier ministre qui dénonce l'Etat et ses prédécesseurs. Une activité que déteste le Président Sarkozy, pour sa part. Et Abdelaziz, celui d'Algérie, ne pense qu'à cela; "allez, reconnaissez le génocide culturel qu'a dû endurer le peuple algérien et je signe votre traité d'amitié", "euh... bah... c'est que... nous... Vive la France, Vive la République"... Sarkozy déteste remuer le passé. "Si tu me parles encore de ça, je réduis les visas alors hein !". Et notre ministre des Anciens combattants a dû dire également des choses pour se ménager la sympathie de ses hôtes, Bouteflika ne rigole pas, c'est clair : "la France assume les pages sombres de son histoire". Merci. Mais la classe politique française adore fouiller le passé des autres, agissant comme une vieille commère investigant à droite à gauche de peur d'avoir, un jour, la bouche fermée et de subir ainsi les reproches des autres; c'est connu, on n'interroge jamais une matrone qui gémit. Tout à fait logique donc de demander aux Turcs de reconnaître le "génocide" arménien...


En réalité, les propos d'Erdogan n'ont aucun accent de sincérité; sinon, il n'aurait pas reconduit un ministre de la défense qui se gargarisait, jadis, de ne plus avoir de minorités, "elhamdulillah, on les a tous boutés hors de nos frontières". Un jour il vire les Kurdes, un jour il s'interroge sur les moyens de les intégrer. Aujourd'hui, il pleure les minorités, hier, il dénonçait les signataires de la pétition. Evolution sincère ou opportunisme ? A chacun son analyse... L'on n'attend plus qu'il émette quelques mots de regret pour la déportation des Arméniens. "Nan nan nan, elle était méritée, marre à la fin, on avait raison !" D'accord.


Le MHP a immédiatement vomi, c'est normal. "Et puis alors, on ne va tout de même pas s'excuser pour avoir mené une guerre d'indépendance ! Félon ! Vendu !" Un nationaliste ne peut avoir le luxe d'être objectif, on comprend. Les citoyens turcs sont également fâchés; surtout les batteurs de pavé qui, comme on le sait, n'ont rien à faire de leur présent alors ils trouvent refuge dans le passé glorieux de la nation turque. Sans pousser l'exercice jusqu'à la documentation, évidemment. Mais le CHP a également grondé, "comment tu oses dire cela, vendu" a lâché le Vice-Président, Onur Öymen, un ancien ambassadeur qui fait carrière au sein du CHP maintenant. Un parti de gauche comme on sait...


Jadis, quand le "leader" Deniz Baykal s'efforçait d'attirer voilées, barbus et autres frondeurs au CHP, il faisait des discours "peuple"; en critiquant notamment le comportement passé du CHP, alors parti unique. "Alors quoi ! Je reconnais, nous avons fauté, nous avons écarté la populace des rues d'Ankara, maintenant nous voulons embrasser tout le monde !" Il faut dire que les choses ne se sont pas arrangées : on vient d'apprendre qu'une juge du tribunal de Fatih à Istanbul, a viré de la salle d'audience, une demanderesse qui portait le voile intégral mais qui, pour l'ocassion, avait ouvert son visage : "ouvre tout et après, ma cocotte", "c'est bon vous voyez mon visage", "je m'en fous, ton Dieu et ses lois n'ont pas cours ici, déchire ton voile, libère-toi..." Un nouveau délire. Mais personne ne défend cette femme, évidemment, car trop voilée. Madame la juge est sans doute malade; un peu dérangée. Et elle fonde sa décision sur les lois révolutionnaires de Mustafa Kemal; incompétente par-dessus le marché...


Un autre adepte de la "repentance" : Turgut Özal, Premier ministre de la République turque de 1983 à 1989 et Président de 1989 à 1993, avait reconnu également le tort fait aux Grecs orthodoxes. Il aurait voulu les rapatrier. Et un journaliste rappelle qu'il s'était excusé des Algériens pour les avoir laissés au milieu du gué pendant leur guerre d'indépendance. Et il reste un très grand homme d'Etat; plus aimé que Mustafa Kemal...
Alors donc, égrenons : la déportation des Arméniens, les transferts de population, l'impôt sur la fortune créé en 1942 pour spolier les Juifs, les événements du 6 et 7 septembre 1955 (la Nuit de Cristal version turque, les Turcs ayant saccagé boutiques, maisons, lieux de culte des Roums sur la base d'une rumeur selon laquelle la maison de Mustafa Kemal aurait été incendiée à Salonique), et les Kurdes, n'en parlons pas. Ou parlons-en, tiens, pour une fois que le "social-démocrate" Baykal propose de participer à la résolution du problème en évoquant son adhésion à une éventuelle amnistie. Il n'y a pas d'élection en vue, il est donc sincère...


Et les orthodoxes qui n'arrivent toujours pas à former leurs prêtres. Bartholoméos va se déclarer "prisonnier à Constantinople" encore un peu. Et que dire de l'Ukraine qui veut une antenne du Patriarcat à Kiev; "on vous l'avez dit, ils veulent un Vatican bis avec ses nonces à travers le monde ! Ils veulent briser notre intégrité territoriale, réveillez-vous ! On l'avait dit, oyez, oyez, j'étouffe...."


Certains veulent trouver non pas des solutions mais des justifications. "Oui mais le traité de Lausanne parle de réciprocité, et là-bas les Turcs sont persécutés alors pourquoi nous on ferait plus ! hein !". Voilà une autre pathologie : la logique voudrait alors que l'on persécute notre minorité grecque orthodoxe ! "Et les Turcs de Grèce ?" : les pressions, les manoeuvres diplomatiques, les recours à la Cour européenne des droits de l'Homme (on l'oublie souvent mais les requêtes interétatiques sont possibles) devraient normalement faire l'affaire. Mais personne n'en veut; on doit absolument s'abaisser à leur niveau... Il n'y a pas de réciprocité dans la violation des droits de l'Homme !


Comment être une nation lorsque l'histoire de l'un ne recoupe pas l'histoire de l'autre, voilà la problématique. Lorsque le passé fait pleurer les uns et réjouit les autres ? Lorsque, en somme, l'un tient un mouchoir et l'autre un feu d'artifice pour évoquer le même événement ? Une nation, pourtant, c'est le tryptique passé-présent-futur. Et c'est si difficile de reconnaître la vérité et de s'excuser pour les torts commis ? "Et l'honneur de l'Etat ?" Mais l'honneur n'existe plus dans la fange, jeannot... Regarde, même le coq gaulois commence à reconnaître qu'il a les pattes dans la gadoue...

mercredi 27 mai 2009

La resquilleuse

Il nous arrive parfois de vouloir accoster une personne qui marche dans la rue et lui raconter notre vie; un morceau de cette vie. Un scénario parmi d'autres. Une oreille, il nous faut. Sans la bouche si possible. Déverser ses sentiments sans avoir la volonté ni le besoin d'écouter conseils, sermonnades ou futilités.
Dans le train, une femme s'installe près de moi. "J'espère que les contrôleurs ne sont pas là; vous savez, a-t-elle précisé immédiatement, je suis SDF". Et moi, dans la réserve qu'impose la rencontre d'une inconnue, j'ai affiché un léger sourire du type guindé et continué à rêver. Une de mes séries préférées venait de se terminer : Dudaktan kalbe (adaptée du roman de Reşat Nuri Güntekin). Kenan est-il au paradis avec Leyla ? Melek va-t-elle dire papa à Cemil ? Şaika va-t-elle dire oui à Sait Paşazade ? Et puis, Lamia, elle avait raison de toute façon.
Et cette inconnue me demande si je comprends français. Qu'est-ce qu'elle raconte. D'ailleurs, Kenan était un type invivable. "Oui", ai-je répondu. Elle a commencé à raconter sa vie; sa misérable vie. Bête qu'elle était. Mais les pauvres d'esprit vivent aussi, dans ce monde. Dès fois, je me demande à quoi bon vivre quand on est dans un tel dénuement ? Je l'écoute, elle est expansive. Je parle, elle écoute. Après un certain temps, on a tellement sympathisé que je me suis mis à la mettre à l'aise. "Vous savez moi non plus je n'ai pas de boulot, ce n'est pas une raison pour ....". Bref. Je lui ai proposé de faire carrière dans la gendarmerie ou la police, deux institutions qui affichent sans arrêt qu'elles recrutent. "Je n'ai pas le bac", m'a-t-elle rétorqué. "Ah !"
"Et le monastère" lui ai-je demandé. "Vous savez je crois en Dieu mais je ne pourrai pas toute une vie !" "mais vous restez un moment, le temps de vous remplumer ensuite vous leur faussez compagnie; les soeurs sont habituées et elles n'en tiennent pas rigueur, ne vous inquiétez pas elles ne sont pas du genre à lancer des imprécations", "ouais, pfff..."
Elle n'avait pas l'air de souffrir avec sa glace Magnum, qu'elle dévorait en jetant un regard dehors, un regard vers moi. "Et vous, vous êtes professeur ?" m'a-t-elle demandé d'un air sérieux. "Non". Et la conversation a chuté dans la routine. Celle qui ne m'intéressait pas, évidemment. Le nombre de trajets de Melun à Paris, ses dossiers à l'assistance sociale, ses demandes de logement à la mairie de Paris.
Voilà une amie en moins de deux. Et comme être ami, c'est cracher ses plus fidèles pensées, elle m'a dit qu'elle gagnait en moyenne 100 euros par jour. "Une belle somme" lui ai-je dit. "Donc vous avez la capacité de payer votre billet de train." Elle a arrêté de sucer sa glace, m'a regardé et pouffé. "C'est vrai". La gueuse. Elle était simple. Presque idiote. Sans importance dans la marche de cette terre, assurément. Un bout de vie que l'on mène comme ça, sans trop s'interroger.
Les gens simples, c'est bien parfois. Pas de métaphysique, pas de réflexion profonde, pas de rancune, rien. Ils vivent. Accrochés comme ils peuvent. Sans ambition. Je ne sais pas vraiment ce qu'est la banalité. J'en n'en ai ni l'envie ni le temps. Ca doit être bien parfois. Je ne sais pas.
Quand le train s'est arrêté, elle est descendue, a marché quatre mètres et s'est retournée; "au revoir". Gracieuse, qu'elle était. Frivole. Avoir le luxe de ne rien faire de sa vie, de ne s'occuper de rien de "grave", du genre à encombrer la cervelle. La politique, le portefeuille, le désir, Dieu, tout cela par-dessus bord. Un peu comme le grand frère de la Neige en deuil de Troyat. Une existence inutile.
C'est un mode de vie. Pas inintéressant en soi. Je ne sais pas, s'enfermer dans un "yalı" au bord de la mer par exemple, regarder les bateaux qui passent, pleurer de temps en temps, écouter de la musique, admirer les oiseaux, lire tous les romans du monde, poser son regard sur les inconnus qui passent devant vous. Tout compte fait, c'est une belle vie. Ne pas être encombré. Etre ailleurs. Une simplicité qui couronne un parcours complexe, en réalité. Peut-être que la resquilleuse était de la sorte. Qui sait. C'est difficile d'être simple... Je réfléchissais à ma série, moi. Lamia aussi était simple. Et elle est heureuse... "L'histoire est un roman qui a été, le roman est de l'histoire qui aurait pu être" ricanent les deux autres. Un Magnum dans la main, un Cemil dans les bras... Ah Reşat Nuri ah...

mardi 19 mai 2009

"Respecter des préjugés" !

Le Président du Parlement cubain déclara à propos d'une éventuelle levée de l'interdiction du mariage des homosexuels : "il faut respecter les opinions et même les préjugés d'autres secteurs de la société". Respecter les opinions des autres, plus personne ne s'y oppose dans le monde actuel (sauf celui qui vient de prononcer cette phrase sans doute; nous sommes à Cuba !); chacun son délire, ses dogmes, sa vie. Mais de là à consacrer le devoir de respecter les "préjugés" des autres, voilà une ineptie. Respecter des préjugés. Comme une blague. Deux mots qui s'enlacent vilainement. L'on nous a toujours appris à lutter contre les opinions préconçues. Au nom de l'humanité, de la normalité presque.


Bien sûr, la défense des oeillères ne se fait pas sans arrière-pensée; le fond de l'affaire éclaire cette drôle de réflexion. C'est que le Sieur cubain s'inscrit dans la tradition. La question des droits des homosexuels a fait trébucher plus d'un; même un grand démocrate peut se sentir indifférent sinon gêné à l'idée de défendre les droits des homosexuels. Tout le monde n'est pas Robert Badinter. L'on vient de fêter la journée internationale contre l'homophobie. L'on a appris à l'occasion que plus de 80 pays continuent à incriminer cette orientation sexuelle. Mais l'émotion n'embrase pas le monde, c'est le moins que l'on puisse dire. Ce qui, à y réfléchir, n'est pas anormal en soi; c'est une question d'évolution des moeurs et des consciences, n'en déplaisent aux pourfendeurs de la théorie culturaliste des droits de l'Homme. L'égalité des hommes et des femmes, le droit des enfants et l'égalité des hétérosexuels et homosexuels, des conquêtes inachevées. Assurément. L'on se raffine lentement. Je me demande si un jour, on en viendra à légaliser la pédophilie (qui, dit-on, était, jadis, une institution : la pédérastie) et l'inceste. Après tout, tout est question de morale et celle d'aujourd'hui n'est pas celle de demain. Malheureusement, on s'est sabordé et on coule gaiement.


En France, la question juridique ne se pose plus vraiment; le mariage et l'adoption passeront un jour, une question de temps. Pour l'instant, l'on n'est pas prêt. Au nom d'on ne sait trop quoi, d'ailleurs. Des préjugés ? Non puisque la société française n'en a plus à ce sujet; de la morale ? euh...; de l'influence religieuse, n'en parlons pas. Mais c'est interdit quand même. On ne sait pas pourquoi, du moins on ignore la motivation rationnelle qui en est à la base; sinon, l'on a bien compris que le Président de la République s'y oppose. Un choix politique. Il est conservateur quand il le veut...


En Turquie (tout comme en Russie), parler des homosexuels est socialement interdit; alors parler de leurs droits relève de la divagation. Mais, ces temps-ci, la presse et le monde intellectuel commencent à effleurer le sujet. Un journaliste conservateur, Ali Bulaç, connu pour être un démocrate "régulier", s'est fait l'écho d'une réflexion que le monde arabe serait en train de creuser : en Iraq, les tortures seraient le fait des soldats homosexuels. "Hein ?" Le commandement américain aurait trouvé comme seule mesure efficace pour briser les résistances, le fait de s'attaquer à l'honneur des Irakiens. Valeur primordiale dans le monde arabo-musulman, s'il en est. Or, s'agissant majoritairement d'hommes, il a donc dû envoyer de bons gaillards capables de les "dresser"; sexuellement. Une défonce humiliante. Et comme dans ces contrées, celui qui subit un viol est aussi considéré comme suspect, le malheureux perdrait toute énergie factieuse. Ainsi plus d'honneur, plus de résistance. Se faire violer, c'est perdre la face. Seconde salve de Bulaç : débarrasser nos vaillants pères et mères de l'influence néfaste du penchant homosexuel. Car l'homosexualité s'acquerrait. "Nan mais ! mon petit minet, tu crois pas que tu vas dérober mon gosse comme ça, hein ! Oust ! Dégrade-toi ailleurs !"


Du coup, psychiatres, psychologues, scientifiques, théologiens, journalistes commencent à se pencher sur la question; la Direction des affaires religieuses a déjà promis d'organiser un "concile" sur la matière, à l'automne prochain. Suspense. Et d'autres en profitent pour "arroser" la polémique de leurs références qu'ils se sont obstinés à lire jusqu'au bout, allez savoir pourquoi : "alors, regarde bébé, Edward Glover nous rapporte que Jung disait que les homosexuels sont introvertis donc nerveux, toujours à la défensive d'où le rôle des soldats américains; après, mon p'tit, écoute toujours, les sado-maso sont pour la plupart des homo; et la meilleure pour la fin : analyse le comportement des soldats français lors de l'invasion de l'Algérie et toc !"


Quelques jours auparavant, c'était le Ministre de la Culture (issu de l'ouverture c'est-à-dire de gauche) qui déclarait : "vous ne pensez pas que nous sommes vraiment un pays étrange ? Notre ancien putschiste Kenan Evren est devenu un peintre respecté et il fut un temps où notre pays avait décerné le prix du meilleur chanteur à Zeki Müren et de la meilleure chanteuse à Bülent Ersoy". Zeki Müren, une grande voix homosexuelle (aujourd'hui décédé) et Bülent Ersoy, la "diva" turque, transsexuelle. Cette déclaration est tout au plus rigolote; de là à estimer qu'il y a de l'homophobie...


Mais l'homophobie existe en général, c'est clair. L'on a peur dans les familles. La bonne mère de famille veut une bru; alors, elle ne comprend pas trop ce que cela signifie, homosexuel. Le "coming out" appelle donc immédiatement ostracisme. Et l'hypocrisie existe, en vérité (cf. film Lola Bilidikid). L'on disait donc Zeki Müren, Bülent Ersoy et encore d'autres chanteurs de cabarets qui n'ont pas ouvertement reconnu leur homosexualité mais qui, par leurs gestes, le font savoir. Et que dire de Cemil Ipekçi, le grand styliste. Ouvertement, il l'est. Il a même un compagnon. Et il soutient l'AKP, personne n'a pu comprendre... Ou Tarkan, la "mégastar"; il n'a jamais reconnu cet état; sa copine de l'époque assurait la Turquie entière que ses performances d'alcôve étaient de nature à lever tout soupçon; mais bon, le "flagrant délit" est difficile à voiler : une photo publiée le montrait très intime avec un homme; il a dû lâcher quelque temps après : "seul Dieu me jugera", comprend qui peut.



La véritable question, c'est la sincérité : ceux qui ont dénoncé les propos de Bulaç restent sélectifs lorsqu'il s'agit de défendre tous les droits de l'Homme. Par exemple, le port du voile. "Oh, tu nous emmerdes avec ça, marre à la fin, espèce de conservateur constipé !" Etre humaniste, c'est cela : être jusqu'au-boutiste. Etre cohérent, en somme. Etre insistant. Etre libre. Etre honnête. Ne pas être sélectif. Ne pas défendre une cause par plaisir, voilà le fardeau. Combattre les préjugés. Je l'avais dit, je le redis : les droits de l'Homme postulent une chose très simple : à chacun son content.


PS : Türkan Saylan est décédée hier; que Dieu l'absolve.

vendredi 15 mai 2009

Expectative sans illusion

Commence-t-on à voir le bout du tunnel ? L'émotion monte; une réelle perspective d'avancée dans le dossier "kurde", nous disent les plus avertis. Un journaliste de renom, Hasan Cemal, a réussi à "interviewer" le "leader" par intérim du PKK (l'éternel croupissant en prison) dans le tréfonds montagneux du nord de l'Iraq. L'on apprend du coup qu'il suffit de prendre la route pour parvenir aux terroristes...


Le PKK aurait donc décidé de déposer les armes; c'est en tout cas ce que l'on comprend. "Allez, accueillez-nous, on en a marre de la vie de montagne, on veut rejoindre nos douces pénates et nos tendres mères !". Finie donc la vie troglodytique. Les principes, c'est bien beau; mais le corps, vieillissant, fatigue, se révolte, quémande un répit. L'on ne vit plus avec des principes; l'abstraction n'a jamais déridé qui que ce soit.


L'on s'attendait donc à entendre monts et merveilles en faveur de la réintégration de ces brebis égarés. Que nenni ! Le Gouvernement et le Président de la République ont bien l'air d'être ravis mais les militaires qui, comme on le sait sont pauvres en lueurs, sont à mille lieux du compromis : "ne bougez pas assassins ! Restez où vous êtes, on ne veut pas de vous, oust !". En effet, il faut des tensions. Car s'il n'y a plus de combats, il n'y a plus d'influence sur la scène politique... "Oh la la, t'es mesquin, pathétique, comment oses-tu dire des choses pareilles ! Rectifie !"


Alors que l'ancien chef d'état-major, Yaşar Büyükanıt, a reconnu lui-même qu'il était impossible d'éradiquer totalement le terrorisme; im-po-ssible. Donc ? Bah, comme il n'a jamais eu la prétention d'être savant, il recommande quand même de continuer le combat en concédant quelques miettes dans le seul domaine socio-économique. D'accord. L'on se demande alors si le combat n'est pas devenu une affaire d'ego. La funeste volonté de ne pas sembler faillir; un peu comme Uribe : ses principes et sa rancune personnelle empêchent le processus de libération des otages d'avancer sereinement. Il faut toujours qu'il mette des bâtons dans les roues.


Et Deniz Baykal, qui s'est spécialisé dans une sorte de droit d'inventaire périodique de la social-démocratie, a encore eu le réflexe que l'on attendait de lui : "soyons vigilants, a-t-il déclaré, ce sont des traîtres, il ne faut jamais les prendre au mot; le mieux, c'est de ne rien faire". L'immobilisme. On va finir par croire qu'il n'aime que la discorde; chacun son fonds de commerce... Les nationalistes, évidemment, sont les plus attendus; mais en même temps, les moins originaux. C'est connu, un nationaliste est en position de perpétuel défenseur. Lui seul aime la Nation. Mais en même temps, il a besoin de turbulences, sinon, il n'existe pas. Sa posture consiste justement à dénigrer tout ce qui peut briser l'image qu'il s'est fait de son pays. L'objectivité n'a aucun sens. Il préfère la passion inutile, il a toujours besoin d'être menacé pour vivre, toute normalité est donc suspecte, mauvaise, forfaiture. Un "nationalisme de verges", il faut toujours protester, jamais accomplir.


En Turquie, les partis politiques ont chacun leurs domaines d'intervention : le DTP toujours inconsolable sur le sort des Kurdes, le CHP toujours gémissant sur la laïcité, le MHP toujours nerveux sur l'identité nationale. Et quand, il y a une crise économique, par exemple, il ne vient à l'idée de personne de se tourner vers le CHP, parti soi-disant de gauche; car, il n'a rien à proposer. Alors, on s'en remet à l'AKP, car lui seul propose un programme complet. Une vie politique sui generis. Parfois, on se demande si ceux qui défendent une cause ne seraient pas en même temps ceux qui font tout pour qu'elle ne soit pas réglée ? Défenseurs et fossoyeurs.


Il faut dire que les Turcs ne sont pas très conciliants non plus. La passion l'emporte sur la réflexion; l'on veut du sang, la revanche, une attaque tous azimuts. Une inconscience règne; ça rappelle les temps antiques où l'on sacrifiait des humains aux dieux, sans s'interroger, sans comprendre, sans broncher. Jadis, Bülent Ersoy s'était aventurée. Mais dans son ensemble, la Nation turque est fataliste, inhibée : "jamais la paix avec ces criminels, tiens, j'élève mes enfants pour la Patrie ! Que vive la Sainte Patrie !"


Du coup, l'on ne sait plus que ressentir. Karayılan, ce "leader" par interim donc, nous apprend à l'occasion que dorénavant le PKK ne veut plus d'une quelconque indépendance. Bref, les "officiers" du PKK seraient tout ouïe aux propositions d'Ankara. Oui à la fin des combats, oui au dépôt des armes, oui aux rencontres. Et Ankara de rappeler : non aux droits constitutionnels, non à une amnistie générale, non à une décentralisation poussée. Voilà donc pour l'avancement. Entre-temps, le Premier ministre refuse toujours de serrer la main aux députés du DTP (parti pro-kurde et ouvertement vitrine politique du PKK)...


C'est vrai que la tache est rude, après 25 années de combats et près de 40 000 victimes, changer de paradigme. Récupérer ses petits si longtemps égarés. L'arsenal juridique n'est pas très huilé, en réalité. Une loi permet aux terroristes repentis n'ayant jamais participé à un crime de bénéficier d'une amnistie. Une approche individualisée. Or, le PKK et les tenants de la paix revendiquent une amnistie générale. Vaut mieux un ancien criminel au bercail qu'un autre innocent au tombeau. Il reste toutefois difficile de persuader une mère dont les larmes ne tarissent plus, de pardonner, d'ouvrir ses bras pour le bien de tous.


Et ils en veulent des choses, c'est sûr : autonomie renforcée, enseignement en kurde, service public en kurde, les noms de rue et de villages en kurde, etc. Et préfèrent se définir comme étant "de Turquie", à la place de "Turcs" pour bien montrer qu'ils vivent dans ce pays mais qu'ils ne font pas partie de l'ethnie turque. Un pied de nez à ce même Yaşar Büyükanıt qui déclarait en 2007 que celui qui refuserait de dire "heureux celui qui se dit Turc" (formule inscrite partout, murs, frontispices, voitures, livres, etc.) serait considéré comme un ennemi de la Nation. Eh bien nous voilà donc en présence d'une "cinquième colonne" de près de 15 millions d'ennemis... Et quand je dis que les militaires turcs sont grossièrement incultes... Quoique, l'ancien putschiste nonagénaire, Kenan Evren, s'était, jadis, interrogé en public : "ça fait quoi si on adopte une forme fédérative, hein, ce n'est pas la fin du monde !". Comme quoi, il faut attendre le nombre des années, pour certains...


Bref, il serait absurde, lâche voire criminel de rabrouer un ennemi qui tend la branche d'olivier. Les principes, c'est bien beau; mais ça ne sauve personne. Pourquoi la préservation de principes périmés est-elle plus sacrée que la vie des humains ? Il ne faut pas être un grand clerc pour comprendre que le sacro-saint principe de l'intégrité territoriale ne peut que se renforcer en étreignant toutes les fractions de la Nation. La Turquie aura ainsi terminé sa Révolution; en réhabilitant les kurdes, les frères d'arme de la guerre d'indépendance...

lundi 11 mai 2009

Toupet !

L'on est donc fixé. Enfin. Le monde entier se demandait sincèrement laquelle des épouses serait "désignée" Première Dame de l'Afrique du Sud. Avec son abondant foyer, femmes, amantes, maîtresses, promises, favorites et son imposante nichée, le Président Zuma intriguait. Pis, effarouchait.

Le jour de son investiture, il a donc "dévoilé" son harem. La toute dernière, pimpante de son état, semblait être prometteuse dans la fonction. Quelques mouvements de bassin et deux regards de biais seraient tombés bien à propos. Une femme du genre à noyer un homme dans son étreinte. Faite pour le job; en tout cas, par rapport à sa "collègue" la plus émérite, il n'y a pas photo. La plus "gradée", une épousée de village, était également dans l'assistance. Et elle est donc, pour cette journée en tout cas, la première Première Dame. Au gré des événements, l'on connaîtra les autres titulaires.


La maisonnée a dû grouiller d'intrigues. "Allez, s'te plaît, choisis-moi, laisse cette rombière édentée, j'te promets 365 jours de plaisir comme l'autre pouffiasse américaine !", "dégage vicieuse, tu t'es vue ! choisis-moi mon maître, mes dents, mes hanches, mes mamelles font la fierté du clan et du pays !"... Heureusement que la plus gradée avait d'ores et déjà affirmé vouloir rester en retrait : "tu ne viens plus me voir depuis tant d'années, laisse-moi tranquille, choisis une plus jeune, une plus affriolante, allez mon Jacob ! Un nouveau râtelier me suffit amplement". Un Turc aurait dit : "öpün yengelerinizin ellerini", "baisez donc les mains de vos tantines".

Evidemment, Silvio devait avoir les yeux rivés sur cette séance. "P'tain, t'as vu, lui, c'est un mec". Comme on le sait, son antique épouse a décidé de divorcer. Marre non pas d'un mari volage, mais d'un mari passablement dépravé. Il faut dire que Silvio l'ostrogoth ne fait que bouillir. Les femmes. Si bien que son parti ressemble à un véritable pince-cul. Anciennes vedettes, beautés sont catapultées en tête de liste pour les élections. Celles qui ressemblent de préférence à des nymphes. Lui-même, très talon rouge, d'ailleurs. Aguicher des voix, ça s'appelle.

Bien sûr, personne ne découvre la polygamie. Il existe une "polygamie de fait" partout où il y a infidélité. Et comme la fidélité n'existe pas en ce monde, nous sommes tous concernés. "Arrête de mentir, la fidélité, ça existe; regarde, je l'aime, il m'aime, on s'aime, on vit presque d'eau fraîche, si tu veux le savoir et toc ! C'est vrai qu'il n'est pas mal le steward, hein !", "ouais, et l'hôtesse s'est spécialisée dans le dandinement, on dirait"... Matthieu s'époumone de là-haut : "Vous avez appris qu'il a été dit: Tu ne commettras point d'adultère. Mais moi, je vous dis que quiconque regarde une femme pour la convoiter a déjà commis un adultère avec elle dans son coeur" (5.27-28). Etre mal barré, en langue légère...

La polygamie ne fait gémir ses détracteurs, c'est-à-dire nous tous (en théorie), que lorsqu'elle prend une allure publique, sue, presque juridique. Sinon, partouzes, échangisme, sado-masochisme ne relèvent plus de l'indignation. Une poignée de puritains seulement n'ont toujours pas compris à quoi ça sert, c'est tout. D'ailleurs, Zuma a tout compris : "eh ben quoi, chez vous, ça s'appelle entretenir des maîtresses; au moins, chez nous, ça a le mérite d'être clair; il y a une protection juridique !" Pas faux dans le raisonnement. Mais pervers, quand même. A moins d'accepter la réciproque...

Etre "gavé" de femmes, voilà le désir le plus élémentaire d'un homme normalement bâti. Chacun refrène comme il peut. Et l'hédonisme n'aide pas. Ce n'est pas une question de civilisation, assurément. C'est une question de savoir-vivre, d'éducation. L'on connaît l'exemple de Mitterrand; l'on a connu l'exemple du député qui s'est suicidé après avoir tué sa maîtresse; le protocole a fait qu'il a eu droit aux honneurs de la République... Et le citoyen lambda n'a jamais rien promis à quiconque. Et l'autre fait tout ça dans la légalité. Mais la tradition veut que l'on pousse des cris d'orfraie. "Mais j'comprends rien, allez arrête avec tes idées cornues, viens il faut alimenter le feu, coco, après on protestera devant leur ambassade, promis..."

mardi 5 mai 2009

Abcès

Dernièrement, le chef d'état-major nous priait de croire que l'armée était et avait toujours été respectueuse de la démocratie. Les plus futés savent qu'il ment mais bon, mieux vaut le silence que la confusion. Les plus contrariés ne cachent pas leurs craintes : "mais alors, vieux, c'est qui qui va intervenir maintenant pour réguler notre démocratie ?", "bah, personne, la démocratie va se construire par à-coups, avec des hauts et des bas", "tu crois ce que tu dis ?", "oui", "eh bien t'es bête, tu rêves ou quoi ! Tu veux que l'on bascule hein, avoue-le !".

Depuis, les militaires n'en finissent plus d'afficher des postures de sincères démocrates. D'ailleurs, l'ancien chef d'état-major, le général Yaşar Büyükanıt, dans une conférence donnée à des étudiants, nous annonce que l'armée ne doit pas se mêler de la politique quotidienne, de la "petite politique"; mais, rectifie-t-il aussitôt, elle a un droit de regard naturel s'agissant de la "grande politique"; les grands principes : laïcité, démocratie, Etat social (sic), Etat de droit et caractère unitaire de l'Etat. L'armée va donc continuer à donner ses "grands avis" sur ces questions. Mais comme la réflexion n'est pas le propre d'un militaire, officier soit-il, il n'a pas compris que le principe démocratique lui intimait précisément de la fermer...

Ce même "pacha" (l'autre nom des généraux en Turquie, c'est dire) refuse catégoriquement que le ministre de la défense soit le supérieur hiérarchique du chef d'état-major; il devrait rester, selon lui, directement rattaché au Premier ministre. Raison : pas de politique dans l'armée. Comme une blague. Les militaires dans la politique mais surtout pas le contraire. "Je ne veux pas, dit-il, qu'il y ait des militaires qui tiennent le paletot du ministre". Comprenez, pas de militaire abaissé, rétrogradé devant un élu subalterne.

De son côté, le juge constitutionnel Osman Paksüt gesticule pour affirmer qu'il est persécuté par la... justice. Le vilain procureur de l'affaire Ergenekon serait à ses trousses. En réalité, Madame son épouse, a été l'objet d'écoutes téléphoniques. Et lorsqu'elle papotait avec un ami sur la décision de la Cour constitutionnelle sur la non-interdiction du parti gouvernemental, l'AKP, son auguste mari se mêla à la conversation et insinua qu'un de ses collègues aurait été soudoyé pour voter contre l'interdiction.

Bien sûr, ce juge ayant un honneur à défendre bon gré mal gré, il a dû s'expliquer. A la télévision. "Vous confirmez vos propos, Monsieur le Juge ? Vous n'estimez pas que vos propos heurtent une certaine éthique ?", "Mais qu'est-ce que tu racontes, bourrique, on s'en fout du fond; regardez, on m'a écouté, moi, un juge constitutionnel, où sont les procureurs, où sont les flics, embarquez-les !", "oui mais sur le fond...", "cesse avec tes histoires, j'te dis qu' je souffre, on m'écoute, je l'avais dit...". A l'occasion, il s'en prend au Président de la Cour constitutionnelle, coupable de ne pas avoir effectué les démarches nécessaires pour que cette illégalité cessât. En effet, en tant que juge constitutionnel, il bénéficie d'une immunité de juridiction; seule la Cour constitutionnelle ou la Cour de cassation peut le juger. Il doit même démissionner, a-t-il lâché. Quand on sait que Paksüt est le vice-président, on comprend sa tactique...

Mais le fond est resté sans explication. Un juge et sa femme, en train de "balancer" un autre juge à un de leur ami, se font attraper la main dans le sac. Et rien. Certes, les juges sont humains, ils vivent dans la cité, mangent, boivent et ont des amis comme tout le monde; mais le geste est dérangeant. Paksüt est assez turbulent, en vérité. L'on croirait un couple "people"; sa femme, mise en examen sous contrôle judiciaire dans l'affaire Ergenekon et Monsieur, un juge qui mène la fronde à la Cour constitutionnelle. Un juge qui publie une contre-déclaration lorsque le Président donne une opinion personnelle sur l'interprétation de telle ou telle décision de la Cour. Un juge qui rencontre les militaires à la veille d'une décision importante. On a juste le droit de demander une "p'tite" explication. Et vas-y pour la contenance : le juge d'instruction serait donc, selon lui, un "sournois", un "perfide" agissant "en traître". Et le Président de la Cour de cassation épaule Monsieur le juge constitutionnel, "t'as raison, on en a marre d'être écouté dans ce pays !". L'on n'attend plus que l'association des magistrats (YARSAV) qui défend plus les accusés de l'affaire Ergenekon que les juges d'instruction, mette son grain de sel. Après tout, on a vu des rois épouser des bergères...

Il y a un problème de formation de l'élite. D'éducation, presque. Les gens de là-bas ne se tiennent pas au courant de ce qui se passe dans le monde des idées. Ils sont donc pauvres en réflexe démocratique. Les écoles militaires endoctrinent, tout le monde le sait et tout le monde en convient. Les facultés de droit ne devraient pas être ainsi pourtant : les professeurs de droit sont assez bavares en Turquie. Les plus éminents tiennent des chroniques, d'autres présentent des émissions ou y sont souvent invités. Mais leurs étudiants qui deviennent praticiens restent bornés. Un sondage avait permis de constater que plus de 60 % des magistrats interrogés préféraient sauvegarder les intérêts et l'idéologie de l'Etat que les droits de l'individu face à la puissance étatique. Question d'idéologie. Il n' y a plus de justes indignations; elles sont anormalisées; par des incultes. Et l'armée et la justice sont remplies d'incultes. Apparemment, en tout cas. Fichtrement triste. Et ceux qui veulent redresser cette situation sont déjà taxés de "libéraux naïfs" ou de "chariatistes endurcis". C'est l'histoire du chameau : il lui a été demandé : "pourquoi ton cou est si courbé ?"; il répondit : "mais je n'ai rien de droit"...