vendredi 21 septembre 2012

Je te tiens, tu me tiens, par la barbichette, le premier de nous deux qui rira...

Nous vivons dans un pays paradoxal. Il y a quelques années, on demandait (et ordonnait, puisqu'une loi est passée) aux femmes niqabées de bien vouloir vivre leur religion, au rabais. Celles qui considéraient, à tort ou à raison, que le voile intégral était un commandement de leur croyance, devaient faire plaisir à leurs concitoyens, en disparaissant de la circulation. Car la théorie du visage de Lévinas, la fulgurance de Babeth, le bien de la société, la protection de l'ordre public, l'impératif du "vivre-ensemble" l'imposaient. Le Conseil constitutionnel, dans sa fameuse "décision" du 7 octobre 2010, prêtait son épaule au législateur qui avait estimé que de telles pratiques méconnaissaient "les exigences minimales de la vie en société". Le respect de l'autre était érigé en règle juridique. Évidemment, quand on voyait les noms des "juges" constitutionnels qui avaient pondu cela, on comprenait le pourquoi du comment; Jacques Chirac, Jean-Louis Debré, Jacques Barrot, Michel Charasse, Valéry Giscard d'Estaing, Claire Bazy Malaurie et Pierre Steinmetz sont, comme on le devine, des constitutionnalistes de renommée internationale...

Aujourd'hui, des journalistes et des cinéastes usent de leur liberté d'expression afin de blesser, spécifiquement, leurs concitoyens musulmans cette fois-ci, mais personne n'ose invoquer "les exigences minimales de la vie en société". L'impératif du "vivre-ensemble" passe à la trappe, tout naturellement. Soit parce-qu'on considère que la liberté d'expression est supérieure à la liberté de conscience soit parce-qu'on estime que les musulmans ne sont pas des citoyens comme les autres, dignes de faire partie de ladite "société"... Insulter les croyances de ses "concitoyens" musulmans s'accommode alors très bien du "vivre-ensemble"; et ceux qui "vivent ensemble" ne condescendent même pas à écouter l'indignation des musulmans. Le Premier ministre ne vient-il pas d'affirmer que les manifestations, pourtant déclinaisons de la liberté d'expression, sont interdites; on ne sait jamais, ces voyous seraient capables de mettre à feu et à sang le pays entier, celui de ceux qui "vivent ensemble". Le ministre des affaires étrangères appelle, pour sa part, à fermer les écoles françaises dans les pays sensibles; car ces voyous seraient capables de..., c'est bien, tout compris...

Nous ne vivons plus au temps des empires où une "instance" du Sultan-Calife de Constantinople passait pour un "ordre". La pièce Mahomet de Henri de Bornier fut ainsi interdite. Le journal Le Temps écrit le 1er avril 1890 : "En prévision des difficultés diplomatiques (...), le conseil des ministres (...) a décidé que la tragédie en question ne pourrait être représentée ni sur une scène subventionnée ni sur aucun autre théâtre. L'ambassadeur de France à Constantinople, M. de Montebello, a été chargé d'aviser le sultan de cette décision", lequel exprime sa reconnaissance et sa sympathie pour M. Carnot et son gouvernement... Et Auguste Dorchain de témoigner : "ce drame, dont le génial Mounet Sully devait être le protagoniste, allait entrer en répétitions, les décors et les costumes étaient déjà commandés, quand on apprit, tout à coup, que le Gouvernement interdisait la pièce, à la demande du sultan Abdul-Hamid, lequel, sans l'avoir lue, l'avait déclarée attentatoire à la sainte révérence due au Prophète ! (...) Et la chose parut plus inexplicable encore lorsqu'on vit, quelques jours après, à l'Odéon, autre théâtre d'Etat, remonter, sans protestation de la Sublime Porte ni interdiction de nos ministres, le Mahomet de Voltaire, où le Prophète est présenté comme le plus cynique et le plus féroce des imposteurs. Henri de Bomier, seul, connaissait le mot de l'énigme ; il savait le nom du drôle qui avait contre lui seul — ne jalousant pas Voltaire — suggéré à Constantinople cette manifestation diplomatique. Par patriotisme, il s'inclina, et par pudeur, il se tut". Ce n'est que 250 ans après, que la pièce de Voltaire a fait l'objet d'une tentative de censure... Autres temps, autres moeurs...

Voilà pour la réaction du citoyen lambda, qui plus est de confession musulmane. L'autre, le libéral, tout en avouant préférer le Mahomet de Hugo, n'a que deux citations à la bouche; un arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme : la liberté d'expression protège "non seulement [...] les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi [...] celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’Etat ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de « société démocratique »" (Handyside c. Royaume-Uni, 1976). Et une analyse du modèle américain par Elisabeth Zoller, professeur de droit  : "la règle générale est que le citoyen dont la sensibilité est blessée par une expression politique (un drapeau piétiné, ou mutilé, ou brûlé) ou religieuse (un foulard, un turban, une kippa), voire raciste (les incendies de croix du Ku Klux Klan, pour autant qu'ils soient pratiqués sur un terrain privé) n'a aucun droit à être protégé dans ses émotions (par opposition à sa vie, à sa liberté ou à sa propriété qui, elles, doivent être protégées par l'Etat contre les atteintes des tiers); en matière de tort psychologique, c'est à lui de se protéger lui-même en n'y prêtant pas attention et en restant indifférent". Eh oui, rester indifférent, voilà la sage attitude...

Le musulman n'a pas besoin d'aller brailler, briser, brûler car il n'a pas besoin de "considérer" le film et les images en question. Et Dieu préfère sans doute se passer des esprits sommaires qui foncent à la moindre étincelle. Le musulman ignorera et continuera à vivre. Malheureusement, la catégorie "batteurs de pavé" est universelle, il faut bien se désennuyer. Et les "ferrailleries sorboniques" sur les libertés sont le cadet de leurs soucis. Mais il est vrai que les chrétiens d'Espagne, par exemple, n'iront pas incendier l'ambassade saoudienne si un Saoudien dénigre leur prophète (ce qu'il ne peut théoriquement faire puisque l'islam considère tous les prophètes comme des envoyés de Dieu). Les musulmans font preuve d'un zèle qui, avouons-le, interroge. On s'en souvient, l'Organisation de la Conférence islamique avait bataillé dur pour ranger l'islamophobie dans les restrictions de la liberté d'expression. Or, il n'y a rien de plus naturel dans une démocratie que de permettre la critique ou le persiflage des valeurs, des doctrines, des dogmes.

En contrepoint, ceux qui défendent la liberté des caricaturistes ne doivent pas pousser des cris d'orfraie lorsqu'un homme de religion prend la parole et fustige certaines orientations. On comprend, dès lors, que le but des paladins de la démocratie n'est pas de défendre LA liberté, c'est d'imposer à tout ce qui touche de près ou de loin au religieux, un devoir de silence. Le cardinal Barbarin affiche publiquement et vigoureusement son opposition au mariage homosexuel, ils s'en émeuvent. Tous les responsables religieux condamnent la publication des caricatures, l'avocat de Charlie Hebdo, lui et pas un autre, les déclare "insupportables" ! On l'aura compris, le problème n'est pas une hiérarchisation des droits et libertés, c'est cette maladie française qui confond laïcité de l'Etat et sécularisation de la société et qui considère illégitime la parole religieuse dans l'espace public. Et, en défendant leur droit à l'expression au nom de principes qui nous sont chers, nous déplorons de mélanger nos voix à celles de ceux qui n'ont visiblement rien compris à la notion de "liberté d'expression" et qui ne voient aucun scrupule à serrer la cravate des autres ...

vendredi 14 septembre 2012

A pisser contre le vent, on mouille sa chemise...

Il y a un malaise, pas de doute. Pourtant, selon la légende tenace, le ministre des affaires étrangères turc, Ahmet Davutoğlu, ne dort pas; chez lui, je veux dire. Un avion décolle, descend, se pose, et le voilà. Toujours dans les airs. A force, on parle de tête en l'air, de doctrine d'air ou de trou d'air, c'est selon. Et le Sieur n'est pas n'importe qui hein, il a écrit des livres et articles sur ces questions; un universitaire, ma parole. Mettre un spécialiste à la tête d'un ministère, pour une fois que c'était une bonne idée, voilà le résultat. Ma pauvre abeille !

Le "professeur" (hoca) comme on l'appelle, est visiblement à bout de souffle; c'est que ses "réalisations" sont au revers de ses aspirations. "J'aurais bien voulu t'voir !", je sais, la critique est facile, l'art, difficile. Certes. Mais la tangibilité, disons, du tâtonnement de l'entreprise est telle que la critique actuelle ne semble pas être un tic d'opposant primaire.  C'est un constat : les déconcerts se multiplient et le "zéro problème" avec les voisins n'a plus lieu d'être puisque plus de voisin...

On vient de loin. Il y a encore quelques mois, la Turquie était, à ses dires, un État "policy maker", un pays qui oriente, qui inspire, qui assure un ordre, "order setting". Oh yeah ! Les Turcs le crurent évidemment, c'était poétique et tonique. A peine arrivé au ministère, il avait séduit car il avait déclaré avoir fouillé les tiroirs pour trouver un dossier sur un petit pays perdu de l'Afrique, histoire de tisser des liens, ça pouvait servir un jour. On ignore si cela a contribué à quoi que ce soit; en tout cas, celui qui disait siffler les hommes et les fins de récréation dans sa zone d'influence, se retrouve, aujourd'hui, cerné par toutes sortes d'interrogations. A-t-il encore une ossature, une vision ou navigue-t-il à vue ? A-t-il anticipé les événements ? Quand va-t-il démissionner, au fait ? Voilà où il a abouti...

C'est que ça ne va fort sur aucun front. Le vice-président de l'Iraq se fait condamner à mort par contumace, c'est la Turquie qui l'héberge; Maliki n'est plus, du coup, un pote. Les rebelles syriens sont déjà là; Assad n'est plus bien en cour. Israël serait, enfin, sur le point de présenter les excuses mille fois demandées, mais maintenant c'est Erdogan qui boude. L'Arménie, toujours en train de demander une place pour ses vieilles valises. La Grèce et "Chypre du Sud", toujours en train de soutenir tout ce qui peut enquiquiner la Turquie. L'Azerbaïdjan devient un allié stratégique et signe une foultitude d'accords mais refuse toujours de supprimer les visas et de reconnaître Chypre du Nord. Et pour comble d'ennui, avec l'Iran, la concurrence séculaire a atteint son acmé avec les menaces du chef d'état-major puis l'arrestation d'espions. L'Iran, oui, cet ingrat qui casse du sucre sur le dos de celle qui le soutint mordicus sur le dossier nucléaire.

Résultat : les mauvais calculs du Professeur sur le dossier syrien ont conduit à une résurgence des attaques du PKK. Il ne manquait plus que cela; les réfugiés sont plein les tentes, les Kurdes radicaux sont en quasi-insurrection et les bombes refont la une de l'actualité. Et cet entêtement à défier la Syrie alors que le pays est une poudrière confessionnelle verdit les moins catégoriques. La prospective a fait défaut; puisque, il faut le rappeler n'est-ce pas, au ministère des affaires étrangères, on ne trouve pas, normalement, de gens affolés; de ceux qui ont le coeur dans la bouche. Là-bas, on réfléchit et on prévoit. On ferme des portes, on ouvre des fenêtres. On vulcanise, sans doute; mais on fait dans la dentelle. D'où deux ministères distincts : celui de la diplomatie (affaires étrangères) et celui de la guerre (défense). Le premier, en théorie, ne brûle pas ses vaisseaux, à la première occasion. D'autant plus que le pays en question était un "allié stratégique" il y a encore deux ans...

C'est qu'il y a LA grande question : nos intérêts ou les valeurs ? "Les" valeurs, oui; pas forcément, les nôtres. Celles des autres, des "nations civilisées". Tout le monde rêve et c'est bien, mais il faut qu'il y ait, dans un pays, une caste qui a les pieds sur terre ou qui se dévoue à faire le rabat-joie : les diplomates. "Si on prend position contre la Syrie, c'est notre intégrité territoriale qui risque d'en pâtir, monsieur le Ministre", "oui d'accord, mais que fait-on face à ce carnage ?", "les plus délicats, ils gigotent, nous, nous mijotons !"... La latitude, voilà le sésame : si le ministre des affaires étrangères est le premier à pleurer, c'est que, forcément, il révèle sa sensibilité; et ce qui est fatal pour celui qui occupe ce siège, ce n'est pas tant de définir ce qui est le bien et le mal, c'est de révéler le gentil et le méchant. Adieu marge de manoeuvre...

Comme dirait Ziya Paşa, "Onlar ki verir lâf ile dünyâya nizâmât/Bin türlü teseyyüb bulunur hanelerinde/Ayînesi iştir kişinin lâfa bakılmaz/Şahsın görünür rütbe-i aklı eserinde". S'octroyer un titre de "grand frère" alors que c'est loin d'être le paradis chez soi n'équivaut qu'à une chose : une ânerie ! Personne ne demande à la Turquie, une puissance régionale, de baisser le diapason et de se boucher les oreilles. Mais personne ne lui demande non plus de se jeter à corps perdu dans une posture suicidaire et de s'impliquer jusqu'aux oreilles en fournissant des armes aux "rebelles" d'un pays voisin. Ça rappelle des choses; "rebelles"...

Que des acteurs divers et variés viennent haleiner en Turquie, qu'Istanbul devienne une métropole qui fourmille, où tout le monde se croise, où les Afghans et les Pakistanais papotent, où les sunnites et les chiites se serrent les mains; ce n'est pas forcément une bonne nouvelle géostratégique, on en fait autant dans un hall de gare... Devenir un modèle pour les autres, pourquoi pas; et c'est une bonne aspiration. Mais il y a des préalables; il "suffit" juste de créer, à l'intérieur du pays, les conditions propres à vous hisser au rang de "modèle" à l'extérieur de celui-ci. Et pour l'instant euh..., le degré des libertés (notamment d'expression et de conscience) n'est pas du genre à faire pâlir le voisin. Mais la "profondeur stratégique" et le "zéro problème" ont encore de beaux jours devant eux; comme on le sait, les théories, même les plus virginales, continuent à être enseignées dans les facs ou d'autres enceintes. Et le Professeur n'est évidemment pas né de la dernière pluie, c'est sans doute l'homme qu'il faut; mais il est né trop tôt, au mauvais endroit et au mauvais moment. C'est que l'Orient et le principe de Pollyanna, avec ma cervelle de minus, je ne vois pas vraiment. Sur cette terre des réflexes pavloviens, on ne rêve pas, on essaie de comprendre des "réalités" et on calcule; c'est catégorique mais c'est l'expérience des siècles, là où il y a Arabes, Persans et Turcs, il faut savoir valser. Comme le disait Cetin Altan, le Jean Daniel des Turcs, "en Occident, on fait des duels, en Orient, on tend des embuscades"...

mercredi 5 septembre 2012

Prêchi-prêcha

"Maître, avait osé mon camarade, on apprend toujours la même chose en cours, Atatürk est né, Atatürk a dit que, Atatürk a décidé que, Atatürk est mort, Atatürk topu at !!!". Et nous, hésitant entre indignation et emballement, nous écarquillâmes les yeux et jetâmes des regards obliques vers le professeur. Professeur qui s'époumonait à recopier fougueusement des paragraphes entiers de son vieux livre sur le tableau; les doigts et la chemise souillés de craie, le visage talqué comme il faut. Et le voilà en train de se retourner et afficher une de ces mines d'homme enthousiaste dont l'ardeur se dégonfle illico devant un commentaire idiot. "Tu bronches ! Hein ! Puisque tu sais déjà tout, lève-toi, donne-moi sa date de naissance, la date de son départ à Samsun, celle du congrès d'Erzurum, celle du congrès de Sivas, celle de la réforme de l'alphabet, celle de la proclamation de la République, alors, monsieur confond tout ! espèce de cornichon !"... Le professeur triomphant, nous mîmes un point d'honneur à maugréer contre le "provocateur"; "repose en paix, grand Atatürk, amen !". La nature humaine, que voulez-vous, si la rébellion triomphe, les capons se transforment en non-conformistes, si elle échoue, les non-conformistes se transforment en capons...

Nous autres, enfants de la Nation turque vivant à l'étranger, sommes, il faut le reconnaître, sensiblement gâtés par l'Etat turc en matière d'enseignement, allais-je dire, mais je corrige, de dressage. Voire de bourrage de crâne. Gâtés donc, dans les deux sens du terme. C'est que les autorités mettent en place des cours de langue et d'histoire turques (les fameux "enseignements de langue et culture d'origine", les ELCO), envoient des professeurs du ministère de l'Education et essaient de nous transmettre des bribes d'un programme qui s'axe sur la personne et la gloire de Mustafa Kemal Atatürk. Et idem en matière de religion; les imams sont chargés de veiller au troupeau turco-musulman, histoire de ne pas faire grossir les rangs des athées, agnostiques et salafistes (la question ne se pose pas quant à la concurrence des chrétiens ou des juifs, les premiers n'existant plus, les seconds ne recrutant pas). Des hussards et des soutaniers donc, louangeurs. Un battage officiel tous azimuts.

On ne pouvait mieux faire pour la synchronisation; le YÖK turc (Conseil de l'enseignement supérieur) a décidé de supprimer les cours obligatoires portant sur "les principes et les réformes d'Atatürk" et le ministre français de l'Education annonce la création d'un cours de "morale laïque". Encore la "chance" d'être Franco-Turc, n'est-ce pas, on tourne en rond... En Turquie, jusqu'aujourd'hui, il n'était pas considéré comme anormal de suivre, dans chaque faculté, je dis bien dans chaque faculté, un cours sur les "principes et les réformes d'Atatürk". A priori, l'intitulé semble bien didactique mais ayant moi-même goûté à l'enseignement d'ELCO, j'ai une certaine appréhension sur le contenu; comme les cours de "culture religieuse" qui aboutissent, dans la pratique, à apprendre par coeur aux élèves des sourates et la manière de prendre ses ablutions et de faire la prière...

Évidemment, arrivé à la fac, si on ne connaît toujours pas l'oeuvre du grandissime père de la Nation, c'est qu'on a vécu connement son enfance et son adolescence, passez l'expression. Car il faut vraiment le vouloir pour passer à travers les mailles; les bustes, les odes, les portraits, les chronologies, les "coins Atatürk" sont partout. Et ce n'est pas qu'il faut escamoter celui-ci et sa politique, non non, que Dieu nous en garde, il faut simplement "calmer sa joie" et enseigner sereinement la période, sans verser dans l'idéologie. Rappelons que dans un pays où un professeur d'université a dû batailler des années devant la justice pour avoir dit "cet homme" en parlant de M.K, on n'attend aucun esprit critique venant de l'élève. Des séances de transe presque, où le professeur n'explique rien du tout, où tout le monde obtient la moyenne (comment peut-on ne pas valider cette matière !). Et quelle est la logique d'apprendre une énième fois cette dictée en fac de chimie ou de sport, par exemple ? Aucune, si l'on en croit le calibre académique des universités turques; alors, apprendre les principes d'Atatürk, en tête desquels arrivent la libre pensée et la modernité occidentale, avec un tel format, euh...

On se rappelle la polémique, en France, sur l'intégration des mémoires de De Gaulle dans le programme de littérature. Le monde tourne à l'envers, là-bas, on proteste la suppression des "mémoires" d'Atatürk, ici, on se déchirait pour adopter ceux du Général ! Et ce, en lettres et non en histoire ! Un cours qui traite des faits, des personnes ou des notions n'a rien de répréhensible, le problème émerge lorsque l'Etat instaure un enseignement susceptible d'orienter la conscience de l'élève vers une doctrine précise. Car l'Etat n'a aucun titre de compétence pour ce faire. Le cours n'est pas fait pour délivrer des qualificatifs mélioratifs à qui que ce soit, on tomberait dans une pratique illégitime, il y aurait usurpation sur les droits des parents. Ces derniers, seuls, peuvent "inculquer", "styler", "inoculer" ou "vacciner".

Les valeurs de justice, d'équité, de respect, de bravoure, de modernité, de bien, de la personne humaine, etc. ne s'apprennent pas sur les bancs de l'école; encore cette manie de disqualifier le rôle des parents, de déresponsabiliser ceux qui doivent être aux premières loges. Consécration, sans doute, d'une réalité sociologique : les liens familiaux tendent à disparaître et on craint des générations de déboussolés. Le raisonnement est clair : quand l'enfant dévie, il passe devant le juge en cas de violation d'une règle juridique ou il subit l'opprobre publique quand il enfreint une règle de bienséance. On peut, en revanche, dispenser des cours de "droits de l'Homme" non pas tant en raison de l'angélisme droit-de-l'hommiste mais plus prosaïquement d'un devoir d'avertissement. Le repêchage des âmes n'est pas un service public, la garantie de la liberté individuelle en est un. Laissons donc l'axiologie aux parents et aux philosophes, établissons un programme d'initiation au droit des droits de l'Homme. Dans une démocratie, on ne se conforme pas à des valeurs, même communes, on respecte les droits d'autrui. Car ces valeurs communes finissent toujours par se nourrir exclusivement des valeurs des majoritaires. "Morale" de l'histoire : on n'explique que ce qui est susceptible de punir; or, la morale ne punit pas, elle condamne... in petto.