lundi 29 décembre 2008

"Terroristan"

On ne sait vraiment plus comment s'indigner. Ou tout simplement s'indigner. Une séquelle brûlante, tout le monde en convient. A peine avait-on dit "Amen" aux prières du Pape que la poudrière sauta.

Le Hamas a commencé, Israël a riposté, "vous nous obligez". Ehoud Barack, ministre de la Défense, a bien précisé le sens de sa titulature pour faire bonne mine : "je suis ministre de la Défense, pas de la guerre". "Ah oui, a renchéri Livni, trop, c'est trop". Il est toujours bon de devenir "faucon" à l'approche des élections législatives. Les calculs, c'est important en période électotale. Les compteurs aussi. C'est connu, l'homme politique devient homme d'Etat quand il n'a plus de scrutin en perspective.

Les déclarations pleuvent, évidemment : le Conseil de sécurité demande l'arrêt des opérations des deux côtés, Mahmoud Abbas mâche des reproches "de manière indiscriminée", les Etats-Unis, toujours dans la crainte de passer pour vertueux, doigtent les accords, etc. Et Hosni, qui n'a jamais eu l'habitude d'avoir honte dans sa vie, refuse d'ouvrir les frontières. Son ministre des affaires étrangères s'étrangle, cependant, lorsqu'on lui demande d'où proviennent les missiles à longue portée que possède le Hamas, "franchement, mon frère, c'est pas nous mais j'vois pas d'autres fournisseurs en même temps..."

Le Premier ministre turc, qui avait rencontré Ehoud Olmert la semaine dernière à Ankara, délaisse à nouveau le langage diplomatique pour crier franco : "crime contre l'humanité". Mais il adopte, en même temps, une posture bizarre; au lieu de se remuer pour prendre langue, vélocement, avec les Israëliens, il a décidé de les bouder et d'arrêter les contacts. Ca n'apaise pas vraiment. Quand il est en colère, il dérape toujours... Ainsi, a-t-il parlé d'une indignation dans les "pays islamiques"; voilà une belle gerbe pour Samuel Huntington. Mais heureusement, ses amis ministres l'ont convaincu d'aller au moins papoter avec quelques pays "importants" : Syrie, Jordanie, Egypte et Arabie Saoudite. Les oreilles des uns font le bonheur des autres...

Ahmadinejad entonne le même refrain et même le Guide Ali Khamenei s'y est mis : nous, musulmans, aurions le devoir de nuire aux intérêts israéliens, où qu'ils se trouvent. Heureusement que les "fatwas" ne sont devenus que des bouts de papier ayant perdu tout effet ameutant. On se désole, par la force des choses mais le réalisme camisole les ardeurs. C'est comme ça. L'ère de la modernité.

"On a le droit de se défendre nan !", "mais oui, bien sûr, évidemment, sans aucun doute, absolument, mais frappe les terroristes, pas les civils". Bombarder "correctement", voilà le paradigme, en somme. Et il faut surtout punir le Hamas. On croyait les Gazaouis mourants depuis le blocus; "vous êtes toujours vivants, vous !" Eh oui, la volonté de survie est mère des plus flambantes intelligences. C'est même devenu un métier presque officiel, contrebandier. Le Hamas, une organisation élue, pourtant; et par des élections voulues par les Occidentaux. "On t'a dit de faire des élections, pas de proclamer les vrais résultats !"

L'année 1430 commence mal, pas de doute. L'année 2009 aussi. Barack Hussein Obama vient sans doute de s'en rendre compte; la politique américaine du Proche-Orient ne se définit pas dans des programmes généreux mais prend forme en fonction des préoccupations pétaradantes de certains. Etre mis devant le fait accompli, ça s'appelle...

jeudi 25 décembre 2008

Joyeux Noël

Le revoilà sur scène : "Cübbeli Ahmet", littéralement "Ahmet le soutanier". Un imam. Le chef de file d'une confrérie notoire installée dans la mosquée Ismailağa à Fatih, quartier d'Istanbul et "bras droit" du très respecté Mahmut Ustaosmanoğlu dit Mahmut Efendi, un de ceux que la grâce divine aurait touchés. Notre "cübbeli", un imam médiatique et assez doué pour le rester. Mais très conservateur. Un peu à l'image du cheikh Astağfirullah, ennemi mugissant du "cerveau embrumé" et de la "langue indomptée". On l'avait aperçu sur un jet ski à Malte, dans un confort fort peu islamique; il avait réussi à se faire pardonner. Même ma mère, traditionaliste, en était confuse. Rougir, assurément, ça ne s'apprend pas.


"Si l'ange Azraël vous surprend en pleine festivité, l'au-delà, c'est foutu". Voilà la "fatwa". La "festivité" en cause consiste à consommer de l'alcool et à imiter les Chrétiens. Imiter, c'est envier. Un péché. En réalité, il y a une confusion totale en Turquie : les "bourgeois" turcs enguirlandent également des sapins, pastichent le Père Noël, offrent des cadeaux, etc. mais le soir du 31 décembre. Toute la panoplie occidentale "noëlienne" au service du nouvel An. Par conséquent, les théologiens s'échinent à fustiger de tels comportements et à rappeler des recettes plus islamiques : "lisez du Coran ! méditez sur votre passé et votre futur ! amendez-vous, bande de cornichons, le Jour approche !"


Il est donc mal vu de célébrer l'anniversaire du Christ puisqu'il renvoie à des images de beuveries, d'excès et quasiment d'impiété. J'ignore pourquoi mais les "conservateurs" musulmans rechignent à réciter quelques prières à l'occasion de la naissance de Jésus. Or, le Coran est clair : sourate 2, verset 285 : "(...) les croyants ont cru en Allah, en Ses anges, à Ses livres et en Ses messagers; (en disant) : 'Nous ne faisons aucune distinction entre Ses messagers'" ou 4 : 152 : "Et ceux qui croient en Allah et en Ses messagers et qui ne font point de différence entre ces derniers..."


Alors que les musulmans ne sont pas, contrairement à ce que l'on croit, des rabat-joie ou des obscurants; l'austérité n'a jamais été une part essentielle de la théologie, du moins pas au niveau de "la religion toute sèche" de Calvin (Louis Maimbourg). La Naissance du Prophète Mouhammed se dit "Mevlid", qui vient de l'arabe "velâdet". La Nativité, en somme. On connaît.


Certes, la vision du Christ diffère radicalement, certes, la date de naissance est probablement fausse, certes la Bible n'est plus "en vigueur" depuis la Révélation islamique mais "Isa", Jésus, reste un très grand Prophète. Même Tony Blair, qui reconnaît volontiers lire le Coran quotidiennement, a eu la sagacité de constater qu'il faisait de nombreuses références à Jésus et ce, toujours dans un sens positif. Il le dit si bien à die Zeit : "Ich lese täglich den Koran (...) Es gibt im Koran keine Verweise auf Jesus, die nicht zutiefst respektvoll wären". Et Pöttering, président du Parlement européen, en profite pour tenter d'amadouer les Saoudiens : "allez, regardez même votre Livre déclare son amitié pour le Christ, laissez donc les églises libres", "d'accord mais à une condition : que le pape reconnaîsse Mouhammed comme Prophète, haha"...

Benoît XVI, évoquant Bethléem, a appelé les chrétiens à prier pour que la paix s'installe " sur la terre où Jésus a vécu." Nous, musulmans, n'hésiterons jamais : Amen. C'est une expression : tant crie-t-on Noël qu'il vient.


Paix sur qui suit la Vraie Voie. Comme une homélie...

dimanche 21 décembre 2008

www.ozurdiliyorum.com

Le tracassin dure depuis quelques jours; depuis qu'une poignée d'intellectuels (que l'on qualifie, sans prétention aucune, d'"aydın" en Turquie, littéralement "lumière"!) ont demandé pardon aux Arméniens pour les souffrances qu'ils ont endurées depuis l'Evénement jusqu'à nos jours du fait de l'omerta imposée. Il y a notamment le "M. Europe" de la Turquie, Cengiz Aktar; le sociologue qui enseigne à l'Ecole des hautes études en sciences sociales en 2008-2009, Ali Bayramoğlu; l'économiste, enseignant à la Sorbonne Ahmet Insel; Baskın Oran, le politiste dont la fille, Sırma, avait refusé de reconnaître le "génocide arménien" pour pouvoir figurer sur la liste municipale socialiste à Villeurbanne. Et encore, et encore. Environ 15 000 signataires à ce jour.


Le texte, sobre mais net, est le suivant :

"1915'te Osmanlı Ermenileri'nin maruz kaldığı Büyük Felâket'e duyarsız kalınmasını, bunun inkâr edilmesini vicdanım kabul etmiyor. Bu adaletsizliği reddediyor, kendi payıma Ermeni kardeşlerimin duygu ve acılarını paylaşıyor, onlardan özür diliyorum".


"Ma conscience ne peut pas accepter que l'on reste indifférent et que l'on nie la "grande catastrophe" subie par les Arméniens ottomans en 1915. Je rejette cette injustice et, pour ma part, je partage les sentiments et les peines de mes frères et soeurs arméniens. Je leur demande pardon".


"I cannot accept in my conscience the insensitivity toward the Big Disaster that the Ottoman Armenians were subject to in 1915 and the denial of it. I refuse such injustice and I do apologize to my Armenian brothers and sisters, share their pain".


C'est toujours difficile de dépoussiérer le passé. En France aussi, on a connu ces résistances : Mitterrand, dans sa logique, refusait de pleurer pour les fautes commises par un "régime illégal". Et Sarkozy n'est pas un adepte de la repentance tout comme Chirac. "Oui mais ne faites pas ce que l'on fait, faites ce que l'on dit, allez reconnaissez, vous !"


Les références aux "origines" sont courantes dans cette contrée : lui, il a l'air mystérieux, il doit être Sabbatéen, l'autre a l'air de savoir pas mal de choses sur la sécurité de l'Etat, il doit être caucasien, un autre conteste trop, il doit avoir du sang arménien, etc. Les engueulades sont toujours l'occasion de voir fuser des "noms d'oiseau" : "ermeni", "yahudi", "sabateist", "papaz", etc. Les versions turques de "bougnoule", "raton", "feuj"...


A peine le calame posé, un déferlement vindicatif a grondé. Stylos contre stylets. "Qu'est-ce que tu fais ?", "euh... rien, j'écris une lettre...", "citrouille, dégage, c'est quoi un stylo d'abord, les hommes ne pleurent pas chez nous, ressaisis-toi ou j't'éclate". Les militaires, des ambassadeurs en retraite, les nationalistes, le Premier ministre, le Président de l'Assemblée ont critiqué l'initiative. Si bien que l'on a retrouvé dans le même panier, nationalistes, autoritaristes, conservateurs, islamistes. Comme quoi les "grandes" problématiques nationales créent toujours l'union nationale.


Mais, du coup, qui sont ces "revendicateurs malappris" ? Seul le Président de la République a refusé de mettre en garde, "notre pays est un pays démocratique où toutes les pensées, opinions et idées ont droit de cité". Bravo, que dire. Mais la normalité ne pouvait passer comme ça, il fallait des aboiements.


La "chienne de garde" en chef était donc à l'oeuvre; la députée Canan Arıtman, du CHP (un nom qui se rapproche étrangement du verbe "arıtmak" : nettoyer, purifier) : "le Président est un traître, il parle de démocratie, qu'est-ce qu'il veut dire par là ! Faites des recherches du côté de sa mère, vous verrez pourquoi il cautionne l'initiative". Le mot est lâché; la colère est un vrai piège mais bénéfique parfois, on apprend des choses sur l'inconscient. C'est une harengère orde, complètement toquée et indigne. Drôle de conscience; réplique bizarre : vous dites votre sympathie pour les victimes, on vous demande "ah je ne savais pas que t'avais des origines arméniennes". S'il faut épouser toutes les nationalités des victimes dans le monde, il n'y aurait plus eu d'humanité. Trop complexe pour la tête simple. Mais Deniz Baykal, le berger, a essayé de calmer sa députée, elle est encore plus féroce : "je vais lui balancer mes babouches à la première occasion, au Président". Baykal est dans sa période de récolte, on prend tout ce qui bouge, élection oblige. Il n'a pas insisté davantage...


Un des arguments les plus auto-accusatoires est le suivant : "et pour les anatoliens égorgés par les milices arméniennes en 1916-1917, et pour nos diplomates victimes des terroristes de l'ASALA dans les années 1970, qui va demander pardon, hein ?" Une reconnaissance directe de la "faute" en réalité; oui nous avons fauté mais vous aussi, alors si l'on demande pardon, vous aussi, vous devez le faire. L'on sort de la négation pour tomber dans une question de préséance... Il y a eu 1915 avant 1916, à ma connaissance. Et quand on pense que la Turquie est la mère du projet de "la plate-forme pour la stabilité dans le Caucase"...


Le mot "pardon" est sans doute excessif; mais la pensée suffit. Et chacun y va de son air : "regarde, j'écrase une larme, mille pardons", "jamais, t'entends, jamais je m'excuserai, va cracher sur les tombes de ceux qui l'ont fait". Le mot "génocide" n'apparaît pas puisqu'il n'existait pas à l'époque des faits. Mais à bien lire Raphaël Lemkin, on comprend qu'il a été influencé par les crimes commis contre les Arméniens en 1915 (et par l'assassinat de Talat Paşa en 1921 à Berlin).


Que l'on écrase une larme ou que l'on postillonne, le fait est là : l'arc-en-ciel ottoman n'a plus d'éclat. On a le droit de se désoler, c'est tout.

Hrant Dink

"Je me sens comme une colombe. Je regarde à droite, à gauche, devant et derrière moi, avec la timidité d’une colombe. Mais je sais que dans ce pays on ne touche pas aux colombes. Les colombes continuent à vivre au cœur de la cité, même au milieu des foules humaines. Un peu timides certes, mais d’autant plus libres."

dimanche 14 décembre 2008

Aigreur

Voilà donc la mission terminée; notre Président qui, il faut le reconnaître, est constitué "différemment", a pris soin de rappeler à ses successeurs : "continuez comme moi, bougez, courez, poussez, c'est comme ça que ça marche". Les Tchèques, déjà peu attentifs, sont déjà fatigués. "Il court tout le temps, celui-là, on a les mains pleines de dossiers". Ca tombe bien, Sarkozy en redemande : "allez, file-moi la gouvernance économique, je sens que ça va être un peu ronron avec vous". Non, évidemment. Vaclav Klaus n'attend que le flambeau; et s'entête à bouder le traité de Lisbonne. "L'Irlande d'abord", "d'accord, mais vas-y toi aussi, t'as des mains", "alors la Pologne avant", "bouge-toi, vieux !", "je suis malade, après..." La Cour constitutionnelle, saisie, avait pourtant donner son feu vert; le Président tchèque s'était même rendu à l'audience pour écouter la décision et prendre quelques notes. Comme un étudiant. L'architecture institutionnelle européenne n'altère en aucune façon la souveraineté tchèque, voilà le verdict. Klaus n'étant pas simplet, il a appelé à multiplier les contentieux contre le Traité. Une tiédeur manifeste après une ferveur presque débridée contrariera, à n'en pas douter, le commun des europhiles.


C'est une nature, on n'y peut rien. Un bouillonnement physique, même. Au Président polonais qui redemande la parole, Sarkozy n'a-t-il pas lancé : "on est 27, coco; si tout le monde racontait sa vie, hein..." L'autre n'a pas bronché. Depuis, on le voit rôder à Bruxelles, en train de suivre son Premier ministre : "allez, emmène-moi aussi en Europe", "ça va aller, merci". Un drôle de pays; un Président auquel le gouvernement refuse d'affréter un avion...


Chacun peut ainsi reprendre son train-train. Jean-Pierre Jouyet rejoint l'Autorité des marchés financiers; quel rapport ? peut-on se demander mais la politique "énarchienne" coupe court aux interrogations de cet acabit. La corvéabilité des énarques est légendaire. Voilà donc arrivé Bruno Le Maire, un pimpant villepiniste reconverti sans trop tarder dans le sarkozysme de raison. Kouchner est ravi : "ah ba voilà une nouvelle pomme de l'ouverturisme; il parle l'allemand, en plus, écoute", "Ya ya, Ich bin der neue Staatssekretär für Europafragen". Et les ministres qui passaient des oraux interminables à Bruxelles reviennent au pays. La pauvre Michèle Alliot-Marie rate le train, comme un citoyen lambda, l'élégante Christine Lagarde se retrouve perdue dans un champ, "Madame il faut mettre vos bottines, on s'est échoué", "qu'est-ce qu'il dit ?", "euh... l'hélicoptère a malencontreusement dévié de sa direction, on se retrouve en pleine brousse"...


On termine en beauté : le paquet climat est passé à coups de bourrades sarkoziennes; la Hongrie a fait la fine bouche : "on veut plus de pognon" mais le Cousin était encore là pour calmer les ardeurs. Le Polisseur émérite rend le tablier et fait escale en France. On le récupère. Espérons que la lame n'a pas trop usé le fourreau, le menu national est plus garni. Et il n'y a rien qui justifie de boire du petit lait, ces temps-ci...

Dvorak - Songs My Mother Taught Me

Loin des tracasseries, fixez le ciel et rêvez...

Maria Callas, O Mio Babbino Caro

jeudi 11 décembre 2008

"Fleur de civilisation"

Hier, c'était le 10 décembre. L'Anniversaire. Comme il se doit, nous honorons la Déclaration universelle des droits de l'Homme, la DUDH pour les intimes. Mon sujet d'examen, l'an dernier. A vrai dire, un phare bien plus qu'un pilier. Et on rediscute du titre : "j'pense qu'il faut plutôt dire droits humains, c'est plus englobant, qu'est-ce t'en penses ?", la personne la plus autorisée parle, on se tait : "Ce texte est gravé dans le marbre et l'égalité de tous y est proclamée sans aucune ambiguïté !". Stéphane Hessel, le dernier dinosaure.


Le Conseil des droits de l'Homme s'est permis une coquetterie, une nouvelle coupole :


L'artiste Miquel Barcelo explique : "cet espace, c'est un peu de la science-fiction. C'est comme un Conseil intergalactique, avec des gens et des langues tellement différents, avec des opinions si opposées". En effet. Ban Ki-moon, aussi, était là; il a passé son message : "les couleurs apparaissent différemment selon l'endroit où vous êtes assis, de la même manière que les pays et les peuples ont des perspectives différentes sur les défis que nous devons affronter". Multilatéralisme, évidemment.


Bien sûr l'état de la planète n'est pas, pour autant, reluisant; un classique. D'ailleurs, personne n'a jamais rêvé; on se connaît trop bien. Et la France est morne, aussi. Rama Yade, notre "secrétaire d'Etat aux droits de l'Homme" rêve d'autres postes "parisiens", Bernard Kouchner reconnaît qu'une telle fonction ne sert pas à grand chose, "elle a bien fait son boulot, mais... tu sais, en fait, elle ne faisait pas grand chose, hein !" La réponse du diplomate à la diplomate...


"Un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère..." Le chemin parcouru est sans doute glorieux mais le voeu reste d'actualité.


Notre Président va presque rougir en serrant la main du Dalaï-lama; du coup, on ne sait plus qui trompe qui : le ministère des affaires étrangères rappelle qu'ils n'ont jamais rien promis aux Chinois : "ce ne sont pas les Chinois qui tiennent l'agenda de notre Président, pfff", "alors, Nicolas, on te savait plus docile; Bush, Merkel et Brown, ça passe, mais pas toi, carpette !", "arrête de dire la vérité ! en plus, regarde, je vais te revendre des armes, allez, on se réaime ?"...


Robert, celui du Zimbabwe, qui avait soigneusement tendu la sébile à la communauté internationale pour surmonter l'épidémie de choléra, est fou de rage : "alors Robert, si tu veux de l'oseille ou de l'assistance, tu dois partir; ça suffit, on ne veut plus de Toi, allez, penses-y", "bouche calamiteuse, caquet dégoûtant, bouffon, anti-démocrate", "calme Robert calme, tu dois dégager maintenant", "allez, on n'a plus besoin de vous, le Zimbabwe maîtrise officiellement l'épidémie". Et al-Bachir dont on ne sait plus la situation "juridique" ! Notre Président a décidé, seul comme à son habitude, de "négocier" avec lui, le Procureur Moreno-Ocampo s'époumone à réfuter tout arrangement; mais bon la politique a l'honneur de toujours primer.


La terreur est déjà partout; le Congo déploie l'étendard, les Etats-Unis mènent déjà une guerre précisément contre la terreur; effet paradoxal, elle renforce la terreur. "Mais arrête de bombarder les civils afghans, nom de dieu !", "poussez-vous, bande de sauvages, qu'est-ce que vous foutez dans une zone en guerre, hein ? Il faut tout leur dire à ces wisigoths !", "mais les guerriers sont ailleurs !", "allez on s'excuse mais ne recommencez pas, vous aussi..."


La misère : un milliard de sous-alimentés, d'inanitiés, d'affamés, d'assoiffés. L'insécurité : la Corée du Nord fait le malin, Israël n'attend que l'aval américain pour bombarder l'Iran, l'Inde se pose toujours les mêmes questions sur son voisin nucléarisé. Parler de choses et d'autres est toujours aussi difficile, croire est démodé mais on essaie de faire des choses, etc.


Tiens, la Suisse veut une Cour mondiale des droits de l'Homme, encore une avancée. On n'apprend pas à un vieux sage à faire la grimace. Un voeu, bien sûr. L'inhumanité sortant de l'humain, on ne sait plus espérer. Et maintenant, il faut penser à l'environnement, aux êtres vivants non humains, à la paix, au développement et palabrer encore et encore. Mais c'est déjà ça; l'important, comme le disait Robert Badinter en 1998, c'est de ne pas être un "partisan du silence"...

dimanche 7 décembre 2008

Glose itérative

Cette semaine, le voile était encore en vedette. Un puits sans fond; le voile est devenu un profond sujet de discorde dans nombre de pays, une épine dans les relations sociales, un problème de civilisation. On malaxe tout : liberté religieuse, laïcité, égalité des sexes, droits de la femme, ordre public, etc.


Depuis que Deniz Baykal, président du CHP (parti qui, dit-on, est de gauche), a béni ses nouvelles adhérentes en "çarşaf", les discussions sur sa foi et sa sincérité n'en finissent plus; on apprend que lui, le Grand prêtre des laïcistes, s'est reconverti dans la promotion de la diversité dans la vêture : "elles cognaient à la porte du Parti, que devais-je faire ? Les chasser ? Moi, démocrate !". Les joues légèrement empourprées.


La dissidence interne commence à s'organiser autour de Necla Arat, une professeure de philosophie; une épaisse matrone.


C'est la seule à rugir tant; l'entêtement étant, comme on le sait, l'expression d'un "vice caché", les journalistes se sont "jetés" sur son passé. Et voilà déniché un récit picaresque : dans le système universitaire turc, le passage de la maîtrise de conférences (Doçent) au "Professorat" (Profesör) se fait sur présentation d'un doctorat d'Etat (habilitation à diriger des recherches ou agrégation pour les disciplines juridiques, économiques et de sciences politiques en France). Il faut compter, au minimum, cinq années. Or, notre malheureuse a été "élevée" au grade de maître de conférences en 1975 (en Turquie, le statut de maître-assistant existant toujours : yardımcı Doçent) et "créée" professeure en 1988. Soit une période d'attente inhabituelle de 13 ans. Et la raison n'est évidemment pas glorieuse : notre combinarde a pompé à droite à gauche pour son doctorat d'Etat; du plagiat fait rustiquement (200 pages sur 218 !). Et qui présidait la commission disciplinaire ? Un professeur de... théologie. C'est une rescapée d'un théologien. Tout s'explique. Pour la petite histoire, son sujet de "professorat" portait sur la morale...


Un autre foyer de résistance : l'armée. La ferveur des Turcs pour Mustafa Kemal n'est plus à démontrer; ça tombe bien, un temple a été construit en son honneur en plein coeur d'Ankara. Et toute la gueusaille défile périodiquement pour déverser ses doléances, rancoeurs et autres pathologies. Le 3 décembre fut donc un jour comme les autres : la journée des handicapés a drainé au "monothéon" les familles concernées. Rien d'extraordinaire. Mais voilà que des "gens en épaulettes" se sont plantés, tels les molosses de Memnon, devant les mères voilées du groupe. "Enlève et entre", "comment vous dites ?", "Ôte ce voile, j'te dis, libère-toi", "jamais", "circule alors"... La coutume demande à une femme, désirant entrer dans une mosquée, de poser un voile sur la tête; et personne ne bronche. Et bien, le rituel au sanctuaire kémaliste impose de se "défroquer".

Mais les militaires font toujours ça; ils quittent toute cérémonie publique lorsqu'une femme voilée se présente sur scène. Et ils refusent l'accès des casernes aux mères mal voilées : il faut toujours laisser émerger une mèche. C'est le critère. Une tragédie. Une comédie. Une maladie. Délire obsidional.


Heureusement, Ertuğrul Özkök, l'éditorialiste en chef de Hürriyet (équivalent du Monde), est là; ce sieur dont l'avis sur les choses publiques est indexé sur l'humeur de son patron, le célébrissime Aydın Doğan, a "osé" publier une photo de famille qui montre sa grand-mère en "çarşaf" : "regardez, nous ne sommes pas athées, nous autres; nous avons de la branche". La dispute des symboles. "Moi, j'ai trois voilées, une grabataire en plus, c'est émouvant non, qu'est-ce t'en penses ?", "moi j'ai quatre barbus et pas de voilées, elhamdulillah", "chariatiste, arriéré !", "oust ! complexé, vendu !"...


Bien sûr, Ramzan Kadyrov, le satrape de Tchétchénie, ne s'est pas inspiré des débats turcs pour imposer aux étudiantes le port du foulard. C'est un fils de mufti, voyons. Et les Russes l'aiment bien; et les hommes en ont assez d'être séduits. C'est prouvé, la concupiscence (non théologique s'entend) nuit gravement à l'attention; à l'université encore plus, les neurones n'ont pas le droit au répit.


Comme il faut que le hasard fasse bien les choses, la Cour européenne a pondu deux arrêts sur le foulard (Doğru c. France et Kervancı c. France, 4/12/2008). L'histoire de deux collégiennes d'origine turque insistant pour porter leur "accessoire" en sport; la loi de 2004 n'était pas en cause, l'on se plaçait donc sous le régime de 1989. Les juges sont unanimes : "mais tu ne peux pas faire du sport avec un voile, ma fille, allez, enlève ça", "bah si m'sieur, c'est même mieux, ça tient les cheveux", "mais là n'est pas le problème ma fille, t'es constipée ou quoi, la pratique importe peu, la théorie dit que c'est incompatible", "mais...", "oh quelle gueuse celle-là ! on s'en fout de ta vie, tu nargues la laïcité, point. Rejeté". Les arguments de la requérante étaient sensés pourtant : "lors du conseil de discipline, lorsqu’il lui a été demandé en quoi le port du foulard ou d’un bonnet pendant ses cours mettait en danger la sécurité de l’enfant, il [le professeur de sport] a refusé de répondre à la question posée. Le Gouvernement ne donne pas plus d’explication sur ce point." (§ 44). La Cour ne s'attarde pas, évidemment : "la Cour estime que la conclusion des autorités nationales selon laquelle le port d’un voile, tel le foulard islamique, n’est pas compatible avec la pratique du sport pour des raisons de sécurité ou d’hygiène, n’est pas déraisonnable." (§ 73) On comprend l'interdiction du voile ou du turban sikh pour le casque obligatoire ou pour la photo sur les documents officiels mais dire, péremptoirement, qu'il n'y a pas "à justifier, dans chaque cas particulier, l’existence d’un danger pour l’élève ou les autres usagers de l’établissement" (§ 38), c'est tout de même bizarre. "Oh moi tu sais, je ne sais pas si c'est compatible avec la pratique du sport, mais si ton prof le dit, c'est qu'il a ses raisons", "mais non, même lui ne sait pas", "allez, allez, règlez ça entre vous, nous, nous avons peur de traiter de la laïcité"...


Les débats de la semaine ont tourné autour du voile. Mais toujours rien à mettre sous la dent. Que des déceptions. Mais le temps a été créé pour cela, pour apprendre à meubler l'intermédiaire. L'idéologie transpire, on n'arrive toujours pas à avouer; sinon comment expliquer l'affaire du gîte d'Epinal, l'affaire des mères voilées accompagnant les enfants lors des sorties scolaires, l'affaire de la stagiaire voilée auprès de la fédération du Rhônes de la Ligue des droits de l'Homme (!), l'affaire des étudiantes voilées à l'université Montpellier 1 ? La laïcité à toutes les sauces. "On n'aime pas le voile, c'est ça qu'tu veux entendre ?". Voilà ! Je sentais bien que la laïcité n'y était pour rien. Oh be...

jeudi 4 décembre 2008

Sans fard

L'Europe regorge de "têtes couronnées". On l'oublie souvent. D'ailleurs, les souverains, trop polis pour gesticuler, ne se mettent jamais en vedette. Et pour épater la populace, on leur a retiré tout pouvoir réel. On leur demande de vivre correctement et de faire, de temps en temps, la publicité de leur pays. La France est républicaine n'en déplaisent à MM. Henri d'Orléans et Louis de Bourbon. C'est comme ça. On a essayé mais ça ne colle plus. D'ailleurs, le feu comte de Paris ne voulait pas d'un "poste" honorifique; de Gaulle ne s'est donc pas pressé pour le remettre sur le trône. Depuis, on demande aux Orléanistes, aux Bourbons et aux Bonapartistes de ne plus rêver...

Les chroniqueurs mondains n'en croient pas leurs yeux; la Reine Elisabeth a porté, lors d'une cérémonie, un manteau qu'elle avait déjà porté en... 2005. Ca s'appelerait un scandale. La Reine qui change de vêtement à chaque phase de la journée, a osé reprendre ce "truc" vieux de trois ans. Crise oblige, elle n'a plus de sou; elle s'est donc interrogée en public, elle qui fait seulement la lectrice tous les ans devant le Parlement; l'infortune fait gémir, c'est connu : "bande de cons, pourquoi n'avez-vous pas vu venir cette crise ? Je n'ai plus de fric, et l'autre rosse ne m'en donne plus"... Et c'est une boursicoteuse, la crise est passée par là : "appelle le banquier, qu'il m'explique ça en détail". L'histoire nous enseigne que plus la famille royale s'entoure de faste, plus elle est respectée. Jadis, c'était un seigneur comme les autres, des gueux de haut rang et vers la fin des années 1870, on l'a magnifié. Victoria est passée par là. Babeth a sermonné sa marmaille aussi : "arrêtez de sortir tous les soirs, on n'a plus de fric". "Joue du piano Condi, que j'oublie, songs my mother taught me..."

Le Souverain le plus silencieux en ce moment, c'est le Roi du Thaïlande, Rama IX : un branle-bas de combat dans le pays; partis interdits, manifestations à répétitions, occupations des aéroports et des bâtiments publics et lui, rien. "Accourus de tous les coins de Votre royaume, nous sommes là Sire". La tradition veut que l'on s'adresse à la poussière de ses pieds. Et sa femme n'est pas fraîche non plus, Sirikit. Encore plus raide. "Ca rigolle pas chez eux...". Son silence est une orientation, en réalité. Il trône depuis plus de soixante ans, les militaires l'aiment bien aussi, ça aide.

Le plus vaillant, c'est le Grand-duc du Luxembourg; il a refusé de "sanctionner" une loi autorisant l'euthanasie. Sa conscience l'en empêcherait. Le Premier ministre n'est pas content, bien sûr. D'ailleurs, qui a déjà vu Juncker, content ? Toujours une tête de Carême. "Bon, p'tit malin, puisque tu veux jouer au Souverain feignant de diriger son poulailler, tiens, je modifie la Constitution". Résultat : il ne devra plus "sanctionner" mais seulement "promulguer" les lois. La reine d'Espagne aussi avait voulu dire des choses, on l'a remise à sa place, la Grecque: "la vie et la mort ne sont pas entre nos mains", "non au mariage homosexuel, c'est quoi ça d'abord, connais pas"... "Les Souvrains manquent de cervelle mais ça ne leur est pas nécessaire" aurait dit un autre écervelé... Et le prince consort du Danemark, un Français, le claironne partout : "je m'emmerde...".

Celui du Koweït, "se la joue" aussi. Les députés essaient de faire comprendre à l'émir, depuis 2006, qu'ils ne veulent pas de son neveu comme Premier ministre; "allez, allez...". Résultat : le Neveu de l'Oncle est reconduit : "mais fais ça dans l'art, toi aussi, ne fais pas le païen". Mohammed VI essaierait de faire des choses; tiens, il a changé le droit de la famille. Mais les femmes ne trouvent plus de maris, du coup : "Tu dois donner la moitié de tes biens à ta femme en cas de divorce", "ouaich ouaich, Sire, vous rigolez ? Même si le Coran l'impose, jamais...".

Une couronne sur la tête ne fait pas, semble-t-il, le bonheur; mannequins sur une vitrine permettant d'aguicher curieux et "people", ils ont l'air tout chose. On leur interdit d'oraliser leurs réflexions. Pis que les présidents de la République soliveaux. Ils sont à plaindre, pas de liberté d'expression. Il est naturel de préférer la vie de châteaux à une vie ordinaire mais s'auto-censurer pour garder un bon "poste", ça s'appelle, en terme cru, une écorniflerie. De grandes démocraties sont dirigées par des muets; des châtrés. Les derniers forçats de l'Occident. Et on s'indigne quand ils parlent. Une exigence démocratique, paradoxalement...